sur le livret de M. Henri Cain est une œuvre fort bien équilibrée; la pensée musicale s y développe claire, dégagée de tout ornement inutile; l’orchestration en est solide, sans ces bizarreries dont certains se servent pour faire croire à de l’originalité. Quand on pense que cette œuvre est écrite depuis dix ans, on ne peut que louer sa tenue; certes elle eût pu être plus moderne, apporter une note plus nouvelle si elle eût été jouée à son heure.
M. Ch.-M. Widor a, au surplus, parfaitement compris qu’au-dessus de tous les épisodes, de tous les hors-d’œuvre, tels que la bénédiction du bateau de pêche, les chansons à boire, la danse des sardinières, il avait à faire la part plus grande au côté pitto
resque de l’Océan dans ses quatre actes. C’est l’Océan, en effet, qui chante ou mugit sa symphonie dans ce drame de la mer, c’est l’Océan qui fait se briser les vagues contre les rochers, s’agenouiller les femmes des pêcheurs sur la grève balayée par les lames.
Tout ce développement orchestral est fort noblement conçu. On aurait pu souhaiter que la partie amoureuse du drame fût traitée de façon un peu moins fruste. D’accord avec le librettiste, le musicien aurait pu insister sur cette passion qui pousse Jacques à boire et qui en même temps lui inspirera plus tard le courage héroïque pour sauver celui qui l’a tant fait souffrir. Il est certain que tout cela est un peu sommairement exposé dans l’œuvre de M. Ch.-M.Widor. Mais il y a du souffle en maintes pages.
Dès les premiers accords, l’ouverture des Pêcheurs de Saint-Jean nous initie au drame de la mer. Il y a de la tempête dans cette musique ; il y a aussi, par l’exposé des divers motifs, le résumé de l’action qui va se dérouler devant nous. Le chant des pêcheurs basques, une façon de Marseillaise de la mer, que nous retrouverons plusieurs fois dans la partition; l’air inspiré de Marie- Anne, air soutenu par les harpes; la scène polyphonique de la bénédiction du bateau; telles sont les pages saillantes que l’on remarque au premier acte.
Le duo de Marie-Anne et de Jacques a de l’emportement au deuxième acte; il y a du mouvement dans les chœurs et les danses des sardinières. Le troisième acte présente encore un duo d’amour entre Marie-Anne et Jacques. Le quatrième acte est d’une vigueur de touche étonnante; l’orchestre traduit avec une belle fougue la violence de la tempête qui sévit.
Toute cette musique, en somme, est quelque chose de très louable et de très élevé qui fait honneur à M. Ch.-M. Widor, dans l’esprit du gros public, mais surtout dans l’estime des délicats. La couleur de cette œuvre intéressante a été fort bien mise
en valeur par M. Ruhl
mann, le nouveau chef d’orchestre de l’Opéra- Comique.
La mise en scène de M. Albert Carré est d’un soin extrême et témoigne d’un effort, comme toujours, très intelligent.
Il n’y a que du bien à dire de l’interprétation.
Mademoiselle Claire Friché (Marie-Anne) a chanté son rôle avec une expression puissante et émouvante,avec unevoix d’un beau timbre et bien conduite. Mademoiselle Cocyte a bien fait ressor
tir les angoisses et la douleur de la mère de Jacques. Le ténor M. Salignac (Jacques) a une voix dont le volume n’est pas énorme, mais il s’en
sert avec correction et il joue avec chaleur, avec un grand sens drama
tique. M. Vieuille (Jean- Pierre) mérite des éloges sans restriction pour la composition de son per
sonnage, pour la convic
tion de son jeu et le style avec lequel il chante.
Tout a été mis en œuvre à l’Opéra-Comique, on le voit, pour assurer la réussite des Pêcheurs de Saint-Jean.
OPÉRA-COMIQUE. — LES PÊCHEURS DE SAINT-JEAN
Photo P. Berger.
Jacques (M. Salignac)
OPÉRA-COMIQUE. — LES PÊCHEURS DE SAINT-JEAN
LOUIS SCHNEIDER.
Photo P. Berger.
MADELEINE (MUo Cocyte)