Il y a eu encore, cette quinzaine, quelques pièces qui ont éclaté, comme des fusées attardées, après le feu d’artifice de Pâques.
C’est, aux Bouffes-Parisiens, Xantho, comédie en trois actes, en vers, — vous m’en
tendez bien? en vers, et aux Bouffes-Parisiens encore ! — Ceux-ci sont signés Jacques Ri
chepin, aimables et faciles, broderie légère sur fond de mince originalité, qui rappelle le second acte de Lysistrata. Ici, c’est l’aventure de Xantho, l’épouse du riche chevrier Phaon, en
recherche de raffinements propres à réveiller les sens endormis de son mari, qui vient à Corinthe, ville renommée pour ses rai
sins secs et ses courtisanes grasses, afin d’y consulter la matrone Myrrhine et d’implorer les leçons nécessaires. Quelle n’est pas sa surprise en rencontrant, en ce lieu de volupté, Phaon luimême, venu pour s’y livrer à quelque exploit de gymnastique amoureuse ? Tout naturellement, Xantho, voilée, reconquiert le mari infidèle, qui, pris au piège de l’inconnue, trouve sa femme exquise, alors qu’elle a saveur de fruit défendu. Cette saynète ultra-galante n’a pas déplu aux amateurs. Elle se précédait d’une comédie en deux actes, Un Jeune Homme candide, début, au théâtre, d’un de nos jeunes confrères, Pierre Mortier.
Au Théâtre des Variétés, le Bois sacré, trois actes fantaisistes de MM. de Fiers et G. de Caillavet. Le Théâtre du Bou
levard Montmartre n’avait pas eu, jusque-là, une saison très chanceuse, ce qui d’ailleurs est l’ordinaire des lendemains de fête, et l’on pouvait craindre que le Roi n’eût épuisé la veine. Fort heureusement, il n’en a rien été, et voici revenue la chance vic
torieuse, car le Bois sacré a tout à fait réussi. Son action, légère et un peu imprécise, brille par la gaieté et l’entrain du détail, l’esprit du dialogue et l’originalité des types. La comédie y tourne rapidement en vaudeville, émaillée de quelques bons « numéros », et voici, en termes rapides, son postulat, qui rappelle un fait mondain presque récent encore.
La romancière Francine Margerie, très en vue pour son talent, est la plus modeste des femmes, vivant à l’écart de la réclame, dans son intérieur calme de bourgeoise, adorant son mari, un bon gros garçon tout rond. Certes, elle est sans ambi
tion. Aussi, comme on parle d’elle pour la croix du 14 juillet, — son dernier roman, l Irrésistible, étant un grand succès litté
raire, — sa modestie s’y refuse d’abord. Mais soudain s’élève une concurrence, et il se pourrait que le ruban rouge fût épinglé sur la poitrine d’une autre, une romancière de province, qui, elle aussi, a du talent : « Ah ! mais non ! s’écrie Francine, je ne tiens pas à la croix, mais s’il y a une romancière décorée, c’est tout différent ; alors, il faut que ce soit moi ! » Et voilà l’amourpropre en jeu. Or, de nos jours, le mérite est volontiers sacrifié ; ce qu’il faut, c’est le « piston ». Où l’aller chercher? Parbleu !
aux Beaux-Arts, d’où émane toute proposition décorative. Et notre romancière s’introduit aux Beaux-Arts, en plein « bois
sacré »,où il lui faut subir les attaquesgalantes du directeur toutpuissant, le pseudo-ministre Champmorel, tandis que, de son côté, Paul Margerie, son mari, s’égare dans le même bois avec la femme du même personnage. Celle-ci, Adrienne Champmo
rel, est un petit gnome charmant, qui s’enflamme au premier contact et court de branche en branche ainsi qu’un écureuil,
sans se fixer sur aucune. La conclusion, c’est que si Francine a résisté aux attaques du directeur, Paul, le mari, a été d’une moindre défense eta trompésafemmeavecAdrienne Champmo
rel. Or, l’épouse ne l’entend pas ainsi, elle tient bien plus à son
bonheur conjugal qu’au ruban rouge,et il s’agit pour elle, avant tout, de ramener au foyer l’époux repentant. Elle y parvient par une diplomatie de tendresse habile... Quant à la croix, elle l’ac
crochera dans l’armoire à bibelots, ce qui, d’ailleurs, est peutêtre sa vraie place.
Comme on le peut voir, cette histoire de décoration féminine n’est pas d’un intérêt palpitant, mais elle est contée avec tant de verve, avec des accessoires si amusants, qu’on y prend plaisir extrême. On y rencontre, chemin faisant, des types curieux et de comique irrésistible, tels le colonel Zakouskine, grand maître de ballet de la cour de Russie, qui est un personnage de haut comique interprété par ce comédien-clown sans pareil, qui a nom
Max Dearly. En résumé, lesuccès se solde par un très joli premier acte de comédie; un second acte qui déclanche le fou rire ininter
rompu ; un troisième très brillant, orné d’un pas de ballet russe exécuté par Max Dearly et l’exquise Eve Lavallière, avec une maestria ignorée desprofessionnels. Ajoutons que l’interprétation àu Bois sacré est incomparable, avec cette troupe des Variétés qui réunit lés noms de Max Dearly, Guy, Brasseur, Prince, Moricey, Eve Lavallière, auxquels vient se joindre celui d’une grande comédienne, Jeanne Granier, qui a donné à l’héroïne delà pièce une interprétation tout à fait exquise, faite de grâce, de bonhomie spirituelle, de simplicité tendre et charmante, avec la note de bon sens aimable.
Au Palais-Royal, il y eut jadis une pièce intitulée le Monsieur qui suit les femmes, le héros du nouveau vaudeville de MM. Maurice Hennequin et J. Veber ne les suit pas, il les « relève ». Le bon Savinien a entrepris, en effet, la tâche ingrate de relever 1’ « horizontale » Mirette, de la remettre dans le droit chemin et d’en faire une « verticale ». Il a « tué le cochon », ce bon Savinien, ne croyez pas pour cela que ça soit un charcu
tier; non pas, il a tué ce cochon symbolique dont parle le poète physiologiste qui a dit :
Tout homme a dans le cœur, un cochon qui sommeille...
Oui, mais voilà, le jeu est dangereux, il vient un moment où le cochon se réveille, et ce n’est pas Savinien qui relève Mirette; tout au contraire, c’est Mirette qui entraîne Savinien dan s sa chute. Tais-toi, mon cœur! tel est le titre de cette pièce par laquelle M. Quinson, le nouveau directeur du Théâtre du Palais-Royal,


LA QUINZAINE THÉATRALE