comptes. Il y avait un reliquat de trente mille francs qu’il apportait à sa cliente. Celle-ci reçut la somme, trois liasses de dix billets de mille, fixés par une épingle, qu’elle déposa sur sa cheminée. Le tabellion se récria sur l’imprudence, et la dame sourit. Elle souriait volontiers, ayant à montrer de très jolies dents. Le notaire se retira; elle le reconduisit, causa quelques instants dans le vestibule, puis revint au salon, où elle ne retrouva plus les trente mille francs... Ils avaient disparu. On les avait volés, tout simplement...
— Et qui les avait volés?
— On n’a jamais pu savoir!
— Et quel rapport a ceci avec le mariage de notre ami X...? — Attendez donc. Notre belle n’était pas intéressée, et de plus, je vous ai dit qu’elle était fort riche. Elle avait le mépris de l’argent et ne se soucia guère de la perte matérielle des trente mille francs, ce qui était peu de chose pour elle. Mais elle fut prise de terreur folle, se sentant isolée, en butte aux attaques et au danger. Ce vol était une révélation. Elle ne vit plus autour d’elle, par un travail d’imagination, que des embûches, des voleurs, des assassins, et elle fut tellement impressionnée de cette aventure, qu’elle en fit une grave maladie. A peine convalescente, elle écrivit à X... qu’elle avait réfléchi, que s’il persis
tait, elle consentirait au mariage... Et voilà comment X... s’est marié pour la seconde fois. 11 est heureux, et s’il connaissait le voleur des trente mille francs, je crois qu’au lieu de le faire arrêter, il doublerait la somme.
— Tiens, c’est très .amusant, ce que vous me racontez là, on dirait unde ces papillons bleus dont Emile Augier parle dans la préface des Lionnes pauvres, un de ces papillons qu’on voit passer dans un horizon lumineux et qu’on attrape au vol. Il y aurait une pièce à faire, avec l’histoire de notre ami X...
— Faites-la!
— Ne m’en défiez pas. »
Je me mis, en effet, à écrire un acte de comédie-proverbe, me servant de cette aventure, l’accommodant aux nécessités théâtrales et y ajoutant les condiments nécessaires. Je ne
que je connaisse. Nous étions devisant, au coin du feu, de tout un peu, lorsque, lui rappelant le souvenir d un ami commun, je lui dis :
« Et X..., est-ce qu’il n’est pas remarié? La dernière fois que je l’ai vu, il était veuf, ayant enterré une première femme; est-ce que j’ai rêvé qu’il en a pris une seconde ?
— Vous n’avez pas rêvé, — me répondit-il, — il s’est remarié, en effet, avec une femme fort riche, très agréable, ma foi, et en des circonstances assez curieuses. Il avait la cinquantaine, et même quelques centimes avec,mais il était bien conservé,jeune d’allures, et avisa une orpheline de bonne famille, riche, majeure, d’une trentaine d’années. Il fit une cour assidue, démasqua ses batteries, et accoucha d’une demande en règle..., laquelle fut repoussée : « Monsieur, dit la vieille fille, je suis honorée, je vous estime, et j’aurais peu d’efforts à faire pour vous aimer, je con
viens,,que si je voulais me marier, j’aurais peine à trouver mieux que vous, mais je ne veux pas me marier. Je suis indépendante et très heureuse comme je suis. J’ai des habitudes prises, et je n’ai plus d’illusions. Un mariage ne saurait m’apporter que des incon
vénients. 11 faut donc laisser les choses comme elles sont. — Mais la solitude? — J’y suis faite, et m’en accommode sans ennui. —- Mais vous n’êtes pas protégée, vous êtes sans appui...» La dame se mit à rire et tendit cordialement la main à mon ami. C’était la fin de l’audience, il n’y avait qu’à se retirer en bon ordre. Ce qu’il fit. Il revint à l’assaut sans succès, et, ce qui est curieux, c’est qu’à mesure que l’obstacle grandissait, notre ami X... devenait amoureux de la fiancée récalcitrante.
— Ça, c’est très humain... Comment finit l’aventure ?
— De manière très imprévue. Le siège continuait depuis un an, la brèche du cœur refusant de s’ouvrir, lorsque certain jour, la belle reçut la visite de son notaire, venu pour régler quelques
Cliché Paul Boyer.
Joseph (M. Yves Martel)
Joseph: Madame n a plus d ordre à me donner?
Lucienne (M11« J. Thomassin)
THEATRE DES CAPUCINES. — LA PEUR
Cliché Paul Boyer.
oaétan : Je vous aime, Lucienne, voulez-vous être ma femme? gaétan de marsannb (M. Tarride)Lucienne (Mlle J. Thomassin)
THÉATRE DES CAPUCINES. — LA PEUR
— Et qui les avait volés?
— On n’a jamais pu savoir!
— Et quel rapport a ceci avec le mariage de notre ami X...? — Attendez donc. Notre belle n’était pas intéressée, et de plus, je vous ai dit qu’elle était fort riche. Elle avait le mépris de l’argent et ne se soucia guère de la perte matérielle des trente mille francs, ce qui était peu de chose pour elle. Mais elle fut prise de terreur folle, se sentant isolée, en butte aux attaques et au danger. Ce vol était une révélation. Elle ne vit plus autour d’elle, par un travail d’imagination, que des embûches, des voleurs, des assassins, et elle fut tellement impressionnée de cette aventure, qu’elle en fit une grave maladie. A peine convalescente, elle écrivit à X... qu’elle avait réfléchi, que s’il persis
tait, elle consentirait au mariage... Et voilà comment X... s’est marié pour la seconde fois. 11 est heureux, et s’il connaissait le voleur des trente mille francs, je crois qu’au lieu de le faire arrêter, il doublerait la somme.
— Tiens, c’est très .amusant, ce que vous me racontez là, on dirait unde ces papillons bleus dont Emile Augier parle dans la préface des Lionnes pauvres, un de ces papillons qu’on voit passer dans un horizon lumineux et qu’on attrape au vol. Il y aurait une pièce à faire, avec l’histoire de notre ami X...
— Faites-la!
— Ne m’en défiez pas. »
Je me mis, en effet, à écrire un acte de comédie-proverbe, me servant de cette aventure, l’accommodant aux nécessités théâtrales et y ajoutant les condiments nécessaires. Je ne
que je connaisse. Nous étions devisant, au coin du feu, de tout un peu, lorsque, lui rappelant le souvenir d un ami commun, je lui dis :
« Et X..., est-ce qu’il n’est pas remarié? La dernière fois que je l’ai vu, il était veuf, ayant enterré une première femme; est-ce que j’ai rêvé qu’il en a pris une seconde ?
— Vous n’avez pas rêvé, — me répondit-il, — il s’est remarié, en effet, avec une femme fort riche, très agréable, ma foi, et en des circonstances assez curieuses. Il avait la cinquantaine, et même quelques centimes avec,mais il était bien conservé,jeune d’allures, et avisa une orpheline de bonne famille, riche, majeure, d’une trentaine d’années. Il fit une cour assidue, démasqua ses batteries, et accoucha d’une demande en règle..., laquelle fut repoussée : « Monsieur, dit la vieille fille, je suis honorée, je vous estime, et j’aurais peu d’efforts à faire pour vous aimer, je con
viens,,que si je voulais me marier, j’aurais peine à trouver mieux que vous, mais je ne veux pas me marier. Je suis indépendante et très heureuse comme je suis. J’ai des habitudes prises, et je n’ai plus d’illusions. Un mariage ne saurait m’apporter que des incon
vénients. 11 faut donc laisser les choses comme elles sont. — Mais la solitude? — J’y suis faite, et m’en accommode sans ennui. —- Mais vous n’êtes pas protégée, vous êtes sans appui...» La dame se mit à rire et tendit cordialement la main à mon ami. C’était la fin de l’audience, il n’y avait qu’à se retirer en bon ordre. Ce qu’il fit. Il revint à l’assaut sans succès, et, ce qui est curieux, c’est qu’à mesure que l’obstacle grandissait, notre ami X... devenait amoureux de la fiancée récalcitrante.
— Ça, c’est très humain... Comment finit l’aventure ?
— De manière très imprévue. Le siège continuait depuis un an, la brèche du cœur refusant de s’ouvrir, lorsque certain jour, la belle reçut la visite de son notaire, venu pour régler quelques
Cliché Paul Boyer.
Joseph (M. Yves Martel)
Joseph: Madame n a plus d ordre à me donner?
Lucienne (M11« J. Thomassin)
THEATRE DES CAPUCINES. — LA PEUR
Cliché Paul Boyer.
oaétan : Je vous aime, Lucienne, voulez-vous être ma femme? gaétan de marsannb (M. Tarride)Lucienne (Mlle J. Thomassin)
THÉATRE DES CAPUCINES. — LA PEUR