COM ÉDIE-FRANÇAISE




LA COURTISANE


Pièce en cinq actes, en vers, de M. ANDRÉ ARNYVELDE L’auteur de cette oeuvre n’avait pas vingt ans,
paraît-il, quand il l’a écrite. Cela se voit d’abord au sujet abordé par lui. Les jeunes gens s’attaquent volontiers à ce thème de la Courtisane qui prête si bien aux antithèses chères à la jeunesse.
Et ils ne se heurtent plus, comme jadis, aux répugnances du public pour la femme tarifée ou, selon un joli euphémisme d’Alexandre Dumas fils dans ses adieux poétiques à Marguerite Gautier, « la femme connue ». Il n’y a guère plus d’un demi-siècle que celle qui tient le haut du pavé, « apparemment parce qu’il n’y a pas de trottoir » comme a dit encore le même Dumas, a conquis ses droits à être glorifiée, plainte ou vilipendée sur le théâtre. Même le siècle de Madame du Barry aurait diffici
lement admis pareille licence. L’abbé Prévost n’eût pas osé tirer unepièce de Manon Lescaut. Si,àl’étranger, le mot «courtisane »
a moins effarouché qu’en France, c’est parce que les auteurs se sont contentés du mot. La Cortigiana de l’Arétin ne met même pas en scène une fille galante. Decker, l’auteur anglais, a soin
d’intituler sa pièce la Courtisane honnête et de conformer scrupuleusement l’intrigue à cette épithète. Sa Bellafront n’est autre qu’une Madeleine égarée dans le vice, à laquelle son amant fait honte de son métier au point qu’é pousée au second acte par un gentilhomme ivrogne, elle reste fidèle à cet homme en dépit des
mauvais traitements dont elle est victime.
Donc, en 1852, dans l’état des mœurs et de ce qu’on aappelé alors les préjugés, la Dame aux Camélias devait faire crier au scandale. Pour le public des premières années du second Empire une femme habi
tuée à toucher un salaire de ses charmes n’était pas «théâirable ».
Tout choqua d’ailleurs dans cette œuvre, ceux qu’on nommerait aujourd’hui les « vieux jeux »,non seulement le désintéressement de Marguerite dans sa conduite avec Armand auquel la famille a coupé les vivres, non seulement le magni
fique cri qui a inspiré à Verdi une des plus belles scènes de la Traviata : « Vous êtes tous témoins que cette femme est payée; » non
seulement la mort de Marguerite (est-ce que ces drôlesses ont droit à une mort poétique,entourée d a­
mis, pleurée ?), mais la visite du père Duval à la « lorette » révolta.
Elle sembla le dernier degré de l’humiliation infligée à un père de famille. Et c’est à peine si l’auteur atténua le toile de son mieux en introduisant dans cette scène cé
lèbre le défi du chapeau gardé par le père sur sa tête tout le temps qu’il traite de haut en bas « la fille connue ».
Aussi quelle fièvre de revanche alluma tout de suite les âmes
des jeunes auteurs, soit qu’ils aient été de tempérament vertueux, soit qu’ils fussent conscients de trouver dès le lendemain tout un public pour fustiger avec eux les réhabilitations des Dames aux Camélias.
Les Filles de marbre, jouées l’année qui suivit la fameuse pièce de Dumas fils, fut la première riposte du tac au tac, comme disent les maîtres d’armes. L’antiquité grecque a été pour cet objet mise à contribution par Barrière et Lambert Thiboust, aimables esprits, mais d’ordinaire plus près du boulevard que de l’Acropole. Dans l’atelier de Phidias, trois statues : Phryné, Laïs, Aspasie commandées par un riche et vieil imbécile, Gorgias, doivent être livrées à ce dernier le jour même. Mais l’artiste se lamente. Il lui est cruel de se séparer de ces chefs-d’œuvre : « Eh bien ! que les statues parlent! proclame Diogène, intervenant comme un dieu de l’Olympe. Qu’elles choisissent entre le grand artiste pauvre et le vieillard aussi laid qu’opulent. » Justement Gorgias vient d’arriver. Phidias anxieux, attend, l’arrêt qui ne tarde pas. Les trois statues s’inclinent vers celui que nous appellerions aujourd’hui le vieux marcheur et vont à lui, souriantes.
Non moins « professionnellement » calculatrice, la Phryné xixe siècle des Filles de marbre. La ronde des pièces d’or chantée dans un souper du café Anglais ou de la Maison Dorée a un peu vieilli, étant légèrement simpliste. Les vieux Parisiens se rap
pellent cependant que leurs vingt ans ont frémi lorsque à la question « Aimes-tu, Marco là Belle, la ri
tournelle de la danse, le murmure des peupliers dans le vent, le cri de l’alouette et la voix de Roméo? » l’interpellée, entendant un bruit de louis remués, répond froidement : « Voilà ce qu’aime Marco. »
Les Filles de marbre ayant connu les joies de la centième, la courtisane continua d’être une admirable matière à mettre au théâtre. Le
Mariage d’Olympe, donné par Émile Augier au Vaudeville,marque encore plus que les Filles de marbre la revanche de l’honnêteté publique sur la sensiblerie maladive dont avait bénéficié l’œuvre de Dumas fils. Car si Marco n’est pas à coup sûr une bonne fille, mais bien une fille tout court, elle n’est pas une criminelle, tandis qu’O- lympe apparaît la pire des drô
lesses. Si elle épouse Henri de Puygiron, ce n’est pas qu’elle ait honte de sa vie de fille entretenue, c’est pour changer, pour tâter de ce nouveau sport : la vie bourgeoise. Elle laisse donc dire qu’elle est morte, et se donne pour une jeune fille du monde danslafamillePuygiron,
mais bientôt,reprise par la nostalgie de la boue, elle entend retrouver son tour du lac et son « grand seize », invente une infâme machination en vue de déshonorer une jeune fille innocente, si bien que lorsque, au dernieracte,un coup
Photo Félix.
M. ARNYVELDE