Ces inscriptions sont entourées de mâts, que surmon tent de riches oriflammes, et autour desquels sont grou
pées des bannières de toutes les nations de l’Europe, et les armoiries des principaux peuples que le chemin de ter mettra en communication avec la France.
Quatre lampadaires énormes, enguirlandes de ieuiliage, sont placés le long de la rivière, et complètent la décoration de cette partie de la gare. ,
Deux grandes tribunes réservées aux invites de Strasbourg, de Paris et des départements, se prolongent des deux côtés des rails ; plus loin et devant l’usine à gaz est cons
Iruile une tribune découverte ; autour de ces estrades et dans tout le pourtour de l’enceinte réservée, des mâts de Venise aux banderoles flottantes sont plantés de distance en distance ; chaque mât supporte un trophée de drapeaux tricolores avec le nom et les armes d’une ville française et étrangère. .
Au milieu des quatre rangées de rails et presque en lace du salon spécialement construit pour la réception du Prince, la statue de la France est debout, le bras gauche appuyé
sur une locomotive, la main droite étendue vers l’autel ; le piédestal est orné des chiffres du Prince-Président.
A midi et demi, un roulement de tambours annonce que le convoi est en vue; dix minutes après, un premier coup de canon et le sifflet de la locomotive accompagnent l’en
trée du train d’honneur. Aussitôt les cloches de la ville sonnant à toute volée, cent et un coups de canon retentis


sant du haut des remparts, l’éclat des fanfares et le bruit des


tambours annoncent à toute la ville que le President de la République était entré dans ses murs.
Louis-Napoléon descend du wagon d’honneur près du salon de réception ; il porte l’uniforme de général de divi
sion, le chapeau à plumes blanches, le grand cordon de la Légion d’honneur et la médaille militaire. M. le maire lui présente les clefs de la ville en lui adressant le discours suivant : . ,
« La ville de Strasbourg se félicite de recevoir dans ses murs l’élu de la nation, le vainqueur de l’anarchie, le sauveur de la France.
« En vous remettant par mes mains les clefs de cette antique cité, elle accomplit avec joie un acte symbolique de soumission et d’hommage, car vous avez, Monseigneur, aes droits particuliers à son affection. Elle sait que ce n est qu’à votre initiative aussi féconde que puissante qu’elle doit la prompte réalisation de ce rail-way qui la rapproche de la capitale et de l’Océan, et qui bientôt, grâces à vous, se pro
longera jusqu’à la frontière bavaroise, où il se reliera avec les chemins allemands. Bientôt aussi l’achèvement du canal de la Marne au Rhin complétera le système de communica


tions, tant rapides qu’économiques, dont vous l’avez dotée,


et qui contribuera si éminemment au développement de sa prospérité future.
« Ne soyez donc pas étonné des acclamations qui vous ont accueilli dans notre Alsace, et de celles qui ne cesseront de vous accompagner pendant votre séjour dans notre ville.
« Je suis heureux d’en être en ce moment le trop faiu interprète. » .
Le président répondit au maire qu il devait garder g clçfs qui étaient entre bonnes mains, et qu’il comptait s- lui pour accomplir sa lâche. M. le colonel commandant i place présenta à son tour au Président les clefs de ville. , .
Puis le prince sortit du salon et se dirigea vers le luit de la gare en passant devant la tribune adjacente à la Hab. aux-Blés et devant celle des autorités.
Le Prince s’assit ayant à sa droite le général Saint-/., naud, ministre de la guerre, et à sa gauche M. chastela. maire de Strasbourg, qu’il avait fait mander près de lui ]r un aide de camp. Aussitôt la cérémonie religieuse cemença; Mgr l’évêque dit une messe basse qui fut accoinp. gnée par les chants des séminaristes et des enfants


chœur. A l’élévation, les tambours battirent aux champs les fanfares sonnèrent.


Après le Domine salvos fac Rempnblicam et ludacum Napoleonem, quatre locomotives enguirlandées > feuillages verts et pavoisées de drapeaux débouchèrent ar
rière la statue de la France, entre les cinq colonnes à aigb d’or, s’avançant lentement et de front sur les rails jusqu i pied de l’autel.
C’étaient la Ville-de-Réthel, la Ville-de-Montmirail,, T ille-dt-Strasbourg et le Maréchal-Drouel-d’Erlon. ta machines puissantes portaient les principaux administsleurs et ingénieurs de la ligne; nous y avons remar:
lettre suivante de noire collaborateur, laquelle complétera un récit qu’il n’a pas dépendu de nous de rendre plus détaillé.
A Monsieur le Directeur de Illustration.
Monsieur,
Le défaut de temps et de recueillement possible ne m’a permis de vous adresser hier qu’un extrait des journaux du
Bas-Rhin contenant le détail de la cérémonie d’inauguration du chemin de fer de Paris à Strasbourg. Cet envoi me dis
pense d’entrer dans le détail de cette solennité, qui m’a paru fidèlement rendue dans le journal alsacien. Je vais donc, avec votre permission, reprendre rapidement la relation de notre voyage ab oco, c’est-à-dire au point de départ.
Tout vous a été dit dans un fort bon article de M. Grün (1) sur la topographie du chemin. On est mal placé d’ailleurs, en le parcourant à grande vitesse comme nous avons fait, pour en apprécier tous les considérables travaux d’art ; c’est à peine si l’on peut saisir au passage les principaux traits physiognomoniques du rail-way et des provinces qu’il traverse. Souffrez donc que je sois aussi bref que peut l’être un aperçu aussi sommaire.
Jusques et au delà de Vitry-le-Français, on côtoie ou franchit incessamment la Marne, et les travaux d’art consistent principalement, dans cette section, en ponts jetés
sur cette rivière molle et bourbeuse d’aspect, qui justifie si bien son nom. Les grands spectacles naturels sont égale
ment rares dans toute l’étendue de la paisible Champagne;
et c’est seulement en approchant de la Lorraine que les terrains commencent à se mouvementer, les collines à se dessiner en profil et les forêts à épaissir. Bar-le-Duc et son site pittoresque en étages sur les sommets vineux qui bor
dent le col de la vallée de l’Ornain inaugurent cette nouvelle partie du chemin, faite surtout pour frapper le sens artis
tique. A Liverdun, l’avant-dernière station en avant de Nancy, le chemin, après avoir franchi la Meuse et la Mo
selle une première fois, traverse de nouveau cette dernière rivière sur des ponts élevés hardiment au-dessus du pontcanal, et ajoutant par leurs belles lignes aux splendeurs d’un magnifique paysage. A Nancy, le débarcadère, placé sur les terrains jadis marécageux où périt Charles le Témé
raire (une double croix de Lorraine indique la place où fut trouvé son corps), nous reçoit, vers la tombée de la nuit, aux détonations mille fois répétées d’une artillerie puis
sante et aux premières lueurs d’un orage qui ne devait pas éclater, mais dont les humides effets nous attendaient, dans la journée du lendemain, en Alsace.
La courtoise sollicitude de M. le ministre des travaux publics, assisté de M. le préfet de la Meurthe, nous avait assuré à tous des logements dans l’ex-capitale du duché de Lorraine , et veuillez bien souffrir que je témoigne ici de toute ma gratitude envers M. Ch...., l’hôte gracieux et excellent que m’avait donné la fortune. Le soir, il y eut à
Nancy illuminations, bal et feu d’artifice en l’honneur de M. le Président de la République. Nous avions fait avec lui de nombreuses stations : à Meaux, à la Ferté-sous-Jouarre, à Château-Thierry, à Epernay, à Châlons, à Vitry-le-Fran
çais, à Bar-le-Duc, à Commercy, à Toul, où l’attendaient,
sous des pavillons de feuillage ou sous des arcs de triomphe, les autorités, les garnisons, les musiques militaires ou civiles et une partie des habitants, qui se montrèrent sur
tout en grand nombre dans les villes de Commercy et de Toul.
Le lendemain, à sept heures et demie, nous reparlions de la grande ville embellie, ou peut dire même créée par son dernier duc, Stanislas, au bruit itératif des salves d’artille
rie les mieux nourries ; mais, hélas ! celte seconde journée d’itinéraire ne devait pas ressembler à la première, qui avait été chaude et belle. A peine avions-nous gagné Saint-Nicolas, que les célestes cataractes, si longtemps taries, s’ou
vrirent pour décharger sur nous une pluie d’averse, et ce fut sous ce vrai déluge que M. le Président de la Répu
blique dut passer en revue, à Lunéville, les nombreuses troupes échelonnées sur les deux faces de la gare. Aux sta
tions suivantes, il devint impossible de mettre même pied à terre, et ce fut de la portière que le chef du pouvoir exécu
tif dut recevoir à Sarrebourg, à Lutzelbourg, à Saverne, à Moinmenheim, à Brumath et à Vendenheim, les aubades, les compliments, les pétitions et les bouquets des popula
tions alsaciennes. C’était un dimanche, et une pluie furieuse ne les avait point détournées d’accourir en foule, parées de


Manœuvres exécutées sur le petit Rhin, le lundi 19 juillet, en présence de M. le Président de la République, d’après une reaction pitographique d’un dessin original de M. Théophile Schuler, transportée sur bois par M. Janet-Lange, et gravée par MM. Best, Hotelin et Cie.


M. Strohl, directeur du chemin de fer de Bâle et délégué du conseil d’administration de la ligne de Paris.
Mgr André Ræss, évêque de Strasbourg, s’avança, entouré de son chapitre et de son clergé, et se tournant vers le Prince, il prononça le discours suivant :
« Monseigneur, Messieurs,
« Tandis que l’homme livré aux calculs de l’intérêt et aux plaisirs des sens ne voit dans ces merveilleuses inven
tons de 1 industrie, dont notre siècle s’enorgueillit avec tant de raison, que des moyens d’accroître ses richesses et a etendre le cercle de ses jouissances, le chrétien éclairé par ta toi porte plus haut ses vues et ses pensées, et dans ces conceptions du génie humain il voit des moyens dont Dieu se sert pour accomplir ses desseins sur les peuples e pour conduire les hommes à leurs immortelles destinées.
« Il y a dix-huit siècles, Messieurs, que l’Apôtre des nations a gravé sur le frontispice de l’Église cette sublime inscription : Un Dieu, une foi, un baptême. Et le Christ


expliquant à ses apôtres et à ses disciples le but de ses travaux et de sa mission, leur annonçait qu’un jour


viendrait où aurait plus sur la terre qu’un pasteur et qu’un troupeau.
« Tout, dans les desseins de Dieu, tend à constituer au sein de l’humanité cette merveilleuse unité. L’homme s’a­
gite et Dieu le mène, a dit un philosophe chrétien. Oui, Messieurs, l’homme, créature fragile et bornée, n’assigne trop souvent, hélas ! d’autre but à ses méditations et à ses efforts qu’une prospérité matérielle et périssable comme lui : niais Dieu, qui le mène à son gré, le pousse vers des régions, vers des idées qui lui sont inconnues.
« Ne pensons pas, messieurs, que la Providence reste étrangère à ce prodigieux développement de l’industrie mo
derne, à ces étonnantes découvertes que le génie le plus vaste et le plus hardi n’aurait pas osé prévoir il y a cin
quante ans. Ne pensons pas qu’un Dieu sage et bon ne sache pas faire servir au triomphe de la vérité cette ardeur pour les intérêts matériels qui agite et tourmente le monde aujourd’hui. Si l’industrie efface les distances, si elle brise les barrières que le temps et l’espace opposent à ses créa
tions, elle ouvre aussi une voie plus rapide et plus large aux divins enseignements de l’Evangile ; elle fait dispa
raître les frontières; elle détruit les limites qui séparent les peuples pour n’en faire qu’une seule et même famille
unie dans la charité et dans la pratique des vertus chrétiennes.
« Quand Dieu dispersa son peuple sur toutes les rocs du inonde connu, les ennemis de la nation sainte appladissaient à ses revers età ses malheurs ; mais ils ne voyaiel pas que les enfants dispersés de Juda étaient des missio naires que Dieu envoyait porter jusqu’aux extrémités ; l’univers le désir et l’attente du Rédempteur.
«Ces routes magnifiques dont les Romains sillonnaM l’Europe, et qui subsistent encore aujourd’hui comme d’»
périssables monuments de leur grandeur et de leur pur sance, qu étaient-elles autre chose que des voies ouvera aux prédicateurs du Christ et aux missionnaires de l’Evin gile?
« Et lorsque Alexandre conduisait ses phalanges viorieuses jusque sur les rives de l’Euphrate et du Gange
croyait ne satisfaire que son insatiable ambition, et il voyait pas qu’il ne faisait que préparer les voies à la véo chrétienne, et rendre ses progrès plus faciles.
« Ainsi, Messieurs, les hommes, quelle que soit leur pusance et leur génie, ne sont que des instruments entre à mains de Dieu pour l’accomplissement de ses desseins R l’humanité..... »
Nous regrettons de ne pouvoir citer en entier ce discots remarquable; mais il ne nous reste de Iplace que pour
tous leurs atours germaniques, les hommes couverts du grand chapeau de feutre retroussé par derrière, ornés du gilet rouge à deux rangs de boutons de métal et de l’habit à la française ; les femmes, en bonnets et en corsages d’or, et coiffées en chauve-souris, c’est-à-dire le haut du front surmonté du nœud de rubans à grandes coques qui, de loin, leur donne une certaine ressemblance avec cette souris ailée. — Ces ovations ne doivent pas nous faire oublier les grandioses travaux à l’aide desquels les ingénieurs du che
min ont percé la chaîne des Vosges par six tunnels, dont l’un, celui de Hommarting, mesure près de trois mille mè
tres ; ni l’aspect vraiment admirable de cette portion du parcours. Dans les gorges de Lutzelbourg, notamment, et au débouché du troisième souterrain, le coup d’œil est irré
sistible. Nous n’avons jamais regretté plus vivement de ne pas être paysagiste à la plume. Tout ce que la nature peut enfanter dans ses prodigieuses combinaisons de plus accidenté, de plus sauvage, se trouve ici accumulé comme à souhait pour la volupté des yeux, pour l’émotion de la pensée. La bruine qui continuait de fondre sur le paysage contribuait à lui donner je ne sais quoi de vaporeux, d’invrai
semblable et de féerique, dans le goût des sombres forêts, des monts altiers de Guillaume Tell, d’Oberon et de Freys
chutz. Comme pour ajouter à l’illusion, partaient de dessous les ramées épaisses des fusillades et des pétards, que tiraient des mains invisibles. Les gnomes, lutins du feu,
semblaient avoir élu, à notre intention, ces belles horreurs pour domicile. C’était une vraie ballade allemande, une vraie chasse fantastique, où il ne manquait que la musique de Weber.
A midi et demi, noire train débouchait dans la gare de Strasbourg, fl est inutile que je reproduise ici les cérémo


nies de l’inauguration, très-soigneusement décrites par mon confrère du Bas-Rhin :


En somme, nous avons franchi heureusement les cinq cents kilomètres et plus qui séparent Paris de Strasbourg, et, à part l’omission de quelques détails secondaires, tels que, de temps en temps, le manger et le boire, tout s’est passé à merveille.
Le voyage, un semblable voyage surtout, vit principalement de contrastes. Nous avions trouvé à Nancy bon gîte, bon souper et bon visage d’hôte.
Mais à Strasbourg le sort ne nous fut pas prospère.
Notre voyage de Crimée avait fini dans la capitale de l’Alsace ; nous nous en aperçûmes vite ; une page du roman
comique en fut pour nous le dénoûment; nous ne saurions nous en plaindre, aujourd’hui surtout que la page est déchiffrée de haut en bas, et que l’impression seule reste. Va
guement avertis que la mairie tenait à notre disposition des billets de logement, nous nous hâtâmes, un de mes confrères et moi, de gagner, après la cérémonie qui fut fort lon
gue à nos estomacs affamés, l’hôtel—de-ville, où heureuse
ment il restait encore quelques-uns de ces bienheureux billets sans lesquels nous courions risque de demeurer ex


posés à toute la rage des Ilyades. A la mairie un seul em


ployé, resté par bonheur fidèle au poste, nous demande « si
nous voulons être bien. » A cette question , d’une candeur rhénane, vous pressentez assez la réponse. Pour « être bien » donc, on nous délivre des billets pour deux logements situés dans deux faubourgs distants, à raison de cinq francs par jour et par tête, l’un dans un cabaret, l’autre attenant
au fonds d’une vénérable épicière, de chez qui je vous écris. Je vous laisse à penser ce qu’eussent été nos Louvres respectifs, s’il nous eût pris fantaisie d’être «mal. » Tels
quels nos gîtes, découverts à l’extrémité de la ville, après de laborieuses recherches accomplies de deux à quatre heures du soir, sous un Jupiter peu propice, par les deux écrivains les plus à jeun sans doute de France et même d’Alle
(1) Numéro de la. semaine dernière.