vons encore, ici comme au Gymnase et à la Renaissance, la lutte et la défense de l’épouse vis-à-vis de la maîtresse. Ne sem
ble-t-il pas que décidément le « sujet » était dans l’air, puisque trois auteurs se sont rencontrés sur un même terrain ? — Chez Réjane, d’ailleurs, comme à la Renaissance, le drame aboutit à une impasse, d’où il ne peut sortir que par un dénouement vio
lent. Au Boulevard Bonne-Nouvelle, c’est un coup de pistolet qui résout l’action par un suicide. Rue Blanche, c’est un coup
de fusil, crânement tiré par l’épouse sur la maîtresse, qui la dénoue par un meurtre.
Et voici maintenant que s’avancent les pièces en vers, un peu étonnées de se trouver égarées en plein modernisme. C’est d’abord,au Théâtre Antoine (celui du boulevard de Strasbourg), 18121 pièce épisodique en quatre actes, de M. Gabriel Nigond, qui, par la force des choses, a quelque allure antimilitariste, simple aventure mélodramatique permettant au metteur en scène une exhibition assez bien réglée du passage de la Bérésina. Les vers de M. Gabriel Nigond, rimeur adroit plutôt que vrai poète, sont faciles, trop faciles, parfois négligés et terre à terre. Ils manquent d’envolées, dans un sujet qui semblait en com
porter. — Puis, au Théâtre Sarah-Bernhardt, la Beffa, drame italien de M. Sem Benelli, sous forme d’adaptation en vers de M. Jean Richepin, où Madame Sarah Bernhardt joue un travesti qui lui donne occasion de se montrer d’une fougue et d’une jeu
nesse tout à fait extraordinaires. Ce drame, qui se passe sous la Renaissance italienne, rappelle un peu le Loren\accio de Musset.
Maintenant, entendez-vous, dans le lointain, non pas un « bruit de bottes », mais les sons d’une valse? Ils arrivent, en
droite ligne, de l’Apollo, où une valse succède à une autre, la valse du Rêve à la valse de la Veuve joyeuse, celle d’Oscar Strauss après celle de Franz Lehar. Ma foi, l’une vaut l’autre, et j’avoue, pour mon compte, que j’aurais faiblesse d’oreille pour la seconde, plus aimable et plus élégante que la première, quoi
qu’elle n’ait pas eu succès égal sur les bords de ce beau Danube, qui n’est « bleu » que dans les opérettes.
Dans ses séances du vendredi, la Commission des Auteurs dramatiques s’occupe, avec raison, de réaliser certaines réformes utiles, et de traiter des questions de technicité intéressantes. Il en est une sur laquelle, dernièrement, son attention a été appe
lée : Dans les pays où il n y a pas « convention », notamment dans les Républiques de l’Amérique du sud, très fructueuses et très productives au point de vue théâtral, les comédiens et entre
preneurs de tournées jouent froidement les pièces des auteurs français,sans bourse délier,sans payer dedroits,ce quiestabsolument injuste, et comme une violation de propriété. Il en est quelques-uns qui font des tiaités, assurément, car c’est question de probité professionnelle, mais il en est bien d’autres, etee sont les plus nombreux, qui s’acquittent avec un pied de nez, et paient en « monnaie de singe ». Or, on n’a contre eux aucune coerci
tion, aucune contrainte judiciaire pour reprendre son bien. Alors la Commission s’est avisée d un moyen — c’est à peu près le seul dont on dispose — pour forcer les récalcitrants à traiter avec les auteurs dont ils veulent jouer les pièces en tournée : c’est de refuser énergiquement tout traité pour les provinces françaises,
et pays étrangers avec lesquels il y a « convention », à ceux__
comédiens ou entrepreneurs — qui joueraient, sans traité, dans les pays qui n’ont pas de « convention ». La mesure serait excellente et de toute équité. C’est aux auteurs à se défendre et à ne pas se laisser dépouiller par les corsaires.
Voici une autre question non moins importante et qui intéresse, au plus haut point, tout à la fois, les auteurs et les direc
teurs de théâtre. On suit que par abus, par « veulerie », puis-je dire, les répétitions générales, autrefois closes et où n’assis
taient, avec quelques amis de l’auteur et du directeur, que les professionnels indispensables, sont devenues de véritables premières représentations, si bien que certains journaux, pour
arriver bons premiers, donnent, le lendemain de la répétition générale, en dépit de tout droit et de toute convenance, des petits comptes rendus rédigés en hâte, sans réflexion, où, le plus


souvent, ils assomment la pièce « répétée » la veille, non encore « représentée ». Ce qui est nuisible, injuste et absolument con


traire à la jurisprudence (le fait a été jugé en 1888, à propos de la Tosca) qui veut qu’une pièce ne puisse être « critiquée » que quand elle appartient au public, c’est-à dire après la première représentation effective. Ce procédé injurieux pour la critique faite sérieusement, et contraire aux intérêts de l’auteur et du théâtre, commence à préoccuper à la fois les auteurs et les direc
teurs. Alors il y aurait, m’a-t-on dit, entente prochaine entre les deux parties en cause, pour faire cesser l’abus. On ferait une démarche collective auprès des journaux qui ont pris l’habitude de ces comptes rendus hâtifs et irréguliers, et, si l’on ne pouvait s’entendre à l’amiable, on prendrait les mesures nécessaires.
Et, puisque nous en sommes au chapitre des réformes, il en est vraiment une qui s’impose : celle de 1’ « inexactitude ». Messieurs les directeurs de théâtre ont pris une bien mauvaise habi
tude, celle de l’inexactitude aux répétitions générales, voire aux premières représentations, où ils commencent leurs spectacles régulièrement une demi-heure ou trois quarts d’heure après l’heure annoncée. Il en résulte une attente insupportable pour ceux qui sont arrivés exactement, et la prolongation à l’infini de la représentation, jusqu’à une heure avancée dans la nuit, ce qui n’est agréable pour personne. Quand on leur en fait l’obser
vation, ils repondent invariablement : « Ça n’est pas notre faute, c’est la faute du public, qui vient toujours en retard. Alors nous ne pouvons vraiment pas commencer devant une salle vide... » A quoi on peut leur dire : « Nous tournons dans un cercle vicieux. Vous commencez en retard parce que, dites-vous, le public n’arrive jamais à l’heure. Or, le public n’arrive pas à l’heure parce qu’il connaît votre inexactitude, il ne se presse pas parce qu’il sait que vous lui manquez toujours de parole... »
Alors, les directeurs ont pris une résolution héroïque : ils ont annoncé qu’on commencerait le spectacle « exactement » à l’heure dite, etpour confirmer leur assertion et forcer le public à venir « exactement », ils ont corroboré l’ukase, d’une note déclarant que « les portes seraient fermées aussitôt le rideau levé». Pris de terreur, le bon public est venu à l’heure, mais comme on a persisté, malgré l’avis comminatoire, à commencer avec le retard traditionnel, il s’est découragé, a haussé les épaules et a repris son inexactitude coutumière. Il faudrait pourtant s’entendre, une fois pour toutes ; ça n’est cependant pas si difficile !


* *


En cette quinzaine, nous avons eu à enregistrer la mort de Charles Franconi, le dernier du nom, l’ultime descendant d’Antoine Franconi, le créateur-fondateur des cirques.
Nous avons tous connu Charles Franconi, « figure bien parisienne » ; ce fut un aimable garçon, portant beau, toujours le sou
rire aux lèvres, cavalier impeccable et tireur d’épée sans pareil.
Pendant des années, il dirigea les deux cirques, celui des Champs- Elysées et celui des Filles-du-Calvaire. On sait ce que fut
autrefois la vogue du cirque des Champs-Elysées, avec ses samedis mondains si élégants et si recherchés. Mais tout passe; le cirque fut peu à peu abandonné, et, à la fin de son bail, Charles Franconi renonça à l’Elyséen, qu’il eût fallu recon
struire,pour concentrer ses efforts sur la piste plus populaire des Filles-du-Calvaire. Puis, comme il avait senti, là aussi, l’aban
don proche, il avait passé la main et avait, ainsi qu’il le disait en riant, repris sa place dans le bataillon des bourgeois. Il y laisse de vifs regrets parmi tous ceux qui l’ont connu, et le souvenir d’un être cordial, obligeant, de belle franchise et d’humeur charmante.
FÉLIX DUQUESNEL.