Les journaux français et étrangers ont annoncé, l’an
née dernière, qu’on venait de retrouver dans l’église de Sainte-Croix à Florence, de magnifiques fresques deGiotto qui avaient été badigeon
nées à l’époque néfaste où Bernini tenait le sceptre des arts et Marini celui de la poé
sie. Voici comment et par qui ces fresques ont été ren
dues à la lumière du jour, qu’elles n’auraient jamais dû perdre.
M. Charles Morelli, peintre distingué de Borne, établi à Florence sous les auspices du prince Anatole de Demidolf, avait été chargé par les religieux de Sainte-Croix de décorer de peintures .à fres
que une des dix chapelles du transept de cette basili
que. Se rappelant avoir lu dans Vasari que cette cha
pelle avait été peinte par Giotto ainsi que les deux au
tres parallèles, M. Morelli, avant de commencer ses travaux, l’examina attentive
ment de tous côtés pour s’assurer si elle ne présentait
Les fresques de Giotto nouvellement découvertes à Florence. Les obsèques de saint François d’Assises. —Dessin de Marc; gravure de Best, Hotelin et Cie.
reur et de colère. L’un d’eux, saisi d’une consternation pro
fonde, cache son visage dans sa main droite enveloppée dans un pan de sa draperie. Plus près du sultan on aper
çoit deux jeunes Maures au teintbronzé, vêtus d’une robe blanche et coiffés d’un tur
ban blanc. La figure de saint François est vraiment inspi
rée ; son regard étincelle, sa bouche parle. Derrière lui on remarque un moine qui l’écoute avec la plus reli


gieuse attention, et que ses


paroles paraissent plonger dans une délicieuse extase. Ses deux mains, à moitié enfoncées dans les longues man
ches de son habit, se joignent dans l’attitude de la médi
tation et du respect. Le fond est décoré d’ornements mau
resques peints de diverses nuances, parmi lesquelles le vert est la couleur dominante.
Dans le troisième compartiment de cette paroi l’ar
tiste florentin a représenté la vision du pape Innocent üf. Ce pontife est cou
plus de traces de ces précieux ouvrages. En regardant à l’arcade ogivale de l’entrée, il crut apercevoir des auréoles en relief couvertes par le badigeon ; ce fut pour lui un trait de lumière ; il ne douta plus que les anciennes peintures existassent encore. Il communiqua ses soupçons, ou plutôt ses espérances, au supérieur du couvent, et s’em
pressa de lui déclarer qu’il ne se mettrait à l’ouvrage qu’après avoir éclairci ses doutes. Le 2h octobre, on dé
tacha les boiseries de l’autel, et, à la place laissée vide par cet enlèvement, on trouva deux figures peintes à fres
que sur la muraille. M. Morelli se met immédiatement à gratter les grandes parois latérales qui étaient tout à fait blanches, et découvre bientôt, sous la croûte de plâtre qui les cache, des têtes, des mains, des figures entières d’une conservation parfaite. Il appelle les moines pour leur faire partager sa joie et son admiration. Il est décidé qu’on déblancïiira toute la chapelle et qu’on rendra autant que possible à l’œuvre de Giotto son ancienne splendeur.
M. Morelli continua avec ardeur son travail de débadigeonnement, et au bout de quelques jours la plupart des fresques étaient dégagées. Il eut soin de faire des calques des principales figures de chaque composition, et c’est d’a­
près ces calques, qu’il a bien voulu nous communiquer, qu’ont été faits les dessins que nous publions.
Malheureusement, de 1819 à 1820, on éleva successivement dans cette chapelle deux mausolées de marbre qui furent incrustés dans les parois latérales, opération qui exigea qu’on coupât le mur dans une grande partie de sa lon


gueur, et qu’on mutilât par conséquent, sans le savoir et


sans le vouloir, les deux compartiments inférieurs des peintures de l’illustre élève de Cimabué.
Ces peintures représentent différents traits de la vie de saint François d’Assises. Chacune des parois qu’elles déco
rent est divisée en trois tableaux, un dans la lunette, un dans le bas et un autre dans la partie intermédiaire.
Dans la lunette de la paroi méridionale l’artiste a représenté saint François recevant du pape Innocent III la bulle qui approuve l’institution de l’ordre des franciscains. Le pontife est assis sur un fauteuil autour duquel se tiennent des évêques et des cardinaux. Au pied de l’estrade on voit saint François à genoux au milieu de ses moines, dont les têtes, au nombre de douze, sont d’une rare beauté.
Une plale-blande à guillochis sépare cette composition de celle qui est au-dessous, et qui nous montre saint François devant le sultan d’Egypte Mélédin. Ce prince est assis sur un trône couvert d’ornements gothiques et supporté par des colonnettes torses. L’expression de sa figure est admi


rable ; sa barbe est d’un travail si précieux, qu’on en pour


rait presque compter tous les poils. Il est coilîé d’un turban
blanc surmonté d’une couronne. Il est vêtu d’une tunique jaune damassée, pardessus laquelle flotte un manteau rouge d’un ton très-chaud. De la main gauche il relève le bord de ce manteau ; la droite est tournée vers saint François. Il
fixe ses regards sur les ulémas et les visirs qui forment sa. cour, et que le langage de l’apôtre chrétien remplit d’hor
Vision du pape Innocent III. — Dessin de Marc ; gravure de Best,
Hotelin et Cie.


Le sultan Mélédin. — Dessin de Marc ; gravure de Best, Hotelin


et Cie.
ché sur son lit; une de ses mains est posée sous sa joue et lui sert d’oreiller. Près de son chevet se tient age
nouillé un jeune prélat en soutane rouge ; il appuie sur sa main droite son front appesanti par le sommeil ; il laisse son bras gauche tomber de lassitude à ses côtés. Jamais le génie d’un peintre n’a mieux exprimé ci l’aide du crayon et du pinceau cet état d’abattement et de prostration qui naît d’une veille trop prolongée. Ces deux magnifiques figures sont tout ce qui subsiste de cette composition ; les autres sont irréparablement perdues par suite de la construction de l’un des tombeaux dont nous avons parlé plus haut.
La lunette de l’autre paroi n’était pas encore assez dégagée quand j’ai vu la chapelle pour qu’on pût se faire une idée même approximative du sujet qui y est traité. Le compartiment situé au-dessous, et qui est entièrement déblan


chi, ne renferme qu’une composition d’une importance tout à fait secondaire.


En revanche, le troisième encadrement de cette même paroi nous offre une des plus belles pages de la peinture à fresque ou tnichographie, selon l expression grecque. Ce sont les obsèques de saint François. Malheureusement l’insertion au beau milieu du mur du second des deux tom
beaux posés en 1820 a fait disparaître sans retour une bonne moitié de cette peinture. Dans ce qui en reste, on voit le cercueil où est déposé le corps du saint; devant lui est une ligure couverte d’une robe rouge d’un coloris si brillant, qu’on trouverait difficilement son pareil dans les ouvrages des anciens maîtres. Un religieux se tient à ge


noux auprès du catafalque; il est revêtu d’une draperie




Arnolfe de Lapo, architecte. — Dessin de Marc; gravure de Best,


Hotelin et Cie.