Elmire, une certaine dose de coquetterie, mais d’unecoquetterie permise, celle que nous pourrions qualifier « élégance », car elle est élégante. Comme Orgon a grande fortune et mène grand train, Elmire tient donc état de maison. La Ville et même la Courfréquent chez elle. Elle aime les riches ajustements, ne hait pas la société des beaux esprits, et sait jouer de l’éventail en femme du monde, bien qu’elle n’ait pas la « maestria » de Célimène. Le voisinage, envieux et jaloux, en tient méchant propos, dont la vieille Pernelle se fait l’écho rageur. Elmire méprise ces « potins », elle ne peut qu’en sourire. Experte à l’escrime des galants badinages, elle y a acquis une sorte de coquetterie non
chalante, qui lui permet d’entendre bien des choses, sans s’offusquer, ne prenant les armes que si l’attaque est trop vive et s’il y a vraiment lieu de se défendre.
On voit par cette monographie que si le personnage est classé aux « grandes coquettes », il demande, pour son interprétation, des dons spéciaux qui tous ne sont pas adéquats à l’emploi. La créatrice du rôle fut Armande Béjart, déjà Madame Molière depuis deux ans. Elle était alors en sa vingtième année, et dans tout le charme d’une beauté merveilleuse, « douée d’une figure incomparable, de manières séduisantes, d’une grâce pleine d’attraits... », si l’on en croit Montfleury. Elle joua le rôle « simplement, sans malice », écriten prose le gazetier Robinet, alors qu’en vers peu héroïques il s’exprime ainsi, dans sa lettre du 25 février, adressée à Madame :
Toujours, dans le Palais-Royal, Aussi, le Tartuffe se joue,
Où son auteur, je vous l’avoue,
Sous le nom de Monsieur Orgon, Amasse pécule et renom.
Mais pas moins encor, je n’admire Son épouse, la jeune Elmire,
Car on ne saurait constamment Jouer plus naturellement.
Trop longue seraient à citer toutes les « El
mire », la théorie en est infinie, car Tartuffe est une des pièces qui tinrent le plus souvent l’affiche. Il convient cependant de rappeler les plus fameuses : ce furent, au xvme siècle et à l’aurore du xtxe,
Mesdames Adrienne Lecouvreur, Dumesnil et Raucourt, cette dernière enseîgna même le rôle à Made
moiselle George qui, d’ailleurs y fut, dit-on, assez médiocre. Jedois ajouter que ce rôle d’Elmire, précisément à cause de la correc
tion de ses lignes, a tenté plus d’une tra
gédienne. Rachel en eut souvent la hantise.
Elle l’étudia avec Samson, mais ne le joua qu’en Amérique en sa
Cliché Caulin Sf Berger.
première expédition au delà des mers. Plus près de nous, au courant du xixe siècle, je vois trois comédiennes qui ont laissé
belle empreinte dans ce rôle : Mesdames Mars, Arnoult-Plessy et Madeleine Brohan.
Mademoiselle Mars qui est restée la plus parfaite des Célimène, avait quelque appréhension de ce rôle d’Elmire qui lui semblait complcxeet moins brillant. Elle nele joua qu’en 1840, — elle avait alors soixante ans, et ne les paraissait guère, — elle n’eut pas dans Elmire un succès égal à celui qu’elle obtenait dans Célimène, mais, dit un critique, donna grande impression de « pudique honnêteté ». Madame Arnoult-Plessy joua ce rôle pour la première fois en 1864, elle avait alors trente-trois ans, ce qui me paraît être l’âge rêvé du personnage dont elle eut mieux que personne, l’enveloppe et la beauté bourgeoise, beauté opulente, bien faite pour exciter les appétits luxurieux de Tartuffe, un dévot qui ne voulait pas faire maigre tout le
temps. Madeleine Brohan joua le rôle en 1858, elle avait alors vingt-cinq ans, et était dans tout l’éclat de sa jeune beaulé. Elle était même si belle qu’avec elle on oubliait le personnage.
En 1876, Mademoiselle Sophie Croizette fut une Elmire agréable ; et il faut citer encore pour mémoire, Madame Loyd (186З) ; Edile Ricquier (1870) ; Mademoiselle Blanche Pierson,
une Elmire bourgeoise (1892) ; Mademoiselle Marsy et aussi Made
moiselle Brandès, qui voulut prouver, sans doute, que sa vocation et sa forme la pous
saient vers le drame moderne.
Mademoiselle Cécile Sorel a des qua
lités qui s’adaptent bien au personnage; belle, de grande tenue,
portant avec élégance le costume Maintenon, elle donne bien l’aspect de cette haute bourgeoise qu’est la femme d’Orgon. La figure qu’elle compose est aimable, avec douceur, de belle hon
nêteté froide, sans pruderie, c’est à peu près, je crois, le type voulu par l’auteur.
De TartuffeàBlanchette il y a une belle enjambée à faire,
juste la distance de Molière à M. Brieux. La reprise de Blan
chette à la Comédie n’a pas laissé que d’étonner un peu. Beaucoup se sont demandé si la fille du père Rousset, à sa place au théâtre An
toine, serait aussi
bien chez elle rue de Richelieu, et si, en l’y transportant, on n’ap
pauvrissait pas le
M. BRUNOT
PENSIONNAIRE DE LA COMÉDIE-FRANÇAISE