IL y aurait à faire une étude intéressante sur les courants du théâtre. Car il est certain qu’il y a des « courants » qui s’indiquent, sans raison apparente, sans qu’on sache réellement pourquoi ?
Ainsi, dans le public amateur, il y a deux cou
rants : le « courant triste » et le « courant gai ».
Le « courant triste » est celui que suivent les spectateurs qui se complaisent, je ne dirai pas au mélodrame, — on ne le pra
tique plus guère, — mais à la comédie dramatique, qui est visiblement le genre qui domine et règne en maître le long du Boulevard et aussi à la Comédie-Française. Jadis, on riait le plus souvent, au théâtre, où le comique avait la plus grande place. Aujourd’hui, on sourit à peine. Sous prétexte de psycho
logie et de formule nouvelle, on nous afflige du récit de funèbres infortunes. Il est même arrivé plusieurs fois, cet hiver, que le héros, voire l’héroïne elle-même, acculé à l’inextricable situation, n’en sortait, au dénouement, que par le suicide, la détonation du pistolet remplaçant ce qu’on appelle le « mot de la fin ». Nous avons eu, cet hiver, le suicide partout ! Est-ce une tendance? il se peut. Je crois cependant que cette tendance est plutôt celle de l’auteur, que celle du public, qui n’est pas ennemi de la douce gaieté, bien au contraire.
Et comme j’aime à m’instruire, j’ai interrogé deux spectateurs de catégorie moyenne, de ceux qui aiment franchement lethéâire et n’y vont pas chercher le fin du fin, simplement leur plaisir, et l’emploi agréable d’une soirée. Le premier m’a dit :
« Quelle drôle d’idée de nous affliger avec des pièces tristes, et elles le sont presque toutes. La vie n’est pas si gaie et si amusante pour qu’après l’avoir traînée, toute une journée, il faille encore aller s’enfermer dans un théâtre, où l’on ne verra que du lugubre ! Je vais au théâtre surtout pour m’amuser, pour y trouver une distraction aux ennuis quotidiens, et non pour les continuer sous une autre forme. » Le second m’a dit :
« Je suis bien perplexe, parce que je cherche où est la vérité. Quand je vais voir une pièce qui m’intéresse, qui me plaît ou m’amuse, on me dit que c’est « vieux jeu », que c’est une ineptie,
une turpitude, et que je suis un imbécile de prendre plaisir à pareil spectacle. Quand, au contraire, je vais voir les pièces faites selon la formule soi-disant moderne, les chefs-d œuvre de l’avenir, je bâille et je m’ennuie à mourir... Alors je suis très indécis, je voudrais bien ne pas avoir l’air d’un imbécile, mais je voudrais bien aussi ne pas aller où je m’ennuie... Alors que faire ??
— Pardon, mais je vous trouve bien naïf, lui ai-je répondu; quand vous allez au spectacle, ça n’est pas pour les autres que vous y allez, mais bien pour vous... Alors, allez donc où vous savez devoir prendre votre plaisir, sans vous inquiéter des opi
nions du voisinage, lesquelles, d’ailleurs, sont rarement désintéressées. N’allez pas où vous trouvez de l’ennui, et souciezvous des querelles d’école et des questions d’esthétique autant qu’un brochet se soucie d’une pomme de reinette! voilà... Pre
nez votre plaisir où vous le trouvez, n’en déplaise à ceux qui veulent vous imposer leurs opinions. »
« Pourquoi, — ai-je demandé à un directeur, dans le théâtre mixte duquel on joue la comédie sons toutes ses formes, — pourquoi jouez-vous plus volontiers des pièces tristes que des pièces gaies? Vous pouvez constater cependant que le goût du public le pousse plus volontiers vers le rire ? »
Il m’a répondu :
« Pour jouer des pièces comiques, il faut en avoir, et rarement on nous en apporte. Le théâtre comique est-il plus difficile à faire que l’autre? Je suis porté à le croire. Ou bien est-ce que simplement les idées de la génération actuelle sont tournées d’un autre côté? voilà ce que je ne saurais vous dire. Mais ce qu’ily ade certain, c’est que la denrée comédie comique manque absolument, il y a disette, et la venue d’un Meilhac, d’un Labiche, voire d’un Gondinet, serait accueillie avec enthousiasme. »
En attendant la venue du Messie comique, qui ne s’annonce guère, nous avons au moins, au théâtre, un renouveau de l’esprit. Il y refleurit, l’esprit, sous toutes ses formes : plai
santeries de circonstance ou mots de situation. Volontiers dirais-je qu’il y en a de trop et qu’on en fait abus. Il ne faudrait
pas tomber dans le travers d’une certaine époque, de 1855 à 1870 ou à peu près, où l’abus de l’esprit, au théâtre, était un travers piquant, un mode accrédité, les personnages d’une pièce, se renvoyant les « concent s » comme des raquettes ren
voient un volant, sans jamais le laisser choir. On disait : « Telle pièce n’est pas bien bonne, mais allez la voir tout de même, il y tant d’esprit! » Ou bien au contraire : « N’allez pas voir, telle pièce... —- Pourquoi ? Est-elle mauvaise ? — Non, elle n’est pas mauvaise..., mais il n’y a pas d’esprit, pas un mot! » Et la pièce était condamnée.
Aucun auteur de l’époque n’échappa à la contagion, pas même Émile Augier. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire le Mariage d’Olympe, par exemple, mieux encore les Lionnes pauvres, presque un chef-d’œuvre, vous y trouverez des scènes entières où les personnages se renvoient les mots. Théodore Barrière, — bien oublié aujourd’hui, mais qui, pendant un quart de siècle, fut un des maîtres de la scène, — passait son temps en recherche de mots. Il les préparait, les aiguisait, les uns, de caractère, les autres, de situation, les autres, de hasard, qu’il attrapait à la volée, le plus souvent sans raison..., parce qu’il en fallait... Voyez la Vie de Bohème, les Filles de Marbre, les Faux Bonshommes, les concettis y pleuvent dru comme grêle.


Chez Meilhac, l’esprit est beaucoup plus raffiné. Il ne le




cherchait pas, le prenait quand il venait. Son esprit, à lui, était




La Quinzaine Théâtrale