Puisque nos plus grands événements sont des voyages, n’attendez rien Ee bon intra-muros ; l’aspect des Champs-Elysées est lamentable. Une spéculation digne d’un meilleur sort y pleure ses créations champêtres successivement brûlées par le soleil ou ravagées par l’averse. A. l’Hippodrome, ils avaient inventé je ne sais quel ballon-omnibus, destiné à voiturcr les amateurs à travers les nues ; mais l’oiseau n’a séduit per
sonne; on lui trouve le vol trop élevé, et les plus intrépides eux-mêmes redoutent la chute qui suit toujours un essor ambitieux. En danseurs comme en ballon, l’Hippbdrome n’est pas heureux. M“” Saqui vient de lui échapper, et la conscription lui enlevait en même temps son plus fort sau
teur, ce jeune Buislay qui avait de si singulières idées èn l’air. 11 s’en faut de beaucoup que les sauts les plus péril
leux soient lès plus fructueux pour ceux qui s’en avisent,
s il est vrai que les appointements de ce Malheureux enfant étaient fixés à soixante francs par représentation, tout com
pris. Quant à M Saqui, elle a rompu avec ( Hippodrome et avec la France pour un motif assurément plus surprenant que ses exercices. Invitée à risquer sa vie dans une représentation à bénétice, la virtuose, pour prix de son dévoue
ment, aurait été gratifiée d’une robe de sciiè. Ne dites pas cependant que tous les arts sont frères par le malheur, ou bien l’on Va vous citer l’exemple de M. Levassorqui renoncé au théâtre Montansier pour se livrer à l’exploitation dé la chansonnette, laquelle, bon an mal an, lui rapporte cinquante mille francs.
Au Champ de Mars, ce champ d’asile de la ballomanie, il s’est trouvé un rival du hardi Petin, que l’ingralilude des temps et des hommes a contraint dè se réfugier èn Améri
que. M. Petin së flattait de diriger un navire dans l’air en lisant de l’incommensurable espace comme le marin use de l’océan pour son vaisseau. En dépit dès courants con
traires, M. Petin dirigeait son esquif aérien vers un point déterminé du globe, soit le cap Itorn ou la côte, de Coroman
del,-et il y voiturait des milliers d’émigrants entre deux soleils. A celte merveilleuse locomotion il n’a manqué pour atteindre le but, disaient les impatients, que le laisser faire et laisser-passer de l’autorité, sa prudence prévoyait le ré
sultat dont l’appareil Gifford nous a donné l’autre jour un spécimen en petit. C est un glorieux naufrage de plus à ajouter à tous ceux qui depuis le fabuleux Icare ont trompé l’attente de nos navigateurs aériens. Cependant personne n’a le droit de dire : Désespère, à l’intrépide aérohaute,
lorsque la science croit à la possibilité du succès, et que la curiosité publique lui crie : « Courage ! Quoi que tu tentes, j’y serai. »
A propos d’invention miraculeuse, on nous, signale celle d’un rêveur qui est peut-être un homme de génie. Ce sage ou cet insensé aurait inventé le mécanisme d’une machine au moyen de laquelle tout bâtiment se met à l’abri du nau
frage, n’importe l’état de la mer, et n’impurte ie voisinage de la côte. A l’en croire, l’explication est si simple, qu’un
enfant la comprendrait, et c’est pourquoi l’inventeur, qui a grandi dans la crainte de Dieu et des plagiaires, ne veut confier son secret qu’au cliff de l’Etat ou à son représentant le plus direct.
Ee fait suivant nous semble d’un merveilleux plus facile à comprendre : lors de la vente après décès du prince Paul de Wurtemberg,un Murillo authentique èt d’une ràfè beauté vient d’être adjugé moyennant huit cent cinquante francs. Encore plus que les livres, les tableaux ont donc leur desti
née, et il en est d’eux comme de certaines primeurs; en avril on ne peutpasen approcher; viennejuillet, et personne n’en veut plus. On assure que l’acquéreur se préposé de faire don de ce bijou au musée de Paris, à la condition d’en faire le pendant de la fameuse Assomption, récemment payée six cent mille francs. Le donateur a sès raisons pouf que. ces deux extrêmes se louchent.
Il vient de mourir une célébrité chère à plusieurs générations qui se coilFèient à l’envi de ses inventions. C’est Ilerbault, le marchand de riiodes, rival du fameux Leroy, et admis comme lui dans les conseils d’une impératrice et de plu
sieurs reines. La vogue de ses œuvres, très-appréciéès dans tous les mondes, lui avait procuré une fortune considérable. On dit qu’il laissé des mémoires (à acquitter) fort cu
rieux, ce qu’on pourrait appeler lès archives sécrètes de certaines familles. Ce grand homme de inodes ne compre
nait plus rien aux nôtres; à l’entendre, la chute du goût était manifeste, et depuis l’Ernpifë et la Restauration la France n’était plus pour lui qu une grande dame déchue qui por
tait un bien vilain chape,àu. Aussi l’abdication d’Herbault suivit-elle de près Celle de Charles .X ; et il s’était relire à Aulnay au montent le plus vif de sa célébrité, dans line magnifique résidence, voisine de la bicoque habitée par Chateaubriand. Lé nom a’Hèrbault avait été trop justement cé
lèbre pour que l’éclat n’én rejaillit pas sur ses successeurs, qui, à leur tour* le remet boni à d’autres côihine un patri
moine, tant il est vrai que, dans ces bèatix domaines dë la main-d œuvre* la gloire s’aliène Comme le tonds.
J’en suis bien fâché pour Hbs autres nouvelles, Paris voyage, et il faut se résigner à les chercher à sa suite, sur les grands chemins. Mais d’abord ouvrons îâ parenthèse littéraire que voici.
On de nos poêles éminenls, fauteur de Cinq-Mars, de Stella et de Chatterton, publié la huitième édition de, ses œuvres complètes, qu il a revues avec un soin dë la forme et un respect du public devenus bien rares aujourd’hui.
Chacun a lu et voudra relire ces productions exquises d’un esprit si fin et d’un talent si élevé, èn regrettant lé silence
austère auquel M. de Vigny semblé s’êti-e condamné, étais peut-êlre voudra-t-il enfin accorder à l’admirâlion du pu
blic ce qu’il a refusé jusqu’à présent aux supplicafions dë ses amis. Le philosophe Epiclète pouvait se dire:« Abstienstoi; » le poète Virgile n’en avait pas ië droit : ëst-ce que les
inspirations du génie n’appartiennent pas à son é.po qué avant de devenir le patrimoine de tous les temps ? Aux amis de la poésie, s’il lui en reste, j’annoncerai encore Emaux
et Camées, brillantes fantaisies échappées à la plume de. colibri de M. Théophile Gautier, et les Poèmes ne ta mer, par M. Atitrâtij fauieur de la File d’Eschyle, un lauréat de l’Académie. Des poèmes par le temps qui court, ces grandes hardiesses méritent bien qu’on y revienne. Mais en voici une autre d’un genre tout diftéfeht et sur laquelle, passé le suivant paragraphe, on ne reviendra plus.
Cela s’intitule : Mayonnaise d éidlérrterides et de dictionnaire, par les tleUx hommes d’Etat du tintamarre, et vous représenté tin mélange du burlesque et du jovial dans leur expression la plus exaltée. De l’esprit, il y en a beaucoup, et hiêmé il n’y a que les riches d’esprit qui puis
sent s’én permettre hue dépense aussi prodigieuse. Ceci ëst vraiment dë la fine fleur du quolibet et du coq-ii-fâiie élevé à sa plus haute puissance.
Èxelnpiés divers d’éphémérides :
L’an 64 avant.I. C. Catilina abuse de la patience de Ci- Cërhn.
1315. Mort d’IinguërfànddeMarigny, célèbre par son carré, 1850. Invèn lion du Macadam. Les boulevards se couvrent de boue. De là l’expression : « Oh ne sait par quelle b oiië tes prendre. »
Ailleurs, on lit cet avis au sujet d’irae sbciè.té aurifère : « Les actionnaires payent moitié Comptant et moitié de mauvaise humeur.
Quant au dictionnaire, certains mots s’y trouvent expliqués âvéc une précision épigrainmatique, et partant fort divertissante. Lisez plutôt :
AbibMÀTE ; saiicë mécanique. Èxèihple : bœuf automate.
tu.ni \xn : être vomi au monde pour écorcher le français èt faire des habits pu des bottes.
Conscience: ustensile en caoutchouc.
Et encore : Dette : riialadiè dè la sonnette.
Abrégeons, car ce petit livre finirait par usurper la place tout, entière, et les plus, dédaigneux ne.pourraient s’em-, pêcher de dire avec le flâneur de la comédie :
Voilà qui fait du moins passer une heure ou deux.
J’en viens aux nouvelles extra-miirns ci-dessus promises : la plus grande, la plus pelite, la plus simple, la plus merveilleuse, et ainsi de suite jusqu’à la fin des épithètes accumulées dans la lettre de M,,,c de Sévigné, c’est le triomphe de M“e Rachél à la cour du roi de PriisSë, devant S. M. l’empereur de toutes les Russies. Un excellent appréciateur, l’un de nos plus spirituels confrères, et le mieux in
formé de ta grande presse en cette circonstance, M. Edouard Thierry, est entré dans les détails les plus circonstanciés sur celte représentation qui a eu lieu en plein air, à la face du ciel, dans File des Paons, devant un parterre de monar
ques et de princes, et que nous regrettons de ne pouvoir mentionner tout au long, ne serait-ce que pour réjouir à notre tour l’ombre de Dangeau. Voici donc çètle cour splen
dide, la plus imposante des cours de l’Europe assurément, debout autour de la tragédienne et suspendue à ses lèvres ; l’impératrice s’est assise, et l’empereur, prenant une chaise,
dit à l’actrice : « Je ne me mets pas à ma place, je veux être tout près de vous, afin de mieux vous voir. » C’est ainsi qu’autrefois l’empereur, qui pousse le noble goût des arts
jusqu’à l’enivrement le plus impérial, avait daigné (tiré à MUe Taglioni, en lui amenant les princesses Olga et Marie : « Je vous présente mes filles. Allons, mesdemoiselles, saluez l’illustre Taglioni. »
Le programme, dressé à la hâte, mettait au choix de LL. MM. un répertorié tout entier : Phèdre, Hoxane, Mohirne, Firgiide, Advienne Leco/irreur et Diane. C’est par le second acte de / irgoiie que l’on commence, et le rôle aussitôt dit, avec quels frémissements èt au milieu de quels transports! le czar se lève, et, prenant la main de la tragé
dienne : « Mademoiselle, je viens de comprendre à quel point la tragédie a besoin d’interprète: il faut l’élévation de votre talent pour la sentir comme elle doit l’être; il faut aussi la noblesse de. votre personne pour la rendre connue elle doit être rendue. » Après Virginie, Phèdre et Advienne Ltcouvreur; mais l’émotion de l’actrice est à sbh comble; elle a pâli, elle chancelle ; son châle lui échappe. Èt l’empereur d’accourir, assure-t-on, et de le lui rendre gracieu
sement. Charles-Quint avait bien ramassé le pinceau dû Titien, L’impératrice veut à son tour féliciter M“e Rachel, tandis que dans la foule des princes et des princesses circule ün nouveau bruit , c’èst que l’empereur a invité M1 Rachel à venir prochainement à Saint-Pétersbourg. On
se doute du dénoûment : le lendemain, le premier aide de Càmp de l empereur remettait à MUe Rachel une magnifique broche d’une valeur de dix mille roubles, tandis que S. M. le roi de Prusse lui envoyait vingt mille francs pour les représentations .données à Pofsdam ; et certes* c’est le moindre iîès souvenirs que la tragédie et la tragédienne emporteront de celte éclatante soirée.
Et maintenant, pour parler un peu comme la petite posté, on mande des bords du Rhin allemand que l’élite de ia société parisienne s’y est donné rendez-vous depuis Bàde jusqu’à Spa. C’est comme un congrès des notabilités de la capitale. A Hambourg, le quarlier général de la roulette et du lansquenet, où l’on prend les eaux par-dessus le mar
ché, les seuls Français jusqu’à présent signalés sont MM. Elshoecht et Kalkbrenner.
On écrit de Noyon que l’équipée, du prisonnier de IJam, —lisez Bou-Maza,-—ayant donné lieu à des interprétations malveillantes, l’itlustfe Berbère prépare un mémoire justificatif de sa conduite.
A Auteuil-Iès-Paris, on annonce un grand concert de bienfaisance, dont M. Musard, qui est la principale autorité dè la commune, réglera l’ordre et la marche. C’est M. le maire lui-même qui, revêtu de son écharpe, conduira l’orchestre.
On mande d’Asnières : Notre plage est déserte à cent pas à la ronde; elle est veuve de toute espèce de flambards. Quant à ce voyageur aventureux qui, selon les journaux, s’était égaré dans la plaine de Grenelle, on l’a retrouvé dans une carrière de Montrouge à l’état de sauvage se nourrissant de choses affreuses. C’était lin canotier de Charenton qui, rêvant la gloire des Clappertoii et des Caillié, avait pris la Seine pour le Niger, Paris pour Tombouctou, et la plaine de Grenelle pour le grand désert de Sahara. On l’a reconduit dans sa cabine.
Le Théâtre-Français, qui parfois se plaît à se parer des plûmes de l’Odéon, a repris le toyage a Pontoise, amusante et vive comédie que les acteurs ont jouée avec beaucoup de chaleur. En même temps, le foyer du théâtre, cu
rieux musée ouvert aux gloires peintes ou sculptées de la HiàiSon, s’enrichissait d’un gracieux portrait de M“* Leverd, ouvrage de. bras, et d’une peinture de Robert Lefebvre, qui est censée représenter Armand, l’ancien sociétaire, mort dernièrement.
Je passe à l aventure de la Perdrix rouge du théâtre Montansier. M. et M“* de Lucienne se sont aimés à la folie, pendant quinze, jours, juste la durée delà lune de miel.
Puis, là satiété s’en mêlant, un beau matin on s’est aperçu que lé tête-à-tètè devenait insupportable. Plus d’amour, partant beaucoup d’ennui : on s’est tourné.le dos, on s’est dit mutuellement son fait; bref, nos amoureux se sont dneme.nl séparés sur ce beau prétexte, l’incompatibilité d hu
meur, et, à la faveur du Code civil en son article 191, la cheville ouvrière du divorce. Cinq ans déjà passés, les époux vivent chacun de son côté, comme dans.la pièce de ce nom, la daine en butte aux assiduités d’un galantin, et lui signant une promesse qu’elle ne tiendra pas, tandis que, de son côlé, monsieur va à la chasse aux per
drix, si bien qu’il vient de tuer une perdrix rouge sur les domaines de madame, et à la porte de son château. Ah!
quelle rencontre ! Quoi ! c’est vous 1— Ma femme ! — Mon mari! — Puisqu’on s’est retrouvé, il est évident que c’est pour s’adorer de plus belle, et c’est ainsi que l’on s’épouse line seconde, fois. Quand la Montansier roucoulé et mari
vaude, c’est qu’elle compte sur l’expérience de M. Derval et la gentillesse de Mllc Scriwaneck. Ce vaudeville caniculaire a donc complètement réussi.
Cependant vous allez préférer, sans trop de peine, la tête de Martin. Encore un article du Code civil. « Lë proprié
taire d’une rente viagère n’en peut demander les arrérages qu’en justifiant de son existence ou de celle de la personne sur la tête (la tête de Martin) de laquelle elle a été consti
tuée. » Ainsi s’exprime l’article 1983 en son patois, d’où ces messieurs les trois auteurs ont extirpé leur vaudeville, il va sans dire que le propriétaire de la rente cherche sa fête de Martin, et il en trouve une. demi-douzaine. Ce propriétaire, M. Durand, — lisez Sainville, — ne saurait ma
rier sa fille Amenda et son neveu Venceslas qu’après cette découverte. Mais voilà qu’un Jeune-France voltige autour dèM°,E Durand, et lui déclare son amour, qu’il signe de son nom : Isidore Martin. « Quoi ! la tête de mon Martin en veut, à la mienne ! Mais, hast 1 sauvons ma rente! » s’écrie le. bonhomme Sainville. Toute la pièce est-là. Elle est vive, rapide, amusante et très-bien jouée.
Philippe Büsoni.
Moeurs et coutumes de France.
LA DiME EN BASSE-NORMANDIE. — LA FÊTE DE LA GERBE
Parmi les réponses à l’appel que nous avons adressé aux écrivains et aux artistes de nos départements, afin de re
cueillir ce qui reste dès vieilles coutumes de la France, les deux suivantes trouvent leur à-propos dans le mois qui finit aujourd’hui èt dans celui qui va commencer :
«Monsieur, le titre du croquis ci-joint vous paraîtra sans doute hasardé; cépendantil ëstd’unè rigoureuse exactitude,
caria dîme que l’on croit anéantie subsisté encore en Basse- Normandie ; je dois mfe hâter d’ajouter que ce n’est plus M. le curé qui ia perçoit, mais bien son humble custos.
« Chaque année, à la récolte, les sacristains de beaucoup de paroisses de notre contrée Se transportent dans les champs où l’bii fâit la moison, et perçoivent, siir chacun des habitants de la paroisse, riches ou pauvres, une gerbe de blé ou de seigle, suivant la nature dè la rëdjltê. On leur donné de la paille pour faire le lien, et ils ont le droit de faire la gèrbe aussi belle qu’ils le peuvent. Quand elle est
faite, Sur un signal du maître, les.eirfants courent ramasser dès bleu-bleu, des coquelicots et d autres fictifs dés champs avec lesquelles ils fléurisseht la gerbe, que l’on nômrtie la gerbe à Dieu dans certains endroits.
« C’èst cette scène que j’ai essayé de représenter. Cette coutume est assez naïve pour mëritër, je crois, uhë petite place dans VIllustration.
« Recevez, etc. J. L. « comlë-sur-Noiremi, ce 21 juillet lènl »
—L’autre communication a polir titre la Fêle de la Gerbe dans le Bas-Mairie. Notre correspondant ajoute à son excellent dessin là notice suivante :
« J’ai emprunté la description de la Gerbe à un ouvrage d’un compatriote, qui a publié autrefois des lèttrés sur l’o
rigine de la chouannerie dans le Bas-Maine. Je laisserai donc parler M. Düchemin Deslepeaux; son érudition sera le meilleur commentaire du dessin que je vous prie d’agréer.
« Voici donc à peu près en quoi consiste la cérémonie de la Gerbe, qui, dans chaque métairie du Bas-Maine, termine toujours le battage des grains.
« Lorsque les batteurs en sont à préparer leur dernière airée, ils placent dans un coin de la grange, où la moisson avait été mise à couvert, une gerbe ornée de
sonne; on lui trouve le vol trop élevé, et les plus intrépides eux-mêmes redoutent la chute qui suit toujours un essor ambitieux. En danseurs comme en ballon, l’Hippbdrome n’est pas heureux. M“” Saqui vient de lui échapper, et la conscription lui enlevait en même temps son plus fort sau
teur, ce jeune Buislay qui avait de si singulières idées èn l’air. 11 s’en faut de beaucoup que les sauts les plus péril
leux soient lès plus fructueux pour ceux qui s’en avisent,
s il est vrai que les appointements de ce Malheureux enfant étaient fixés à soixante francs par représentation, tout com
pris. Quant à M Saqui, elle a rompu avec ( Hippodrome et avec la France pour un motif assurément plus surprenant que ses exercices. Invitée à risquer sa vie dans une représentation à bénétice, la virtuose, pour prix de son dévoue
ment, aurait été gratifiée d’une robe de sciiè. Ne dites pas cependant que tous les arts sont frères par le malheur, ou bien l’on Va vous citer l’exemple de M. Levassorqui renoncé au théâtre Montansier pour se livrer à l’exploitation dé la chansonnette, laquelle, bon an mal an, lui rapporte cinquante mille francs.
Au Champ de Mars, ce champ d’asile de la ballomanie, il s’est trouvé un rival du hardi Petin, que l’ingralilude des temps et des hommes a contraint dè se réfugier èn Améri
que. M. Petin së flattait de diriger un navire dans l’air en lisant de l’incommensurable espace comme le marin use de l’océan pour son vaisseau. En dépit dès courants con
traires, M. Petin dirigeait son esquif aérien vers un point déterminé du globe, soit le cap Itorn ou la côte, de Coroman
del,-et il y voiturait des milliers d’émigrants entre deux soleils. A celte merveilleuse locomotion il n’a manqué pour atteindre le but, disaient les impatients, que le laisser faire et laisser-passer de l’autorité, sa prudence prévoyait le ré
sultat dont l’appareil Gifford nous a donné l’autre jour un spécimen en petit. C est un glorieux naufrage de plus à ajouter à tous ceux qui depuis le fabuleux Icare ont trompé l’attente de nos navigateurs aériens. Cependant personne n’a le droit de dire : Désespère, à l’intrépide aérohaute,
lorsque la science croit à la possibilité du succès, et que la curiosité publique lui crie : « Courage ! Quoi que tu tentes, j’y serai. »
A propos d’invention miraculeuse, on nous, signale celle d’un rêveur qui est peut-être un homme de génie. Ce sage ou cet insensé aurait inventé le mécanisme d’une machine au moyen de laquelle tout bâtiment se met à l’abri du nau
frage, n’importe l’état de la mer, et n’impurte ie voisinage de la côte. A l’en croire, l’explication est si simple, qu’un
enfant la comprendrait, et c’est pourquoi l’inventeur, qui a grandi dans la crainte de Dieu et des plagiaires, ne veut confier son secret qu’au cliff de l’Etat ou à son représentant le plus direct.
Ee fait suivant nous semble d’un merveilleux plus facile à comprendre : lors de la vente après décès du prince Paul de Wurtemberg,un Murillo authentique èt d’une ràfè beauté vient d’être adjugé moyennant huit cent cinquante francs. Encore plus que les livres, les tableaux ont donc leur desti
née, et il en est d’eux comme de certaines primeurs; en avril on ne peutpasen approcher; viennejuillet, et personne n’en veut plus. On assure que l’acquéreur se préposé de faire don de ce bijou au musée de Paris, à la condition d’en faire le pendant de la fameuse Assomption, récemment payée six cent mille francs. Le donateur a sès raisons pouf que. ces deux extrêmes se louchent.
Il vient de mourir une célébrité chère à plusieurs générations qui se coilFèient à l’envi de ses inventions. C’est Ilerbault, le marchand de riiodes, rival du fameux Leroy, et admis comme lui dans les conseils d’une impératrice et de plu
sieurs reines. La vogue de ses œuvres, très-appréciéès dans tous les mondes, lui avait procuré une fortune considérable. On dit qu’il laissé des mémoires (à acquitter) fort cu
rieux, ce qu’on pourrait appeler lès archives sécrètes de certaines familles. Ce grand homme de inodes ne compre
nait plus rien aux nôtres; à l’entendre, la chute du goût était manifeste, et depuis l’Ernpifë et la Restauration la France n’était plus pour lui qu une grande dame déchue qui por
tait un bien vilain chape,àu. Aussi l’abdication d’Herbault suivit-elle de près Celle de Charles .X ; et il s’était relire à Aulnay au montent le plus vif de sa célébrité, dans line magnifique résidence, voisine de la bicoque habitée par Chateaubriand. Lé nom a’Hèrbault avait été trop justement cé
lèbre pour que l’éclat n’én rejaillit pas sur ses successeurs, qui, à leur tour* le remet boni à d’autres côihine un patri
moine, tant il est vrai que, dans ces bèatix domaines dë la main-d œuvre* la gloire s’aliène Comme le tonds.
J’en suis bien fâché pour Hbs autres nouvelles, Paris voyage, et il faut se résigner à les chercher à sa suite, sur les grands chemins. Mais d’abord ouvrons îâ parenthèse littéraire que voici.
On de nos poêles éminenls, fauteur de Cinq-Mars, de Stella et de Chatterton, publié la huitième édition de, ses œuvres complètes, qu il a revues avec un soin dë la forme et un respect du public devenus bien rares aujourd’hui.
Chacun a lu et voudra relire ces productions exquises d’un esprit si fin et d’un talent si élevé, èn regrettant lé silence
austère auquel M. de Vigny semblé s’êti-e condamné, étais peut-êlre voudra-t-il enfin accorder à l’admirâlion du pu
blic ce qu’il a refusé jusqu’à présent aux supplicafions dë ses amis. Le philosophe Epiclète pouvait se dire:« Abstienstoi; » le poète Virgile n’en avait pas ië droit : ëst-ce que les
inspirations du génie n’appartiennent pas à son é.po qué avant de devenir le patrimoine de tous les temps ? Aux amis de la poésie, s’il lui en reste, j’annoncerai encore Emaux
et Camées, brillantes fantaisies échappées à la plume de. colibri de M. Théophile Gautier, et les Poèmes ne ta mer, par M. Atitrâtij fauieur de la File d’Eschyle, un lauréat de l’Académie. Des poèmes par le temps qui court, ces grandes hardiesses méritent bien qu’on y revienne. Mais en voici une autre d’un genre tout diftéfeht et sur laquelle, passé le suivant paragraphe, on ne reviendra plus.
Cela s’intitule : Mayonnaise d éidlérrterides et de dictionnaire, par les tleUx hommes d’Etat du tintamarre, et vous représenté tin mélange du burlesque et du jovial dans leur expression la plus exaltée. De l’esprit, il y en a beaucoup, et hiêmé il n’y a que les riches d’esprit qui puis
sent s’én permettre hue dépense aussi prodigieuse. Ceci ëst vraiment dë la fine fleur du quolibet et du coq-ii-fâiie élevé à sa plus haute puissance.
Èxelnpiés divers d’éphémérides :
L’an 64 avant.I. C. Catilina abuse de la patience de Ci- Cërhn.
714v Ère de Nabo-Nâssar, 1817. Vif de t Tialdès,
1315. Mort d’IinguërfànddeMarigny, célèbre par son carré, 1850. Invèn lion du Macadam. Les boulevards se couvrent de boue. De là l’expression : « Oh ne sait par quelle b oiië tes prendre. »
Ailleurs, on lit cet avis au sujet d’irae sbciè.té aurifère : « Les actionnaires payent moitié Comptant et moitié de mauvaise humeur.
Quant au dictionnaire, certains mots s’y trouvent expliqués âvéc une précision épigrainmatique, et partant fort divertissante. Lisez plutôt :
AbibMÀTE ; saiicë mécanique. Èxèihple : bœuf automate.
tu.ni \xn : être vomi au monde pour écorcher le français èt faire des habits pu des bottes.
Conscience: ustensile en caoutchouc.
Et encore : Dette : riialadiè dè la sonnette.
Abrégeons, car ce petit livre finirait par usurper la place tout, entière, et les plus, dédaigneux ne.pourraient s’em-, pêcher de dire avec le flâneur de la comédie :
Voilà qui fait du moins passer une heure ou deux.
J’en viens aux nouvelles extra-miirns ci-dessus promises : la plus grande, la plus pelite, la plus simple, la plus merveilleuse, et ainsi de suite jusqu’à la fin des épithètes accumulées dans la lettre de M,,,c de Sévigné, c’est le triomphe de M“e Rachél à la cour du roi de PriisSë, devant S. M. l’empereur de toutes les Russies. Un excellent appréciateur, l’un de nos plus spirituels confrères, et le mieux in
formé de ta grande presse en cette circonstance, M. Edouard Thierry, est entré dans les détails les plus circonstanciés sur celte représentation qui a eu lieu en plein air, à la face du ciel, dans File des Paons, devant un parterre de monar
ques et de princes, et que nous regrettons de ne pouvoir mentionner tout au long, ne serait-ce que pour réjouir à notre tour l’ombre de Dangeau. Voici donc çètle cour splen
dide, la plus imposante des cours de l’Europe assurément, debout autour de la tragédienne et suspendue à ses lèvres ; l’impératrice s’est assise, et l’empereur, prenant une chaise,
dit à l’actrice : « Je ne me mets pas à ma place, je veux être tout près de vous, afin de mieux vous voir. » C’est ainsi qu’autrefois l’empereur, qui pousse le noble goût des arts
jusqu’à l’enivrement le plus impérial, avait daigné (tiré à MUe Taglioni, en lui amenant les princesses Olga et Marie : « Je vous présente mes filles. Allons, mesdemoiselles, saluez l’illustre Taglioni. »
Le programme, dressé à la hâte, mettait au choix de LL. MM. un répertorié tout entier : Phèdre, Hoxane, Mohirne, Firgiide, Advienne Leco/irreur et Diane. C’est par le second acte de / irgoiie que l’on commence, et le rôle aussitôt dit, avec quels frémissements èt au milieu de quels transports! le czar se lève, et, prenant la main de la tragé
dienne : « Mademoiselle, je viens de comprendre à quel point la tragédie a besoin d’interprète: il faut l’élévation de votre talent pour la sentir comme elle doit l’être; il faut aussi la noblesse de. votre personne pour la rendre connue elle doit être rendue. » Après Virginie, Phèdre et Advienne Ltcouvreur; mais l’émotion de l’actrice est à sbh comble; elle a pâli, elle chancelle ; son châle lui échappe. Èt l’empereur d’accourir, assure-t-on, et de le lui rendre gracieu
sement. Charles-Quint avait bien ramassé le pinceau dû Titien, L’impératrice veut à son tour féliciter M“e Rachel, tandis que dans la foule des princes et des princesses circule ün nouveau bruit , c’èst que l’empereur a invité M1 Rachel à venir prochainement à Saint-Pétersbourg. On
se doute du dénoûment : le lendemain, le premier aide de Càmp de l empereur remettait à MUe Rachel une magnifique broche d’une valeur de dix mille roubles, tandis que S. M. le roi de Prusse lui envoyait vingt mille francs pour les représentations .données à Pofsdam ; et certes* c’est le moindre iîès souvenirs que la tragédie et la tragédienne emporteront de celte éclatante soirée.
Et maintenant, pour parler un peu comme la petite posté, on mande des bords du Rhin allemand que l’élite de ia société parisienne s’y est donné rendez-vous depuis Bàde jusqu’à Spa. C’est comme un congrès des notabilités de la capitale. A Hambourg, le quarlier général de la roulette et du lansquenet, où l’on prend les eaux par-dessus le mar
ché, les seuls Français jusqu’à présent signalés sont MM. Elshoecht et Kalkbrenner.
On écrit de Noyon que l’équipée, du prisonnier de IJam, —lisez Bou-Maza,-—ayant donné lieu à des interprétations malveillantes, l’itlustfe Berbère prépare un mémoire justificatif de sa conduite.
A Auteuil-Iès-Paris, on annonce un grand concert de bienfaisance, dont M. Musard, qui est la principale autorité dè la commune, réglera l’ordre et la marche. C’est M. le maire lui-même qui, revêtu de son écharpe, conduira l’orchestre.
On mande d’Asnières : Notre plage est déserte à cent pas à la ronde; elle est veuve de toute espèce de flambards. Quant à ce voyageur aventureux qui, selon les journaux, s’était égaré dans la plaine de Grenelle, on l’a retrouvé dans une carrière de Montrouge à l’état de sauvage se nourrissant de choses affreuses. C’était lin canotier de Charenton qui, rêvant la gloire des Clappertoii et des Caillié, avait pris la Seine pour le Niger, Paris pour Tombouctou, et la plaine de Grenelle pour le grand désert de Sahara. On l’a reconduit dans sa cabine.
Le Théâtre-Français, qui parfois se plaît à se parer des plûmes de l’Odéon, a repris le toyage a Pontoise, amusante et vive comédie que les acteurs ont jouée avec beaucoup de chaleur. En même temps, le foyer du théâtre, cu
rieux musée ouvert aux gloires peintes ou sculptées de la HiàiSon, s’enrichissait d’un gracieux portrait de M“* Leverd, ouvrage de. bras, et d’une peinture de Robert Lefebvre, qui est censée représenter Armand, l’ancien sociétaire, mort dernièrement.
Je passe à l aventure de la Perdrix rouge du théâtre Montansier. M. et M“* de Lucienne se sont aimés à la folie, pendant quinze, jours, juste la durée delà lune de miel.
Puis, là satiété s’en mêlant, un beau matin on s’est aperçu que lé tête-à-tètè devenait insupportable. Plus d’amour, partant beaucoup d’ennui : on s’est tourné.le dos, on s’est dit mutuellement son fait; bref, nos amoureux se sont dneme.nl séparés sur ce beau prétexte, l’incompatibilité d hu
meur, et, à la faveur du Code civil en son article 191, la cheville ouvrière du divorce. Cinq ans déjà passés, les époux vivent chacun de son côté, comme dans.la pièce de ce nom, la daine en butte aux assiduités d’un galantin, et lui signant une promesse qu’elle ne tiendra pas, tandis que, de son côlé, monsieur va à la chasse aux per
drix, si bien qu’il vient de tuer une perdrix rouge sur les domaines de madame, et à la porte de son château. Ah!
quelle rencontre ! Quoi ! c’est vous 1— Ma femme ! — Mon mari! — Puisqu’on s’est retrouvé, il est évident que c’est pour s’adorer de plus belle, et c’est ainsi que l’on s’épouse line seconde, fois. Quand la Montansier roucoulé et mari
vaude, c’est qu’elle compte sur l’expérience de M. Derval et la gentillesse de Mllc Scriwaneck. Ce vaudeville caniculaire a donc complètement réussi.
Cependant vous allez préférer, sans trop de peine, la tête de Martin. Encore un article du Code civil. « Lë proprié
taire d’une rente viagère n’en peut demander les arrérages qu’en justifiant de son existence ou de celle de la personne sur la tête (la tête de Martin) de laquelle elle a été consti
tuée. » Ainsi s’exprime l’article 1983 en son patois, d’où ces messieurs les trois auteurs ont extirpé leur vaudeville, il va sans dire que le propriétaire de la rente cherche sa fête de Martin, et il en trouve une. demi-douzaine. Ce propriétaire, M. Durand, — lisez Sainville, — ne saurait ma
rier sa fille Amenda et son neveu Venceslas qu’après cette découverte. Mais voilà qu’un Jeune-France voltige autour dèM°,E Durand, et lui déclare son amour, qu’il signe de son nom : Isidore Martin. « Quoi ! la tête de mon Martin en veut, à la mienne ! Mais, hast 1 sauvons ma rente! » s’écrie le. bonhomme Sainville. Toute la pièce est-là. Elle est vive, rapide, amusante et très-bien jouée.
Philippe Büsoni.
Moeurs et coutumes de France.
LA DiME EN BASSE-NORMANDIE. — LA FÊTE DE LA GERBE
DANS LE BAS-MAINE.
Parmi les réponses à l’appel que nous avons adressé aux écrivains et aux artistes de nos départements, afin de re
cueillir ce qui reste dès vieilles coutumes de la France, les deux suivantes trouvent leur à-propos dans le mois qui finit aujourd’hui èt dans celui qui va commencer :
«Monsieur, le titre du croquis ci-joint vous paraîtra sans doute hasardé; cépendantil ëstd’unè rigoureuse exactitude,
caria dîme que l’on croit anéantie subsisté encore en Basse- Normandie ; je dois mfe hâter d’ajouter que ce n’est plus M. le curé qui ia perçoit, mais bien son humble custos.
« Chaque année, à la récolte, les sacristains de beaucoup de paroisses de notre contrée Se transportent dans les champs où l’bii fâit la moison, et perçoivent, siir chacun des habitants de la paroisse, riches ou pauvres, une gerbe de blé ou de seigle, suivant la nature dè la rëdjltê. On leur donné de la paille pour faire le lien, et ils ont le droit de faire la gèrbe aussi belle qu’ils le peuvent. Quand elle est
faite, Sur un signal du maître, les.eirfants courent ramasser dès bleu-bleu, des coquelicots et d autres fictifs dés champs avec lesquelles ils fléurisseht la gerbe, que l’on nômrtie la gerbe à Dieu dans certains endroits.
« C’èst cette scène que j’ai essayé de représenter. Cette coutume est assez naïve pour mëritër, je crois, uhë petite place dans VIllustration.
« Recevez, etc. J. L. « comlë-sur-Noiremi, ce 21 juillet lènl »
—L’autre communication a polir titre la Fêle de la Gerbe dans le Bas-Mairie. Notre correspondant ajoute à son excellent dessin là notice suivante :
« J’ai emprunté la description de la Gerbe à un ouvrage d’un compatriote, qui a publié autrefois des lèttrés sur l’o
rigine de la chouannerie dans le Bas-Maine. Je laisserai donc parler M. Düchemin Deslepeaux; son érudition sera le meilleur commentaire du dessin que je vous prie d’agréer.
« Voici donc à peu près en quoi consiste la cérémonie de la Gerbe, qui, dans chaque métairie du Bas-Maine, termine toujours le battage des grains.
« Lorsque les batteurs en sont à préparer leur dernière airée, ils placent dans un coin de la grange, où la moisson avait été mise à couvert, une gerbe ornée de