soulevé par une jambe et renversé de l’autre côté, avant d’avoir pu se mettre en défense. En même temps, Isidore se glissait entre les jambes du cheval, de sorte qu’à peine le
brigadier par terre, il lui pesait sur la poitrine de toute la force de son genou.
— Misérable ! c’était donc toi !
— Mais oui. Est-ce que vous vous êtes cru quitte avec moi, vous qui m avez souffleté, et qui avez été le complice de l’assassinat de ma mère?


— Tu oses parler d’assassinat?


— C’est bon, c’est bon; vous n’ètes pas mon juge.
Tout en passant, Isidore arrachait les aiguillettes du brigadier, et au moyen d’un nœud coulant lui attachait fortement les poignets.
— Brigand! tue-moi plutôt tout de suite, comme ce pauvre Maillot. Que veux-tu faire de moi?


— Nous verrons tout, à l’heure.


Avec la courroie de sa carabine, il attacha les pieds du brigadier comme il avait fait de ses mains.
— Ah! vous m’avez tué manière!... Ah! vous m’avez souffleté!... Ah! Ah! Il tira son couteau.
— Lâche égorgeur ! cria le brigadier révolté à la pensée de c.etle mort ignoble qu’il voyait se préparer pour lui...
prends ma carabine; elle est chargée... Mais que je meure du moins de la mort d’un soldat !
Isidore, sans répondre, lui coupa son baudrier et son ceinturon, taillada son frac, — en arracha les galons et les épaulettes, — et cette besogne finie, il leva la main sur la face du brigadier renversé.
•— J’ai cinquante-cinq an«, fit le malheureux, sans défense contre cet inévitable outrage.


— Ma mère en avait soixante, répondit Isidore.


Et sa main, — comme autrefois la main du brigadier sur sa joue à lui, Isidore, — imprima sur la joue du brigadier des sligmates violets.
Le gendarme poussa un rugissement. Les yehx lui sortaient de la tête, el l’écume blanchissait ses lèvres.
— Chacun son tour, dit Isidore en se relevant.
Il ramassa la carabine de Roussel, la (ira en l’air; et en brisa la crosse contre une pierre; il prit son sabre et le rompit ; son fourreau, et il le faussa.
— Vous êtes soldat, brigadier Roussel. Eh bien ! un soldat peut-il se relever de pareilles insultes, surtout quand on saura que c’est le braconnier Isidore, — ce go min, comme vous disiez, — qui vous a mis dans cet état-là?... Si j’ai tué Maillot, et si je vous laisse la vie, c’est qu’après (oui, vous avez eu beau la marier à un autre, vous êtes le père d’Onésille que j’ai aimée, et qui m’a aimé. D’ailleurs, ce n’est pas vous qui avez parlé, c’est Maillot. — Eh ! eh ! Maillot, une bonne farce, pas vrai? —
Là-dessus, toujours avec son couteau, il coupa les sangles du cheval du brigadier, renversa tout par terre, selle et paquetage, et ne lui laissant que la bride, il l’enjamba à cru, et partit au galop du côté de la Maisonnette.
Tout ce drame avait duré moins de temps qu’il n’en a fallu pour le lire. Au reste, peu importait à Isidore d’être surpris. Depuis la mort de sa mère, il avait fait de sa vie l’enjeu de sa vengeance. Une fois vengé, il était au but.
Il ne, demeura à la Maisonnette que le temps d’y mettre le feu, et pour ne pas qu’on pût l’éteindre, il le mit à six endroits. — Une heure après, ce n’était qu’une flamme; le lendemain, ce n’était qu une ruine. — Voilà, se dit-il en remontant à cheval, ma dernière exécution terminée. On a refusé à ma mère une holtée de terre, je lui donne un bûcher, moi... c’est presqu’un monument.
Le soir de ce jour terrible, on ramena à Bourron le brigadier Roussel el le corps du gendarme Maillot. Le, lende
main, on trouvait le cheval du brigadier sur les bords de la Seine, près de Samoreau, — ce qui fit croire à quelquesuns qu’lsidore s’était noyé. D’autres versions, il est vrai, circulèrent et circulent encore, car on parle toujours dans le pays du braconnier de la Maisonnette, et on en parlera longtemps. —Le fait est qu’il ne reparut jamais, el que les recherches de la police, — recherches opiniâtres, — demeurèrent sans résultat : on ne retrouva ni lui, ni son cadavre.
Le gendarme Maillot eut de superbes obsèques, auxquelles assista un détachement de la garnison de Fontainebleau.
On voulait, par cette pompe inusitée, encourager les bons services. Le brigadier fut décoré, et il obtint un grade ; le
malheureux avait vieilli de dix ans dans cette lutte d’un moment, line crut pas à la mort d’Isidore, lui, et tout brave qu’il fut, il pâlissait rien qu’au nom de la croix du Grand-Maître.
La Maisonnette n’a pas été reconstruite. Elle élale encore aujourd’hui ses pans de murs noircis dans un coin des Trembleaux.
Armand Barthet.


Chronique musicale.


Il y a déjà longtemps, bien longtemps, nous avions annoncé qu’une pièce dont les paroles étaient de MM. Lockroy et d’Ennery, et la musique de M. A. Maillart, devait être jouée à TOpéra-Comique ; mais les choses ne vont pas vite
dans nos théâtres lyriques : les compositeurs seuls savent combien sont longs les jours qui s’écoulent entre la conception de leur ouvrage, sa réception, sa mise à l’étude, et en
fin sa représentation. Les jeunes compositeurs, et ceux qui ne sont plus jeunes l’ont été, sont particulièrement soumis à de rudes épreuves de patience. J’aurais bien envie de vous raconter, à propos de, la première représentation de la Croix
de Marie, comment se passe la meilleure partie de la vie de ces infortunés artistes. Il est possible qu’un jour la gloire les dédommage ; mais, en anémiant, que de déboires, d’an
goisses, d’humiliations même ils ont à souffrir! Ce ne serait rien, ou ce serait peu, s’ils n’avaient affaire qu aux altières ou froides manières d’un directeur : le directeur d’un grand théâtre à Paris, dans l’exercice de ses fonctions, est un po
tentat tout comme un autre ; pourquoi ne le serait-il pas? Nous voyons aujourd’hui, dans le monde, des grands sei
gneurs do tant d’espèces, et de si singulière espèce! Le jeune compositeur prendrait son parti là-dessus, et dans son orgueil se, dirait : Je lutterai de puissance à puissance. Mais après le directeur vient tout un nombreux personnel de coulisses qui n’est rien moins qu’avare d’observations : cha
cun dit son mot tout bas, ce qui est beaucoup plus blessant et plus perfide que s’il le disait tout haut; 1 un ne trouve pas ceci à son gré; cela 11e plaît pas à 1 autre; les remar
ques de l’allumeur de quinquets, basées sur son expérience, pèsent de, leur poids dans la balance, et sont comme l’éta
lon des allures plus ou moins rechignantes que le plus infime serviteur delà maison prend habituellement envers 1e pauvre jeune maître. Les lenteurs naturelles, inévitables, que rencontre la mise en train de son œuvre, ne sont que les moindres soucis dont il est assailli; ces lenteurs sont cependant pour lui un bien cruel supplice; mais, d’après les coutumes adoptées dans nos administrations théâtrales, la façon dont on y procède, il n’en saurait être autrement ; la besogne s’y fait lentement, très-lentement, et voilà pour
quoi, car il faut bien que, nous rentrions dans notre sujet, voilà pourquoi, disons-nous, nous n’avons vu que lundi dernier la première représentation d’un ouvrage dont nous avions entendu parler il y a deux ans au moins.
Cet ouvrage s’appelait à l’origine le Baiser de la Cierge. La raison d’Etat n’a pas permis qu’il conservât ce titre.
Ceci, c’est un autre genre de tribulations; il regarde plus spécialement les auteurs des paroles. Leurs débats avec
MM/les membres du bureau d’examendes pièces de théâtre ne sont pas, Dieu merci! du ressort de. \a. Chronique mu
sicale. Bref, le liaiser de ta Cierge est devenu la Cierge
de Kermo ; la raison d’Etat n’n pas encore été satisfaite, et définitivement c’est la Croix de Marie qu’on a autorisé à mettre sur l’affiche. Autant de changements de nom, au
tant de modifications, peut-être autant de mutilations à faire subir à la pièce, el d’un sujet fort intéressant on ar


rive souvent à une action incolore, obscure et languissante.


J1 n’en est pas ainsi heureusement dans le cas présent ; et si les auteurs ont été empêchés de tirer tout le parti qu’ils auraient voulu de la légende bretonne (car c’est d’une légende bretonne qu’il s’agit, bien touchante, bien émou
vante, bien dramatique), du moins ils ont assez habilement profité, malgré tout, pour que l’intérêt se soutienne et pique jusqu’au bout la curiosité du spectateur; celui-ci peut encore se. consoler avec les situations pathétiques qui restent des situations qui ont dû être retranchées.
Voulant vous laisser tout le plaisir de la surprise, nous ne vous raconterons pas la légende ; la vue en vaut mieux d’ailleurs que le récit que nous en ferions, et nous vous par
lerons tout de suite de la musique de M. A. Maillart. Ainsi que dans la partition de, Gaslihtlz-n, on trouve dans la partition de la Croix de Marie un sentiment mélodique dis
tingué joint à une grande richesse d’harmonie. Les passages qui nous ont le plus frappé tout d’abord, à une première audition, sont : la phrase de chant dite par M. Jourdan dans l’introduction de l’ouvrage, la romance chantée par IM. Boulo, et la ballade que chante MUe Lefebvre ; il y a dans celle-ci un coloris d’instrumentation très-remarqua
ble; l orchestre est aussi d’une excellente couleur locale et poétique pendant la procession des jeunes filles qui se ren
dent aux ruines de l’antique abbaye, et pendant l’apparition de la Vierge de, Kermo. Toute cette partie est traitée avec tant d’art, qu’il n’en est que plus regrettable que M. A. Mail
lart se soit laissé aller à une faute de goût qui dépare celle scène : nous voulons parler du bruyant effet d’orchestre qui succède à des détails pleins de finesse et de suavité, au moment où la Vierge, de Kermo dépose un baiser sur le
front de Marie. Si, au lieu du baiser d’une vierge, il se fût agi d’un baiser de Satan, de quels éléments de sonorité. M. A. Maillart se serait-il donc servi pour exprimer musica
lement la situation ? Il serait très-facile à un artiste de lalent comme M. A. Maillart de faire disparaître cette tache.
Au second acte, nous avons particulièrement remarqué le boléro chanté par M. Boulo dans l’introduction ; une ro
mance d’une élégance et en même temps d’une simplicité charmante, que chante MIle Lefebvre; un duo entre Mlle Lefebvre et M. Boulo, rempli de phrases extrêmement gra
cieuses. Cet acte renferme encore, un grand trio et un finale très-dramatiques; mais ces deux morceaux ne nous paraissent pas du tout à leur place au théâtre de la rue Favarl; il n’y a à ce théâtre ni les voix qu’il faut pour inter
préter de. semblables morceaux, ni l’auditoire disposé .à les entendre. On pourra, si l’on veut, prendre ceci pour un éloge du compositeur; mais ce n’est pas dans c# sens que nous le lui disons; nous sommes trop sincèrement son ami pour ne pas le lui avouer sans détour : chaque, chose en son lieu; c’est une des règles les plus essentielles à observer en fait d’art comme en toute autre chose. Or, ces deux mor
ceaux, tant par la nature des idées que par leur contexture, procèdent trop directement de la forme musicale italienne toute moderne, pour que nous puissions les voir avec plaisir sur la scène, de TOpéra-Comique français, cette scène où ont brillé Grétry et Boïeldieu. Non pas que nous soyons absolu
ment ennemis de la musique pour laquelle en ces derniers temps les Italiens se sont passionnés; chez eux, au moment où cette musique est venue, elle avait sans doute sa raison d’être : les mélodies élégiaques et langoureuses de Bellini devaient peut-être amener les chants mâles et parfois un peu âpres de M. Verdi; c’est là une thèse, soutenable. Mais cette réaction semble, dès à présent, finie en Italie, d’après
ce qu’on nous dit des dernières partitions de M. Verdi, Luisa Miller et Rigolel/o, dans lesquelles l’auteur de A a- bticco et A Ernani, assure-t-on, a tout à fait modifié son style, et renoncé aux bruyants moyens dont il se servait auparavant pour produire de l effet. S’il en est ainsi, et nous espérons nous en convaincre par nous-mème l’hiver prochain, si toutefois il y a l’hiver prochain un Théâtrellalien à Paris, ce qui, pour le moment, est fort douteux;
s’il en est ainsi, disons-nous, nous ne saurions trop féliciter M. Verdi, et par conséquent trop blâmer M. A. Maillart, puisque le trio et le finale en quèstion appartiennent com
plètement à ce système que nous n’avons jamais approuvé et que le compositeur italien abandonne heureusement : c’est le même tour de phrase pompeux et emphatique, le
même faste d’instrumentation, une touche plutôt grosse que. large; et tout cela dans un opéra-comique! Le sujet, dira
t-on, le voulait ainsi; dans ce cas, il fallait le traiter en. grand opéra, et le porter sur une autre scène. C’est un tort grave que nous avons dans ce temps-ci de confondre pêlemêle tous les genres; en suivant celle route, nous arrive
rons sûrement à n’avoir plus de genre d’aucune sorte. Notre critique, sur laquelle nous avons insisté avec intention, ne nous empêche pas de, rendre justice au talent que M. A. Mail
lait a déployé dans ces deux morceaux, et de citer connue fort belle la phrase chantée, par M. Bussine : Garde ton. voile et prends courage. Mais, dût-on trouver notre juge
ment bizarre, nous préférons à ces morceaux, quel que soit, leur mérite, la chanson bretonne que chante M. Bussine au troisième acte; cela est moins savant sans doute, mais c’est plus naturel, plus véritablement caractéristique ; il faut, à notre avis, quelque chose de plus que du talent pour inven
ter un chant populaire franc et coloré tel que celui-ci; M. A. Maillart y a réussi on ne peut mieux. L’air de M ° Le
febvre, dans ce troisième acte, est très-bien également; la mélodie de la strelte est bien sentie et franchement dessinée.
Tel est le résumé de nos premières impressions sur la nouvelle, partition de l’auteur de (,astibe/z-a. Do reste, la musique de M. A. Maillart est de celle qui gagne à être entendue plusieurs fois.
La pièce de MM. Lockroy et d’Ennery est faite, avec une rare entente de la scène; il y a, entre, autres, un personnage très-originalement et très-spirituellement jeté au mi
lieu de l’action, qui fait une heureuse diversion à ce que le sujet a de triste et solennel par lui-même; ce personnage, qui appartient à l’emploi des comiques grimés, est fort bien
joué par M. Couderc. La mise en scène est irréprochable sous tous les rapports; et la décoration du troisième acte, en particulier, est un tableau extrêmement pittoresque , qu’on ne se lasserait pas de regarder.
Il nous reste un petit compte à régler avec le théâtre de TOpéra-Comique, n’ayant pas eu jusqu’à présent l’occasion d inscrire dans notre Chronique les deux reprises qui ont dernièrement eu lieu d’tctéon et de ta Silène. Nous de
vons constater que ces deux reprises ont fait grand plaisir. Les rôles de Lucrezia et Zerlina sont chantés avec beaucoup de talent par Al11 Félix Miolan, que les habitués de la salle Favart prennent de plus en plus en affection ; et ils ont bien
raison, car il est difficile de chanter avec plus de finesse et de grâce que ne le lait cette excellente artiste. Quant à la musique de ces deux partitions, ce n’est point du Grétry ni du Boïeldieu; pourtant c’est aussi de la musique éminem
ment française, c’est de l’Auber. Si nous connaissions un plus grand* éloge, nous nous èmpresserions de l’écrire.
Georges Bousquet.
Inauguration du chemin de fer de Strasbourg.
Strasbourg, le 19 juillet 1852.
En face, du rempart, et au bout de la voie sur laquelle entre le convoi d’honneur, s’élève l’autel auquel on arrive par vingt-quatre marches aboutissant à un large palier. L’autel se, détache sous un dôme de, drap d’argent doublé, de drap d’or et richement décoré. Une croix surmonte la coupole aux quatre angles de laquelle sont placés des séra
phins dorés. Les marches, les paliers et l’estrade sont ornés de lauriers, de grenadiers et de plantes rares, dont la verdure et la fraîcheur font ressortir parfaitement les splendides décorations du sanctuaire.
Une petite sacristie a été ménagée derrière l’autel.
Des deux côtés deux estrades basses sont réservées à la musique et aux chanteurs qui doivent accompagner l’office divin.
Plus loin s’élèvent, face à face, deux, tribunes drapées de velours rouge; Celle de gauche est destinée aux autorités, celle de droite au Prince et à sa suite. La tribune pré


sidentielle. est surmontée d’un aigle d’or gigantesque, aux


ailes déployées, et qui serre, en ses griffes une couronne de lauriers ; elle est entourée de trophées d’aigles, de guir
landes de, feuillages et d’écussons aux initiales de Louis- Napoléon. Le fauteuil rouge et or qui est préparé pour le Président est entouré de deux rangées de chaises rouges ;
viennent ensuite au fond de la tribune des banquettes de velours pour les personnes de la suite du Prince.
L’autel et les deux premières tribunes sont reliés par de grands vélarium», sur lesquels nous lisons les inscriptions suivantes :
A Louis-Napoléon U Alsace reconnaissante. Propagation des sciences et des arts.


Route des Alpes à la mer du Nord.


Route de Marseille à la mer Baltique. Tous les peuples se donnent la main.
Plus de distance.
Le Rhin et l Océan unis an Danube.