Cette folie est follement jouée — il le fallait ! — par les merveilleux farceurs qui s’appellent Germain, Torin, Prince, Colombey et Landrin, l’excellente duègne Madame Rosine Maurel, et une débutante, Mademoiselle Paulette Del Baye, adroite comme une fée, jolie comme un cœur.
A la Renaissance, la réouverture s’est faite avec une comédie en quatre actes, d’Alfred Capus, les Passagères, comédie de caractère ornée d’un dialogue qui séduit par la bonne fortune de ses détails, mais qui a le défaut de s’appuyer sur une sorte de porte-à-faux. Le caractère de Robert Vandel, son héros, est imprécis et subtil. Il est peut-être vrai,mais il a des demi-teintes et des demi-tons insaisissables pour la foule qui demande des contours plus arrêtés. Cet aimable, tendre, bon, qui ne peut voir souffrir les autres, qui adore sa femme à laquelle il a donné vingt ans de fidélité et qui succombe à la première attaque, sans opposer de résistance sérieuse, s’offrant le luxe des « passagères », qu’il n’aime pas réellement mais auxquelles il fait l’aumône de son amour, par simple bonté d’âme, cet aimable, dis-je, paraî
tra à beaucoup être simplement un veule et un inconscient, alors qu’en réalité il est tout autre chose. Du moins, l’auteur l’a vu sous un autre angle et tout le monde ne le verra pas sous cet angle-là.
Les Passagères sont bien jouées du côté féminin par Mesdames Darcourt, au talent si fin, si sûr et si précis ; Roggers, transfuge du Vaudeville, à qui sa manière originale et suggestive permet les créations les plus risquées ; Ryter, Marguerite Caron, et une débutante, Mademoiselle Nory, qui a été très remarquée. Mademoiselle Cheirel, au talent solide, à la diction nerveuse et mor
dante, est mal à sa place dans un rôle d institutrice qui a failli devenir un danger pour la pièce. Guitry m’a paru moins à l’aise que de coutume dans le personnage philanthropique et gynophile de Robert Vandel, alors qu’au contraire Huguenet a fait un excellent début dans le rôle, un peu banal, d’un naïf cousin de province qu’il a joué avec beaucoup de naturel et de bonhomie.
Enfin, à la Comédie-Française nous avons eu la représentation de la Courtisane, cinq actes, en vers, d’un débutant,
annoncés depuis tantôt quatre années, autour desquels on a mené grand bruit, trop de bruit peut-être. Le résultat n’a pas répondu à l’attente. Sans nier les qualités de l’auteur, qui semble n’être pas sans mérite, on a trouvé qu’on s’était trop hâté de rece
voir à la Comédie-Française cette œuvre incomplèteet naïve, qui eût été plus à sa place sur une scène d’essai.
Je m’en voudrais d’omettre dans cette revue de la « quinzaine » la réouverture de l’élégant petit théâtre des Capucines qui a pris un rang important dans les plaisirs de Paris, où il tient plus de place qu’il n’est gros. Ici, on a continué par le succès interrompu en fin de saison de l’opérette le Bon Juge, qui s’est regreffé comme par enchantement, ayant retrouvé tous ses interprètes, Germaine Gallois, Alice Bonheur, et le
très humoristique Lamy, un berger Paris, comme on n’en avait pas vu depuis la Belle Hélène. Mais, le nouveau directeur des Capucines ne s’est pas contenté, — et je l’en loue — comme
auraient fait bien d’autres, de glaner dans son succès après la grande moisson, il a fait mieux, bien mieux, il a accompagné son
opérette d’une très amusante et très fine comédie en deux actes, l Usurier, qui complète une affiche sans pareille, que je souhaite
rais à des théâtres de plus d’importance. Le sujet de la pièce est des plus ingénieux,avec un aller et retourtout à fait plaisant, qui donne ragoût d’opposition à chacun des deux actes; l’interpré
tation en est très supérieure avec Dumény, d’un entrain spirituel et léger comme il convient à son personnage; avec Coquet, très vrai et très plaisant dans le sien, qui fait le pendant et le contraste, et aussi avec Mademoiselle Marcelle Bordo, une char
mante comédienne très en progrès, élégante et agréable, qui tiendrait assurément bonne place dans un théâtre de genre où pourtant les jeunes coquettes ne surabondent pas.
Adélaïde Ristori, la célèbre tragédienne italienne, est morte le 9 octobre, à Rome, où elle s’était retirée depuis qu’elle avait quitté le théâtre, ce qui est dire plus d’un quart de siècle. Elle a tenu trop grande place dans la vie théâtrale du xixe siècle pour que nous ne lui consacrions pas un souvenir. Elle était née à Cividale (Frioul), en 1822, enfant de la balle comme Eleonora
Duse, fille de pauvres comédiens. Elle débuta toute jeune, car elle n’avait pas plus de quatorze ans quand elle joua dans Francesca di Rimini, de Silvio Pellico. Ses premiers grands succès datent de 1847, époque à laquelle elle épousa le marquis Capranica del Grillo. Ce mariage aristocratique faillit même in
terrompre sa carrière, car la famille de son mari avait exprimé le désir de lui voir quitter la scène. Le hasard l’y ramena sous la forme d’une représentation extraordinaire au bénéfice d’un pau
vre diable d’impresario resté en panne;elle y obtint un triomphe tel qu’elle fut reprise de la fièvre dramatique et remonta, bon gré mal gré, sur les planches. Sa carrière ne fut alors qu’une suite de succès et, pendant sept ou huit ans, la comédienne parcourut l’Italie, où elle étaitacclamée et où onl’appela 1’ « incomparable ».
C’est en 1855 qu’elle vint donner à Paris ses premières représentations en langue italienne, sur la scène du théâtre Ventadour. La tentative était audacieuse, car l’on sait que, par vanité, par
tempérament et aussi par ignorance, nous sommes peu curieux des artistes exotiques. Mais le moment était favorable parce qu’en ce temps-là Rachel avait fatigué tout le monde par ses caprices. Il y avait contre elle cet esprit de réaction qui est le contre-coup
fatal de l’engouement. La Ristori bénéficia du mauvais vouloir du public parisien envers l’idole d’hier; le zèle de ses amis, qui étaient nombreux, fit le reste.
Les premières représentations furent peu suivies, plutôt froides. La presse vint à la rescousse et, à partir de la soirée où Adélaïde Ristori joua Myrrha, le succès ne fut plus douteux, on l’exagéra même à plaisir. On compara la Ristori à Rachel, et il y eut une sorte de sport à prétendre que la tragédienne italienne l’emportait sur la tragédienne française. Un critique du temps résume ainsi sa comparaison : « Si Rachel a un art plus savant, plus contenu, plus plastique, Madame Ristori a plus de spon
tanéité, plus de sensibilité profonde et communicative, plus de vivacité d’expansion. Son talent souple, souvent inégal, livrant beaucoup à l’imprévu, a plus de variété et passe avec plus grande facilité de l’émotion tragique au ton de la comédie... » La vérité est qu’il n’y avait pas plus de comparaison à faire entre les deux artistes qui différaient absolument de talent et de nature, qu’entre l’art français et l’art italien, si différents l’un de l’autre, au point de vue de l’exécution théâtrale.
L’engouement pour la Ristori fut tel qu’on lui offrit un engagement à la Comédie-Française. Elle eut la prudence de le re
fuser. Dans la conversation elle n’avait aucun accent, mais elle se rendait bien compte que, sur la scène, son accentitalien repren
drait de plus belle. Elle eut, d’ailleurs, à s’en apercevoir en i863, lorsqu’elle joua à l’Odéon, en français, une pièce des plus mé
diocres, d’Ernest Legouvé, Béatrix ou la Madone de l’Art. Cette tentative, où l’avait poussée le zèle inconsidéré de ses amis, ne lui réussit pas, et sa prononciation italienne fut de l’effet le plus ridicule.
Rachel outragée quitta la Comédie, où elle joua pour la dernière fois au mois de mai 1855. Elle partit pour l’Amérique au mois de juillet suivant, et c’est dans cette tournée dramatique qu’elle contracta,par suite d’un froid pris à Philadelphie, le mal qui l’emporta au mois de janvier 1858.
Voici un portrait d’Adélaïde Ristori, dessiné d’après nature, en 1858, il est de superbe ressemblance : « La nouvelle tragédienne est grande, un peu carrée, un peu massive, c’est bien l’Italienne du Nord, la Lombarde. Elle n’a rien de la finesse vénitienne. C’est une nature vigoureuse. Ses traits accentués sont de belle régularité ; ses cheveux de riche nuance châtaine, abondants, bien plantés, découvrent un front généreux aux tempes ouvertes, les oreilles sont petites et la bouche, sans être grande, est expressive et semble, faite pour lancer le vers tragique. Le nez est régulier, aux narines mobiles, et les yeux sont admirables d’expression.
Us sont d’un brun doré, vibrants, effrayants de vitalité, traduisant à livre ouvert, les émotions de l’âme. Quant à la voix elle est d’un timbre sonore, flexible et chaude, parfois un peu voilée au début, elle se dégage rapidement et prend les tonalités les plus diverses, tantôt exquises de douceur, tantôt douloureuses et mé
lancoliques, parfois aussi violentes, courroucées et étincelantes de colère ou de mépris... »
A la Renaissance, la réouverture s’est faite avec une comédie en quatre actes, d’Alfred Capus, les Passagères, comédie de caractère ornée d’un dialogue qui séduit par la bonne fortune de ses détails, mais qui a le défaut de s’appuyer sur une sorte de porte-à-faux. Le caractère de Robert Vandel, son héros, est imprécis et subtil. Il est peut-être vrai,mais il a des demi-teintes et des demi-tons insaisissables pour la foule qui demande des contours plus arrêtés. Cet aimable, tendre, bon, qui ne peut voir souffrir les autres, qui adore sa femme à laquelle il a donné vingt ans de fidélité et qui succombe à la première attaque, sans opposer de résistance sérieuse, s’offrant le luxe des « passagères », qu’il n’aime pas réellement mais auxquelles il fait l’aumône de son amour, par simple bonté d’âme, cet aimable, dis-je, paraî
tra à beaucoup être simplement un veule et un inconscient, alors qu’en réalité il est tout autre chose. Du moins, l’auteur l’a vu sous un autre angle et tout le monde ne le verra pas sous cet angle-là.
Les Passagères sont bien jouées du côté féminin par Mesdames Darcourt, au talent si fin, si sûr et si précis ; Roggers, transfuge du Vaudeville, à qui sa manière originale et suggestive permet les créations les plus risquées ; Ryter, Marguerite Caron, et une débutante, Mademoiselle Nory, qui a été très remarquée. Mademoiselle Cheirel, au talent solide, à la diction nerveuse et mor
dante, est mal à sa place dans un rôle d institutrice qui a failli devenir un danger pour la pièce. Guitry m’a paru moins à l’aise que de coutume dans le personnage philanthropique et gynophile de Robert Vandel, alors qu’au contraire Huguenet a fait un excellent début dans le rôle, un peu banal, d’un naïf cousin de province qu’il a joué avec beaucoup de naturel et de bonhomie.
Enfin, à la Comédie-Française nous avons eu la représentation de la Courtisane, cinq actes, en vers, d’un débutant,
annoncés depuis tantôt quatre années, autour desquels on a mené grand bruit, trop de bruit peut-être. Le résultat n’a pas répondu à l’attente. Sans nier les qualités de l’auteur, qui semble n’être pas sans mérite, on a trouvé qu’on s’était trop hâté de rece
voir à la Comédie-Française cette œuvre incomplèteet naïve, qui eût été plus à sa place sur une scène d’essai.
Je m’en voudrais d’omettre dans cette revue de la « quinzaine » la réouverture de l’élégant petit théâtre des Capucines qui a pris un rang important dans les plaisirs de Paris, où il tient plus de place qu’il n’est gros. Ici, on a continué par le succès interrompu en fin de saison de l’opérette le Bon Juge, qui s’est regreffé comme par enchantement, ayant retrouvé tous ses interprètes, Germaine Gallois, Alice Bonheur, et le
très humoristique Lamy, un berger Paris, comme on n’en avait pas vu depuis la Belle Hélène. Mais, le nouveau directeur des Capucines ne s’est pas contenté, — et je l’en loue — comme
auraient fait bien d’autres, de glaner dans son succès après la grande moisson, il a fait mieux, bien mieux, il a accompagné son
opérette d’une très amusante et très fine comédie en deux actes, l Usurier, qui complète une affiche sans pareille, que je souhaite
rais à des théâtres de plus d’importance. Le sujet de la pièce est des plus ingénieux,avec un aller et retourtout à fait plaisant, qui donne ragoût d’opposition à chacun des deux actes; l’interpré
tation en est très supérieure avec Dumény, d’un entrain spirituel et léger comme il convient à son personnage; avec Coquet, très vrai et très plaisant dans le sien, qui fait le pendant et le contraste, et aussi avec Mademoiselle Marcelle Bordo, une char
mante comédienne très en progrès, élégante et agréable, qui tiendrait assurément bonne place dans un théâtre de genre où pourtant les jeunes coquettes ne surabondent pas.
Adélaïde Ristori, la célèbre tragédienne italienne, est morte le 9 octobre, à Rome, où elle s’était retirée depuis qu’elle avait quitté le théâtre, ce qui est dire plus d’un quart de siècle. Elle a tenu trop grande place dans la vie théâtrale du xixe siècle pour que nous ne lui consacrions pas un souvenir. Elle était née à Cividale (Frioul), en 1822, enfant de la balle comme Eleonora
Duse, fille de pauvres comédiens. Elle débuta toute jeune, car elle n’avait pas plus de quatorze ans quand elle joua dans Francesca di Rimini, de Silvio Pellico. Ses premiers grands succès datent de 1847, époque à laquelle elle épousa le marquis Capranica del Grillo. Ce mariage aristocratique faillit même in
terrompre sa carrière, car la famille de son mari avait exprimé le désir de lui voir quitter la scène. Le hasard l’y ramena sous la forme d’une représentation extraordinaire au bénéfice d’un pau
vre diable d’impresario resté en panne;elle y obtint un triomphe tel qu’elle fut reprise de la fièvre dramatique et remonta, bon gré mal gré, sur les planches. Sa carrière ne fut alors qu’une suite de succès et, pendant sept ou huit ans, la comédienne parcourut l’Italie, où elle étaitacclamée et où onl’appela 1’ « incomparable ».
C’est en 1855 qu’elle vint donner à Paris ses premières représentations en langue italienne, sur la scène du théâtre Ventadour. La tentative était audacieuse, car l’on sait que, par vanité, par
tempérament et aussi par ignorance, nous sommes peu curieux des artistes exotiques. Mais le moment était favorable parce qu’en ce temps-là Rachel avait fatigué tout le monde par ses caprices. Il y avait contre elle cet esprit de réaction qui est le contre-coup
fatal de l’engouement. La Ristori bénéficia du mauvais vouloir du public parisien envers l’idole d’hier; le zèle de ses amis, qui étaient nombreux, fit le reste.
Les premières représentations furent peu suivies, plutôt froides. La presse vint à la rescousse et, à partir de la soirée où Adélaïde Ristori joua Myrrha, le succès ne fut plus douteux, on l’exagéra même à plaisir. On compara la Ristori à Rachel, et il y eut une sorte de sport à prétendre que la tragédienne italienne l’emportait sur la tragédienne française. Un critique du temps résume ainsi sa comparaison : « Si Rachel a un art plus savant, plus contenu, plus plastique, Madame Ristori a plus de spon
tanéité, plus de sensibilité profonde et communicative, plus de vivacité d’expansion. Son talent souple, souvent inégal, livrant beaucoup à l’imprévu, a plus de variété et passe avec plus grande facilité de l’émotion tragique au ton de la comédie... » La vérité est qu’il n’y avait pas plus de comparaison à faire entre les deux artistes qui différaient absolument de talent et de nature, qu’entre l’art français et l’art italien, si différents l’un de l’autre, au point de vue de l’exécution théâtrale.
L’engouement pour la Ristori fut tel qu’on lui offrit un engagement à la Comédie-Française. Elle eut la prudence de le re
fuser. Dans la conversation elle n’avait aucun accent, mais elle se rendait bien compte que, sur la scène, son accentitalien repren
drait de plus belle. Elle eut, d’ailleurs, à s’en apercevoir en i863, lorsqu’elle joua à l’Odéon, en français, une pièce des plus mé
diocres, d’Ernest Legouvé, Béatrix ou la Madone de l’Art. Cette tentative, où l’avait poussée le zèle inconsidéré de ses amis, ne lui réussit pas, et sa prononciation italienne fut de l’effet le plus ridicule.
Rachel outragée quitta la Comédie, où elle joua pour la dernière fois au mois de mai 1855. Elle partit pour l’Amérique au mois de juillet suivant, et c’est dans cette tournée dramatique qu’elle contracta,par suite d’un froid pris à Philadelphie, le mal qui l’emporta au mois de janvier 1858.
Voici un portrait d’Adélaïde Ristori, dessiné d’après nature, en 1858, il est de superbe ressemblance : « La nouvelle tragédienne est grande, un peu carrée, un peu massive, c’est bien l’Italienne du Nord, la Lombarde. Elle n’a rien de la finesse vénitienne. C’est une nature vigoureuse. Ses traits accentués sont de belle régularité ; ses cheveux de riche nuance châtaine, abondants, bien plantés, découvrent un front généreux aux tempes ouvertes, les oreilles sont petites et la bouche, sans être grande, est expressive et semble, faite pour lancer le vers tragique. Le nez est régulier, aux narines mobiles, et les yeux sont admirables d’expression.
Us sont d’un brun doré, vibrants, effrayants de vitalité, traduisant à livre ouvert, les émotions de l’âme. Quant à la voix elle est d’un timbre sonore, flexible et chaude, parfois un peu voilée au début, elle se dégage rapidement et prend les tonalités les plus diverses, tantôt exquises de douceur, tantôt douloureuses et mé
lancoliques, parfois aussi violentes, courroucées et étincelantes de colère ou de mépris... »