très ironiste, sous sa forme comique. Il restait toujours juste et logique, même dans la débauche du texte, qui n’était jamais qu’apparente.
Parmi les écrivains dramatiques de ce temps, Maurice Donnay est assurément un de ceux qui mettent le plus d’esprit dans leur dialogue. Mais, comme il veut pouvoir dire ce qui lui plaît, sous la forme qui lui plaît, sans faire déchanter ses personnages, il a employé dans Paraître, sa dernière pièce, le subter
fuge du rôle raisonneur, celui « qui regarde passer », sorte de variation, à une voix, sur le mode du chœur antique, avec une chanson toute moderne : son « Baron », presque inutile, résume, explique et conclut. Il dit la vérité en riant, comme Polichinelle, et lacommente. Ce procédé de l’auteur dramatique, qui consiste à parler lui-même par la bouche d’un de ses personnages, fait penser à celui des peintres de la Renaissance qui, dans un coin -de leur tableau, se peignaient, eux-mêmes, sous la figure d’un des assistants.
Alexandre Dumas fils a pratiqué ce procédé, et l’a même exagéré parfois. Dans le Demi-Monde et dans l Ami des Femmes,
il est certain qu’il s’est mis en scène, lui-même, sous la forme d’Olivier de Jalin et sous celle de 1’ « ami », M. de Ryons. Pour ceux qui le connaissaient personnellement, entendre parler ces personnages, c’était l’entendre lui-même.
Il avait d’ailleurs, lui aussi, la maladie du mot, et son excuse, c’est qu’il en avait la production trop facile. Il en résulta que, dans certaines de ses pièces, tous ses personnages avaient de l’esprit, trop d’esprit même. Je me souviens, à ce propos, de la très fine critique que lui fit entendre un jour son ami Henri Lavoix qui, avec lui, avait son franc parler, et ne lui mâchait guère la vérité.
Un jour, il avait lu à Lavoix, dont il prisait fort les avis, les premiers actes d’une pièce nouvelle. Lavoix avait écouté, en silence, sans donner aucun signe d’approbation, ni de blâme. Dumas s’inquiéta, et se tournant vers lui, assez anxieux, lui dit:
« Eh bien, cher ami, votre impression; est-ce bon, est-ce mauvais ?
— Je ne sais pas, — répliqua Lavoix, toujours très pincesans-rire, — j’attends que vos personnages veuillent bien parler à leur tour...


— Comment cela ?


— Dame, jusqu’à présent, ils n’ont encore rien dit. C’est vous qui, tout le temps, avez parlé par leur bouche. Or, j’ai grand plaisir à vous entendre, assurément, mais je voudrais bien les voir causer à leur tour. Puis, ils ont tous de l’esprit, vos personnages, alors c’est invraisemblable, et il manque quelque chose...


— Quoi donc ?


— Un bon imbécile pour rétablir l’équilibre, et vous permettre de vous reposer ! ! »
Je ne sais de quelle pièce il s’agissait, mais je tiens l’anecdoie pour exacte. Dumas, d’ailleurs, ne profita pas de la leçon. Cherchez dans ses pièces, vous verrez que tout le monde y a de l’esprit. Alors, il se peut bien que Lavoix ait eu raison et que ça soit là une lacune.
En ce temps de fermeture, alors qu’il ne nous convient pas d’entrer dans la vie privée des comédiens, de raconter leurs querelles conjugales et leurs divorces, les nouvelles théâ
trales chôment un peu, il faut même sortir des frontières pour trouver l’actualité. Alors je vous dirai qu’il vient de se former, à Londres, un comité pour célébrer le jubilé artistique de la grande comédienne, Mistress Ellen Terry, qui a débuté en
avril 1856, et pendant un demi-siècle a été l’idole du public anglais. Merveilleusement jolie, elle avait épousé le peintre Wats, qui s’était épris de sa beauté, mais avait divorcé quel
ques années après. Elle n’a pas eu de rivale dans les grands rôles du répertoire de Shakespeare. Elle joue encore aujourd’hui, très applaudie par le public toujours fidèle de l’autre
côté de l’eau, où on la considère comme l’émule de Sarah Bernhardt.
Je vous dirai aussi que le directeur de l’Opéra-Comique de Berlin fait annoncer, comme nouvelle sensationnelle, qu’il vient d’engager, en qualité de premier chanteur, pour la saison prochaine, un financier, le régent de la banque d’Eterfeld, qui abandonne la finance, pour le théâtre. Et ça n’est pas un enga
gement pour rire, puisqu’on a signé pour six années, avec un gros dédit. Le financier en question, qui s’appelle M. Hasselbaim, est âgé de vingt-neuf ans, et doué, paraît-il, d’une fort belle voix de ténor. Mais je vais faire perdre une illusion au directeur de l’Opéra-Comique de Berlin, en lui disant que tout arrive, et qu’il n’est pas le premier qui aura fait débuter un financier. Il y a quelque trente ans, M. Carvalho, alors directeur du Théâtre Lyrique, fit débuter dans le rôle de Joseph, de l’opéra de Méhul, Joseph vendu par ses frères, un certain coulissier de la Bourse de Paris, qui se croyait des aptitudes dramatico-lyriques, mais il ne lui fit pas un engagement de six ans, car le succès de la première représentation fut tel que directeur et ténor ne se soucièrent pas de tenter une seconde épreuve. C’était plaisir d’entendre Carvalho raconter l’anecdote, d’au
tant plus amusante que le néophyte en question ne quittait pas son costume de Joseph avant ses débuts, afin, disait-il, de s’habituer à le porter. Il vivait chez lui, déjeunait, dînait, et recevait ses amis en costume d’Hébreu. Quand il sortait, il se con
tentait de mettre un paletot par-dessus sa tunique, et d’enfiler un pantalon, par-dessus son maillot.
A signaler maintenant quelques publications théâtrales qui ne manquent pas d’intérêt.
D’abord le Théâtre et les Mœurs, de mon ami Adolphe Brisson, qui a réuni en un volume les plus importantes de ses critiques dramatiques, si serrées, si documentées, bonnes à con


sulter et à relire. C’est un volume qui a sa raison d’être dans la bibliothèque de tous ceux qui s’occupent de théâtre. On y retrouve réunies, chacune sous une rubrique spéciale, les cri


tiques des œuvres représentées de Henry Bataille, Brieux, Hervieu, Capus, Maurice Donnay, Gandillot, Henri Lavedan, Jules Lemaitre, Sardou, etc. C’est pour ainsi dire le bréviaire des dernières années théâtrales, mais un bréviaire agréable à relire.
Voici, d’autre part, les Anciens Théâtres de Paris, de Georges Cain, ouvrage pittoresque, histoire anecdotique du Boulevard du Crime et des Théâtres du Boulevard. Le livre est des plus intéressants par lui-même, et cet intérêt s’augmente, se com
plique par les reproductions précieuses qui l’accompagnent : monuments oubliés de l’ancien boulevard disparu, types et figures qui en furent la vie et l’originalité au temps jadis, tout y est, et le lecteur peut y revivre une époque bien curieuse, un passé étonnant, qu’il ne soupçonne guère s’il est de la généra
tion nouvelle, qui le charmera comme un souvenir, s’il est de cette génération plus lointaine, qui a senti neiger sur les cheveux qui lui restent.
La Vie d un Théâtre, de M. Ginisty, l’ancien directeur de l Odéon, à qui l’arrivée d’Antoine a fait quelques loisirs et qui les occupe à demander à divers, quelles « sont les qualités essentielles d’un comédien » ? Les réponses sont curieuses à enregis
trer. A entendre chaque comédien interrogé, les « qualités essen
tielles d’un comédien » sont surtout celles que possède ou posséda chacun d’eux. Vous vous attendiez bien un peu à ces réponses-là, n’est-ce pas ?
Enfin, Couloirs et Coulisses, de Daniel Losques, est le chefd’œuvre d’un crayon léger. Ses caricatures sont fines, saisies au bon moment, vivantes, avec des saillies de physionomie et de caractère qui font, mieux encore que la ressemblance, je veux dire l’expression et la sensation du vécu. Je recommande cet album à ceux qui aiment l’esprit, à bout de crayon.
FÉLIX DUQUESNEL.