d’Abou-Gosh, le guide de Chateaubriand; la seconde est celle de Térebinthe. Cette dernière, véritable oasis au milieu du désert, présente au voyageur un peu de fraîcheur à l’ombre des orangers et des figuiers qui croissent près du torrent desséché une partie de l’année, dont le lit forme le fond de la vallée; à partir de cet endroit le chemin monte par une pente abrupte, par des escaliers que la nature seule a taillés dans le rocher, jusqu’au plateau sur lequel se trouve la ville sainte, qu’un repli de terrain dérobe encore à la vue lorsque l’on est arrivé au sommet.
Ce n’est qu’à peu de distance de Jérusalem que l’on commence à apercevoir la longue ligne de fortifications du moyen âge qui l’enserre comme dans un linceul; la ville, placée sur la déclivité du plateau, descend par une pente assez rapide du côté du nord et de l’est vers la vallée au fond de laquelle se trouve le torrent de Cédron ; du côté de l’ouest et du nord, elle est un peu diminuée par le terrain,
et, pour l’apercevoir dans son ensemble, il faut monter à la montagne des Oliviers.
C’est en ce lieu que se célèbre la fête de l’Ascension ; c’est à l’endroit où, pour la dernière fois, Jésus apparutsur la terre, que l’Eglise catholique dresse ses autels; autels modestes, il est vrai, mais le lieu inspire d’assez grands souvenirs pour pouvoir se passer de riches ornements et de pompe mondaine.
différentes communions se partagent la garde du saint sépulcre et de tous les lieux saints : en tête se placent les Latins, les Grecs et les Arméniens; puis viennent les Coplites, les Abyssins, et deux ou trois autres sectes sépa
rées du catholicisme. Vous comprenez combien il doit être difficile de concilier les intérêts de chacun, et combien de combinaisons ont dû être mises en œuvre pour arriver à un partage à peu près égal des droits. Jadis les Turcs s’étaient chargés de cette mission, qui semble difficile au premier aspect; mais ils avaient trouvé moyen de simplifier tout cela, la victoire restant ordinairement, — c’est ce que disent les mauvaises langues, — à celui qui pouvait offrir la somme la plus forte, le tout sans préjudice des avanies dont ils pouvaient frapper les bons pères. Le traité intervenu dernière
ment entre les puissances a mis un terme à cet état de cho
ses. Les chrétiens sont demeurés gardiens des saints lieux, les Turcs n’en sont plus que les portiers.
Le sommet de la montagne des Oliviers, le lieu même où s’est accompli le dernier miracle du Christ sur la terre, est en grande vénération chez les musulmans ; là s élève une mosquée dont la garde est confiée à un santon, vieillard vénérable sachant tirer de sa position tout le parti possible, Cerbère vigilant, se laissant cependant attendrir au moyen de gâteaux présentés sous la forme de piastres. Une grande cour, au centre de laquelle se trouve une ancienne mosquée,
maintenant rendue au culte chrétien, occupe un des côtés des bâtiments, qui consistent en outre dans le logement et
le harem du santon et le lemple musulman. Le minaret est sur la façade principale de la cour, dominant l’ensemble des constructions; delà terrasse qui entoure son sommet, ou aperçoit les derniers contreforts des montagnes de la Judée baignant leur pied dans la mer Morte, une partie du cours du Jourdain, et à l’horizon les montagnes d’Arabie, qui dé
coupent leur silhouette peu accidentée sur un ciel d’une transparence, d’une limpidité et d’un éclat inconnus dans nos climats du Nord.
A la montagne des Oliviers, pour la fête de l’Ascension, ainsi que dans les autres lieux saints, lors de la commémo
ration des mystères de l’Eglise, les différentes communions chrétiennes ont été obligées de. s’entendre pour ne pas se troubler mutuellement dans l’exercice de leur culte ; elles se sont partagé les heures. Par suite de cet arrangement, les Latins ont la libre disposition de la chapelle, jadis mos
quée, qui est au centre de la cour, depuis minuit jusqu’à cinq heures du matin. Ils sont alors remplacés par les Ar
méniens ? qui occupent la place depuis sept heures jusqu’à midi, les deux heures intermédiaires étant destinées à l’en
lèvement de tout ce qui a servi au culte catholique et à l’installation des chapelles selon le rit arménien. — Quant aux Grecs, Cophtes,..Abyssins, etc., c’est dans la cour qu’ils dressent leurs autels, sur quelques bases de pilastres antiques incrustées dans le mur d’enceinte. — Mais, au cou
cher du soleil, les portes de Jérusalem se ferment; toute communication est interdite entre le jardin des Oliviers et la ville. Aussi faut-il d’avance prendre, ses précautions.
Des tentes, dressées dans la cour, abritent les religieux et les fidèles; des cuisines pour la collation et le café du soir sont installées, et, avant le coucher du soleil, on voit de longues files de chrétiens de toutes les communions gravir le sentier escarpé de la montagne. Qui n’a pas de place dans les tentes, qui ne s’est pas précautionné d’un abri,
couche en plein vent; mais au mois de niai, dans ce climat parfois trop favorisé du soleil, ce n’est pas une trop rude pénitence. D’ailleurs, les cérémonies commençant à minuit, on n’est pas obligé de patienter trop longtemps.
Depuis minuit jusqu’à cinq heures du matin, deux autels, dressés dans l’étroite enceinte de la mosquée, reçoivent successivement les pères franciscains ou les ecclésiastiques étran
gers au cours du pèlerinage qui viennent célébrer le sacrifice de la messe. Pendant tout ce temps, le service divin n’est pas interrompu; les deux autels sont simultanément occupés. Autour d’eux se presse la foule des fidèles; et c’est un spec
tacle. assez étrange de voir l’habit étriqué de l Européen ou le costume modeste et sombre des Pères de terre sainte confondus avec les vêtements amples, quelquefois splendides, toujours de couleurs éclatantes ou variées, des chrétiens (l’Orient. Ceux-ci, malgré leur ferveur, qu’ils manifes
tent d’une manière beaucoup plus expressive que nous ne sommes habitués de le voir en Europe, conservent cependant la plupart des usages de leur pays. C’est la tête cou
verte d’un turban qu’ils se présenteront dans l’église, à la sainte table; les femmes resteront la figure, cachée dans un mouchoir de couleur sombre et enveloppées de leur long
voile blanc pendant tout le temps des cérémonies ; mais l’Orient est le pays des contrastes; et le jour où le niveau de notre civilisation aura passé sur ces pays, adieu tout le
pittoresque 1 Ne serait-il pas beau de voir les habitants des montagnes de la Judée en blouse bleue, et vous figurezvous les bourgeois de Jérusalem ou de Damas en redingote à la propriétaire ?
Sous peu de temps, le voyage de Jérusalem, encore entouré de quelques difficultés, deviendra chose facile. Mar
seille, ce point central où viennent aboutir toutes les routes de l Orient, prépare, m’a-t-on dit, des espèces de trains de plaisir pour le pèlerinage de terre sainte. Si le projet se réalise, je suis convaincu que beaucoup de gens du monde, sans compter ceux que la dévotion peut attirer, change
ront leur itinéraire habituel, et abandonneront les bords du lîhin et les vallées de la Suisse pour les rives du Jourdain et les montagnes de la Palestine, et de l’Arabie.
Dans trois jours, je pars pour Constantinople. S’il y a quelque actualité, je plains les lecteurs de CIllustration.
Tout à vous, P. Blanchard.
En marge de la forêt deFontainebleau, —entre le joli village de Monligny, qui mire dans l’eau transparente du T,oing ses maisons à toits rouges et ses terrasses fleuries,
et Marlotte , un petit endroit dont le voisinage du Long- Roclier et de la Gorge-au-Loup fera bientôt une colonie de paysagistes, —il y a un large et long taillis que l’on appelle tes Trembleaux. c.e taillis sépare la forêt, à laquelle il n’appartient déjà plus, des terres labourables qui avoisi
nent le Loing, et quj creusent, entre. Jlourrou et Marlotte,
une sorte d’anse sablonneuse, encadrée de trois côtés par des promontoires de feuillage. Les Trembleaux sont un des plus jolis endroits où l’on puisse, par la belle saison, promener ses loisirs et ses rêveries. Les arbres y sont mi
gnons, les pentes douces, les roches abordables; le soleil y est caressant, l’ombre fraîche, le vent mesuré. C’est plein de petits sentiers à chèvres, bordés de bruyères à fleurs roses et de genêts à fleurs d’or; c’est, en un mot, une ré
duction exacte de cette forêt de Fontainebleau si connue, où l’on rencontre des arbres magnifiques et des sites d’une certaine valeur, mais où il est impossible de trouver rien de véritablement grandiose. J’en excepterai les effets de nuit. Franchard, vu par un clair de lune, arrive au fantastique: mais ce n’est plus la vérité, c’est du mirage.
Dans un coin des Trembleaux, à distance à peu près égale de Marlotte et de Montigny, s’élevait, sous des châ
taigniers, une petite maison bâtie en pierre, comme toutes les constructions d’un pays où le grès ne coûte que la peine de le ramasser. Cette maison, à laquelle un toit écrasé et couvert de chaume donnait une physionomie assez triste, se rachetait par une sorte, de pavillon, tout fier de son uni
que étage et de son toit de vieilles tuiles que tapissait une mousse d’un beau vert. Cette maison se composait d’une étable, déserte, d’une vaste pièce servant de cuisine et dans laquelle il y avait un lit, et d’un robuste escalier, à peine dégrossi à la hache, qui conduisait à la chambre haute, — la chambre du pavillon.
le fils aida sa mère à faire des paniers, et l’on atteignit ainsi, vaille que vaille, avec les derniers jours de mars, la saison des premiers soleils et des premiers travaux.
Mais l’hiver revient tous les ans. Le premier ayant tout emporté, le second trouva le pauvre ménage dépourvu.
Pour surcroît, il fut si rude, qu’il fallait remonter à l’hiver de 1830 pour lui chercher un point de comparaison. La gêne des premiers jours devint bientôt de la détresse, et la détresse alla en empirant, — si bien, qu’un soir de janvier, il n’y avait plus à la Maisonnette ni argent ni pain.
M * Boiteux, déjà vieille, et affectée de celte misère contre laquelle elle s’épuisait dans une lutte ingrate, en était devenue malade. Assise, au coin du feu de la cuisine, elle se demandait tristement ce qu’ils allaient devenir, elle et son fils. La journée, avançait. Isidore était «orti dès le matin, essayant de trou ?er de l’ouvrage.
— Pourvu qu’il réussisse! pensait la veuve.
Sur ces entrefaites, il rentra, les sourcils oontraclés par le désappointement. Otant d’un mouvement brusque son chapeau blanc de givre, il le secoua et le jeta avec humeur sur son lit. Sa mère le regarda; il répondit par un geste découragé, et alla s’appuyer à l’autre angle de la cheminée. Tout cela sans un mot. Ils ne se disaient rien, n’ayant rien
à se dire que de triste, et préférant s’enfermer chacun dans l’amertume de ses pensées.
Ce silence dura longtemps. Le jour baissait. Mme Boiteux soupira.
— Vous souffrez, ma mère ? demanda Isidore.
— Non, mon enfant, non. On n’a donc pas voulu de toi aux carrières ?
— L’ouvrage ne va pas. Il gèle trop. Et deux mois d’hiver encore... deux mois à se croiser les bras !
— Espérons en Dieu, mon fils, et songeons à lui dans notre détresse. Il n’abandonne jamais les siens.
— J’ai rencontré M. le curé de .Montigny, qui m’a promis de. vous venir voir.
— Quand l’as-tu rencontré ? — Ce matin.
— Il tarde bien, dit la veuve à voix basse, comme se parlant à elle-même.
Mais Isidore l’entendit, et cette phrase le bouleversa. Croyant deviner que sa pauvre mère, pour ne pas l’attris
ter encore davantage, lui déguisait une partie de la misère qui les accablait, il voulut tout savoir.
— La nuit vient, ma mère, dit-il lentement. Si nous soupions? Nous nous coucherons ensuite, et nous essayerons de. dormir... On oublie quand on dort. — Mon ami, c’est que... — Quoi donc ?
— J’ai donné une commission à la mère Jean, qui allait à Fontainebleau... et elle n’est pas encore revenue. — A Fontainebleau ?... Quoi faire ?
— Une commission tout ordinaire... à propos du ménage.
— Vous me cachez quelque chose. Mais la mère Jean va venir, et je saurai de quoi il s’agit. En l’attendant, soupons.
— Justement, c’est que, pour souper, il faut que la mère Jean soit arrivée.
— Ni pain, ni argent. Je lui ai donné ma vieille couverture tu sais?.......Je n’en ai presque plus besoin.
— Plus besoin? au cœur de l’hiver !.. - Pas de pain !... Malheureux que je suis , et je ne sais rien, je ne peux rien faire.—C’est qu’on n’a pas de quoi vivre longtemps avec le
prix d’une méchante couverture, et que les nuits sont Ion-’ gués quand on les passe dans un lit glacé. Ah ! ma mère, Dieu nous abandonne.
La mère Jean entra, un paquet sous le bras. — Me voilà, dit-elle.
— Eh bien ? demanda la veuve.
— Et voilà votre couverture, répondit la mère Jean. Impossible de la vendre, et d’en tirer peu ou prou.
Isidore regarda sa mère. M ,e Boiteux leva les yeux vers le ciel. Une larme coula sur sa joue, lente, douloureuse,
glacée, une de ces larmes silencieuses qui creusent, tant elles sont amères, un ineffaçable sillon.
— Quel hiver ! dit la mère Jean. Jusqu’aux bêtes qui pleurent le froid et la faim. J’ai rencontré une biche de ce côté-ci de la grand’mare. Dam! il y a plus d’un pied de neige en forêt.
— Et vous, ma bonne mère Jean, qui par ce temps-là venez de Marlotte tout exprès pour moi !
— Oh ! que ça ne vous tourmente pas. Voyons, ajoutat-elle en regardant la veuve et son fils d’un air compatissant, vous n’avez pas trop l’air à votre aise, ici... Qu’est-ce que je pourrais pour vous, là, franchement ?
— Mais... rien, ma bonne mère Jean, répondit la veuve. Je vous remercie.
M”e Boiteux, comme toutes les personnes qui ont vécu dans une situation plus heureuse, avait honte de sa misère, et sauf de la part des gens qui avaient su tirer d’elle cette confidence difficile, — M. le curé de Montigny, par exem
ple, — elle serait morte avant de solliciter ou même d’accepter un secours.
Isidore cependant, qui pouvait sonder maintenant la profondeur de leur détresse, se promenait dans la cuisine, écoulant sans y prendre garde les propos de la mère Jean, et fixant tour à tour d’un regard inquiet les meubles et les murs, comme pour y chercher un moyen de salut dans cette extrémité. Or, il se trouva qu’au moment où la mère Jean parlait de la biche rencontrée près de la grand’mare, les
La Maisonnette était occupée par une pauvre veuve, que personne cependant ne se serait avisé d’appeler autrement que madame Boiteux, et par son fils Isidore, beau jeune homme de vingt et un ans, taillé en force, l’œil intelligent, le visage sympathique, que tout le monde aimait, filles et gar
M”,c Boiteux, veuve de l’ancien maître d’école de Montigny, ne possédait aucune fortune. La Maisonnette, qu’elle tenait à bail, lui coûtait cinquante francs par an. Elle en gagnait cent peut-être à tricoter des bas de laine et à fabri
quer des paniers d’osier, qu’un collecteur ramassait pour les vendre ensuite aux marchés de Nemours et de More!. Isi
dore, de son côté, faisait son possible : mais son possible n’allait pas loin. Dès l’enfance, son père, au lieu de lui donner un état, avait essayé de le mettre à même de lui suc
avait mal calculé, et mourut avant de s’en apercevoir. Pour être maître d’école, -— on dit maintenant instituteur, — il faut avoir pris des grades et subi des épreuves difficiles. Isidore, n’ayant pour bagage qu’une éducation très-sommaire, et pour recommandation que les services déjà oubliés de son père, fut évincé par un plus savant.
Au commencement de son veuvage, M“* Boiteux avait quelque argent : on en vécut, et comme on comptait pour Isidore sur l’emploi qu’il sollicitait, le meilleur passa en livres et en menus frais de voyage et d’habillement. Quand cette espérance fut détruite, il venait de, tirer le numéro 7 à la conscription, et c’est à peine s’il restait à M Boiteux la monnaie de son dernier écu. — Heureusement pour tous deux, Isidore se trouvait dans la catégorie privilégiée des ft’s uniques de veuve. En conséquence il ne fut pas appelé.
Le travail des champs n’est pas lucratif. Mais Isidore avait du courage : il ferma ses livres, oublia la moitié de ce qu’il en avait retenu, et se nht à la besogne avec ardeur. Il était fort et plein de bonne volonté. On le nourrissait, et il gagnait trente sous par jour, quelquefois quarante. Tout allait bien... quand vint l’hiver, qu’il faut chômer.—On vendit quelques meubles d’une nécessité moins indispensable,
(1) La reproduction est interdite.
Ce n’est qu’à peu de distance de Jérusalem que l’on commence à apercevoir la longue ligne de fortifications du moyen âge qui l’enserre comme dans un linceul; la ville, placée sur la déclivité du plateau, descend par une pente assez rapide du côté du nord et de l’est vers la vallée au fond de laquelle se trouve le torrent de Cédron ; du côté de l’ouest et du nord, elle est un peu diminuée par le terrain,
et, pour l’apercevoir dans son ensemble, il faut monter à la montagne des Oliviers.
C’est en ce lieu que se célèbre la fête de l’Ascension ; c’est à l’endroit où, pour la dernière fois, Jésus apparutsur la terre, que l’Eglise catholique dresse ses autels; autels modestes, il est vrai, mais le lieu inspire d’assez grands souvenirs pour pouvoir se passer de riches ornements et de pompe mondaine.
différentes communions se partagent la garde du saint sépulcre et de tous les lieux saints : en tête se placent les Latins, les Grecs et les Arméniens; puis viennent les Coplites, les Abyssins, et deux ou trois autres sectes sépa
rées du catholicisme. Vous comprenez combien il doit être difficile de concilier les intérêts de chacun, et combien de combinaisons ont dû être mises en œuvre pour arriver à un partage à peu près égal des droits. Jadis les Turcs s’étaient chargés de cette mission, qui semble difficile au premier aspect; mais ils avaient trouvé moyen de simplifier tout cela, la victoire restant ordinairement, — c’est ce que disent les mauvaises langues, — à celui qui pouvait offrir la somme la plus forte, le tout sans préjudice des avanies dont ils pouvaient frapper les bons pères. Le traité intervenu dernière
ment entre les puissances a mis un terme à cet état de cho
ses. Les chrétiens sont demeurés gardiens des saints lieux, les Turcs n’en sont plus que les portiers.
Le sommet de la montagne des Oliviers, le lieu même où s’est accompli le dernier miracle du Christ sur la terre, est en grande vénération chez les musulmans ; là s élève une mosquée dont la garde est confiée à un santon, vieillard vénérable sachant tirer de sa position tout le parti possible, Cerbère vigilant, se laissant cependant attendrir au moyen de gâteaux présentés sous la forme de piastres. Une grande cour, au centre de laquelle se trouve une ancienne mosquée,
maintenant rendue au culte chrétien, occupe un des côtés des bâtiments, qui consistent en outre dans le logement et
le harem du santon et le lemple musulman. Le minaret est sur la façade principale de la cour, dominant l’ensemble des constructions; delà terrasse qui entoure son sommet, ou aperçoit les derniers contreforts des montagnes de la Judée baignant leur pied dans la mer Morte, une partie du cours du Jourdain, et à l’horizon les montagnes d’Arabie, qui dé
coupent leur silhouette peu accidentée sur un ciel d’une transparence, d’une limpidité et d’un éclat inconnus dans nos climats du Nord.
A la montagne des Oliviers, pour la fête de l’Ascension, ainsi que dans les autres lieux saints, lors de la commémo
ration des mystères de l’Eglise, les différentes communions chrétiennes ont été obligées de. s’entendre pour ne pas se troubler mutuellement dans l’exercice de leur culte ; elles se sont partagé les heures. Par suite de cet arrangement, les Latins ont la libre disposition de la chapelle, jadis mos
quée, qui est au centre de la cour, depuis minuit jusqu’à cinq heures du matin. Ils sont alors remplacés par les Ar
méniens ? qui occupent la place depuis sept heures jusqu’à midi, les deux heures intermédiaires étant destinées à l’en
lèvement de tout ce qui a servi au culte catholique et à l’installation des chapelles selon le rit arménien. — Quant aux Grecs, Cophtes,..Abyssins, etc., c’est dans la cour qu’ils dressent leurs autels, sur quelques bases de pilastres antiques incrustées dans le mur d’enceinte. — Mais, au cou
cher du soleil, les portes de Jérusalem se ferment; toute communication est interdite entre le jardin des Oliviers et la ville. Aussi faut-il d’avance prendre, ses précautions.
Des tentes, dressées dans la cour, abritent les religieux et les fidèles; des cuisines pour la collation et le café du soir sont installées, et, avant le coucher du soleil, on voit de longues files de chrétiens de toutes les communions gravir le sentier escarpé de la montagne. Qui n’a pas de place dans les tentes, qui ne s’est pas précautionné d’un abri,
couche en plein vent; mais au mois de niai, dans ce climat parfois trop favorisé du soleil, ce n’est pas une trop rude pénitence. D’ailleurs, les cérémonies commençant à minuit, on n’est pas obligé de patienter trop longtemps.
Depuis minuit jusqu’à cinq heures du matin, deux autels, dressés dans l’étroite enceinte de la mosquée, reçoivent successivement les pères franciscains ou les ecclésiastiques étran
gers au cours du pèlerinage qui viennent célébrer le sacrifice de la messe. Pendant tout ce temps, le service divin n’est pas interrompu; les deux autels sont simultanément occupés. Autour d’eux se presse la foule des fidèles; et c’est un spec
tacle. assez étrange de voir l’habit étriqué de l Européen ou le costume modeste et sombre des Pères de terre sainte confondus avec les vêtements amples, quelquefois splendides, toujours de couleurs éclatantes ou variées, des chrétiens (l’Orient. Ceux-ci, malgré leur ferveur, qu’ils manifes
tent d’une manière beaucoup plus expressive que nous ne sommes habitués de le voir en Europe, conservent cependant la plupart des usages de leur pays. C’est la tête cou
verte d’un turban qu’ils se présenteront dans l’église, à la sainte table; les femmes resteront la figure, cachée dans un mouchoir de couleur sombre et enveloppées de leur long
voile blanc pendant tout le temps des cérémonies ; mais l’Orient est le pays des contrastes; et le jour où le niveau de notre civilisation aura passé sur ces pays, adieu tout le
pittoresque 1 Ne serait-il pas beau de voir les habitants des montagnes de la Judée en blouse bleue, et vous figurezvous les bourgeois de Jérusalem ou de Damas en redingote à la propriétaire ?
Sous peu de temps, le voyage de Jérusalem, encore entouré de quelques difficultés, deviendra chose facile. Mar
seille, ce point central où viennent aboutir toutes les routes de l Orient, prépare, m’a-t-on dit, des espèces de trains de plaisir pour le pèlerinage de terre sainte. Si le projet se réalise, je suis convaincu que beaucoup de gens du monde, sans compter ceux que la dévotion peut attirer, change
ront leur itinéraire habituel, et abandonneront les bords du lîhin et les vallées de la Suisse pour les rives du Jourdain et les montagnes de la Palestine, et de l’Arabie.
Dans trois jours, je pars pour Constantinople. S’il y a quelque actualité, je plains les lecteurs de CIllustration.
Tout à vous, P. Blanchard.
La Maisonnette (1).
NOUVELLE.
En marge de la forêt deFontainebleau, —entre le joli village de Monligny, qui mire dans l’eau transparente du T,oing ses maisons à toits rouges et ses terrasses fleuries,
et Marlotte , un petit endroit dont le voisinage du Long- Roclier et de la Gorge-au-Loup fera bientôt une colonie de paysagistes, —il y a un large et long taillis que l’on appelle tes Trembleaux. c.e taillis sépare la forêt, à laquelle il n’appartient déjà plus, des terres labourables qui avoisi
nent le Loing, et quj creusent, entre. Jlourrou et Marlotte,
une sorte d’anse sablonneuse, encadrée de trois côtés par des promontoires de feuillage. Les Trembleaux sont un des plus jolis endroits où l’on puisse, par la belle saison, promener ses loisirs et ses rêveries. Les arbres y sont mi
gnons, les pentes douces, les roches abordables; le soleil y est caressant, l’ombre fraîche, le vent mesuré. C’est plein de petits sentiers à chèvres, bordés de bruyères à fleurs roses et de genêts à fleurs d’or; c’est, en un mot, une ré
duction exacte de cette forêt de Fontainebleau si connue, où l’on rencontre des arbres magnifiques et des sites d’une certaine valeur, mais où il est impossible de trouver rien de véritablement grandiose. J’en excepterai les effets de nuit. Franchard, vu par un clair de lune, arrive au fantastique: mais ce n’est plus la vérité, c’est du mirage.
Dans un coin des Trembleaux, à distance à peu près égale de Marlotte et de Montigny, s’élevait, sous des châ
taigniers, une petite maison bâtie en pierre, comme toutes les constructions d’un pays où le grès ne coûte que la peine de le ramasser. Cette maison, à laquelle un toit écrasé et couvert de chaume donnait une physionomie assez triste, se rachetait par une sorte, de pavillon, tout fier de son uni
que étage et de son toit de vieilles tuiles que tapissait une mousse d’un beau vert. Cette maison se composait d’une étable, déserte, d’une vaste pièce servant de cuisine et dans laquelle il y avait un lit, et d’un robuste escalier, à peine dégrossi à la hache, qui conduisait à la chambre haute, — la chambre du pavillon.
Dans le pays .on appelait cette habitation la Maisonnette.
le fils aida sa mère à faire des paniers, et l’on atteignit ainsi, vaille que vaille, avec les derniers jours de mars, la saison des premiers soleils et des premiers travaux.
Mais l’hiver revient tous les ans. Le premier ayant tout emporté, le second trouva le pauvre ménage dépourvu.
Pour surcroît, il fut si rude, qu’il fallait remonter à l’hiver de 1830 pour lui chercher un point de comparaison. La gêne des premiers jours devint bientôt de la détresse, et la détresse alla en empirant, — si bien, qu’un soir de janvier, il n’y avait plus à la Maisonnette ni argent ni pain.
M * Boiteux, déjà vieille, et affectée de celte misère contre laquelle elle s’épuisait dans une lutte ingrate, en était devenue malade. Assise, au coin du feu de la cuisine, elle se demandait tristement ce qu’ils allaient devenir, elle et son fils. La journée, avançait. Isidore était «orti dès le matin, essayant de trou ?er de l’ouvrage.
— Pourvu qu’il réussisse! pensait la veuve.
Sur ces entrefaites, il rentra, les sourcils oontraclés par le désappointement. Otant d’un mouvement brusque son chapeau blanc de givre, il le secoua et le jeta avec humeur sur son lit. Sa mère le regarda; il répondit par un geste découragé, et alla s’appuyer à l’autre angle de la cheminée. Tout cela sans un mot. Ils ne se disaient rien, n’ayant rien
à se dire que de triste, et préférant s’enfermer chacun dans l’amertume de ses pensées.
Ce silence dura longtemps. Le jour baissait. Mme Boiteux soupira.
— Vous souffrez, ma mère ? demanda Isidore.
— Non, mon enfant, non. On n’a donc pas voulu de toi aux carrières ?
— L’ouvrage ne va pas. Il gèle trop. Et deux mois d’hiver encore... deux mois à se croiser les bras !
— Espérons en Dieu, mon fils, et songeons à lui dans notre détresse. Il n’abandonne jamais les siens.
— J’ai rencontré M. le curé de .Montigny, qui m’a promis de. vous venir voir.
— Quand l’as-tu rencontré ? — Ce matin.
— Il tarde bien, dit la veuve à voix basse, comme se parlant à elle-même.
Mais Isidore l’entendit, et cette phrase le bouleversa. Croyant deviner que sa pauvre mère, pour ne pas l’attris
ter encore davantage, lui déguisait une partie de la misère qui les accablait, il voulut tout savoir.
— La nuit vient, ma mère, dit-il lentement. Si nous soupions? Nous nous coucherons ensuite, et nous essayerons de. dormir... On oublie quand on dort. — Mon ami, c’est que... — Quoi donc ?
— J’ai donné une commission à la mère Jean, qui allait à Fontainebleau... et elle n’est pas encore revenue. — A Fontainebleau ?... Quoi faire ?
— Une commission tout ordinaire... à propos du ménage.
— Vous me cachez quelque chose. Mais la mère Jean va venir, et je saurai de quoi il s’agit. En l’attendant, soupons.
— Justement, c’est que, pour souper, il faut que la mère Jean soit arrivée.
— Pas de pain ici !... Est-ce possible?
— Ni pain, ni argent. Je lui ai donné ma vieille couverture tu sais?.......Je n’en ai presque plus besoin.
— Plus besoin? au cœur de l’hiver !.. - Pas de pain !... Malheureux que je suis , et je ne sais rien, je ne peux rien faire.—C’est qu’on n’a pas de quoi vivre longtemps avec le
prix d’une méchante couverture, et que les nuits sont Ion-’ gués quand on les passe dans un lit glacé. Ah ! ma mère, Dieu nous abandonne.
La mère Jean entra, un paquet sous le bras. — Me voilà, dit-elle.
— Eh bien ? demanda la veuve.
— Et voilà votre couverture, répondit la mère Jean. Impossible de la vendre, et d’en tirer peu ou prou.
Isidore regarda sa mère. M ,e Boiteux leva les yeux vers le ciel. Une larme coula sur sa joue, lente, douloureuse,
glacée, une de ces larmes silencieuses qui creusent, tant elles sont amères, un ineffaçable sillon.
— Quel hiver ! dit la mère Jean. Jusqu’aux bêtes qui pleurent le froid et la faim. J’ai rencontré une biche de ce côté-ci de la grand’mare. Dam! il y a plus d’un pied de neige en forêt.
— Et vous, ma bonne mère Jean, qui par ce temps-là venez de Marlotte tout exprès pour moi !
— Oh ! que ça ne vous tourmente pas. Voyons, ajoutat-elle en regardant la veuve et son fils d’un air compatissant, vous n’avez pas trop l’air à votre aise, ici... Qu’est-ce que je pourrais pour vous, là, franchement ?
— Mais... rien, ma bonne mère Jean, répondit la veuve. Je vous remercie.
M”e Boiteux, comme toutes les personnes qui ont vécu dans une situation plus heureuse, avait honte de sa misère, et sauf de la part des gens qui avaient su tirer d’elle cette confidence difficile, — M. le curé de Montigny, par exem
ple, — elle serait morte avant de solliciter ou même d’accepter un secours.
Isidore cependant, qui pouvait sonder maintenant la profondeur de leur détresse, se promenait dans la cuisine, écoulant sans y prendre garde les propos de la mère Jean, et fixant tour à tour d’un regard inquiet les meubles et les murs, comme pour y chercher un moyen de salut dans cette extrémité. Or, il se trouva qu’au moment où la mère Jean parlait de la biche rencontrée près de la grand’mare, les
La Maisonnette était occupée par une pauvre veuve, que personne cependant ne se serait avisé d’appeler autrement que madame Boiteux, et par son fils Isidore, beau jeune homme de vingt et un ans, taillé en force, l’œil intelligent, le visage sympathique, que tout le monde aimait, filles et gar
çons : ies uns pour sa bonne humeur, ef les autres pour sa bonne mine.
M”,c Boiteux, veuve de l’ancien maître d’école de Montigny, ne possédait aucune fortune. La Maisonnette, qu’elle tenait à bail, lui coûtait cinquante francs par an. Elle en gagnait cent peut-être à tricoter des bas de laine et à fabri
quer des paniers d’osier, qu’un collecteur ramassait pour les vendre ensuite aux marchés de Nemours et de More!. Isi
dore, de son côté, faisait son possible : mais son possible n’allait pas loin. Dès l’enfance, son père, au lieu de lui donner un état, avait essayé de le mettre à même de lui suc
céder en qualité de maître d’école. Mais le pauvre homme
avait mal calculé, et mourut avant de s’en apercevoir. Pour être maître d’école, -— on dit maintenant instituteur, — il faut avoir pris des grades et subi des épreuves difficiles. Isidore, n’ayant pour bagage qu’une éducation très-sommaire, et pour recommandation que les services déjà oubliés de son père, fut évincé par un plus savant.
Au commencement de son veuvage, M“* Boiteux avait quelque argent : on en vécut, et comme on comptait pour Isidore sur l’emploi qu’il sollicitait, le meilleur passa en livres et en menus frais de voyage et d’habillement. Quand cette espérance fut détruite, il venait de, tirer le numéro 7 à la conscription, et c’est à peine s’il restait à M Boiteux la monnaie de son dernier écu. — Heureusement pour tous deux, Isidore se trouvait dans la catégorie privilégiée des ft’s uniques de veuve. En conséquence il ne fut pas appelé.
Le travail des champs n’est pas lucratif. Mais Isidore avait du courage : il ferma ses livres, oublia la moitié de ce qu’il en avait retenu, et se nht à la besogne avec ardeur. Il était fort et plein de bonne volonté. On le nourrissait, et il gagnait trente sous par jour, quelquefois quarante. Tout allait bien... quand vint l’hiver, qu’il faut chômer.—On vendit quelques meubles d’une nécessité moins indispensable,
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