escalier de pierre; un vestibule à colonnes donne accès dans une immense galerie qui n’a d’autres limites que celles du bâtiment lui-même, et qui renferme les collections d’a­
nimaux empaillés el les curiosités d’histoire naturelle que la Société doit à la générosité de M. le directeur Kets.
Le jardin, considéré dans son ensemble, est parfaitement dessiné; des accidents de terrain heureusement ménagés ajoutent à sa grandeur apparente ; il est très-riche en arbres et plantes exotiques qui, grâce aux soins minutieux dont ils sont entourés, promettent de irais ombrages et de brillants parterres lorsque le temps leur aura permis de pren
dre tout leur développement; pour le moment, il faut se contenter des ombrages indigènes, qui ne sont jamais à dédaigner.
La collection des mammifères est nombreuse; elle se composait dernièrement de quatre lions, de tigres du Bengale, panthères, guépards, hyènes, chacals, et autres car
nassiers moins importants, d’ours bruns, noirs et blancs, d’un nombre considérable d’animaux ruminants et autres, parmi lesquels des axis, des cerfs hippélaphus, plusieurs espèces d’antilopes, des tapirs, des buffles, chameaux, dro
madaires, girafes, des zèbres, etc... Les singes occupent un palais construit sur les plans de celui de notre Jardin des plantes. Leur vivacité, les mille tours qu’ils se jouent entre eux ,. n’obtiennent pas moins de succès à Anvers qu’ci Paris. La collection des oiseaux est plus riche encore : la Société possède quarante-cinq espèces de perruches, ré
parties dans des cages superposées qui occupent la partie, centrale du rez-de-chaussée au Muséum. Entre les plus
rares espèces d’aras, nous remarquons le magnifique ara Maximilien, au plumage uniforme d’un bleu splendide, la perruche ara pavouane et le Vasa ; parmi les kakatoès, un
individu très-rare, le calyptorhynque à casque; enfin, parmi les perruches, la palœornis melanura et la perruche à masque noir de la Nouvelle-Zélande. Beaucoup d’autres au magnifique plumage, la perruche solsticiale, l’érythroplère, la perruche Edward (1), etc., ne joignent pas à la splen
deur de leur parure le mérite d’une aussi grande rareté. Parlons encore d’une nombreuse réunion de gros becs exo
tiques, de trois toucans, dont deux à gorge blanche, ét qui paraissent jouir de la meilleure santé, et nous aurons fini avec les habitants du Muséum. En les quittant, nous ren
controns tout d’abord une clés deux pièces d’eau du jardin ; celle-ci, très-ombragée, aux bords verdoyants, renferme différentes espèces de canards, deux pélicans et des poules d’eau. Ses bords servent de promenade à une paire de din
dons sauvages et à plusieurs espèces d’échassiers. L’autre, plus vaste, placée à l’extrémité opposée du jardin, baigne les ingénieuses constructions en rochers qui servent de. prison aux ours; on y voit l’oie d’Egypte, la bernache ar
mée, plusieurs espèces de cygnes et une bande de vingt canards de la Caroline. « Ce n’est plus que dit cuivre, nous disait notre obligeant cicérone en nous montrant ce stiperbe oiseau, voulant nous faire comprendre combien la propagation avait fait baisser sa valeur. — Honneur à celui de nos compatriotes à qui l’on doit ce brillant suc
cès. » — Mais un hôte qu’on ne s’attend guère à trouver parmi ces paisibles habitants, c’est un magnifique crocodile, qui, libre pendant les six mois les plus chauds de l’année,
tantôt langoureusement étendu sur le rivage, tantôt flottant inerte à la surface cle l’eau, recherche avec ardeur les bien
faisants rayons du soleil. Jusqu’à présent, et voici cinq ans qu’il habite ce palais d’été, aucun attentat contre la tranquillité de ses voisins n’a terni son innocente carrière. A l’approche de l’homme, il plonge en soufflant avec vio
lence. Le poisson d’eau douce, encore faut-il que son cher soleil brilie de tout son éclat, est sa seule nourriture. A gauche de la première pièce d’eau, six casoars se promè
nent dans un parc contigu à celui des antilopes. La société possède huit de ces animaux ; mais ceux dont nous parlons sont nés à Knowsley, chez lord Dèrby, le 1er avril 1851 ; on les tient séparés des deux autres, dont, jusqu’à présent, les œufs n’ont pas élé couvés. Faisons encore quelques pas ;
laissons à notre droite le parc des autruches, des casoars à casque et autres oiseaux de ce genre. Nous voici devant la volière. Bien exposée au midi, elle est abritée par des arbres touffus des rigueurs des vents du nord, et mérité une men
tion particulière; non que son architecture, qui est des plus simples, attire les regards, mais elle est ingénieuse
ment construite sous le rapport du bien-être de ses hôtes. Figurez-vous un quadrilatère de quatorze mètres de fa
çade sur six de profondeur, dont un mètre sert de cabane de retraite. La façade est divisée en cinq compartiments.
Les deux extrêmes ont quatre mètres; les trois intérieurs n’en ont que deux. Chacun d eux renferme un bassin en
touré de gazon, alimenté par des conduits spéciaux, que l’on ouvre et ferme à volonté, sans entrer dans l’intérieur, —• chose importante. — Ces cinq compartiments, garnis dans leur ensemble d’un grillage à maille fine, sont séparés entre eux par des sériés de barreaux de fil de fer assez res
serrés pour s’opposer au passage des oiseaux de grosse taille, mais laissant librement circuler les oiseaux de moyenne grosseur ; ce qui met à leur disposition tout le parcours de la volière, et préserve les petits et les faibles de la tyrannie des plus forts. —• Si nous nous sommes éten
dus particulièrement sur la description de cette volière,
c’est qu’elle pourrait, croyons-nous, servir de modèle pour tout amateur qui voudrait réunir, dans le plus petit espace possible, un grand nombre d’oiseaux ; elle satisfait à deux conditions essentielles, l’étendue du parcours et l’isole
ment des espèces qui se. nuisent entre elles. Sept paires de cette magnifique sarcelle de la Chine, qu’on appelle vulgai
rement le canard mandarin, vingt jeunes canetons de cette espèce nés dans la volière, el qui, sous la conduite d’une
cane commune , prennent leurs ébats dans l’un des bassins; des pavoares, des cardinaux, des bruants com
mandeurs, la charmante perruche ondulée, un de ces oiseaux qu’un spirituel et heureux amateur, notre compatriote, appelle des médailles sans revers, des colom


bes lumacbelles huppées, une foule de petits oiseaux ben


galis, senegalis astrilds, etc. Tels sont les habitants de la volière en question. Tout cela niche et couve le plus heureusement du monde. Cette prospérité, étendue à bon nombre d’autres localités, explique pourquoi la valeur de certaines espèces d’animaux diminue quelquefois beau
coup d’une année à l’autre. Les canards de la Caroline ont déjà subi cette sensible diminution; les canards mandarins, qui se sont payés cette année encore mille francs la paire,
en seront peut-être un exemple plus frappant. Certes, à voir la beauté de ce superbe, oiseau, on peut s’étonner qu’on n’ait pas songé plus tôt à l’acclimater. Mais combien en estil encore d’espèces aussi belles et plus utiles auxquelles on rie songe pas, et qui un jour, espérons-le, seront notre conquête !
Parlons encore d’une série, de parcs contigus qui paraît destinée aux échassiers : elle renferme, l’oiseau royal à la superbe aigrette, huit demoiselles de Numidie, si heureusement nommées, à la taille svelte, à la démarche gra
cieuse, au plumage gris perle d’un ton si doux, au cou délié, à la tète fine ornée d’une aigrette modestement abais
sée; le secrétaire, fléau des serpents; lecariama. ce bruyant habitant du Brésil, que la bonté de sa chair a fait damexUqueren Amérique; enfin un curieux métis dont l’existence dément bien des assertions, produit d’un paon et d’une pintade, le goura et le goura Victoria. Terminons en men
tionnant deux espèces de ces étonnants pigeons que leur grosseur, qui égale celle de nos poules d’Inde, leur roucoulement étrange, leur huppe bizarre et majestueuse, au
tant que la possibilité démontrée par le fait de les faire reproduire dans nos climats, recommandent à l’attention des personnes qui s’occupent de naturalisation.
Nous n’avons pas la prétention d’avoir énuméré minutieusement les richesses de la Société royale de zoologie d’Anvers ; nous avons à peine signalé l’existence d’une col
lection d’amthaux empaillés qui mériterait sans douté un sérieux examen. Nous avons choisi, parmi les animaux vivants, les plus remarquables, en laissant bon nombre derrière nous. Sans vouloir dresser un catalogue, nous cher
chions à faire apprécier avec, quelle rapide prospérité la So-, cièté étail parvenue au rang qu’elle occupe maintenant parmi ses rivales. La naturalisation n’a pas encore obtenu chez elle les honneurs qui lui sont dus; mais ce retard, — comme nous l’avons dit dans un précédent article, —
est, avant tout, la faute du temps, et nous croyons savoir qu’elle est remplie à cet égard des meilleures intentions. — Certes, en voyant ces vastes constructions, ces chalets, ces parcs élégants, l’étendue des pièces d’eau, ces ombrages, celte variété remarquable de plan tes exotiques, que l’on ad
mire là où neuf «innées plutôt fîorissnit la culture potagère,
on doit complimenter la ville d’Anvers, qui, à son tour, doit de légitimes félicitations aux premiers fondateurs de la Société, qui ri’ont pas reculé devant les difficultés de toute nâtùre pour lui faire ce riche présent; à M. le direc
teur Kets, fondateur et donateur généreux de la Société : heureusement secondé par la merveilleuse activité et le zèle entendu de son directeur adjoint M. Vekemans, il a su mettre en ordre, pour ainsi dire, ce rapide accroissement, donner au jardin ce riant aspect, cet air de bonne santé et de richesse qui, joints aux curieux objets qu’il renferme, en font un de ces endroits que le touriste juge dignes, dans sa course la plus rapide, d’une visite attentive et sérieuse.
R. d’Eprémesnil.
Les Fratelli de Garfagnana.


ÉPISODE DE L’HISTOIRE DU FERRARAIS AU SEIZIÈME SIÈCLE.


— N’ayez plus aucune crainte, mademoiselle ; je ne pense pas que le drôle soit en mesure de nous poursuivre. Je crois l’avoir mis hors d’état de se servir de ses jambes d’ici à quelques semaines.
— Ah! seigneur, que dé reconnaissance ne vous dois-je pas! Et comment pourrai-je m’acquitter envers vous?.... Sainte Vierge ! vous êtes blessé. !
- Ce n’est rien, mademoiselle : une simple égratignure au cou.
Mais la jeune fille avait déjà déchiré son fin mouchoir de baliste ; et, malgré la résistance de celui qui paraissait être son libérateur, elle en faisait une compresse que ses mains délicates posaient doucement sur la plaie. Une vive rou
geur se répandit aussitôt sur le visage du blessé. Était-ce un effet de la douleur que lui causait le pansement? étaitce la suite d’une impression plus intime et moins vulgaire ? C’est ce que. décideront des observateurs plus expérimentés,
prié rougeur semblable empourpra presque en même temps les joues et le front de la charman te chirurgienne ; puis un silence de quelques minutes s’établit entre les deux interlocuteurs.
Du reste, le lieu où iis se trouvaient, l’heure du jour, la saison même, ëtaien t favor ables au recueillement et à la médi
tation. Du plateau hérissé de roches où iis étaient assis, la vue s’étendait sur des pentes abruptes, qui, après une courte halte dans de fraîches vallées, se relevaient brus
quement, pour redescendre et remonter encore. Des pins d Italie, des chênes verts, des térébinthes et des châtai
gniers, disposés par la nature en élégants amphithéâtres, mariaient leurs couleurs et leurs formés diverses, et con
trastaient gracieusement avec la sombré nudité des rochers qui couronnaient le plateau central. A travers l écartement cle deux cimes prochaines, on voyait ètîncêlëf au soîeîî lès petites vagues du Serchio. Plus loin, se dressaient les hau
tes tours de Castel-Nuovo, et, à l’extrême horizon, pyramidaient les derniers pics de la chaîne des Apennins,
On était au mois de février, et ce mois, si triste dans nos latitudes septentrionales, jetait à peine une légère vapeur sur le bleu du ciel et sur le vert des arbres. Pour dernier trait au tableau, le soleil penchait déjà vers la mer de Tos
cane, et, avant de s’y plonger, éclairait de ses rayons de plus en plus obliques la scène cpie nous venons de décrire.
Nos deux héros ne la déparaient en aucune manière, et ils né pâlissaient point à côté des objets qui les environnaient. Par-dessous un manteau cle coupe sévère et de cou
leur sombre, l’homme avait le brillant costume que l’on portait clans les vingt premières annéès du seizième siècle, à la cour des ducs de Ferrare. Parvenu à toule la maturité de l’âge et de la force, il charmait et imposait à la fois. Le feu qui animait ses regards était tempéré par la réflexion et par la grâce; et les rides qui sillonnaient son la’-ge front paraissaient être le fruit de l’étude plutôt que de la souffrance.
Les vêtements de la jeune fille étaient de la plus grande simplicité; plusieurs détails en appartenaient au costume de quelque communauté religieuse; mais l’ensemble annon
çait évidemment une personne laïque. Celle qui les portait devait avoir dix-huit ans. Ses traits, vivement accusés, tra
hissaient un cœur ardent et un caraclère résolu ; mais la femme se, retrouvait tout entière dans la tendresse du regard et dans la petitesse, des pieds et des mains.
— Me permettrez-vous maintenant de vous demander, lui dit tout à coup son compagnon en se penchant vers elle, quel grave motif vous avait engagée à vous aventurer ainsi dans les dangereuses montagnes de Garfagnana, sous la conduite d’un voiturier qui a bien l’air de s’être entendu d’avance avec 1e bandit aux mains duquel je vous ai arrachée ?
— Je venais du couvent des Camaldules, et je me rendais à Luc.ques, auprès de notre chère mère Agathe, qui s’y trouve momentanément retenue par une maladie des plus graves.
— Est ce que vous seriez novice? s’écria l’homme.
— Non, seigneur. Mais, seule sur la terre, il est plus que probable que je finirai par prendre le voile.
•— Seule ?
— Je n’ai point de parents, ou du moins je ne m’en connais pas. Dès l’âge le plus tendre, j’ai été élevée dans le couvent des Camaldules, et c’est la seconde fois, ce matin, que j’en ai franchi ta porte.
— Et vous ne. savez rien sur votre famille?
— Rien, sinon qu’elle doit être riche, autant qu’on en peut juger par les cadeaux de toute sorle dont elle comble 1:. communauté.
— Comment peut-on avoir eu l’imprudence, je dirai même la folie, de vous confier aux soins d’un pareil guide en un tel pays?


— Ce voiturier est attaché à notre, maison depuis plu


sieurs années, et ce pays, dangereux peut-être pour tout autre, ne l’avait pas encore été pour notre communauté. Aucune de mes compagnes n’y avait encore, fait de mau
vaise rencontre. Il semblait qu’un charme secret, la grâce sans doute de notre saint patron, nous protégeât contre tout ennemi. Aujourd’hui j’ai rompu le charme; mais saint Be
noit ne nous a pas abandonnées, puisqu’il vous a envoyé à mon secours.
Et à ces dernières paroles, une rougeur, non moins vive, que la première, envahit la figure expressive de la jeune fille.
Le silence régna de nouveau entre les deux interlocuteurs, et, dans la vaste solitude qui les entourait, on n’entendit plus que le vent du soir, dont les premiers murmures commençaient à s’élever.
— Que vous proposez-vous de faire? reprit enfin l’homme en se levant et en présentant respectueusement la main droite à la jeune fille, qui s’y appuya pour se lever aussi. — Le voiturier est en fuite, le cheval tué ; vous reconduirai-je au couvent, ou poursuivrez-vous avec moi votre roule vers Lucques, et vous remettrai-je moi-même entre les mains de votre, chère mère Agathe, comme vous l’appelez!
:— Il serait peut-être plus convenable de, retourner au couvent, répondit la jeune fille avec une hésitation visible.
— C’est aussi ce que je pensais, dit l’homme, en s’assurant que sa rapière tenait bien à sa ceinture, et en promenant lin regard minutieux autour de lui. Le seul change
ment que j’apporterai à notre itinéraire, ce sera de nous diriger d’abord vers ces tours, qui paraissent être incendiées par les rayons horizontaux clu soleil couchant.
— Ne sont-ce pas les tours de Castel-Nuovo ? — Précisément.
— C’est la résidence du gouverneur de ce pays?
— En effet. Je compte y prendre une escorte pour écarter de vous jusqu’à l’ombre du péril. Malheureusement, la route qui y mène ne m’est pas très-familière ; mais je ferai de mon mieux pour que nous arrivions avant la nuit.
En ce moment, le bruit d’une voix frappa leur oreille et les fit se retourner brusquemen . Ils ne virent qu’une fumée épaisse, dont les tourbillons s’échappaient de derrière un rocher. Voici à peu près les lambeaux de paroles qu’ils purent recueillir.
— Divin Àrioste ! sublime poète!... Ce macaroni ne sera jamais prêt... Que je l’aime lorsque, s’élançant sur les ailes de l’enthousiasme... Un peu plus de parmesan n’aurait pas mal fait... Ravissante Angélique ! Infâme magicien !... Il ne filera jamais assez!... Et ces paresseux-là qui n’arrivent pas!
Nos deux héros se regardaient avec un étonnement qui, sur le visage de l’homme, allait céder la place à un violent éclat de rire, lorsqu’un personnage d’un extérieur encore plus étrange que les paroles dont ils cherchaient vainement ie rapport, s offrit à leurs regards.
(1) Cette perruche, aussi remarquable par sa petite taille que par la riclxesse de son plumage, se reproduit parfaitement en câpÉitlte ; la preuve en a été acquise tout dernièrement dans une des volières les mieux tenues des environs de Paris.