mêmes... Encore ont-elles élé. assez fécondes pour faire apprécier de tout esprit non prévenu les biens qu’elles eussent produits si elles eussent été entourées de circonstances favorables.
Une société particulière serait, à notre sens, plus que toute autre capable de réaliser les espérances que la ques
tion qui nous occupe peut faire concevoir. — L’exemple nous le prouve. — En effet, comme nous le verrons, toutes les sociétés analogues qui nous entourent réussissent parfaitement, —Peut-être parce que l’unité d’intérêt entraîne l’unité de direction et proscrit ces tiraillements en sens divers si funestes aux entreprises les mieux con
çues. — Son but, nous le répétons, serait uniquement la naturalisation des animaux utiles en France. Loin de ten
dre à supprimer les entreprises des particuliers, elle se proposerait de les aider, de recueillir les résultats de leurs expériences, de les populariser et de leur donner les en
couragements nécessaires. — Nous ne nous étendrons pas ici sur les moyens de différente nature qu’elle devrait em
ployer pour parvenir à ses fins. Ce n’est pas à nous qu’il appartient de traiter une matière que de savants travaux et de curieuses expériences ont déjà préparée. — A Mar
seille, dit on, on parle de fonder prochainement un haras de naturalisation. Espérons que Paris se hâtera de sui
vre un exemple qu’il aurait pu donner. — Placées l’une au midi, l’autre au nord de la France, deux sociétés de ce genre donneraient certainement la mesure des résultats que l’on peut attendre de la naturalisation et de la domestication des animaux utiles dans pas climats.
R. d’Eprémesnil.
(La suite au prochain numéro.)


Le Royaume de Dahomey.


Relation du voyage de M. le lieutenant de vaisseau Auguste Bouët, enroyé en mission près du roi de Dahomey, en mai 1851.


(Suite et fin. — Yoir les n°8 4Q3 et 491.)


Une autre fois, Guezo voulut me donner le spectacle d’une petite guerre, et de la manière dont il enlevait une ville d’assaut : à cet effet, il fit habiller toutes ses troupes, et s’habilla lui-même en tenue de guerre, comme lorsqu’il entre en campagne. Cette tenue est fort simple et très-com
mode : une tunique bleu foncé ou couleur de bois, un serretête couleur foncée, un pantalon court, la cartouchière, te sabre et le fusil ; les divers grades sont marqués par une étoile plus ou moins grande sur la poitrine. Le roi n’était distingué des autres, ainsi que son fils, que par plusieurs raies noires transversales sur le front et les joues ; la compagnie sacrée des amazones ne le quittait pas, et une im
mense suite portait ses tentes, son eau (1), ses bagages, elc.Le roi fit masser ses troupes à l’extrémité de la grande
place du marché; il s’assit sur sa chaise de guerre (2), sous une grande lente qu’il avait fait construire exprès pour la cérémonie, et qui attestait beaucoup d’adresse et de sa
voir-faire chez ses charpentiers, me fit placer à ses côtés, et le-défilé commença. Tous les corps de l’armée, les ama
zones en tête, passèrent successivement devant nous, en agitant leurs drapeaux et leurs armes, tirant des coups de fusil, agitant leurs sonnettes (3) et poussant des acclamations frénétiques. On peut juger du grand nombre de guerriers qui se trouvaient déjà rassemblés à Abomé (et ce n’é­


tait pas la moitié de l’armée qu’il met chaque année en cam


pagne), puisque le défilé dura depuis six heures du matin jusqu’à deux heures de l’après-midi. Des messages partaient continuellement de ta tente du roi, et portaient ses ordres sur tous les points. Je remarquai plusieurs compagnies d a­
mazones et de guerriers tous couverts de longues herbes fraîchement coupées. Ce sont les compagnies d’éclaireurs. Lorsque ces compagnies se disséminent et se cachent dans les champs, il est impossible de les apercevoir. D’autres étaient armées de casse-têtes et de sabres seulement : ce sont celles de l’arrière-garde, chargées d’achever les blessés ennemis et de leur couper la tête.
Je ne vis que fort peu de compagnies d’amazones armées d’arcs et de flèches; le fusil a remplacé ces anciennes ar
mes. Le roi désirait me voir essayer devant lui, clans cette même journée, à poudre et à obus, les deux ohusiers de montagne que je lui avais offerts de la part de M. te Prési
dent de la République, et sur lesquels avait été gravée une inscription qui constatait ce don. A cet effet, et comme il n’avait qu’un mot à prononcer, deux grands villages, entourés de palissades, s’étaient élevés comme par enchante
ment en dehors de la ville, l’un destiné aux essais de nos obus, l’autre celui que les troupes devaient emporter d’assaut. On avait renfermé dans ce dernier une quantité de femmes et d’esclaves, qui devaient figurer les ennemis, et qui, en attendant, jetaient, derrière leurs palissades, de grands cris de défi et de menace. Lorsque le délité fut ter
miné, Guezo fit former ses troupes en corps de bataille, et je fus réellement frappé de la promptitude merveilleuse avec laquelle ses ordres étaient exécutés, sans qu’il se dé
rangeât, et surtout de l’espèce de tactique qui présidait à leurs mouvements. Ainsi, il y avait dans eette immense plaine où l’armée s’était rendue, et où elle pouvait se dé
ployer : d’abord les tirailleurs, le gros de l’armée avec deux ailes formant une espèce de croissant ; à droite et à gauche, de nombreux éclaireurs flanquaient les ailes, et enfin ve
nait un corps considérable de réserve et d’arrière-garde. Le roi s’étail placé au centre, entouré par scs cinq ou six mille amazones formant sa garde, et qu’il lançait en avant ou sur les ailes, suivant les circonstances. Avant de com
mencer te mouvement, il me fit inviter à ouvrir le feu de mes pièces contre ses troupes, au moment où elles s’avan
ceraient (c’était à poudre, bien entendu). Se sachant trop ce qu’il voulait faire, j’acquiesçai à son désir, et je fis com
mencer un feu qui fut parfaitement bien servi par les jeunes gens du Salam que mon maître-canonnier avait exercés à ŸVhyda. Guezo fit alors avancer son armée contre moi, et je. fus bientôt enveloppé par ses troupes, qui dirigeaient sur nous une fusillade des mieux nourries. Cette avalanche finit par arriver jusque sur nous, les amazones en tète, et il me fut impossible au bout de quelques instants de manœuvrer mes pièces. J’étais d’assez mauvaise humeur du rôle que m’avait fait jouer le roi, el comme il s’était approché en même temps que l’armée, j’allai le trouver, et lui fis dire par mon interprète : « Si tu crois, lui dis-je, avoir prouvé quelque chose en faisant envahir mes canons par ton armée,
tu te trompes fort ; s’il y avait eu dans mes pièces quelquesuns de ces petits boulets que tu vois là (et je lui montrais les obus et les paquets de mitraille), j aurais démoli tes amazones lorsqu’elles se seraient trouvées encore à dix por
tées de fusil, et il n’y en a pas beaucoup qui eussent eu le temps de venir jusqu’ici. »
Cette mauvaise humeur mit S. M. fort en gaieté. Elle me dit que j’avais parfaitement raison, mais qu’après la fin de l’assaut je pourrais lui montrer quelle était la portée et l’effet des obus sur le village qu’il avait fait construire ex
près; qu’en attendant, il était émerveillé de la promptitude
du tir de ces pièces, puisqu’on pouvait en tirer deux et même trois coups contre un seul coup de fusil (1). L’armée avait passé sur nous comme une trombe, et Guezo me dit alors de m’avancer avec lui, parce qu’il allait faire commencer l’attaque des palissades du village, derrière les
quelles on entendait les cris et les hurlements des assiégés. C’était aux amazones seules qu’était réservé l’honneur d’em
porter d’assaut le village. Guezo s’était placé à une certaine distance des deux premières palissades qui avaient été fai
tes de manière à pouvoir être franchies facilement, et il di
rigeait de là les mouvements. A un premier signal qu’il donna, la compagnie d’amazones, couvertes de longues her
bes, se coucha dans la plaine et s’avança en rampant vers la première palissade, tiraillant à plat venlre et répondant au feu assez bien nourri des assiégés. A un second signal du roi, elle se leva tout à coup, et se précipita en courant et en hurlant vers la première palissade qu’elle franchit et dont elle délogea l’ennemi. Mais cet épisode de la fêle n’eut pas lieu sans quelques incidents burlesques. Toutes les ama
zones n’élaient pas légères comme des i/alante; quelquesunes d’entre elles, jeunes femmes de vingt-six à vingt-huit ans, avaient perdu leur taille de sylphide, mais acquis, par compensation, une corpulence assez volumineuse. Aussi,
lorsqu’elles voulurent s’élancer pour franchir la palissade d’un seul bond, la vigueur de leur élan ne fit pas contre
poids au reste du corps, et elles tombèrent de l un ou de l’autre côté dans des postures peu guerrières.
Il me fut impossible, je l’avoue, de retenir un rire fou à la vue de toutes ces chutes plus ou moins accidentées. Guezo ne riait que du bout des lèvres, et seulement par courtoisie, parce qu’il me voyait rire. Ses courtisans et favoris qui l’en
touraient gardaient un silence farouche, bien que, j’en suis persuadé, ils eussent intérieurement grande envie de faire comme moi ; mais il y allait peut-être de leur tête s’ils s’étaient permis quelque signe irrévérencieux de gaieté à l’égard des amazones de S. M. Après plusieurs at
taques du même genre fournies par ces dames sur diffé
rents points du village, attaques qui étaient exécutées, soit simultanément, soit successivement, d’après les signaux faits du quartier du roi, les amazones pénétrèrent dans le village et y mirent le feu. Elles revinrent alors, poussant devant elles, garrottés ou chargés de butin, les pauvres diables qui avaient servi à faire l’ennemi, et portant au bout
de leurs fusils des têtes d’hommes en bois grossièrement peintes et façonnées. Je félicitai sincèrement Guezo, car tout cela s’était véritablement exécuté avec ensemble et vi
gueur, et ses ordres étaient toujours portés avec une éton
nante célérité par des messagers partant continuellement de sa tente. U parut très-flatté de mes éloges ; mais comme j’avais encore sur le cœur l’attaque peu chevaleresque de mes canons, je lui demandai que ce fût à mon tour de lui faire voir ce que c’éiait que l’artillerie européenne. Nous nous rendîmes donc au second village, pour le visiter d’a­
bord. Il était fort grand, puisqu’il y avait plus de cinq cents cases avec de hautes palissades ; mais les cases comme les pa


lissades n’étaient que des piquets et de ta paille, et même,


en me plaçant aux portes de la ville, les projectiles de mes pièces devaient traverser d’aussi faibles obstacles et aller tomber bien au delà. J’en fis l’observation à Guezo, en lui disant que je lui avais demandé non un village, mais deux ou trois cases seulement, ayant des murailles comme celles de la ville.
Celte fois-ci S. M. se tint les côtes, et comme son entourage faisait de même, je me trouvai pendant quelques moments au milieu d’une véritable atmosphère de jubilation, où ma figure seule restait sérieuse.
Lorsque S. M. se fut bien désopilé la rate et que ses hoquets furent terminés, il me fit dire que des portes de la ville
où nous nous trouvions, le village était à perte de vue dans la plaine, et qu’a peine si on pouvait apercevoir le haut des palissades; comment lui dire qu’avec un petit canon long tout au plus comme le fusil d’une de ses amazones, j’en
verrais une aussi grosse masse de fer qu’un boulet à une distance deux ou trois fois plus éloignée? C’était semoquer de lui : autant valait lui raconter que le boulet irait por
ter de mes nouvelles en France. A eette dernière saillie, les rires recommencèrent de plus belle. J’aurais perdu mon temps à expliquer à ce brave roi ce que c’était qu’une pièce chambrée. Ainsi donc je me mis en mesure de lui donner des preuves.
Mes deux chefs de pièce étaient mon noir Para, qui était un excellent pointeur, et le maître-canonnier Tielmant, qui avait remporté plus d’un prix de tir lorsqu’il était embar
qué sur ta frégate-école des canonniers. Je fis charger à obus et pointer un peu en dedans des palissades. Lorsque les obus partirent en sifflant, le roi, comme les personnes de son entourage, devinrent attentifs. Malheureusement les obus n’éclatèrent pas celle première fois, et on ne put distinguer, du point où nous étions, aucune marque du pas
sage des projectiles. Guezo soutint alors qu’ils étaient restés à moitié route du village; moi, j’étais bien sûr du contraire, et je lui demandai la permission de tirer deux autres coups.
N’ayant pas tiré cette fois a ricochet (ce qui, comme je m’en convainquis plus tard lorsqu’on eut retrouvé les obus, avait brisé le sabot d- lu fusée et empêché ta communication du feu avec la matière explosible contenue dans le pro
jectile), les deux obus éclatèrent presqu’en même temps, mais à une distance considérable et bien au delà du village. Presqu’aussitôt nous vîmes une épaisse fumée, puis un incendie s’élever au milieu de, la plaine. Voici ce qui était arrivé :
Comme la surface de cette vaste plaine était plate et même un peu en pente du côté sur lequel je faisais tirer, un des obus avait élé se loger dans un groupe fort éloigné de deux ou Irois cases dont les murailles étaient en terre, y avait éclate en faisant un dégât épouvantable, et y avait mis le feu.
Heureusement que j’avais fait donner l’ordre par le roi à tous les habitants de cette partie de la campagne de sè retirer et de rentrer en ville.
Cette fois mon ami Guezo ne riait plus. Il voulut voir de ses propres yeux ce qui s’était passé, et nous nous mîmes en marche pour aller au village.
Les deux premiers obus, comme tes deux derniers, avaient passée travers les maisons de ce village, et y avaient mis tout sens dessus dessous : des cases étaient renversées, des piquets très-gros, qui s’étaient trouvés sur le passage des projectiles, avaient été brisés comme des baguettes, et une partie des palissades s’était écroulée. Mais si mon ami Guezo contempla avec stupéfaction ces effets ( prodigieux pour lui) d’une petite pièce d’artillerie, ce fut bien pis lorsqu’on vit les dégâts qui avaient eu lieu dans la maison de ce pauvre diabie de paysan où l’obus était tombé. Le roi, les mi
nistres, les gardes d’amazones et de guerriers, les chefs de guerre, allaient, venaient, couraient, examinaient, comme
les habitants d’une fourmilière en construction. C’étaient des exclamations, des ali! ah! des oh! oh! une rumeur sourde et confuse de surprise et d’admiration.
Sur les ordres du roi, on commença la recherche des obus qui n’avaient pas éclaté ; des centaines d’hommes se
mirent aussitôt à suivre la trace et les indices des ricochets avec une rare sagacité, et ils les trouvèrent enfin à une distance considérable. Mais il faut être dans un pays comme le Dahomey, où, sur un mot du roi, mille hommes se précipitent, pour se douter de ce qu’on fit après cela.
Une troupe de guerriers partit en courant pour Abomé ; elle revint peu de temps après chargée de cordes , et ils eurent la patience, de mesurer ainsi la distance qu’avait parcourue les obus, depuis les portes de la ville jusqu’à
l’endroit où on les avait retrouves. Ce. fut alors que sa trèshonorable majesté put se convaincre de) la vérité de mes paroles, car les obus étaient allés jusqu’à leur plus grande portée.
Lorsque nous revînmes aux portes de la ville, il s’arrêta devant les deux ohusiers, et les contempla quelque temps comme cherchant à s’expliquer par quel mystère d’aussi petits cylincres de cuivre (1) pouvaient produire des effets aussi désastreux.
il me dit ensuite qu’il avait appris que des gens de Bequoula, ses ennemis, avaient reçu dernièrement, des mis
sionnaires anglais, dix pièces de canon de la même espèce, et qu il savait qu’on exerçait tous les jours les gens de Bequouta à s’en servir; qu’il s’en était peu inquiété jusqu’à ce moment, parce qu’il ne savait pas le ravage que pou
vaient produire de pareils canons, mais qu’il venait de le voir, et de se convaincre que je lui avais dit vrai en lui assurant le matin qu’avec deux pièces seulement comme celles-là j’aurais fait un massacre épouvantable de ses guer
riers bien avant qu’ils pussent se servir «te leur fusils ; conséquemment il me priait de bien prendre note qu’il demandait à son ami le roi de France de lui envoyer
le plus tôt possible dix autres ohusiers pareils, afin de faire la douzaine, et des officiel s ou chefs de guerre français pour instruire ses guerriers, comme les Anglais instruisaient ses ennemis.
De plus, il ajouta que deux armes de guerre aussi précieuses ne pouvaient être confiées qu’à des mains sûres, et
que, conséquemment, il allait nommer parmi ses amazones une compagnie de canonnières qui seraient exclusivement chargées de leur service, et auxquelles mou maître canon
nier ou les jeunes gens de Whyda que j’avais fait instruire pourraient donner quelques leçons. Guezo le fit comme il i’avait dit, et si quelques-uns cle nos officiers se rendent à l’appel du roi de Dahomey, ce seront des artilleurs de la plus
(1) Cela se conçoit : les guerriers du Dahomey ne font pas de cartonclics ; ils sont obligés de préparé leur poudre dans dé petits cylindres en bois creusé qui so t assez mal commodément installés dans leur cartouchière
ils la versent ensuite dans le canon , mettent une balle en 1er par-dessus (balle qui n’est presque jamais de calibre), et bourrent avec des herbes des
séchées. Cette opération est presque aussi longue lorsqu’ils ne chargent qu’à
(1) C’étaient, deux obusiers de 12 centimètres.
(1) A l’exception des lagunes du bord de la mer, je n’ai pas vu un seul cours d’eau dans tout le Dahomey : on ny boit que de l eau de pluie Le roi, faisant toujours ses çxpéditib. s dans, ia saison sèche, est obligé de faire porter sa provision d’eau dans un immense., vase en cuivre.
(2) Les chaises d honneur du Dahomey sont fort curieuses, parce qu’elles sont travaillées dans un seul morceau de ijjpis. Ces çïiaises sont plus ou moins hautes, suivant les grades. Dans les grandes occasions» le roi a son trône; la chaise qu il emporte à la guerre est t-rèe^haute et merveilleusement ciselée.
(3) Chaque guerrier, homme ou femme, porte une sonnette suspendue à la poitrine, de fer pour les simples guerrier- , d argent pour les grands chefs ; ils l’agitent lorsqu’ils veulent saluer un personnage important, ou l’acclamer après un discours. Chaque lois que je passais devant un corps de garde, tous les soldats se levaient, et agitaient leurs sonnettes avec force.