ciel. A droite, sur le second plan, on aperçoit l’extrémité de l’île d’Elephantine dont les frais ombrages et les champs couverts, de verdure contrastent si agréablement avec le sol aride, les sables étincelants et les mamelons noirâtres d’alentour, que les Egyptiens Font appelée File fleurie, Djéziret e -Zahar. Près des dattiers, on voit un ancien quai romain où se trouve le fameux nilomètre décrit par Strabon; derrière, s’élève une butte de décombres que couronnent les débris d’un temple égyptien ; au delà, poin
tent les roches à fleur d’eau de la cataracte; puis, au fond, se dessine la chaîne de montagnes qui sert de rempart aux sables de la Libye. Cette vue, une des plus pittoresques de 1 Egypte, rappelle des souvenirs de toutes les époques de l’histoire.
Aux paysages succèdent des costumes dessinés et lithographiés par AI. Bida avec une vérité dont le daguerréotype nous semblait seul capable. Il est difficile de mieux saisir le type, la desirwoïture, les poses habituelles de tous les ha
bitants de l’Egypte, — depuis l’humble fellah avili sous le joug ottoman, jusqu’au Fier arnautile ou soldat albanais qui sert d’instrument â l’oppresseur ; — depuis le Coi te et le Nubien, rejetons plus ou moins purs de l’ancienne race autochthone, jusqu’à la race conquérante asservie à son tour par les descendants d’Osman, — depuis le pauvre ailier au service de tout chaland juif ou chrétien, jusqu’à l arabe du l/edjàz, qui ne reconnaît que Dieu pour maître et menace constamment les sectaleurs de Mahomet et d’Aly.
A ces divers types masculins succèdent les types féminins des races qui peuplent l’Egypte, depuis la pauvre fel
lah, qui court les rues vêtue d’une simple et large chemise bleue, portant une bal/as (amphore) sur la tête ou un en
fant à cheval sur son épaule, jusqu’aux bourgeois copies et arabes vêtus de soie el de cachemire, le visage couvert d’un long b rurko, et enveloppés de la tête aux pieds dans un meiai:e rayé de toutes couleurs.
Les deux planches reproduites ici nous font pénétrer dans la vie du Harem , ce sanctuaire où la civilisalion eu
ropéenne, qui déjà a tant modifié les mœurs islamiques, et en particulier les mœurs égyptiennes, s’est arrêtée impuis
sante. Les costumes et les usages des i emmes du Kaire sont restés ce qu’ils étaient au siècle dernier, et même ils n’ont guère subi de changements notables depuis l’époque des Mille et une Midis. Ces deux vignettes donnent une idée du costume simple, élégant et commode des Egyptiennes,
Une chemise à larges manches, un gilet brodé, d’amples caleçons et une ceinture qui relie ces deux parties du vête
ment, forme le costume habituel des bourgeoises dans leur intérieur. A cet habillement qui permet de vaquer aux tra
vaux du ménage, les dames qui n’ont pas à s’occuper de pareils soins ajoutent un ample surtout. C’est une grande robe appelée ya ak, taillée dans sa partie supérieure comme un eutery serrant la taille sur les hanches et descendant jusqu’aux pieds. Elle est boutonnée sur le devant de toute la longueur de la taille, et ouverte des deux côlés à partir de la ceinture. Les manches pressent le bras, s’élargissent aux coudes, et de là descendent jusqu’au bas de la robe. La coiffure est aussi simple que le costume. Les cheveux, tres
sés et ornés de paillettes ou de monnaies d’or, flottent sur les épaules. Le reste de la coiffure se compose d’une petile calotte rouge autour de laquelle les femmes disposent un mouchoir de crêpe ou de mousseline richement brodée, des bouillons de soie de toutes couleurs, quelques monnaies et des bijoux.
Les dames même ne portent point de bas; leurs jolis pieds, que n’a point déformés une étroite chaussure, sont aussi soignés, aussi bien entretenus que leurs mains. Une babouche en maroquin jaune ou en velours richement brodé, espèce de soulier pointu, dépourvu de quartier et de cordons, est la chaussure ordinaire.
Les Egyptiennes se préoccupent beaucoup de leur toilette et ont imaginé plusieurs pratiques curieuses pour relever leurs charmes naturels. Au lieu de laisser croître li
brement leurs sourcils, elles en diminuent la largeur et n’en conservent qu’un arc très-mince. Elles teignent en noir le bord de leurs paupières avec une préparation d’antimoine appelée kohl.
Pour faire ressortir la blancheur de leur peau, elles se teignent ordinairement les ongles, l’extrémité de la face palmaire des doigts et la plante des pieds en noir et en rouge, avec une préparation de feuilles de henné (Lausonia inermis, L.).
Les femmes du peuple se font tatouer la lèvre inférieure, le menton, les bras et les mains; enfin, dans quelques tri


bus, les femmes vont même jusqu’à se faire tatouer tout le corps.


La beauté des Egyptiennes emprunte quelque chose du charme que l’on remarque dans les belles femmes de l’Afri
que et de l’Asie, dont la vallée du Nil a été en tout temps la lisière commune. Le visage est gracieux sans être beau. De grands yeux noirs, ombragés de longs cils, étincelants de. vivacité, donnent à leur visage une grande expression. Leur nez est petit, souvent légèrement épaté. Elles ont la bouche grande, mais bien dessinée, quoique les lèvres soient un peu épaisses. Lèurs dents, bien alignées, sent d’une écla
tante blancheur, et contrastent avec leur peau bqune et dorée. Celle-ci est d une teinte plus ou moins basanée, sui
vant qu’elles sont de la haute ou de la basse Egypte, ou se trouvent exposées aux rayons du soleil. Les Egyptiennes sont en général de taille moyenne et se font remarquer par l’élégance de leurs formes. Elles ont la colonne vertébrale arquée, les membres réguliers et arrondis, les mains et les pieds petits et potelés. Leur sein, puissamment développé, orne leur large poitrine, qui ne cède jamais aux ar
tifices mal entendus et souvent funestes de la coquetterie européenne. Leur démarche est leste et assurée ; leurs poses, majestueuses; leus gestes, pleins de grâces, rappellent des souvenirs de l’antiquité dont elles ont conservé beaucoup de pratiques et quelques traits de ressemblance. Jeunes,
elles retracent assez généralement les formes des sculptures égyptiennes, surtout de l’époque des Ptotéméês, où Fart, sans s’élever à l’idéal, cherchait à imiter la nature qu’il avait so-us les yeux.
De ces généralités, passons aux deux figures qui accompagnent cet article et représentent des années ou rhawazn espèces de bayadères qui font profession de chanter et de danser. Les musulmans, si sévères pour les mœurs de leurs femmes, leur donnent souvent des fêtes dont les aimées font tout l’ornement. La plupart des rhawazi sont des courtisanes plus ou moins faciles, suivant leur beauté ou leurs besoins. Cependant on leur témoigne générale
ment quelques égards, parce qu’il n’est pas rare d’en voir qui abandonnent la vie des plaisirs pour entrer dans les règles communes de la société.
Le costume que nous avons décrit est aussi celui des aimées qui vont charmer les heures monotones des recluses du harem ou réveiller les désirs blasés du maître. La joueuse de tarabuukka porte, suspendu en sautoir, un instrument de percussion formé d’une espèce de vase en bois marqueté de nacre, dont le fond évidé est revêtu d’un parchemin sur lequel elle frappe avec les doigts en gra
duant le son, suivant.qu’elle s’approche ou s’éloigne du cen
tre. Elle accompagne fa a ns use qui, les mains armées de petites cymbales ou crotales de métal sonore, règle ia mesure tout en exécutant une danse voluptueuse ou plutôt une. pantomime représentant toutes les phases de l’amour.
Cette pantomime érotique est un reste des danses consacrées par les anciens Egyptiens au culte d’üàlhor. Elle ressemble aux mouvements ioniques et aux danses gaditanes dont les poètes latins nous ont laissé des descriptions.
Cette danse passa des Egyptiens aux Arabes et aux Afauses, qui la laissèrent à l’Espagne sops le nom de fandango.
Mais le sujet nous entraîne. On écrirait un volume pour commenter les deux costumes qui accompagnent cet arti
cle, et la description du bel album auquel nous les avons empruntés deviendrait une véritable histoire de l’Egypte,
fl est temps de nous arrêter. Ce que nous avons dit, écho bien faible des souvenirs et des sensalions que ces dessins nous ont apportés, suffira, nous l’espérons, pour faire apprécier l’œuvre de AtAL Bida et Barbot. A ceux qui connais
sent l’Orient, cet album sera cher comme un compagnon de route retrouvé après une longue absence. Quant aux per
sonnes qui n’ont pas encore fait ce voyage, elles trouveront dans ces beaux dessins les prémices des jouissances que l’Orient leur tient en réserve.


E. P. A.


Critique littéraire.
oeuvres de Rivarol. — Un vol. in-12, chez E. Didier.
On vient de réimprimer les œuvres de. Piivarol : à quoi bon? Il règne depuis quelque temps une maladie d’exhu
mation, un zèle ardent pour les productions médiocres et surannées qu’il serait désirable de voir se modérer un peu.
L’activité de certains théâtres se dépense en grande partie à fouiller dans leurs cartons, à chercher de For dans la poussière des auteurs de. troisième ordre. Ce Marivaux, si faux et si glacial, certaines gens voudraient le voir ressusci
ter en entier. Hier, c’était le Théâtre delà Foire qu’on songeait à remettre en honneur. La musique elle-même,
qui ne vit que de jeunesse, n’échappe pointa cetle fièvre rétrospective; on se complaît aux mélodies d’un autre temps, on ne songe qu’à fredonner de vieux airs. Passe pour les grandes choses, les chefs-d’œuvre qui se protègent d ailleurs d’eux-mêmes contre l’oubli. Mais, pour les petits hommes, les petits ouvrages, déjà petits de leur temps et qui doivent l’élre plus encore du notre, grâce pour ceuxlà! Sachons nous souvenir, mais sachons aussi oublier; il n’y a d’art et de littérature qu’à ce prix. Est-il juste que les morts d un ordre inférieur se permettent de secouer leur linceul de temps à autre, et soulèvent le couvercle de leurs tombeaux pour venir faire concurrence aux viv nts?
Qu’est-ce donc que ce Bivarol dont on nous donne aujourd’hui une édition complète, et dont on s’est mis à parier dans ces derniers temps avec une faveur si marquée? Un bel esprit et de la pire espèce de tous, celui qui pré
pare ses bons mois à loisir, qui aiguise le malin, au coin du feu, un certain nombre de flèches spirituelles qu’il décocheia le soir dans un cercle. S’il est un rôle fait pour ridi
culiser, je dis plus, pour ravaler la condition de l’homme de lettres, c’est assurément ce métier de fabricant de saillies à heure fixe.
Quelle étrange condition que celle de cet homme condamné à n’ouvrir la bouche que pour laisser tomber des perles et des roses! Quelle attitude fiévreuse est la sienne, lorsqu’il guette le moment favorable pour lancer à tra
vers la-conversation un de ces traits brillants qui souvent sont pour lui le fruit d un long travail! Quel malaise, nonseulement pour lui, mais pour ses auditeurs, s’il faut que ce mot destiné à faire fortune lombe à plat el qu’on le siffle, comme on siffle dans un salon, avec un de. ces souri
res qui tuent! N’esl-ce pas un digne emploi des facullés de l’esprit que de. se Consacrer à amuser le soir une réu
nion de gens blasés, et de faire sa conversation le. matin, connue Églé son visage ?
Bivarol, nous dil-on, était un causeur inimitable, et on ne manque pas d’ajouter, comme Eschine pour Démostliène : « Que serait-ce si vous aviez entendu le monstre! »
Les gloires de causeurs passent vile comme les gloires de comédiens. La destinée humaine les a faites peut-être trop attrayantes et trop flatteuses pour leur permettre d être durables. — Si vous aviez vu lel grand acteur, nous diton tous les jours encore,.celui-là était tout, et ce que vous voyez maintenant n’est rien auprès de lui. Il est passé ce


comédien incomparable, unique; d’autres sont venus après


lui, qui exciteront les mêmes louanges, les mêmes regrets lorsqu’ils disparaîtront, jusqu’à ce que d’autres demi-dieux les remplacent à leur tour,
Tout causeur mort est donc bien mort. Ceux qui ont eu le bonheur de l’entendre ont eu sans doute raison dans le plaisir qu’il éprouvaient ; mais comment transmettre ce genre dé plaisir aux personnes d’un autre âge? Vouloir re
trouver cès héros de la conversation dans le recueil de leurs bons mots, c’est chercher l’image d’une coquette dans des traits que le temps a défigurés. Il y a eu à certai
nes époques, et il y aura sans doute encore, des causeurs charmants et vraiment aimables, que l’on regrettera tou
jours de n’avoir point connus. Telle dut être cette M ‘c Cornuel, si enjouée, et dont Ai de Sévigné nous dépeint dé
licieusement l’esprit et la grâce. Telles furent aussi Mmes Lafayelle, de Grignan, et M“* de Sévigné elle-même, causeuses adorables parce qu’elles étaient avant tout natu
relles, spontanées, causant seulement pour elles-mêmes et jamais pour le public.
Qu’il y a loin de ces femmes-là aux causeurs de métier, tels que Bivarol, Champcenets et au ires recommées de la fip du dernier siècle! Faire de l’esprit et avoir de l’esprit esj souvent très-différent. L’art véritable de la conversation consiste bien moins peut-être à avoir de l’esprit pour son Dropre coinple qu’à en faire trouver aux aulres. Si dans tous les cas on convoite ce genre de gloriole d’une cau
serie à effet et de réparties éblouissantes, que, du moins, on se préseule à celte sorte de lutte sans préparatifs, sans s’êlre d’avance frotté d’huile comme l athlète. L’esprit de
vient insupportable s’il n’est pas entièrement improvisé: pour peu qu’il sente l’apprêt, l’effort, on lui préférerait presque la soUjse toute franche et naturelle.
Ce n’est pas, apparemment, pour un certain nombre de bons mots célèbres il y a soixante ans, mais pour la plupart aujourd’hui irès-pauvrçs, que l’on a songé à publier les œuvres de Bivarol. On a voulu remettre en lumière plu7 sieurs opu eûtes qui ont pu jouir d une certaine vogué du vivant de Fauteur, mais qui ont bien perdu de leur prix depuis que la renommée de l’homme du monde n’est plus là pour les soutenir.
Le volume commence, par un assemblage de traits détachés que l’on a intitulés Maximes, Pensées et Parada / es.
Ce ne sont pas encore les bons mots officiels de Bivarol; ce sont des espèces d’aperçus philosophiques, historiques et littéraires, rédigés en quelques lignes, et destinés sans doute à figurer dans des ouvrages d’une certaine étendue. N’est-il pas dangereux de vouloir introduire de nouvelles maximes, de nouvelles pensées dans une littérature aussi
riche que la nôtre dans ce genre de productions? N’axonsnous pas les d usées de Pascal en première ligne, puis laRochefoucauit, puis la Bruyère, puis Vauvenargues? On
sait d’ailleurs quels efforts malheureux ont été faits, il y a quelques années, pour donner de la vogue au livre inti
tulé Pensées, Essais, Maximes de Monsieur Joubert. comme on a dit alors. Le public proprement dit s’est montré très-indifférent, probablement à tort, pour ce re
cueil de pensées amphigouriques et prétentieuses, qu’il eût été plus sage peut-être de laisser dormir dans les papiers de l’auteur.
Pour être en droit d’écrire des pensées détachées, on doit avoir en soi l’étoffe de productions de longue haleine.
Elait-ce le cas de Bivarol ? On en peut douter, si on le juge sur les fragments qu’il a laissés après lui. On a divisé dans l’édition actuelle les Maximes, Pensées el Paradoxes en plusieurs catégories : la première a été intitulée Métaphysique. Bivarol, métaphysicien ! Voilà, certes, une décou
verte, et chacun sera curieux de connaître ce qui peut constituer les litres philosophiques du rival de Champcènets. Ces titres existent neanmoins; la nouvelle édition nous l’atteste, et, pour donner tout de suite une idée de ce que l’un appelle aujourd’hui ht métaphysique de Biva
rol, le plus simple est de prendre au hasard au milieu des Pen-ées un passage qui indiquera le ton et la manière de ce métaphysicien d’intronisation toute récente. Le sen
timent a été souvent analysé, mais il est douteux qu’on Fait jamais défini plus curieusement qu’il ne l’est dans les lignes qui suivent :
« Voyez le sentiment jeté dans les airs, au fond des mers « el sur la terre, toujours content de son enveloppe et de
« ses formes, couvert d’écorce, de plume, de poil et d’é- « caille ; qu’il vole ou qu’il nage, pu qu’il rampe, ou reste « immobile, toujours heureux d’êfre et de sentir, et lou« jours répugnant à sa destruction. Semblables à des vases
« inégaux par leur forme et leur capacité, mais égaux par « la plénitude, tous les êtres sont également satisfaits de « leur partage ; et c’est du concert de tant de satisfactions « et de félicités particulières que se forme et s’élève vers le « Père universel l’hymne de la nature. »
Voici d’autres traits pris également dans la Métaphysique de Bivarol. « L’homme n’est jamais qu’à la circonfé
rence. de ses ouvrages : la nature est à la fois au centre et à la circonférence des siens. » Puis, toujours au même chapitre : « On peut diviser les animaux en personnes d’es
prit et en personnes à talent. Le chien, Féléph nt, par exemple, sont des gens d’esprit; le rossignol et le ver à soie sont des gens à talent. » Il faut çilér aussi ce trait curieux : « La parole remet la pensée en sensation. »
N’y a-t-il pas une singulière audace, il faut bien dire le mot, à vouloir donner ail public comme de ta. métaphysique un tel ramas d’amphigouris boursouflés? S’est-il pas triste de penser que dans le pays de Bescaiies el de Malebranche, on profane ce beau nom de métaphysique en l’appliquant à des choses qui sont Iput simplement l antipode du goût et du sens commun? Etait-ce ia peine que Molière eût écrit es Précieuses ridicules; que Voltaire eût fait la guerre au galimalhias double, pour qu’on en vînt, à la fin du sièc e dernier, à goûler ces sabises-lb, comme dit Alceste, et qu’on songe à les publier dans le nôtre? Les Maxi