Histoire de la Semaine.
Le retour à Paris de M. le Président de la République, le vendredi 513 juillet, a été l’occasion d’un déploiement de troupes dont la curiosité parisienne aime toujours le spectacle. Dès trois heures après midi, l’armée de Paris, con
formément aux ordres du ministre de la guerre, se portait sur tous les points, depuis l’embarcadère du chemin de fer de Strasbourg, dans toutes les rues, les boulevards et les places sur le parcours du Prince-Président.
A l’heure annoncée pour le passage du Prince, à six heures, la population parisienne s’est portée sur les points où stationnaient les troupes, et notamment sur les boulevards et dans le faubourg Saint-Denis.
Les ministres qui étaient restés dans la capitale, Mgr Sibour, archevêque de Paris, le préfet de la Seine, le préfet de police, le général en chef Magnan, les aides de camp du Prince-Président et les généraux de la garnison de Paris attendaient l’arrivée du Président dans la gare, Où se trou
vaient aussi plusieurs administrateurs de la compagnie du chemin de fer. La gendarmerie mobile formait la haie dans l’intérieur de la gare et devant l’embarcadère.
A sept heures dix minutes, le train du Prince-Président est entré dans la gare.
Les quatre ministres qui avaient accompagné le Président à Strasbourg, les officiers dè la maison du Prince et plu
sieurs hauts fonctionnaires se trouvaient aussi dans le train d’honneur, revêtus de leurs costumes officiels.
La gare était sévèrement interdite à toute personne étrangère à l’administration du chemin de fer. Les personnes de la suite du Président étaient seules admises. Cependant, par exception, on a laissé entrer une députation de dames de la Halle, qui ont demandé à complimenter le Président, et lui ont offert un bouquet.
Lé Prince-Président est monté dans une calèche attelée de quatre chevaux. Il avait à sa gauche le général de Saint- Arnaud, ministre de la guerre, el en face les généraux Boguét et Canrobert.
Lé général Magnan se tenait à cheval à la portière de la voiture du Président, ainsi que quelques officiers.
Dans les autres voitures étaient les aides de camp du Prince et les officiers de sa maison. On remarquait au mi
lieu de ces voitures celle où était Mgr l’archevêque de Paris, avec les ministres de la justice, de l’instruction publique et de la police.
Arrivé devant l’église de la Madeleine, le Président a trouvé le curé et le clergé de celte paroisse qui l’attendaient,
avec la croix, devant le portail. Le vénérable curé de cette paroisse, M. Deguerry, ancien candidat à l’Assemblée cons
tituante, qu’on a vu, en 1848, fraterniser avec un célèbre ministre du culte protestant, a eù l’honneur, tandis que les thuriféraires encensaient le Prince, d’échanger avec lui quelques paroles.
Le Président, arrivé à la barrière de l’Etoile vers huit heures, était rendu au château de Saint-Cloud ci huit heures et demie.
Pendant tout le trajet du Président dans Paris, le bourdon de Notre-Dame et les cloches de toutes les paroisses de Paris ont sonné à toute volée, et cent un coups dè canon,
tirés de l’esplanade des Invalides, ont salué l’arrivée du chef cle l’Etat,
—Le Moniteur a publié celte semaine de nombreuses nominations aux fonctions de maires et d’adjoints. Ces nomi
nations ont lieu en vertu du récent décret qui a prescrit le renouvellement des administrations communales de la Ré
publique. Les élections pour le renouvellement des conseils départementaux et communaux, commencées le 25, se pour
suivent sans interruption. Dans deux mois, au plus tard, le nouveau système fonctionnera dans toute la France.
— Les avertissements aux journaux dans les départements attestent, en se multipliant, une incertitude très-na
turelle sur l’étendue et la limite du droit de discuter et de critiquer les actes de l’autorité. Cette incertitude n’existe pas seulement pour les journaux, mais aussi pour lés auto
rités chargées de surveiller la presse et de faire une sorte de jurisprudence à l’usage de la liberté qui lui est laissée. Les actes administratifs qui ont été publiés cette semaine en ont fourni plus d’une preuve qui milite en faveur de ceux qui ont été avertis.
— On annonçât depuis quinze jours une modification ministérielle qui”vient de se réaliser par les nominations suivantes : M. Drouyn dé LhuyS remplace M. Turgot au ministère des affairés étrangères; M. Magne remplace aux travaux publics M. Lefèvre Duruflé, qui est nommé membre du sénat. M, Barochê prend part aux travaux du conseil des ministres. Ces nominations ont paru dans le Moniteur du 29 juillet.
— Les expériences que là France va tenter à Cayenne, nu moyen de la transportation dans cette colonie de forçats tirés de ses bagnes, niêrilènt l’attention que la pressé feur accorde en recueillant tout ce qui est relatif au transport de ces misérables, aux Sentiments qu’ils expriment touchant les changements de leur position, et les espérances que ces changements ont fait naître en eux. Nous ne pouvons don
ner place à ces documents ; nous nous bornons â en signaler la date pour ceux que cette étude intéresse au double point de vue de la réforme pénale et de l’amélioration des con
damnés. fl n’est pas encore temps dé signaler la question économique de celte mesure.
— Les élections anglaises sont aujourd’hui connues, et le résultat est tel qu’il sera difficile qu’il puisse sortir de ces élections une majorité capable de gouverner; aussi an
nonce-t-on une dissolution pour l’année prochaine. On a inauguré à Tamworth une statue de sir Robert Peel ; le moment était des mieux choisis.
— Les catastrophes maritimes, qui se renouvellent Si fréquemment aux États-Unis, et dont la dernière, arrivée près cle la Nouvelle-Orléans, sur le lac Pontchartrain, est
rapportée dans nos journaux de cette semaine, ont donné lieu, au Sénat, à diverses propositions ayant pour objet les moyens de prévenir ces malheurs, presque toujours causés par l’imprudence.
— Les nouvelles du Piémont signalent l’agitation produite par les protestations des évêques contre la loi sur le mariage civil.
On sait qu’après le document émané des archevêques et évêques des diocèses de Turin, d’Alexandrie et de Gênes,
est venue la déclaration des archevêques et évêques de la province ecclésiastique de Chambéry. Celle dernière pièce dépasse encore la première en violence. C’est un appel di
rect à l’insurrection contre la loi. Les prélats qui ont signé cet appel lancent, par avance, Yexcommunication majeure contre tous les catholiques qui se soumettront à la loi sur le mariage civil, si, comme tout porte à le croire, cette loi est approuvée par le sénat ainsi qu’elle l’a été par la Cham
bre des députés. En oulre, ces mêmes catholiques seront, dans ce cas, privés de tout sacrement pendant leur vie, et, à l’heure de leur mort, dè sépulture ecclésiastique, etc. Les enfants à naître sont eux-mêmes frappés dans la déclaration des évêques de la province de Chambéry. Et pourquoi toutes ces fureurs, toutes ces excommunications, toutes ces privations de Sépulture, toutes ces menaces contre des malheu
reux qui ne sont pas encore nés? Parce que le Piémont sent la nécessité d’organiser les registres de l’état civil ! Et pour
tant le gouvernement piémontais a surabondamment prouvé son respect pour la religion, en inscrivant dans la loi que la cérémonie religieuse devrait toujours précéder le contrat civil, contrairement à ce qui existe en Belgique et en France.
— Une lettre de Florence du 15 juillet, citée par VOpinione, annonce que la crise ministérielle qu’on prévoyait a éclaté en Toscane. A son retour des trains de Montecatino, le grand-duc aurait déclaré à M. de Baldasseroni et aux autres ministres que la politique suivie par eux est con
traire à sa conscience el à ses devoirs de prince chrétien envers la cour de Rome, et qu’à moins qu’ils ne consentissent à embrasser ses maximes de politique catholique ro
maine, il accepterait la démission qu’ils lui offriraient. On sait aujourd’hui que le ministre Boccella vient de constituer un nouveau cabinet, d’où sont exclus ses anciens collègues.
—Les deux sections de l’Assemblée fédérale, suisse (Conseil national et Conseil des Etats) se sont réunies le 23 juillet pour procéder à l élection des deux premiers fonctionnaires de la Confédération pour l’année 1853.
Le nombre des votants était de 140 ; la majorité absolue de 71.
Au premier tour de scrutin. M. Nœff, de Saint-Gall, chef du département fédéral des postes, a été élu président de la Confédération par 100 voix. M. Munzinger a réuni 31 suffrages; M\l. Druey el Ochsenbein chacun 3.
M. Frei-Hérosé, d’Argovie, chef du gouvernement fédéral des péages, a été nommé vice-président par 78 voix. M.Munzinger, de Soleure, en a réuni 51.
Les deux hauts fonctionnaires élus appartiennent l’un et l’autre au parti qu’on appelle en Suisse radical modéré. Députés à la Diète en 1847, ils prirent une targe part à la dissolution du Sonderbund.
—La Gazette d’Augabourg du 22 juillet annonce, sous la rubrique de Berlin, que pendant son séjour dans cette capi
tale l’Empereur de Russie a discuté avec le Roi de Prusse des questions concernant la politique européenne. L’Empe
reur ayant remis au roi un rapport détaillé sur les forces militaires de la Russie, le roi a Ordonné, de lui faire un rapport, sur les forces militaires de la Prusse, et l’a remis à S. St. l’empereur.
•—Nous n’avons point parlé d’une, insurrection assez gravé dont la Grèce a été agitée à la fin du mois dernier et au Commencement de celui-ci. Lé principal moteur de celle révolte était un moine du nom de Chrislophoros, qui S’était soustrait, après son échec, aux recherches dé la justice. Dès lettres d’Athènes du 13 juillet apprennent que ce prédicateur fanatique est arrivé prisonnier au Pirée sur lé va
peur Oth.nv, et,, après un interrogatoire de plusieurs heures,
a été conduit dans la prison principale de la ville. Deux Maïnotes, un prêtre et un laïque, s’étaient engagés pour une sommé de 10,000 drachmes à l’attirer hors de son refuge, une caverne, ce qui leur réussit.
— Lé maréchal Exelmans, grand chancelier de la Légion d’honneur, est mort clés suites d’unê Chute de cheval.
Voici en quels termes la Pairie rend compté du funeste accident qui a causé la mort du maréchal :
Hier, 21, vers neuf heures du soir, le maréchal partit de Paris, accompagné dè son fils, le capitaine dé frégate Maurice Exelmans, pour aller rendre visite à ia princesse Mathilde, qui habite Je pavil
lon de Brëtenil, près de Saint-Cloud. Il était achevai. Vers dix heures moins Un quart, il sé trouvait s deux cents pas du pont dè Sèvres, lé vent soulevait avec fore» la poussière de la route, les Chévàux étaient au trot, tOrSqU’uné voiture, venant près du trottoir dê droite, atteignit lè chef*! du maréchal, qu’il sépara de son fils ; fè cheval se cabra et renversa violémmént Soit cavalier, qui â eu là tète frficasséé par lés dalles du trottoir.
M. Maurice Exelmans, qui était sur la gauche dé la route, à quelques pas ên avant, et auquel fa poussière dont, il était entouré avait dérobé le mouvement dè la voiture, accourut éploré au secours de son illustre père, qui fut transporté dans une maison voi
sine, chez le sieur Malfilâtre, aubergiste, dont on n’a en qu’à louer l’empressement. Là, les soins les plus dévoués lui furent aussitôt prodigués, en attendant l’arrivée des hommes de l’art .
Cependant le domestiqué qui accompagnait le maréchal courait chercher du secours, et bientôt M. le comte dé Niewerkerkè arrivait, amenant un médecin qui employa tous les moyens indi
qués par la science. On pratiqua au bras une abondante saignée ; on fit. une application de sangsues ; on mit an malade de la glace stfr la tête : tout fut impuissant, répan ehemcnt avait été instantané, et le maréchal rendit le dernier soupir à trois heures ih matin, dans les bras de son fils, qui ne l’a point quitté.
Dès les premiers moments dé l événement, Sf. le ministre de la manne, qui se trouvait par hasard en visite chez la princesse Mathilde, et qui fut prévenu de ce malheur,.se hâta d’accourir sur les
lieux. Il envoya chercher des secours dans toutes les directions, et se rendit kfi-inêfileà Paris à deux heures du matin, pour prévenir le ministre de l’intérieur.
Ce dernier partit immédiatement pour Sèvres et trouva le maréchal mort entre les bras de son fils en proie à la plus affreuse douleur. M. de Persigny se rendit ensuite à Saint-Cloud, d’où il fit venir un détachement d’infanterie, pour rendre les honneurs au maréchal et accompagner jusqu’à la grande chancellerie de la Légion d’honneur sa dépouille mortelle.
Ilemi-Joseph-lsidore, comte Exelmans, était né à Bar-le- Duc le 13 novembre 1775, et était par conséquent âgé de près de soixante-dix-sept ans.
Il s’était enrôlé en 1791, à peine âgé de seize ans, dans le 3° bataillon des volontaires de la Meuse, commandé par Oudinot. Il fit les premières campagnes de France en Bel
gique, en Allemagne, en Italie, et servit dans les diverses armes el dans plusieurs états-majors.
En l’an vu, il lit la campagne de Naples sous Macdonald, puis devint aide dé camp du général Mural. Il fut nommé colonel et officier de la Légion d’honneur en 1805, et gé
néral de brigade vers la fin de 1807, époque à laquelle il accompagna Mural en Espagne. Fait prisonnier par les par
tisans espagnols, il fut conduit aux îles Baléares, et de là en Angleterre, d’où il parvint à s échapper en se jetant dans une barque, avec laquelle il traversa la Manche et débarqua à Gravelines.
Lé général Exelmans devint alors grand écuyer du roi de Naples (Murat), mais il ne tarda pas à revenir prendre du service en France, et fut placé dans la cavalerie de la garde impériale, Où il resta jusqu’à la veille de la bataille de la Moskowa (6 septembre 1812); il fut alors nommé général de division. En 1813 et 1814, il eut le commandement de la T division de cavalerie, légère sous le général Sébastiani. Dans la campagne de France, le général Exelmans com
manda le 2e corps de cavalerie jusqu’à la bataille de Montereau, et ensuite la division de la vieille garde.
Lors de la rentrée des Bombons, le général Exelmans fut nommé inspecteur général de la cavalerie ; le 12 septem
bre 181i, accusé de correspondre clandestinement avec le
roi Murat, il reçut l’ordre de sortir de France, et fut obligé de se cacher pendant quelques jours, mais il ne tarda pas à se constituer prisonnier, et il fut jugé et acquitté. En 1815,
le général Exelmans commandait à Waterloo le deuxième corps de cavalerie de réserve. Après cette funeste journée, le général Exelmans revint sur Paris, et, ayant appris qu’un
corps ennemi venant de Versailles avait passé la Seine et s’avançait sur Paris au nombre de 3,000 hommes environ, il n’hésita pas à l’attaquer, le culbuta et le força à se replier sur Versailles. Cette affaire fut le dernier combat livré dans les Cent-Jours.
Le général Exelmans passa alors en Belgique, mais en 1819 il fut rappelé par le gouvernement du roi, et rétabli sur les cadres dé disponibilité.
En 1828, il fut de nouveau nommé inspecteur général de la cavalerie; en 1830, il prit part aux journées de Juillet, et commanda sous le général Pajol l’expédition de Rambouillet.
Dans les premiers jours du ri*nè de Louis-Philippe, il fut envoyé pour inspecter douze régiments dans le nord et dans l’est de la France, et conserva sa position dans les cadres de disponibilité.
Après la révolution de Février, le 15 août 1849, lë général Exelmans fut nommé grand chancelier de la Légion d’honneur, en remplacement du général Molitor, décédé.
Le 11 mars 1851, le général Exelmans avait été élevé à la dignité de maréchal de France. Ces détails complètent la notice que nous avons publiée à cette époque avec le por
trait du maréchal. Ses obsèques ont été célébrées en grande pompé aux Invalides, le 27 juillet.
— Peu de jours après cette catastrophé, le 26, une autre illustration militaire de l’Ernpire allait rejoindre dans l’autre vie le maréchal Exelmans.
Le général de division baron Gourgaud, grand-croix de la Légion d’honneur, ancien aide de camp de l’empereur Na
poléon et du roi Louis-Philippe, ancien colonel de la lre lé
gion de la garde nationale de Paris, est mort à la suite d’une longue maladie. Ses obsèques ont eu lieu mercredi dernier.
A d’autres lè soin de relever dans des éloges funèbres le caractère de cês illustres morts. Il nous suffit de remarquer qu’ils ont pratiqué toutes les vêrlus qui distinguent le soldat, et que leur vie est l’exemple de ceux qui survivent.
Une perte, regrettable à un autre titre, a été annoncée, cette semaine, aux amis des arts : celle de M. Feuchères, Statuaire, mort le 25 juillet. Paulin.
Courrier de Paris.
En dépit dés fêtes décrétées, des cérémonies attendues et de toutes sortes de surprises que lé soleil d’août va faire éclore, C’en est fait, Paris déménagé; l’époque fortunée de leurs vacances, nos Parisiens ne la reculeraient pas d’un seul jour pour un empire, comme on dit vulgairement. Ils sont revenus des merveilles de Strasbourg sans y être allés.
On part donc, on est parti, la saison l’exige ainsi et le bon ton en fait une loi. Parmi les beaux et les belles, c’est une désertion en règle, une fuite convenue, un sauve-qui-peut à jour fixe. Depuis hier, il n’y a plus d’autres lions visibles à Paris que ceux du Jardin des plantés. Encore une fois, voici venir l’époque où la grande ville colporte en province et jusqu’à l’étranger la pluralité des mondes qui s’agitent dans son sein. Monde politique, dramatique, académique, monde élégant et monde industriel, tout cela court la poste, ou, remorqué par la locomotive, s’en va vers les oasis rêvées pour y goûter l’ombre, le siteoce, les eaux minérales el la paix du cœur. Cê que l’on fuit êri fuyant Paris, c’est la politique., les intrigues, le jeu, là danse, les liaisons dangereu
ses, les concerts et les ténors, quitte à retrouver l’équivalent de ces belles distractions là-bas.