sa femme, le divorce s’impose. La belle-mère proteste, elle est pour la conciliation. L’adultère du mari n’est qu’une faute, les hommes sont moins strictement enchaînés que les femmes, on peut leur pardonner, ils sont justiciables de l’oubli: toutes, tant que nous sommes, dit-elle, nous avons passé par là, nous avons fermé les yeux, oublié, pardonné. Puis, elle ajoute : « Ah ! quand c’est la femme qui est coupable, c’est autre chose, elle est gardienne de l’honneur du foyer, elle le porte en elle, elle ne doit pas faillir, puisque sa chute peut introduire un enfant étranger au domicile conjugal. Pour elle, pas de pardon. Elle n’a qu’une chose à faire, aller retrouver son amant et vivre heu
reuse avec lui si elle le peut ! Elle s’est condamnée à l’exil. »
Et elle ajoute avec un triste sourire : « Toutes les femmes pensent comme moi,... mais elles n’en veulent pas convenir ! » — « Tu vois bien qu’il faut nous séparer,— conclut Maurice, après le départ de Madame Grécourt, — nous ne pouvons plus vivre ensemble, c’est ta mère qui t’a condamnée! »
Les auteurs de l’Adversaire ont trouvé les véritables interprètes de leur pièce. Il est certain que Guitry est le comédien de Capus, tout comme Capus est l’auteur indiqué de Guitry, il y a de la sympathie entre les deux tempéraments et comme des points de contact. Mademoiselle Marthe Brandès a trouvé dans le personnage de Marianne, son premier rôle depuis qu elle est à la Renaissance et depuis sa création du Passé, à la Comédie- Française, n’a fait encore rien d’aussi bien, le duo est parfait. L’ensemble de l’interprétation est, d’ailleurs, de tout premier ordre. Guy, Noizeux, Arquillière, Mesdames Marie Samary, Juliette Darcourt, et tous les autres, du plus au moins,donnent la note d’harmonie.
Voici, maintenant que la saison se fait sentir, tous les théâtres sont ouverts, sauf ceux qu’on répare, et c’est à chaque instant changement d’affiche, en recherche de l’oiseau rare, le succès. C’est le tir aux pigeons, on n’abat pas à tout coup !
Deux théâtres de second ordre, les Folies-Dramatiques et Cluny, ont fait affiche neuve. Les Folies avec un vaudeville en trois actes, Jumeau, ce qui est une farce assez gaie, pas très neuve, car elle rappelle Maître Nitouche, le Coup du Fouet ex. d’autres encore, le postulat nous présente un même person
nous plongions dans le théâtre d’autrefois, nous trouverions encore d’autres ressemblances, les Deux Philibert, voire les Ménechmes, mais qu’importe tout cela? Jumeau est un vaudeville amusant, on y rit de bon cœur, c’est l’essentiel, et l’entraî
neur Galipaux s’y démène à cœur joie, changeant de costume et de figure, avec l’instantanéité d’un Frégoli. Ce comédien- Protée, sorte de kaléidoscope vivant, est d’un entrain endiablé, d’une verve qui donne le vertige.—Cluny, asecHorribles Détails,
une pièce peu intelligible, où on chante et on danse, où on passe d’une époque à une autre, sans trop de raison, mais avec de la rime et de la musique, voire une certaine mise en scène relative, qui n’est pas coutumière au boulevard Saint-Germain.
Au Palais-Royal, on nous a donné la Marmotte, un vaudeville amusant de MM. Antony Mars et Xanrof, qui tient l’affiche,
avec Raymond pour principal protagoniste, Raymond qui jou è le rôle d’un certain Canibel qui a toujours envie de dormir, parce qu’iln’a pas assez dormi dans sa jeunesse qui futorageuse, et qu’il a un passif de sommeil à liquider. L’idée est origi
nale, et le comédien suggestif. C’est à voir. Ce pendant qu’à l’Odéon, trois pièces, des pierres d’attente, forment l’affiche nouvelle : Poste restante, un tout petit acte, simple tableau de chevalet, signé Serge Basset, très sincère et de bonne peinture. C’est un drame intime, « tempête sous le crâne » d’un receveur des postes, amoureux et jaloux, qui pourrait perdre celle qu’il aime, Madame Duvarin, lafemme du farouche commandant, en correspondance galante avec le fat Hondurier, mais qui refuse de répondre au mari, réclamant la « poste restante » à l’adresse de sa femme, ce qui est refus professionnel, et fait mieux
encore : refuse àla femme, queson mari a contrainte, plus morte que vive, à réclamer elle-même, devant lui, la lettre compromettante qui est à son adresse. Eymard, le jeune receveur, compulse, d’une main tremblante, le paquet des « poste restante », sous le regard menaçant du commandant, et dit d’une voix étranglée : « Il n’y a pas de lettre pour Madame Duvarin », alors qu’il
tient entre ses doigts le chiffon révélateur. C’est concis, rapide et d’une aimable émotion. — L’Idiot est un drame sombre, en deux actes, à la façon des drames allemands, comme on les pra
tiquait en 1826, symphonie funèbre à trois voix, avec nuit sombre et redingote à brandebourgs; cela sent le rance et étincelle de la poussière des tiroirs. — Enfin, l’Héritier, comédie en trois actes, de M. Pierre Soulaine, sorte de vau
deville sans couplets, pièce d’intrigue, l’aventure d’un héritier auquel tombe du ciel une grosse fortune, le million imprévu,
et qui, venu dans une petite ville pour réaliser sa succession, devient le point de mire de toutes les demoiselles de l’endroit, le gibier sur lequel se braquent les escopettes des bellesmères qui tirent au mariage. Or, lorsqu’on s’est fort échauffé sur la piste, déception complète : notre héritier est marié, buisson-creux, rien à faire !! Ceci est assez banal, mais il y a, dans cette comédie, un incident accessoire qui l’est moins, celui-là fort ironiste, car je ne saurais croire, dans la circon
stance, à la naïveté de l’auteur. Parmi les personnages de la comédie, il en est un très mystérieux, aux allures singulières, dont s’est éprise la fille du notaire Chavignol. Or,ce quidam est un comédien, et l’on ne voit pas bien, ex-abrupto, un tabellion provincial donnant sa fille à un voyageur du chariot de Thespis.
Il y a encore, dans les mœurs courantes, quelques restants de préjugés qui s’y opposent. Qu’à cela ne tienne; d’une main
hardie, aidé d’une éloquence narquoise, l’héritier Jacques Gavard les déracine au plus vite : il explique au notaire que le comédien est aujourd’hui roi du monde, qu’il égale les plus hauts, que les sociétaires de la Comédie-Fiançaise sont person
notaire de province ne saurait mieux faire que marier sa fille à un comédien. L’honnête Chavignol, abasourdi, se laisse con
vaincre, et les choses en vont ainsi, sans difficulté. En ce qui me concerne, je suis plein de respect pour les comédiens, mais je crois le dénouement risqué et en avance sur la réalité ; c’est un dénouement d’avant-garde ! — Ces trois pièces sont hon
nêtement jouées, par des comédiens passables, qui ont, les uns, une certaine dose de talent, les autres, une certaine dose de conscience.
Pour me mettre tout à fait au pair de l’actualité, j’aurais encore à vous parler de la rentrée de Madame Sarah Bernhardt, qui nous revient avec l’adaptation d’un drame allemand, ma
nière Kotzebüe, Jeanne Vedekind, de M. Felix Philippi ; mais la place me manque, elle m’est mesurée, et cette Quinzaine est furieusement chargée. Je me vois également contraint, à mon grand regret, de renvoyer à la prochaine Quinzaine le plaisir de vous entretenir de la pièce nouvelle des Nouveautés, les Sen
logue plein d’entrain et de bonne humeur, que parfume une senteur de jeunesse et qui témoigne de la souplesse des auteurs.
Je vous dirai aussi combien fut exquise l’interprétation de cette pièce, où, pour la circonstance, la troupe des Nouveautés, le brave Torin en tête, fut renforcée par Noblet, un comédien de premier ordre, qui joue de la finesse, comme Paganini jouait du violon, et possède l’art de la demi-nuance, et par Mademoiselle Marcelle Lender, la fée de l’élégance; je vous dirai en
core... mais pas aujourd’hui ; je me contenterai donc de vous dire que ce fut un grand succès, ce qui fait que le Boulevard est bloqué entre celui de la Renaissance et celui des Nouveautés.
reuse avec lui si elle le peut ! Elle s’est condamnée à l’exil. »
Et elle ajoute avec un triste sourire : « Toutes les femmes pensent comme moi,... mais elles n’en veulent pas convenir ! » — « Tu vois bien qu’il faut nous séparer,— conclut Maurice, après le départ de Madame Grécourt, — nous ne pouvons plus vivre ensemble, c’est ta mère qui t’a condamnée! »
Les auteurs de l’Adversaire ont trouvé les véritables interprètes de leur pièce. Il est certain que Guitry est le comédien de Capus, tout comme Capus est l’auteur indiqué de Guitry, il y a de la sympathie entre les deux tempéraments et comme des points de contact. Mademoiselle Marthe Brandès a trouvé dans le personnage de Marianne, son premier rôle depuis qu elle est à la Renaissance et depuis sa création du Passé, à la Comédie- Française, n’a fait encore rien d’aussi bien, le duo est parfait. L’ensemble de l’interprétation est, d’ailleurs, de tout premier ordre. Guy, Noizeux, Arquillière, Mesdames Marie Samary, Juliette Darcourt, et tous les autres, du plus au moins,donnent la note d’harmonie.
Voici, maintenant que la saison se fait sentir, tous les théâtres sont ouverts, sauf ceux qu’on répare, et c’est à chaque instant changement d’affiche, en recherche de l’oiseau rare, le succès. C’est le tir aux pigeons, on n’abat pas à tout coup !
Deux théâtres de second ordre, les Folies-Dramatiques et Cluny, ont fait affiche neuve. Les Folies avec un vaudeville en trois actes, Jumeau, ce qui est une farce assez gaie, pas très neuve, car elle rappelle Maître Nitouche, le Coup du Fouet ex. d’autres encore, le postulat nous présente un même person
nage qui se dédouble et paraît sous deux aspects différents. Si
nous plongions dans le théâtre d’autrefois, nous trouverions encore d’autres ressemblances, les Deux Philibert, voire les Ménechmes, mais qu’importe tout cela? Jumeau est un vaudeville amusant, on y rit de bon cœur, c’est l’essentiel, et l’entraî
neur Galipaux s’y démène à cœur joie, changeant de costume et de figure, avec l’instantanéité d’un Frégoli. Ce comédien- Protée, sorte de kaléidoscope vivant, est d’un entrain endiablé, d’une verve qui donne le vertige.—Cluny, asecHorribles Détails,
une pièce peu intelligible, où on chante et on danse, où on passe d’une époque à une autre, sans trop de raison, mais avec de la rime et de la musique, voire une certaine mise en scène relative, qui n’est pas coutumière au boulevard Saint-Germain.
Au Palais-Royal, on nous a donné la Marmotte, un vaudeville amusant de MM. Antony Mars et Xanrof, qui tient l’affiche,
avec Raymond pour principal protagoniste, Raymond qui jou è le rôle d’un certain Canibel qui a toujours envie de dormir, parce qu’iln’a pas assez dormi dans sa jeunesse qui futorageuse, et qu’il a un passif de sommeil à liquider. L’idée est origi
nale, et le comédien suggestif. C’est à voir. Ce pendant qu’à l’Odéon, trois pièces, des pierres d’attente, forment l’affiche nouvelle : Poste restante, un tout petit acte, simple tableau de chevalet, signé Serge Basset, très sincère et de bonne peinture. C’est un drame intime, « tempête sous le crâne » d’un receveur des postes, amoureux et jaloux, qui pourrait perdre celle qu’il aime, Madame Duvarin, lafemme du farouche commandant, en correspondance galante avec le fat Hondurier, mais qui refuse de répondre au mari, réclamant la « poste restante » à l’adresse de sa femme, ce qui est refus professionnel, et fait mieux
encore : refuse àla femme, queson mari a contrainte, plus morte que vive, à réclamer elle-même, devant lui, la lettre compromettante qui est à son adresse. Eymard, le jeune receveur, compulse, d’une main tremblante, le paquet des « poste restante », sous le regard menaçant du commandant, et dit d’une voix étranglée : « Il n’y a pas de lettre pour Madame Duvarin », alors qu’il
tient entre ses doigts le chiffon révélateur. C’est concis, rapide et d’une aimable émotion. — L’Idiot est un drame sombre, en deux actes, à la façon des drames allemands, comme on les pra
tiquait en 1826, symphonie funèbre à trois voix, avec nuit sombre et redingote à brandebourgs; cela sent le rance et étincelle de la poussière des tiroirs. — Enfin, l’Héritier, comédie en trois actes, de M. Pierre Soulaine, sorte de vau
deville sans couplets, pièce d’intrigue, l’aventure d’un héritier auquel tombe du ciel une grosse fortune, le million imprévu,
et qui, venu dans une petite ville pour réaliser sa succession, devient le point de mire de toutes les demoiselles de l’endroit, le gibier sur lequel se braquent les escopettes des bellesmères qui tirent au mariage. Or, lorsqu’on s’est fort échauffé sur la piste, déception complète : notre héritier est marié, buisson-creux, rien à faire !! Ceci est assez banal, mais il y a, dans cette comédie, un incident accessoire qui l’est moins, celui-là fort ironiste, car je ne saurais croire, dans la circon
stance, à la naïveté de l’auteur. Parmi les personnages de la comédie, il en est un très mystérieux, aux allures singulières, dont s’est éprise la fille du notaire Chavignol. Or,ce quidam est un comédien, et l’on ne voit pas bien, ex-abrupto, un tabellion provincial donnant sa fille à un voyageur du chariot de Thespis.
Il y a encore, dans les mœurs courantes, quelques restants de préjugés qui s’y opposent. Qu’à cela ne tienne; d’une main
hardie, aidé d’une éloquence narquoise, l’héritier Jacques Gavard les déracine au plus vite : il explique au notaire que le comédien est aujourd’hui roi du monde, qu’il égale les plus hauts, que les sociétaires de la Comédie-Fiançaise sont person
nages dans la République, qu’on les décore tous, et qu’un
notaire de province ne saurait mieux faire que marier sa fille à un comédien. L’honnête Chavignol, abasourdi, se laisse con
vaincre, et les choses en vont ainsi, sans difficulté. En ce qui me concerne, je suis plein de respect pour les comédiens, mais je crois le dénouement risqué et en avance sur la réalité ; c’est un dénouement d’avant-garde ! — Ces trois pièces sont hon
nêtement jouées, par des comédiens passables, qui ont, les uns, une certaine dose de talent, les autres, une certaine dose de conscience.
Pour me mettre tout à fait au pair de l’actualité, j’aurais encore à vous parler de la rentrée de Madame Sarah Bernhardt, qui nous revient avec l’adaptation d’un drame allemand, ma
nière Kotzebüe, Jeanne Vedekind, de M. Felix Philippi ; mais la place me manque, elle m’est mesurée, et cette Quinzaine est furieusement chargée. Je me vois également contraint, à mon grand regret, de renvoyer à la prochaine Quinzaine le plaisir de vous entretenir de la pièce nouvelle des Nouveautés, les Sen
tiers de la Vertu, une comédie amusante, aimable, spirituelle, où abondent les scènes charmantes, qui se relèvent d’un dia
logue plein d’entrain et de bonne humeur, que parfume une senteur de jeunesse et qui témoigne de la souplesse des auteurs.
Je vous dirai aussi combien fut exquise l’interprétation de cette pièce, où, pour la circonstance, la troupe des Nouveautés, le brave Torin en tête, fut renforcée par Noblet, un comédien de premier ordre, qui joue de la finesse, comme Paganini jouait du violon, et possède l’art de la demi-nuance, et par Mademoiselle Marcelle Lender, la fée de l’élégance; je vous dirai en
core... mais pas aujourd’hui ; je me contenterai donc de vous dire que ce fut un grand succès, ce qui fait que le Boulevard est bloqué entre celui de la Renaissance et celui des Nouveautés.