L événement de la quinzaine théâtrale, c’est assurément la représentation de l’Adversaire, la nouvelle comédie d’Alf. Capus et d’Emmanuel Arène, au théâtre de la Renaissance. Nous en avons dit le grand succès, dans notre dernière chronique, mais nous l’avons dit en quelques lignes, et l’événement est d’importance, il con
vient d’y revenir. Je ne sais quel sera, celte année, le sort de nos divers théâtres, ce qui est certain, toutefois, c est que, quoi qu il arrive, la Renaissance sera l’un des plus favorisés, car il tient un succès qui conquiert l’unanimité de la Presse, et l’Adversaire occupera l’affiche pendant bonne partie de la saison, sinon pen
dant la saison tout entière. Alfred Capus est décidément un auteur heureux, c’est l’homme de la veine, il a toutes les chances ! C’est ainsi que volontiers on s’exprime, il me paraît qu’il serait plus vrai et plus congruent de dire : Alfred Capus a beaucoup de talent! Il convient même d’ajouter que, cette fois, il n’a pas opéré tout seul, il s’est adjoint un collaborateur, et quel colla
borateur, mon confrère et ami Emmanuel Arène, c’est-à-dire un des esprits les plus aimables, les plus aiguisés, les plus finement observateurs qu il y ait à cette époque, où il y en a beaucoup. Journaliste avisé, d’une inépuisable verve, écrivain délicat et distingué, pourquoi Emmanuel Arène n’aurait-il pas été tenté par le théâtre ? Le chroniqueur et l’auteur dramatique se rap
prochent si bien l’un de l’autre, que parfois ils se confondent. Il était bien, d’ailleurs, le collaborateur qui convenait à Alf. Capus, les deux natures devaient aisément fusionner, se compléterl’une par l’autre et se confondresi bien en un tout concret, qu’en écoutant la pièce, on ne saurait dire lequel a fait ceci? lequel a fait cela? C’est mon maître Sainte-Beuve qui disait que la collaboration parfaite devait être comme le «bronze» qui forme un métal unique de la combinaison de plusieurs métaux, sans qu’on puisse y trouver la trace d’aucun métal particulier.
L Adversaire n’est pas une pièce compliquée, avec des accumulations de situations, rien du casse-tête chinois, c’est, au contraire, une œuvre légère, — ceci n’est pas un deses moindres charmes, — simple, claire, qui se déroule logiquement, sans une minute de fatigue ou d’ennui pour le spectateur, d’autant qu’elle se soutient d’un dialogue précis, ferme, qui dit bien ce qu’il y a à dire, avec un jaillissement d’étincelles qui rompt toute: monotonie. Ici l’esprit foisonne, mais c’est l’esprit d’à- propos le plus rare, pas celui qui « court les rues », celui-là on
ne l’a pas fait monter en le tirant par les cheveux. Et ce qui me plaît, par-dessus tout, dans cette comédie, c’est que les person
nages étant vrais et vivants, le spectateur vit avec eux. Ils ont bien la dose d’ironie nécessaire, mais c’est une ironie à fleur de peau, qui chatouille sans égratigner,etles types ontété découpés en chair vive. Il en est sur lesquels on mettrait l’étiquette d’un nom propre, d’autres pour lesquels on n’aurait même que l’embarras du choix, tel le député Breautin, type parfait de la brute parlementaire, mouche idéale du « coche de l’Etat », celui-là adû être dessiné plus particulièrement par Emmanuel
Arène, qui vit dans le fâcheux milieu, et a pu y faire sa cueillette.
Maintenant, si vous me demandez ce que signifie ce titre l’Adversaire? je vous dirai que, pour les auteurs, l’adversaire, c’est la femme qui veut dominer son mari et l’entraîner hors de « la voie », alors que le mariage devrait être l’association de deux êtres, en accord parfait. Cet accord double leur force, alors que le désaccord transforme le mariage en une sorte de duel intime, où le mari se trouve placé, face à face, avec la femme qui devient l’adversaire. Je ne veux, d’ailleurs, entrer ni de près, ni de loin, dans l’analvse de la pièce, puisqu’on vous la donne complète, ici près, mais je ne puis m’empêcher, chemin faisant, de signaler à titre de curiosité, que les deux succès du moment, celui du Vaudeville, Antoinette Sabrier, et celui de la Renaissance, l Adversaire, reposent sur une situation analogue, celle de l’adultère de la femme dont le mari provoque l’aveu.
Il est vrai que si la situation est la même, les procédés d’exécution ne sont pas identiques ; au Vaudeville, nous sommes en plein drame, c’est presque parla violence que le mari obtient la vérité, et ce mari est un désespéré, qui demande une solution au suicide brutal. 11 y est acculé et ne peut sortir par ailleurs, ainsi qu’il a été dit spirituellement, le pistolet est « chargé de logique».
A la Renaissance, au contraire, le mari est à la fois un raisonneur et un raisonnable, un philosophe, un esprit supérieur, doucement résigné, qui s’élève plus haut que l’accident, et volon
tiers inclinerait au pardon et à l’oubli, s’ils étaient possibles dans un monde social régulier. Le fait d’adultère commis par la femme, même par énervement, caprice, faiblesse, place les deux époux, l’un vis-à-vis de l’autre, en la posture où ils se trouvent dans Amoureuse, de mon ami Porto-Riche. Alors, comment divorcer? Le mari d Amoureuse accepte, oublie, pardonne, reprend l’épouse coupable, parce que repentante. J’avoue que ce dénouement m’a toujours inquiété : « Quelle va être, me disais-je, dans l’avenir, la situation de ces deux êtres placés en face l’un de l’autre ? est-ce qu’ils n’auront pas toujours, entre leurs regards, l’image du troisième... facteur? » Or, c’est précisément là, ou à peu près, ce que se dit Maurice Darlay, le héros de la Renais
sance. Il prend sa femme en pitié, comme un être de raison qu’il est, il la console presque, parce qu’il comprend la douleur de cette malheureuse qu’il aime encore, quand même, et dont il se
sent aimé ; mais il se dit, avec raison, que la vie commune n’est plus possible, alors comment faire pour la briser sans trop de vio


lence? C’est là où, selon moi, les auteurs ont fait une trouvaille


pour amener le dénouement nécessaire. Ils ont fait intervenir la mère de la femme coupable, qui est, par conséquent, la belle-mère de Maurice, le mari trompé. C’est par elle que se fera le dénouement. Madame Grécourt est une brave et honnête femme, elle ne sait rien de ce qui s’est passé, elle ignore absolument la fâcheuse aventure, on lui a tout caché.
Elle survient au milieu de la scène d’explications des deux époux. Ils sont contraints, gênés, Marianne a les yeux rouges, elle a pleuré : Pourquoi? qu’y a-t-il? Généreusement, Maurice prend les torts à son compte. Il a eu une maîtresse, il a trompé