dans un corps débile et sans vaillance, a subi depuis son enfance toutes les humiliations, petites et grandes. C’est un symbole de l’intelligence opprimée par une civilisation violente, dénaturée par elle, et contre elle aiguisant sa haine implacablement astu
cieuse. Il est celui qu’on raille et qu’on soufflette impunément, à qui on « enfonce le démenti dans la gorge jusqu’au bas des poumons », qui empoche l’injure et la dérision. Des colères rentrées, des rages impuissantes le suffoquent, empoisonnent son
sang. Mais il a, comme dit Hamlet, « un foie de pigeon, sans fiel pour rendre l’oppression amère ».
Or, il aimait la courtisane Ginevra, et Neri Chiaramantesi s’est fait un jeu de lui disputer cette belle proie, de la lui ravir. CeNeri est une superbe brute, qui ne croit qu’à sa force et n’obéit qu’au conseil de sa férocité. Secondépar sonfrère Gabriel,enprésence de Ginevra, il s’est emparé de Giannetto et l’a, cousu dans un sac, plongé trois fois dans J’Arno La plaisanterie s’agrémen
tait dequelques piqûres d’épéeau basdes reins. Maiscen’était, en somme, au goût du temps, qu’une plaisanterie, une brimade un peu forte, une de ces beffas que Florence avait mises à la mode.
Incapable de faire face à son pesant rival, tout tremblant dans sa chétive enveloppe, Giannetto s’est soumis comme toujours, en apparence du moins. Il a même feint de rire. Il rit son rire sinistre, mais pense à sa vengeance, à la lente, patiente et sour
noise machination qui, quelque jour, en quelque lieu, s’il sait attendre, lui livrera — enfin ! — son ennemi désarmé. La ven
geance : voilà l’unique méditation de cet esprit blessé, le seul exercice de cette volonté tortueuse à qui tout autre but est inter
dit. Non seulement il en fait sa raison d’exister, et de la perfidie la rançon de sa lâcheté, mais elle est l’objet de son amour; elle
l’exalte; il la convoite comme une maîtresse dont on imagine, avant qu’elle ne se soit donnée, les secrètes délices et les obscures voluptés dont elle vous comblera :
Je l’ai tant adorée et possédée en songe 1...’
C’est la vengeance ! Elle a de grands yeux verts ardents. Elle est gaie. Elle rit de ses trente-deux dents.
Sa robe s’ouvre ; on voit, sur sa gorge qui bouge, Blanche, luire un éclair de cicatrice rouge.
Elle danse, et vous dit, avec un geste fou : « Veux-tu me suivre ?...
L’occasion tant souhaitée, tant voulue de répondre à cette invite, de « suivre » enfin le « geste fou » de la belle vengeance, — c’est Laurent de Médicis qui la fait naître. Il déteste les Chiaramantesi. Sur son ordre, certain chevalier florentin réunit un
Photo H Manuel.
fazio (M. J. Worms)
THÉATRE SARAH-BERNHARDT. - LA BEFFA. — Acte II
GIANNETTO MALESPINI (M,nc Sarah Berohardt)
GINEVRA
( M.-L. Derval)
Décor de M. Berlin.