LA QUINZAINE THÉATRALE


Miquette et sa mère font florès aux Variétés, où elles réalisent des recettes inconnues jusqu’à ce jour. C’est une très aimable comédie, d’un genre plus fin et plus relevé que les vaudevilles de genre burlesque qui, d’ordinaire, font le spectacle du théâtre du boulevard Montmartre.
C’est comme une voie nouvelle, un filon qu’on ouvre. Le public s’y est précipité, ce qui prouve qu’il.n’a pas si mauvais goût, ce bon public, et qu’il ne s’emballe pas toujours mal à propos. Maintenant il faut avouer que si l’aven
ture pseudo-galante du marquis de la Tour-Mirande, le vieux beau du second Empire, est vraiment amusante, l’amusement qu’elle nous donne est plus que doublé par l’excellence de l’in
terprétation : Albert Brasseur s’est montré comédien de haute valeur dans la création typique du marquis, on n’est pas plus vrai, ni plus caricatural à la fois. Mais ici la caricature donne une impression de réalité saisissante, parce qu’elle est dessinée de main de maître. A côté de lui, Max Dearly, excellent comédien, quand il lui plaît, a reproduit avec un réel talent de com
position, une figure de comédien « Mas-tu-vu », pris en chair vive, et dont il a rajeuni la silhouette par l’originalité de sa manière personnelle. Je veux citer aussi Prince qui, dans un rôle d’amoureux, — une transformation nouvelle pour lui, — a eu de jolies notes de tendresse, dont on ne soupçonnait pas l’existence dans son clavier. Miquetie, c’est Mademoiselle Lavallière avec sa note de gaminerie, son esprit coutumier, ses émotions à fleur de peau ; la mère, c’est Marie Magnier, qui éclaire la pièce de sa belle humeur....., alors étonnez-vous donc, si vous l’osez, du succès d’une pièce jouée par si brillante troupe de comédiens.
Au ci-devant théâtre Antoine, devenu par le fait théâtre Gémier, deux pièces nouvelles font affiche pour succéder aux reprises, un drame noir et une comédie-pochade gaie.
Du drame noir, peu de chose à dire, il est banal et monotone malgré sa prétention de manifestation politique. Biribi nous offre le triste spectacle de la vie aux compagnies disciplinaires d’Afrique, où l’on s’efforce de nous apitoyer sur le sort des mal
heureux soldats, soi-disant martyrisés par leurs officiers et sous-officiers. Certes les cruautés sont indignes partout où elles s’exercent, mais c’est un triste spectacle à nous mettre sous les yeux et l’heure n’en était pas opportune. Je ne crois pas, dans tous les cas, si une réforme disciplinaire s’impose, que ce soit le mauvais mélodrame du théâtre Gémier qui doive en avancer la réalisation. Quant à la pièce gaie, c’est une amusante fantaisie en trois petits actes, étincelante de verve et d’esprit, esprit très léger et très amusant, aventure conjugale où l’on nous montre un mari qui a vingt-six ans de plus que sa femme — ce qui est un tort ! — tellement amoureux de sa tranquillité qu’il aime mieux « ne rien savoir » qu’avoir conscience de son infortune.
« Doit-on le dire ? » est le titre d’une pièce bien connue d Eugène Labiche. « Il ne faut pas le dire! » pourrait être le sous-titre de la comédie de M. Sacha Guitry, qui sur l’affiche s’intitule : Che\ les Zoaques...
A la Gaîté on a fait une reprise de Nos bons villageois, la comédie de Victorien Sardou, créée au théâtre du Gymnase en 1866, c’est-à-dire il y a simplement quarante ans. La pièce eut alors un grand succès, quoique vertement critiquée par les jour
naux de l’époque. Elle a retrouvé ici une partie de son succès d’antan, grâce à une assez bonne interprétation, aussi bonne que le comporte le temps présent, mais qu’il ne faut pas comparer
avec l’interprétation du temps jadis, puisque celle-ci réunissait une élite de comédiens qu’on ne pourrait pas retrouver aujour
d’hui. Quand on relit les programmes d’autrefois, cela fait rêver de voir les noms d’Arnal, Lafont, Lesueur, Pradeau, Pierre Berton, Francès, Mesdames Marie Delaporte et Fromentin, figurer dans une même distribution.
Au Vaudeville nous trouvons une intéressante reprise, ou mieux le transfert à ce théâtre, d’une comédie de Maurice Donnay, Education de prince, créée en 1900 au théâtre des Variétés. Sur le bouléltard Montmartre, Éducation de prince avait des allures ultra-comiques, interprétée par une troupe de qualité particulière, plus habituée à la farce qu’à la comédie.
Au Vaudeville il m’a paru que la pièce s’encadrait mieux et prenait une tonalité d’un plus sérieux réalisme. L’esprit s’y goûte davantage et la note d’observation ironique y a plus de sonorité !
Jeanne Grànier qui a repris le rôle de la reine de Silistrie, une cocotte couronnée, où elle fut incomparable, m’a paru y être plus à l’aise que jamais. C’est une exquise création que celle de ce rôle étrange, qui semble si bien fait sur mesure que l’idée ne vient à personne qu’il pourrait être joué par une autre que par elle. C’est merveilleux d’originalité et de précision. Tout y est réussi et vécu, allures, gestes, regards, voix, mines et sou
rires, c’est la nature prise sur le vif. Jeanne Garnier possède mieux que le plus parfait des phonographes ce baragouin fran
çais comme on le parle sur les bords du Danube — le beau « Danube bleu », comme on l’appelle dans les valses, bien qu’il roule des flots d’un gris bourbeux, d’un vert sale — et ce baragouin « rastaquouéresque », elle en est si bien maîtresse qu’elle ne le perd jamais. Et que ce personnage est composé par elle avec l’élégance du charme le plus ingénieux, l’habileté de composition la plus parfaite !
A l’autre extrémité du répertoire nous trouvons, au suprême degré, une autre artiste, celle qu’on a si bien surnommée « la
grande artiste », Sarah Bernhardt, qui vient de faire une création admirable avec la Sainte Thérèse de Catulle Mendès, devenue la Vierge d Avila. Elle a manifesté une forme nouvelle de son talent, par les ciselures de cette effigie mystique, où elle fait preuve d’une maîtrise inaccessible à toute autre qu’elle. Il faut la voir au quatrième acte, dans la scène dite « des fleurs », où elle apporte un charme enjoué, une grâce infinie, une sérénité radieuse :
Par un vœu que je fis, ce sont mieux que des fleurs, L’ermite du chemin, les passants, les tourières, . Ont chuchoté dans ces calices des prières, Avec l’intention que vous soyez sauvé; Ce lis est un pater, ce jasmin un ave,
Un agnus, ce glaïeul ; cçs guirlandes bénies De glycines sont des grappes de litanies ;
Et c’est le paradis que nous vous parfaisons,
En arrosant d’eau sainte un bouquet d’oraisons...
Ainsi dit-elle, en offrant des fleurs, au sombre roi Philippe II, dans son palais de l’Escurial.
Nous laissons à d’autres le soin de vous parler de l’œuvre grandiose de Catulle Mendès. Nous n’avons pas le loisir de nous étendre en ces tablettes, qui ne sont que la revue rapide de toutes les « choses » du théâtre, et il ne nous est pas possible d’entrer dans le détail. Qu’il nous suffise de dire ici que la Vierge d’Avila
est un poème de haute valeur, d’une contexture étrange, parfois même obscure, avec de magnifiques envolées, des gerbes éclatantes, et une étonnante richesse d’écriture.
Signalons, au passage, la chute bruyante du dernier drame de Gabriele d’Annunzio, Piu ehe l Amore, tombé à plat au théâtre Costanzi, à Rome, où le public a silflé, hué, hurlé, faisant un tapage d’enfer, et n’a pas laissé finir la pièce.
Constatons aussi que le démêlé Franck-Bernstein qui, ces temps derniers, occupa l’oisiveté de notre monde des théâtres, et à propos duquel on avait annoncé une pluie de papier timbré,
avec, en perspective, un procès suggestif à l’horizon, s’est terminé à l’amiable, et le plus paisiblement du monde : Madame Simone Le Bargy a payé à M. Franck, le directeur du Gymnase, son dédit de trente mille francs, que celui-ci a encaissé, le sourire aux lèvres, et le Voleur — c’est le titre de la pièce en litige— a passé
à la Renaissance, avec son interprète principale. On répète, et nous aurons la première représentation avant la fin du mois.
Ce sera aussi, très probablement, avant la fin du mois que nous connaîtrons le nom du successeur de M. Pedro Gailhard,
à la direction de l’Opéra. Ce successeur sera peut-être, d’ailleurs, M. Pedro Gailhard lui-même,... à moins que?... — Le Ministre
se recueille et veut examiner, avant de se prononcer. Pauvre Ministre! Il est, dans la question, d’une compétence plutôt mé
diocre, et une petite visite du Saint-Esprit, s’il voulait l’éclairer de ses lumières, ne lui serait pas inutile.


FÉLIX DUQUESNEL.