THÉATRE DES VARIÉTÉS




Le Bois sacré


Comédie en trois actes, de MM. GASTON ARMAN DE CAILLAVET et ROBERT DE FLERS


complexe chimie dramatique, la recette ne suffit pas : il importe d’avoir aussi le tour de main, et, dame, ne l’a pas qui veut !




Voilà, sans doute, pourquoi J.-J. Weiss avouait ressentir un léger frisson chaque fois qu’il passait devant le profane petit temple du boulevard Montmartre. Frisson et aveu ont jadis beaucoup fait rire : on n’y voulut voir qu’une naïveté de cuistre émancipé, une bourde sentant d’une lieue son provincial de rive gauche. Mais comme J.-J. Weiss était, sur tous autres points, beaucoup moins sot que les rieurs, peut-être était-ce encore lui qui, dans l’espèce, avait raison, et il est permis de croire que, derrière les colonnes du péristyle des Variétés, sa frémissante âme d’artiste entrevoyait précisément ce que les rieurs n’y soupçonnent pas : une jolie tradition, une flamme capricieuse et légère qui, transmise de main en main, perpétue, sans le moindre appareil pédantesque, le scintillement de l’esprit français et de l’ironie nationale.




Cette petite flamme a eu, d’ailleurs, quelques éclipses, et, pendant plusieurs années, les vaudevillistes se sont fort peu




souciés de l’entretenir ; mais elle est maintenant en bonnes mains. Après Alfred Capus, MM. Robert de Fiers et Gaston de Caillavet ont su lui rendre un nouvel éclat. Grâce à eux, nous




avons vu « la pièce des Variétés » renaître de ses cendres. C’est elle qui triomphait, l’année dernière, avec le Roi; c’est elle qu’on vient d’applaudir aujourd’hui dans le Bois sacré.— De quel « bois sacré » s’agit-il? Vous n’en êtes plus à l’ignorer, et nos deux auteurs — je ne le rappelle que pour mémoire — ont ainsi désigné, en leur irrévérence, l’Administration des Beaux-Arts. Cette benoîte administration ne devrait-elle pas, en effet, être le dernier refuge, l’asile inviolé des Neuf Muses et de ceux qui, sous leurs auspices, s’adonnent à la peinture, à la musique et aux lettres ? Ne serait-il pas naturel que, rigoureusement fermée à l’envahissante politique, sourde à toute recommandation ministérielle et parlementaire, elle ne se préoccupât que d’encourager le mérite et de découvrir la beauté ? Bref, dans une répu




blique aussi athénienne que la nôtre, comment se représenter les hauts fonctionnaires de la rue de Valois sinon comme un aréopage de peintres, de musiciens, de poètes devisant avec séré




nité, — que dis-je ? avec compétence ! — parmi les noirs lauriers et les oliviers gris d’une fresque de Puvis de Chavannes? Hélas! la réalité est un peu différente et le restera longtemps encore, si nous devons croire sur parole MM. de Fiers et de Caillavet, car,




nous transportant par anticipation en l’an de grâce 1916, leur pièce nous montre, trônant au milieu du « Bois sacré », un




sous-secrétaire d’Etat des moins apolloniens. Absorbé comme lui par l’aveugle ou inique répartition des croix, des récom




penses, des commandes officielles, son entourage ne vaut guère mieux; et, dans le cabinet solennel où pontifie, au second acte, ce trop vraisemblable protecteur des arts, il ne se fourvoiera guère qu’une Muse. Son nom ? Francine Margerie. Roman




Il n’y a guère de produit plus essentiellement parisien que « la pièce des Variétés ». Meilhac et Halévy, -pour l’opérette comme pour la




comédie, en ont inventé la formule définitive et fixé le subtil dosage : vérité et fantaisie, finesse et outrance, esprit délicat et gros sel s’y doivent combiner suivant des proportions mystérieuses, mais constantes. Certains éléments étrangers—petites manies, menus talents de tel ou tel comédien cher au public, « effets » tout per




sonnels de telle ou telle actrice à la mode — y ont aussi leur place marquée; encore faut-il que l’intermède ne trouble pas trop l’action et que l’action n’ait garde de brusquer l’intermède.




Un rien de satire politique et sociale, un soupçon de discrète actualité sont également de rigueur ; mais, pour réussir en cette


M. CH. BERNARD


Régisseur général du Théâtre des Variétés


Photo Bert.