soins des facteurs; les danses du pays commencèrent et durèrent jusqu’à la nuit.
J’ai déjà dit que le fort français de Whyda était vaste et bien entendu, mais il aurait grand besoin de réparations. J’ai trouvé dans.ses bastions une quarantaine de pièces de canon, la plupart d’un fort gros calibre : elles sont couchées sur la terre et en assez mauvais état ; les pièces qui sont en deliors pour les saluls ne valent guère mieux, et elles sont aussi couchées sur le sol; on les mate debout sur le bouton de culasse pour les charger, puis on les couche par terre,
la volée portant sur un morceau de tronc d’arbre, et on met le feu avec un tison. Whyda est une ville de 25 à 30,000 âmes; c’est fort grand, fort étendu, mais ce n’est pas beau : les propriétés particulières sont entourées de grands murs en terre battue ; quant aux maisons intérieures (je ne parle que de celles des indigènes), ce ne sont que des cases ou des hangars en terre battue, mis à la file les uns des autres, et où il n’y a d’autre ouverture que la porte pour donner du jour : l’habitant du Dahomey semble avoir la lu
mière en horreur quand il rentre chez lui. On m’a dit que c’était pour se garder des maringouins et autres bêtes mal
faisantes, qu’il en agissait ainsi : les serpents sont les hôtes les plus familiers de ces maisons; ces reptiles se promènent sans gène entre vos jambes. Ce sont du reste des serpents magnifiques, aux belles couleurs dorées, et qui sont fort doux et fort inoffensifs : ce serpent, qui est une espèce de boa, est le serpent fétiche ou dieu du Dahomey : c’est le seul qui ait cet honneur, tous les autres sont tués sans mi


L’Amour, domestique du fort français.


séricorde, quand on en trouve, comme dans tous les pays du monde. Seulement il faut bien prendre garde de se trom
per, car voici ce qui peut arriver à celui qui aurait tué, par mégarde, un serpent-fétiche : on élève une case tout en branchages et troncs d’arbres que l’on remplit de bois sec, on y amène d’abord le corps du serpent-fétiche tué, puis une quantité de cabris, de moutons, de porcs, de vo
lailles, etc., et enfin l’homme qui s’est rendu coupable de la mort du dieu, et auquel on a solidement lié les mains der
rière le dos : la foule, armée de bâtons et de coutelas, se rassemble autour de la case pour ôter tout espoir de fuite aux victimes qu’on a jetées sur le bûcher, puis on y met le feu.
J’ai été téanoin, pendant mon séjour h Wbyda, d’une exécution pareille; mais ce qui prouve, ou l’adoucissement des mœurs, ou la désuétude de cette coutume, c’est qu’on ne tue plus l’homme, on lui donne au contraire les moyens de s’échapper par une porte pratiquée sur le derrière de la case lorsque le feu commence à prendre sérieusement. Alors la foule le poursuit en poussant de grands cris, mais seulement pour la forme et comme un jeu. C’est à peine s’il re
çoit quelques coups de bâton en passant, et dès qu’il a gagné une mare d’eau et s’y est jeté, il est sauvé.
Wbyda est très-malpropre et peu salubre. On y voit partout d’énormes trous creusés pour en extraire la terre destinée à l’élévation des murs des enclos ou des maisons. Ces
Expédition au Dahomey; Djao. — Cabécère en costume de parade.
trous se remplissent ainsi d’eau croupie et d’ordures. A ces causes vient se joindre le voisinage des marais ou lagunes qu’il faut traverser pour se rendre à la mer. Heureusement de fortes brises de mer viennent tempérer ces causes d’in


salubrité. »


Whyda a de grands et nombreux marchés, très-bien approvisionnés. Des agents de police nommés par le yavogan y maintiennent l’ordre et perçoivent les droits d’étalage, absolument comme en Europe.
Il y a, tout le long de ces marchés, de petites boutiques oii l’on vend des étoffes du pays, des armes, des articles
Femme fétiche d’Accra.
d’Europe, etc. ; les femmes seules font le commerce des marchés. On trouve dans les environs de Whyda d’admira
bles cultures qui ne le cèdent en rien aux nôtres. C’est le maïs qui y est principalement cultivé, comme dans tout le Dahomey. A l’exception de ces parties cultivées, le sol est assez aride et rempli d’herbes et de broussailles. Je ne me rappelle pas avoir jamais rencontré autant de perdrix que dans les environs de Whyda, et elles sont grosses comme des poules.
Je fus repris des fièvres africaines peu de temps après mon arrivée à Whyda, et y restai un mois fort malade. Me trouvant un peu mieux après ce temps, je fis faire tous les préparatifs de départ, et envoyai mon bâton (1) au roi pour lui annoncer ma venue. Du reste, j’aurais pu m’en dispen
ser, car il n’y avait pas une seule de mes actions qui ne lui tut connue, et, tous les soirs, on lui expédiait à Abomé, c’est-à-dire à quarante lieues de là, un messager pour lui en rendre compte. Je ne sais si notre police civilisée pourrait lutter avec celle que j’ai vu fonctionner dans le Dahomey.
Notre caravane était fort nombreuse et se composait d’une assez grande quantité de personnes : d’abord trois hamacs et leurs équipages : le mien, celui de M. Cases, gé


rant de la factorerie, et celui du maître canonnier Tielmant,


qui m’avait été donné pour accompagner et soigner les obusiers de montagne. C’étaient déjà dix-huit hommes. En outre il y avait le porteur du bâton du roi, les chefs du Salem français, le grand mosso et le petit môsso du fort, et


Yenohan, chef de guerre du Salam français.


quantité d’autres employés (2) ; enfin la garde d’honneur, habillée et équipée à l’européenne, et que, durant notre sé
jour à Wbyda, maître Tielmant avait formé de son mieux aux exercices européens du fusil et du canon. Pour le mo
ment, elle nous accompagnait en simple pagne, et portait en charge ses armes et vêtements, vu qu’il lui aurait été diffi
cile de les vêtir pour traverser le pays que nous avions à parcourir. Notez bien que je ne parle point de cinquante et quelque porteurs du Satan français, qui nous avaient pré
cédés, chargés de nos malles, de nos vivres de route, des caisses de cadeaux, des canons démontés, etc. Ce Salam
français est en vérité une chose fort commode pour MM. les commandants du fort, et, par conséquent, pour MM. les facteurs qui l’occupent actuellement. D’après les ordres foi


Dessins de Valentin, d’après M. Auguste Bouët ; gravure de Best, Hotelin et Cie.


(1) Le bâton est le signe donné à un messager pour annoncer qu’il vient bien de la part de celui auquel appartient le bâton. Ainsi, j’ai retrouvé au fort le bâton à pomme d’argent ciselé et armorié qui appartenait aux an
ciens commandants du fort avant 93. Comme envoyé du gouvernement fi ançais, c était nécessairement celui dont je faisais accompagner mes mes
sages. Le roi a plusieurs bâtons plus ou moins riches, et il fait u âge des uns ou des autres, suivant l’importance du personnage auquel il l adresse. 11 m a toujours envoyé son premier bâton, qui avait une pomme magi ifique en or ci elé. Enfin il a encore un bâton fort lugubre, et que je n ai pu par
venir à voir, parce qu il est toujours renfermé chez le mingaut ou ministre de la justice. Celui à qui est envoyé ce bâton doit se donner immédiatement la mort.
(2) Les niâsso sont des individus exclusivement attachés au service du roi ou du chef. Pour le commandant du fort, il y en a un nommé par le roi; l’autre choisi par le commandant lui-même. Les premiers ne sont que des espions attachés à la personne.
au-dessous de quinze ans, 10 centimes. Les vivres sont, si abondants et à si bon compte, que l’on peut avoir à Whyda une table très-bien servie, pour huit à dix personnes, moyennant 3 ou 4 francs par jour.