JEAN KERVfL
(M. Henry Mayer)
COMÉDIE-FRANÇAISE. — LES MOUETTES. — Acte II
YVONNE KERVIL
(M“° Lara)
délaisser ou d’offrir d’insuffisantes compensations à la petite Anne-Marie qui m’a aimé, je la conduis à la misère, à la mala
die, à la mort ! Soit. Mais regardez bien au fond des choses. Vous ne valez pas mieux que moi. » Puis Adrienne va insister, à son tour, avec cette cruauté, cette âpreté dans le désir de
détruire l’obstacle qui se dresse devant la réalisation de l’amour partagé. Yvonne est vaincue. Seule la loi divine la retient encore ; ses yeux rencontrent ladouloureuseimage de Jésus surla croix !
« Ah ! celui-là répond pour tous ! » s’écrie-t-elle dans un élan superbe. Elle aussi s’immolera pour sauver Jean Kervil et avec lui des milliers d’existences. Les voilà face à face. Elle lui apprend sa résolution. Comme autrefois, sans verser une larme,
elle laissa le marin courir aux dangers sur l’Océan ; comme elle vit partir le soldat à l’expédition de Chine sans faire entendre une plainte, elle veut aujourd’hui que le savant s’en aille, heu
reux et libre, vers :sa nouvelle destinée. ICervil accepte tout d’abord, avec une exubérante joie, ce sacrifice qui « ressuscite un
nouveau Lazare ». Mais bientôt son exaltation tombe, ses yeux se dessillent, il se reprend; sa fantaisie d’un jour s’évanouit. Il n’a pas le droit, pour un succès, — incertain d’ailleurs, — d’anéantir le pauvre être qui agonise à ses côtés. Quel funeste exemple à donner aux hommes! Comment, après cette odieuse
action, enseigner à Gilberte la vaillance et l’honneur? Et puis, la souffrance d’Yvonne, il l’a ressentiepar contre-coup dans le fond de son cœur. Cette douleur poignante de la tendre amie, que son égoïsme brutal a meurtrie, l’a régénéré, lui a remis dans l’âme son premier amour. Désormais, il ne doute plus. Ayant terrassé le mal moral, il vaincra aisément la maladie ; robuste, plein de confiance et de foi dans l’avenir, il serre passionnément sa femme entre ses bras. Chambalot paraît sur le seuil, et Yvonne, avec un sourire encore mouillé de larmes, lui jette ce cri dans l’ivresse du triomphe : « Les mouettes que vous blessez ne sont pas toutes
mortellement atteintes et plus d’une peut reprendre son vol vers la mer et vers le soleil. »
Photo Paul Boyer.
DécCr de M. Jamlwn.Mm®DARNOT
(Mll° R. du Minil)
GILBERTE
(la petite Lyrisse)
ADRIENNE DARNOT
(M11® B. Cerny)