LA QUINZAINE THÉATRALE




Les théâtres rouvrent de tous côtes. Au Vaudeville, ç’a été avec une reprise de la Carrière, la jolie comédie d’Abel Hcrmant.fine satire des mœurs diplomatiques, une des meilleures pièces qu’il ait produites. Créée, il y a quelques années, au Gymnase, alors que Vaudeville et Gymnase évoluaient sous une même direction, elle a retrouvé Chaussée-d’Antin, le succès obtenu jadis au boulevard Bonne-Nouvelle, c’est, en somme,une bonne reprise, et c’est un avant-propos qui laissera tout loisir de monter le spectacle nouveau, pour la rentrée très attendue de Réjane.




Au Palais Royal, reprise d’une des meilleures pièces comiques du répertoire de Léon Gandillot, le Sous-Préfet de Château




Busard, qui, après courte escale à Déjazet, revient au théâtre de son succès, au répertoire duquel elle devrait rester incrustée, comme la Cagnotte ou le Chapeau de paille d Italie. Ce vaude




ville très amusant est une des mille variations notées sur le thème antique du valet pris pour son maître. Raimond, excel




lent comédien, quand il trouve chaussure à son pied, est de réel comique dans le rôle du domestique paré des plumes du Sous-Préfet. Cooper est agréable, à son ordinaire. Hurieaux s’escrime de son mieux, dans le personnage du Général, une figure épique. Il n’y rappelle pas précisément Milher. mais, non plus, ne le fait pas oublier. Mademoiselle Samuelle est une agréable Simonnette, et Madame Berthe Legrand est la bonne duègne.. « que l’on connaît », ainsi que cela se chante dans Mimi- Pinson. Feu Francisque Sarcey se réjouissait fort aux représen




tations de la pièce de Gandillot, je crois même qu’au temps jadis, il en fit un peu la fortune; le public s’est accorde avec lui, et a ratifié son jugement.




Aux Folies-Dramatiques, les 28 Jours de Clairette ont succédé à je ne sais quel vague vaudeville. Là, encore, c’est un ra




patriement. L’opérette fugitive qui avait fait une escapade à la Gaîté, sous le canonicat de Debruyère, a pris peur, en apercevant Hérodiade, au lointain, et a réintégré le théâtre de sa nais




sance. C’est passablement joué, mais que nous sommes loin de Marguerite Ugalde et aussi de Simon-Girard, les Clairette d’antan !




Voici, maintenant, les théâtres de drame. Ils ne sont plus que trois, comme les Mousquetaires, le quatrième, la Gaîté,




devenant un théâtre mixte, ni chair, ni poisson, puisqu’on y doit jou.’r l’opéra pendant quatre mois, et le répertoire de Coquelin (?) pendant cinq mois, — à la Porte-Saint-Martin, on répare avant d ouvrir, la nouvelle di rection fait le balai neuf coutumier. — A TAmbigu, en attendant la pièce nouvelle très annon




cée de MM. H. Cain et Er.iest Daudet, où Jeanne Granier doit jouer le principal rôle, on a repris les Deux Gosses, de Pierre Decourcelles. Les Deux Gosses, quati e fois centenaire au moins, c’est la grande ressource du théâtre du boulevard Saint-Martin. La reprise, cette fois, a éié très heureuse, grâce à une excellente distribution, les deux gosses, Claudinet et Fanfan, ont retrouvé leurs interprètes de la création, Mademoiselle Reyé et Mademoiselle Mellot. Décori a redonné la vie à l’ignoble « la Li




mace » bien digne de son nom. — Au Châtelet, on a tiré l’épée de chevet; Michel Strogoff a repris l’affiche. Il la reprend, d’ailleurs, à intervalles réguliers, et le brave courrier a recom




mencé sa course traditionnelle : « Pour Dieu! pour le Tsar! pour la Patrie ! » les recettes qui sont assez belles ne permettent pas encore de fixer la durer delà course.




Au théâtre Sarah-Bernhardt, on a risqué une pièce nouvelle — si peu — la Légende du Cœur, un drame en vers, de Jean Aicard, déjà joué au théâtre d Orange. Ici c’est Mademoiselle Moréno qui a succédé dans le travesti du troubadour, à Madame Sarah Bernhardt. L’œuvre est poétique, l’actrice est inté




ressante, et dit merveilleusement le vers. Quant à l’action du drame, c’est toujours l’histoire du fameux cœur mangé de bon




appétit par Gabrielle de Vergy. La légende, sous forme d’opérette, vient de reprendre l’affiche des Variétés; sous forme de drame, elle occupe celle du théâtre Sarah-Bernhardt: si le public veut manger du cœur, il n’aura que le choix de la sauce.




A signaler encore à la Comédie-Française, la remise à la scène du Joueur ou mieux du Chevalier Joueur de Regnard resté, depuis bien longtemps, dans la coulisse. Delaunay fils a repris le rôle de Valère, qui fut jadis un des triomphes de son père, le grand comédien, « l’éternil amoureux », comme on l’appelait,




que nous avons enterré, il y a déjà quelques semaines. La place nous manque ici pour parler de lui comme nous l’aurions désiré, et rendre la justice due à sa mémoire; il peut suffire d’ail




leurs de quelques mots pour exprimer la synthèse de l’exis




tence de cet homme: « Ce fut un grand comédien, et un parfait honnête homme. »




Les deux premiers prix de comédie au dernier concours du Conservatoire, Mademoiselle Dussane et le jeune Brunot, ont débuté à la Comédie-Française, Mademoiselle Dussane, par le rôle de Toinette du Malade Imaginaire, Brunot, par le rôle de Mascarille des Précieuses Ridicules. La soirée a été intéres




sante, on l’a qualifiée représen’ation des « Petits Prodiges », en effet la nouvelle Toinette n’a guère plus de quinze ans, le nouveau Mascarille, vingt ans à peine. Tous deux ont réussi à souhait, faisant montre de qualités d esprit, de verve, d entrain




endiablé, jouant avec cette aimable sincérité de la jeunesse. Les pronostics de succès donnés après le concours de 190З se sont aisément justifiés.




C’est un aimable petitthéâtre, que ce Théâtre des Capucines, situé au fond d’une cour, dans une manière d’arrière-boutique, mais si pittoresque et si intime, qu on dirait la comédie dans un




salon. Les gens du monde l’ont pris en amitié, et la meilleure société s’est accoutumée à y fréquenter. Que dis-je? elle le recherche, et s’y donne rendez-vous. Elle se met en frais pour y venir, les Messieurs revêtus de l’obligatoire frac de soirée, avec le gilet grand ouvert, et aussi la cravate blanche; les Dames, le plus souvent en cheveux, décolletées, et toutes perles dehors. Il faut avouer, d’ailleurs, que rien n’est plus agréable et moins fatigant que le spectacle des Capucines, et je comprends qu’on s’y réunisse, après dîner, pour y faire sa digestion en s’amusant. Cinq ou six pièces, d’un genre différent, y com




posent un menu varié. Cela commence assez tard et finit à minuit moins cinq. On arrive quand on veut, on s’en va quand il plaît, et l’on passe un moment agréable, sans fatigue céré




brale. N’est-ce pas l’idéal du genre ? Peut-être bien est-ce là une des formes nouvelles du théâtre moderne ? Je dois ajouter que le directeur des Capucines, habile et ingénieux, fait de grands efforts pour attirer le public, qui d’ailleurs ne rechigne pas, et que, dans sa lanterne magique, passent, à tour de rôle, les meilleurs comédiens de Paris, qui ont plaisir à y jouer, faisant ainsi théâtre buissonnier et dérogation à leurs habitudes.




Maintenant, comment et par quel hasard ai-je été amené à faire représenter une pièce aux Capucines, ce qui est mon cas pour la Peur, qui aura fini la dernière saison et vient de recom




mencer l’autre? Je vais vous le dire, car les pièces ont leur histoire —habent sua fata libelli !— et je vous conterai par le menu celle de la Peur. Certes, je ne songeais guère à faire du théâtre, sachant par expérience les difficultés de ce genre de litté




rature, et bien convaincu qu’il est plus difficile de « faire » une pièce, fût-ce la plus mauvaise, que d’en « critiquer » une, fut-ce la meilleure. Destouches, dans sa comédie du Glorieux, a exprimé cette pensée, en un vers aussi fameux que médiocre. C’est l’occasion qui a fait le larron, et voici comment : Un jour de cet hiver, j’ai reçu la visite du marquis d’Ivry, l’auteur de la partition des Amants de Vérone, un des plus agréables causeurs




La Réouverture du Théâtre des Capucines ; LA PEUR, comédie en un acte, de M. FÉLIX DUQUESNEL