Éclaireurs de la garde particulière du roi.
belle moitié du genre humain qu’ils auront à diriger. Quant à moi, je promis au roi de transmettre en France sa nou
velle demande, avec bien d’autres plus extraordinaires encore, dont il m’avait fait prendre note (1).
Quelque temps avant de quitter Aboiné, où mon séjour Musique du corps des amazones.
datait déjà de plus de deux mois, j’entendis parler par un de mes hommes d’un endroit nommé Oouenou, situé a quelques lieues plus loin qu’Abomé, d’où l’on découvrait une immense étendue de pays. Je fis prévenir le ministre Méliou que je désirais m’y rendre, et, après quelques diffi
cultés que ce déliant vieux singe me suscita, je me mis en
route. Il est rare, en effet, de jouir d’un point de vue aussi étendu que celui qui se présenta .à moi en arrivant à la hauteur d Uuuenou (1); le pays avait totalement changé d’as
pect, et de fertile était devenu aride, entrecoupé de vallons et de collines ferrugineuses. A mes pieds s’étendait une vaste plaine boisée, au milieu de laquelle surgissaient quel
ques habitations appartenant au roi ou à ses ministres; dans l’une des premières était mort, il y avait deux ans, di
sait-on, le frère aîné du roi actuel, qu’il avait, comme je l’ai déjà dit, remplacé en 1817 : à vingt-cinq et trente lieues au moins, une belle chaîne de montagnes courait vers le nordouest, et se perdait à l’horizon. Que de réflexions vinrent m’assaillir en contemplant les vues lointaines de celte mystérieuse Afrique dont j’avais déjà moi-même exploré quel
ques parties inconnues!... Combien j’aurais voulu pouvoir gravir ces hautes montagnes et savoir ce qui se trouvait au delà!... Malheureusement les bornes assignées à ma mis
sion ne me permettaient pas une excursion aussi longue;
sinon j’aurais facilement obtenu du roi Guezo Adjoutk, dont tous c,es pays dépendent, les moyens de les visiter utile
ment. La nuit s’approchait, et le soleil descendait lentement pour disparaître au milieu de ces déserts inconnus; les hur
lements du chak al et de l’hyène commençaient à se faire entendre, car chaque nuit ces bêles féroces et immondes sa
vent qu’elles. trouveront leur pâture de cadavres dans les fossés de la ville. Le chef de mon escorte, qui, ainsi que je l’ai dit, répondait au roi de la sûreté de ma personne, vint me dire avec inquiétude qu’il était temps de regagner Vbomé; ce ne fut vraiment pas sans regrets que je quittai ce point de vue qui venait d’ouvrir un champ si vaste à mes réflexions.
Mon audience de départ eut lieu avec une solennité encore plus grande que celle d’arrivée ; je fus reçu par le roi dans la cour d’un de ses palais, que je ne connaissais pas, et où se voyaient plusieurs tombeaux de sa famille; l’af
fluence d’amazones et de guerriers était immense, et il avait fallu fermer de bonne heure les grandes portes d’entrée. Je ne reviendrai pas sur les détails de cette cérémonie, qui ressembla, à peu de chose près, aux précédentes, tant par la magnificence des costumes que par les largesses faites par Sa Majesté. Il y eut cette seule différence pour moi, d’a
bord que le grand cabécère, ou chef des amazones, me tint près de deux heures sous un soleil de feu, pour entendre un de ses discours, où elle me répéta je ne sais combien de fois qu’en me voyant elle croyait voir le roi de France (ce qui était on ne peut plus flatteur), et qu’elle me chargeait, au nom de toute la nation dahomeynienne, de bien lui té
moigner leur reconnaissance à tous (et toutes) pour les témoignages d’amitié et les riches cadeaux qu’il avait adressés à leur bien-aimé roi Guezo; que les deux nations fran
çaise et dahomeynienne étaient depuis des siècles comme les deux doigts de la main, et que j’étais le premier gage qu’elles allaient revenir à des relations si longtemps interrompues.
En outre, Guezo voulut absolument que j’acceptasse, pour moi et les hommes de ma suite, une des grandes piles de cauris, et de damesejeannes de tafia qui étaient disposées sur le devant de la place. Mais ici un épisode burles
que eut lieu : j’avais été déjà témoin que chaque fois qu’un ministre ou chef quelconque recevait son cadeau, il fallait qu’il dansât devant le roi avant de le faire emporter, au son d’une de ces abominables musiques de tamtam , de cloches et de sifflets dont j’ai parlé. Lorsque mes hommes se dis
posèrent à emporter le mien, Méliou vint me dire que le roi serait enchanté que j’exécutasse à mon tour une danse de mon pays devant lui : j’envoyai ce vieux singe au diable ! Si j’avais eu encore sous la main quelque lion du Cliàteauflouge ou du Prado, j’aurais pu lui donner une idée quel
conque des sublimités de la polka ; mais je dus me borner, pour le moment, à faire danser à ma place mon premier interprète. Les adieux de Guezo furent pleins de cordialité, et je puis même dire de regrets véritables ; il me fit lui promettre pour la vingtième fois de revenir; qu’il fallait abso
lument le demander de sa part à son ami le roi de France. Je lui promis tout ce qu’il voulut, et fis toutes mes dispositions de départ. Le lendemain, une quarantaine de ses ser
viteurs, conduits par le yavogan et Méliou, arrivaient-chez moi, m’apportant les présents du roi. C’étaient des pagnes, des paniers de cauris, de superbes étoffes ou autres objets fabriqués dans le pays, et quelques jeunes esclaves, que j’acceptai volontiers, vu que c’était les soustraire à une mort certaine.
De plus, il me fit remettre trois bâtons de commandement montés en argent, que j’ai conservés précieusement; car on m’a assuré qu’il n’y avait pas d’exemple qu’il eût ja
mais fait à qui que ce fût une pareille faveur. L’un était en tout pareil au bâton porté par le grand chef du corps d’ar
mée des amazones; l’autre, à celui de son fils aîné, héritier présomptif de la couronne (2) ; le troisième, enfin, à celui du grand chef du corps d’armée des hommes.
Je quittai Aboiné au milieu des salves d’artillerie et d’une foule de peuple; je fis mes adieux au gros yavogan et
Grand cabécère, en tenue de parade.
à cette vieille fouine de Méhou, et je me mis en route pour Cana.
Avant de quitter tout à fait J borné, je ne veux pas oublier de parler de trois choses qui vraiment y sont remarquables : d’abord ses marchés, qui sont encore mieux ap
provisionnés que ceux de Whÿda, et où la police est encore mieux faite, s’il est possible ; secondement ses vautours, gros oiseaux rapaces, qui s’y trouvent en nombre immense,
y deviennent presque des animaux domestiques, partagent en frères avec les chakals et les hyènes les affreux restes des sacrifices d’hommes qu’on fait journellement, et sont,
Cabécères en chef des amazones.
Dessins de Valentin, d’après M. Auguste Boiiét ; gravure de Best, Hofelin et Cie.
(1) Je ne puis que renvoyer le lecteur an plan, aux vues et à l’itinéraire détaillé que j’ai adressé au gouvernement.
(2) Il se nomme Bàdooun, et ressemble physiquement à son père, mais paraît bien loin de posséder sa finesse, son intelligence, et surtout ses vertus guerrières, qui, dans le Dahomey, sont les premières de toutes. Dareste, bien que Guezo lui confiât, dans ses expéditions, le commande
ment d’un corps d’armée, il ne l’initiait nullement aux affaires publiques, et il n’était jamais appelé à aucun conseil ; nous étions très-bons amis tous les deux.
(1) Celle-ci, par exemple, de dire à son ami le roi de France qu’il serait bien aise de lui voir prendre, comme lui, une garde d amazones, afin qu’on ne pût pas dire que c’était dans le Dahomey seul qu’on voyait des femmes aller à la guerre ; que, conséquemment, il mettait à sa disposition cinq
cents des plus braves de ses amazones, qu’il pourrait faire réclamer quand il le voudrait, afin de former en France le noyau de sa garde.