quelques instants, ce rêve des adolescents et des jeunes hommes, une chaumière et son cœur. L’écrivain dont le volume dale d’hier n’a fait de, la femme autrefois entrevue dans ses adorations de jeune homme qu’une ombre creuse, un sylphe insaisissable, et il a peint un paysage de fantai
sie, curieusement fouillé dans la petitesse infinie de ses dé
tails, comptant un à un les flots expirants sur la grève, écoutant sous la feuillée les frissons de la plume de l’oiseau, suivant du regard la goutte d’eau qui glisse en spirale le long des tiges, il retrouve les brises, les parfums, les rayons et les ombres, les froissements et les silences; mais le sol
manque, et on ne sait où prendre pied dans ce royaume des songes. L’écrivain du dix-liuijièmè siècle, au contraire, ra
conte tout entière la femme qu’il a aimée, et qui fut sa bienfaitrice, avec tout le laisser-aller de ses mœurs. En même temps qu’il la dégrade, il cherche à justifier par des sophismes les basses inclinations qui révoltent, et il la re
présente si indulgente, si aimable, si bienfaisante et si bonne, que de tout cet opprobre se dégage une gracieuse image, qui gagne le cœur. On oublie ; on ne songe pas à faire ie procès à cette pauvre femme. La même plume qui a honteusement révélé au monde, cette vie ternie a, en même
temps, répandu un tel charme sur celte figure, et a mis une telle auréole sur sa mémoire, que le nom de iU M de Warens est un nom béni parmi ceux que l’imagination se plaît à caresser. Mais c’est surtout dans la description de cette jolie retraite des Charmettes qu’excelle l’écrivain, qui avait un sentiment si juste et si vrai de la campagne. Si on excepte la Fontaine, la grande et belle littérature française du dix-septième siècle ne se doute pas de la nature. C’est J.-J. Rousseau, au dix huitième siècle, qui l’y ramène, avec un entraînement du cœur qui est une des séductions deson talent. C’est de lui que date, à cet égard, la rénovation.
Tous les écrivains, à sa suite, ont voulu être peintres de paysages, et de nos iours te genre descriptif a été employé d’une manière si abusive, et s’est égaré dans de telles mi
nuties, qu’il est devenu, à son tour, une cause d’allanguissement et un signe de décadence. Chez lui, le Irait est plein, abondant, juste et précis; il plaît parce qu’il est simple et vrai, et, comme on l’a dit avec raison : « C’est un des ca
ractères de la poésie chez lui, de n’avoir rien de recherché ni d’aristocratique, de savoir trouver dans les plus humbles détails un monde d’émotions vraies et pathétiques. » Voilà
comme il décrit ses chères Charmettes : « La maison était très-logeable; au-devant était un jardin en terrasse, une vigne au-dessus, un verger au-dessous, vis à vis un petit bois de châtaigniers, une fontaine à portée ; plus haut, dans la montagne, des prés pour l’enlretien du bétail; enfin tout ce qu’il fallait pour le petit ménage champêtre que nous voulions établir... J’étais transporté le premier jour que nous y couchâmes. O maman ! dis-je à celte chère amie :
ce séjour est celui du bonheur et de Xinnocence. Si nous ne les trouvons pas ici F un avec l’autre, il ne les faut chercher nulle part. » Toujours le sophiste, dupe de son imagi
nation ! Puis il décrit sa paisible existence : « Ici commence le court bonheur de ma vie... Comment dire ce qui n’était ni dit, ni fait, ni pensé même, mais goûté, mais senti, sans que je puisse énoncer d’autre objet de mon bonheur que ce sentiment même? Je me levais avec le soleil, et j’étais heu


reux; je me promenais, et j étais heureux; je parcourais les bois, les coteaux, j’errais dans les vallons, je lisais, j’é­


tais oisif, je travaillais au jardin, je cueillais les fruits, j’ai
dais au ménage, et le bonheur me suivait partout... Deux ou trois fois la semaine, quand il faisait beau, nous allions derrière la maison prendre le café dans un cabinet frais et touffu que j’avais garni de houblon, et qui nous faisait grand plaisir durant la chaleur : nous passions là une pelite heure à visiter nos légumes, nos fleurs, à des entretiens relatifs à notre manière, de vivre, et qui nous en faisaient mieux goûter la douceur... Mon cœur, neuf encore, se livrait à tout avec un plaisir d’enfant... des dîners faits sur l’herbe, des soupers sous le berceau, les vendanges, les veillées à te,filer avec nos gens, tout cela faisait pour nous autant de fêtes auxquelles maman prenait le même plaisir que moi. Des promenades plus solitaires avaient un charme plus grand en


core, parce que le cœur s’épanchait plus en liberté. Nous en fîmes une, entre autres, qui fait époque dans ma mé


moire, un jour de saint Louis, dont maman portait le nom.
Nous partinmsensemble et seuls de bon matin, après la messe qu un carme était venu nous dire à la pointe du jour dans une chapelle attenante à la maison... » N’y a-t-il pas un attrait inexprimable dans loule cette peinture? On s’y aban
donne pleinement ; un y croit. Oui ! c’est bien là, ou il n’est nulle part, un séjour de paix et d’innocçnce.La religion même y est présente comme un lien de plus entre les deux convertis, entre l apprenti horloger né à Genève, qui devait être un jour si célèbre sous le nom de Jean-Jacques, et l’aima
ble femme née à Vevay, devenue, la pensionnaire du roi de Sardaigne, et la bienfaitrice de cet enfant de génie abandonné; cette jolie maman âgée de trente-cinq ans alors,
« un peu ronde et grasse.,, et prenant le train de devenir bientôt une grosse fermière. » Heureuse, si elle s’en élait tenue à ces goûts champêtres que son protégé avait le soin de nourrir en elle; elle n’eût pas été condamnée à éprouver plus tard «toutes les peines de l’indigence et du mal être. »
Les Charmettes sont à vingt minutes de Chambéry. Ce nom s’étend aux deux coteaux qui s’élèvent à droite et à jaudie d’un «petit vallon nord et sud au fond duquel coule me rigole entre des cailloux et des arbres. Le long de ce
allon, à mi-côte, dit Rousseau, étaient quelques maisons pars.es. fort agréables pour quiconque aime un asile un peu lauvage et retiré. « Ces dernières circonstances ont été molifiées depuis lui ; mais la petite maison, plus particulièrenent connue sous le nom de Charmettes, a été conservée iresque sans changements. Elle est un peu élevée au-desius du chemin et postée sur une terrasse en pierres grosières, avec un parapet à hauteur d’appui, coupé par me grille en bois. On y monte par trois marches en pierre.
La maison, carrée, en pierres grises, est couverte d’un toit en ardoises, surmonté de deux aiguilles. Le rez-de-chaussée est composé d’un vestibule, d’une salle où était la cuisine du temps de Mluc de Warens, d’un pelit salon communi
quant avec le jardin et de quelques autres petites pièces. La chambre qu’occupait Rousseau est au-dessus du vesti
bule et de la porte d’entrée. Elle n’est éclairée que par une fenêtre. Celle de M.‘“ de Warens donne au nord sur le jar
din. Dans la chapelle extérieure, on a depuis établi un four dont les voisins ont le droit de se servir. Au-dessus de la porte d’entrée étaient les armoiries des anciens propriétai
res ; mais elles ont été mutilées; on lit seulement la date de 1660. Une pierre blanche, incrustée à droite, porte l’ins
cription suivante, faite par Hérault de Séchelles, qui l’y fit placer en 1792, lorsqu’il était commissaire de la Convention dans le département du Mont-Blanc :
Réduit par Jcan*Jacque habité, Tu pie rappelles son génie, Sa soiitudo, sa fierté,
Et ses pialheurs et sa fplie. A la gloire, à la vérité


Il osa consacrer sa vie,


Et lut toujours persécuté
Ou par lui-même ou par l’envie.
La principale curiosité de cette habitation est le portrait de i\i““ de Warens dans sa jeunesse. « Sa gracieuse figure,
dit l’auteur de liaphae/, rayonne, à travers la poussière de la toile enfumée, de beauté, de rêverie et d’enjouement. » Quant au portrait tracé de, la main de Rousseau, il en conteste la réalité par l’impossibilité de recomposer le carac
tère de celte femme pieuse, sensible et prodigue de bontés, avec les déplorables contradictions qu’il y a associées. Il accuse le morose auteur des Confessions de l’avoir calom
niée. D’autres l’ont accusé (l’avoir embelli son modèle. Quoi qu’il en soit, telle qu’il Fa faite, on ne peut encore une fois ni consentir à l’absoudre ni se défendre de l’aimer, et, malgré sa légèreté et ses défaillances, Mm- de Warens apparaît à l’esprit comme une sorte d’ange tutélaire. Longtemps en
core les voyageurs passant par Chambéry se détourneront un moment de leur roule pour aller visiter cette petite re
traite des Gliannettes, autrefois animée de sa présence, sur laquelle plane la umgiè fies souvenirs, et dont Fauteur de hU’tphqèï a dit : « Pour les poètes, c’est la première page de cette âme (en parlant de Rousseau) qui fut un poème; pour les philosophes, c’est le berceau d’une révolution ; pour les amants, c’est le nid d’un premier amour. »
A. J. du Pays.


Bes jardins zoologiques




ET DE LA NATURALISATION DES ANIMAUX UTILES.


Un grand nombre de villes en Europe possèdent des jardins zoologiques. — Nous ne nous occuperons ici que de la collection d’animaux vivants, jugés dignes à différents titres d’être rassemblés dans les jardins dont nous parlons, et expo
sés aux yeux du public.—Ainsi, pour ne mentionner que les villes qui par leur proximité nous intéressent davantage, nous voyons à Londres une société zoologique et une so
ciété ornithologique ; Liverpool, Anvers, Bruxelles, Gand, Leyde, Amsterdam, etc,, possèdent des sociétés du même genre; nous avons à Paris le Jardin des plantes, et c’est, croyons-nous, le seul établissement de cette espèce qui relève de l’Etat; les autres sont des sociétés particulières, en
richies par la vente de leurs produits, et par la légère contribution qu’elles prélèvent sur leurs nombreux visiteurs.
Lorsque l’on parcourt ces vastes jardins, si riches pour la plupart en animaux exotiques de toute espèce, on ne peut s’empêcher de remarquer à quel modeste rang est ré
léguée la question si grave, et si intéressante cependant, de la naturalisation et de la domestication des animaux utiles dans nos climats; il semble que lorsque de temps à au
tres quelques faits de ce genre se produisent, fis soient bien plutôt l’œuvre du hasard que l’effet dg la volonté de l’homme.
On est sans doute fort heureux et très-fier lorsqu’une paire d’animaux s’étant trouvée dans des conditions convenables se reproduit en captivité; mais on ne s’occupe pas assez de rechercher par quels moyens on pourrait, multiplier ces heureux résultats, et en tirer tous les bienfaits dont ils pourraient être la Source.
Il semble, du reste, que cette science, toute spéciale de la naturalisation, soit frappée d’interdit : « L’histoire de « l’esprit humain, dit un illustre professeur (1), nous « montre, en général, les sciences et les arts se per«fectionnant de siècle en siècle, et chaque génération « humaine s’empressant d’ajouter par ses propres efforts « aux résultats obtenus par les générations antérieures; le « plus souvent même, le mouvement du progès non-seule-
« ment se continue jusqu’à l’époque actuelle, mais va s’ac« célérant à mesure que. l’on s’en rapproche. Par une ano« malle singulière, et dont on ne trouverait peut-être pas « à citer un second exemple, les efforts et les travaux faits « en vue de la domestication des animaux nous offrenldans « leur ensemble une marché exactement inverse....................
« Vers le milieu du dix-huitième siècle, nos faisanderies et « nos bassins de Luxe se sont enrichis de quatre oiseaux « apportés, l’un de l’Amérique septentrionale, les autres « de la Chine; mais aux animaux auxiliaires ou aliinen« taires, antérieurement nourris dans nos fermes et nos « basses-cours, pas un seul n’est venu s’ajouter depuis trois « siècles... »
Fri cependant quel vaste champ n’embrasse pas cette science si vieille et si jeune à la fois? — Quelle variété, quelle richesse dans ses trésors ! — Toute nouvelle conquête a son importance. — Nous n’en voulons pour preuve que
celui des animaux acclimatés en France, qui paraît, au premier abord, le moins utile : le poisson rouge, maintenant si commun que bien des personnes dédaignent d’en faire l’oniement de leurs pièces d’eau ; objet d’un commerce assez étendu, que de paisibles jouissances ne procure-t-il pas à peu de frais à tant de gens que leurs travaux retiennent à la ville? Si nous remontons plus haut dans l’échelle des êtres, quel nombre infini d’espèces se présentant à nous, qui pourraient nous être utiles comme auxiliaires dans nos tra
vaux, sous le double rapport de l’alimentation et de l industrie, et peut-être encore comme destructrices des in
sectes nuisibles? Certes, si l’on réfléchit aux biens dont on s’est privé volontairement jusqu’à ce jour, on peut s’éton
ner que cette source si féconde ait été jusqu’à présent aussi négligée.
Pourquoi donc n’a-t-on pas encore accordé à la naturalisation dans les jardins zoologiques la place importante qui lui apparlient ? Nous voulons en voir une raison dans le petit nombre d’années d’existence que comptent les sociétés particulières de zoologie; elles ont dû s’occuper tout d’abord d’alimenter la curiosité du public, d’attirer les visiteurs, afin de satisfaire à la question toujours indis
pensable de l’argent; il a fallu construire de vastes bâtiments destinés à recevoir la collection d’animaux empail
lés et les bibliothèques, des volières, des parcs; creuser des pièces d’eau ou les approprier à leur destinalion. Et puis qu’est-ce qu’un jardin zoologique sans la colleclion obligée d’animaux féroces ou curieux, tels que lions, tigres, éléphants, girafes, etc., dont l’achat, le transport et l’entre
tien sont très-coûteux? Or, l’œuvre de la naturalisation de
mande aussi beaucoup de soins, et par conséquent beaucoup d’argent. Entre les deux il a fallu choisir, et l’on a du faire au public le sacrifice de la plus productive en réalité, mais de la moins attrayante à ses yeux. Ce. n’est pas tout : la na
turalisation vent de celui qui s’en occupe un feu sacré tout spécial, bien différent de celui qui anime le simple collec
tionneur. Il ne s’agit plus seulement, en effet, de conserver à l’animal, par des soins plus pu moins convenables, une existence chancelante. Il s’agit de lui faire oublier, de lui faire aimer la captivité; il faut qu’il y trouve ses aises, que les joies de la liberté soient remplacées par un bien-être tel, qu’il désire faire partager à sa progéniture l’existence nouvelle dont fi vit lui-même. — C’est là un goût particulier que peu de personnes cultivent avec succès; qui de
mande pour fructifier plus que de l’argent, ou plutôl autre chose que de l’argent ; une sorte d’entente et de perspica
cité spéciales sans lesquelles il demeurerait stérile: deviner les goûts, les habitudes de l’animal que l’on veut acclimater d’après sa conformation, le climat où il est né, et d au
tres indices que la science a pu faire connaître, satisfaire complètement aux uns, transiger avec les autres, en faire naître de nouveaux, s’il est besoin. — Telle est la tâche, tels sont les moyens.
« Ce n’est plus pour Diphile, dit notre la Bruyère, un agréable amusement, mais une affaire laborieuse à laquelle il peut à peine suffire... »
« 11 retrouve ses oiseaux dans son sommeil; lui-même est oiseau, il est huppé, il gazouille, il perche, il rêve la nuit qu’il mue, qu’il couve. »
Sans doute une telle passion est ridicule si elle n’a d’autre objet qu’un plaisir égoïste et futile; mais ne perd-t-elle pas ce caractère si elle tend à rendre d’incontestables services ?
Il paraît difficile qu’une même personne dans une société zoologique soit chargée de la collection des animaux vi
vants et des soins minutieux de, leur propagation. Le même local ne saurait même remplir cette double destination. La circulation du public, le bruit et le mouvement qu’elle en
traîne sont naturellement ennemis de. la tranquillité nécessaire. — Quel serait donc le moyen de parer à ces incon
vénients ? — Ce serait, croyons-nous, la création de socié
tés particulières, n’ayant d’autre but que la naturalisation des animaux utiles, et laissant de côté, par conséquent, toute idée de colleclion, annexées aux sociétés zoologiques déjà existantes, s’aidant de leur expérience, mais entière
ment distinctes sous le rapport de la direction et de l’emplacement.
(1) Rapport général sur les questions relatives à la domestication et à la naturalisation des animaux utiles, adressé à M. le ministre de l’agriculture et du commerce par il, Isidore-Geoffroy Saint-Hilaire, membre de Tinstitüt.
C’est à la France qu il appartient de donner un nouvel essor à cette science qui dort depuis si longtemps. Nul pays plus qu’elle ne réunit toutes les conditions qui peuvent as


surer le succès. Outre la supériorité que nous donne la fa


veur d’un climat essentiellement tempéré, nous trouvons encore des gages de réussite dans l’appui de la science que de belles tentatives, malheureusement paralysées par les circonstances, nous promettent; dans le nombre remarqua
ble des particuliers qui tournent déjà leurs efforts de ce côté, et dont plusieurs ont vu leurs soins couronnés des plus beaux résultats? — Mais, dira-t-on, ces résultats que l’on vante; bien plus, les essais tenlés sous la direction du
gouvernement, n’ont pas été aussi féconds qu’on pouvait l’espérer. — A la première partie de Fobjection, nous ré
pondrons qu’un particulier ne peut tirer de ses conquêtes en ce genre tout le parti possible. A moins qu’il ne fasse de son gnût une spéculation, le temps, la place, l’argent seront pour lui de continuels obstacles. En effet, un animal est acclimaté, c’est-à-dire qu’il supporte parfaitement les vicissitudes de chaleur et de froid de noire température. Il
se reproduit en captivité ; mais tout n’est pas dit : il s’agit encore de l’acquérir à la vie domestique, de le rendre assez commun pour que, sa valeur baissant, il soit à la portée de toutes les bourses. —Pour en arriver là fi faut dévastés em
placements et beaucoup de. dispendieuse patience. Or ces deux conditions se rencontrent rarement chez les amateurs.
Combien en est-il qui ne veulent plus d’un animal dès qu’ils en ont obtenu des produits, et qui le quittent pour faire sur un autre de nouvelles tentatives? La seconde, partie de. Fobjection serait plus sérieuse, si les expériences auxquelles on fait allusion eussent été plus sérieuses elles