Cliché Paul Boyer.
M. LE BARGY DANS SON CABINET DE TRAVAIL
JE causais, dernièrement, avec l aimable sociétaire de la Comédie-Française et lui demandais comment il s’était trouvé attiré vers le théâtre ? comment la vocation lui en était venue ? C’est, volontiers, la question qu’on pose en pareil cas, et la_ réponse est curieuse à connaître. Il est certain que le théâtre est toujours une vocation,
mais comment cette vocation naît-elle? Chez tous, le travail d’incubation n’est pas le même, et ne s’effectue pas de la même manière. La Clairon fut comédienne à huit ans,
comme le fut aussi la Duse, parce que c’étaient deux enfants de la balle, nées toutes deux sur le plancher du théâtre. Il en est d’autres, au contraire, dont la vocation ne s’est développée que par une série de circonstantes fortuites. Elle a été inconsciente d’abord, puis elle a pris corps, peu à peu, jusqu’au moment où elle est devenue irrésistible. Celles-ci ne sont, d’ailleurs, pas les moins sérieuses, ce sont même souvent les plus solides, parce que l’habitude ou la fantaisie n’y ont aucune part.
Ce fut le cas de Le Bargy, que son origine familiale et le milieu où il avait été élevé semblaient prédestiner à toute autre carrière que le théâtre, et qui s’est fait le comédien qu’il est, par sa volonté, par l’étude successive, et aussi par la mise en action de ses remarquables qualités naturelles.
Il est né à Paris, de bonne famille bourgeoise, mais il n’a pas été élevé dans la capitale, qu’il quitta à l’âge de huit ans pour suivre son père à Amiens. Celui-ci, ingénieur attaché au
chemin de fer du Nord, habitait la capitale de la Picardie, poulies exigences de son service, et ce fut au collège de cette ville que le futur Clitandre fit ses études. Le lycée d’Amiens est réputé des meilleurs, et l’un de ceux où l’enseignement est Je mieux donné. Le jeune Le Bargy était un des bons élèves, tenant volon
tiers la tête de sa classe et fort épris de culture littéraire. Il avait environ dix-sept ans lorsque, étant en rhétorique, il fonda,
avec plusieurs de ses camarades, un journal qui prit le titre de Vert-Vert, — le nom du perroquet fameux, qui sert d’épigraphe au poème de Gresset, est fort populaire à Amiens, patrie d’ori
gine du poète. — Le Vert-Vert parut pendant plusieurs mois. Il eut l’honneur de quelques correspondances avec le Tout
Paris littéraire de l’époque, entre autres Legouvé et Sarcey, ce dernier, on le sait, n’était pas avare de son encre, aussi écrivit-il quelques lettres au jeune Le Bargy, qu’il traita de « cher con
frère », ce qui ne laissa pas de flatter quelque peu l’amourpropre de notre collégien.
Vers 1877 ou 1878, je ne saurais dire au juste, l’Académie d’Amiens — il y a une académie à Amiens, académie provin
ciale fort érudite — mit au concours l’éloge de Gresset, éloge en vers, comme il convient, alors qu’il s’agit de célébrer un poète. Ce fut le jeune Le Bargy qui obtint le prix. Il avait alors la réputation d’être un lecteur habile, et passait pour savoir dire les vers. L’Académie ayant organisé une séance littéraire, il fut invité à venir déclamer lui-même son éloge couronné de Gresset, ce qu’il fit avec grand succès. Ce fut là, je crois,
M. LE BARGY DANS SON CABINET DE TRAVAIL
LE BARGY, de la Comédie-Française
JE causais, dernièrement, avec l aimable sociétaire de la Comédie-Française et lui demandais comment il s’était trouvé attiré vers le théâtre ? comment la vocation lui en était venue ? C’est, volontiers, la question qu’on pose en pareil cas, et la_ réponse est curieuse à connaître. Il est certain que le théâtre est toujours une vocation,
mais comment cette vocation naît-elle? Chez tous, le travail d’incubation n’est pas le même, et ne s’effectue pas de la même manière. La Clairon fut comédienne à huit ans,
comme le fut aussi la Duse, parce que c’étaient deux enfants de la balle, nées toutes deux sur le plancher du théâtre. Il en est d’autres, au contraire, dont la vocation ne s’est développée que par une série de circonstantes fortuites. Elle a été inconsciente d’abord, puis elle a pris corps, peu à peu, jusqu’au moment où elle est devenue irrésistible. Celles-ci ne sont, d’ailleurs, pas les moins sérieuses, ce sont même souvent les plus solides, parce que l’habitude ou la fantaisie n’y ont aucune part.
Ce fut le cas de Le Bargy, que son origine familiale et le milieu où il avait été élevé semblaient prédestiner à toute autre carrière que le théâtre, et qui s’est fait le comédien qu’il est, par sa volonté, par l’étude successive, et aussi par la mise en action de ses remarquables qualités naturelles.
Il est né à Paris, de bonne famille bourgeoise, mais il n’a pas été élevé dans la capitale, qu’il quitta à l’âge de huit ans pour suivre son père à Amiens. Celui-ci, ingénieur attaché au
chemin de fer du Nord, habitait la capitale de la Picardie, poulies exigences de son service, et ce fut au collège de cette ville que le futur Clitandre fit ses études. Le lycée d’Amiens est réputé des meilleurs, et l’un de ceux où l’enseignement est Je mieux donné. Le jeune Le Bargy était un des bons élèves, tenant volon
tiers la tête de sa classe et fort épris de culture littéraire. Il avait environ dix-sept ans lorsque, étant en rhétorique, il fonda,
avec plusieurs de ses camarades, un journal qui prit le titre de Vert-Vert, — le nom du perroquet fameux, qui sert d’épigraphe au poème de Gresset, est fort populaire à Amiens, patrie d’ori
gine du poète. — Le Vert-Vert parut pendant plusieurs mois. Il eut l’honneur de quelques correspondances avec le Tout
Paris littéraire de l’époque, entre autres Legouvé et Sarcey, ce dernier, on le sait, n’était pas avare de son encre, aussi écrivit-il quelques lettres au jeune Le Bargy, qu’il traita de « cher con
frère », ce qui ne laissa pas de flatter quelque peu l’amourpropre de notre collégien.
Vers 1877 ou 1878, je ne saurais dire au juste, l’Académie d’Amiens — il y a une académie à Amiens, académie provin
ciale fort érudite — mit au concours l’éloge de Gresset, éloge en vers, comme il convient, alors qu’il s’agit de célébrer un poète. Ce fut le jeune Le Bargy qui obtint le prix. Il avait alors la réputation d’être un lecteur habile, et passait pour savoir dire les vers. L’Académie ayant organisé une séance littéraire, il fut invité à venir déclamer lui-même son éloge couronné de Gresset, ce qu’il fit avec grand succès. Ce fut là, je crois,