:, Que l’on se figure un homme de petite taille, revêtu d’une robe brune trop longue pour lui, mais à peine assez large pour contenir le majestueux abdomen dont la nature l’avait doué. Retroussée d’un côté jusqu’à la ceinture, celte robe laissait entrevoir une absence presque totale de haut .dé chaussés; mais, en revanche, une admirable paire de jambes, si du moins l’admiration doit se mesurer à la gros
seur. La tête de ce personnage était tout à fait digne de couronner le reste, soit par l’ampleur des parties charnues,
soit par l’éclat du coloris, soit par la gravité magistrale dont .elle était empreinte. L’heureux possesseur de cet ensemble imposant s’avançait d’un pas noblement cadencé, tenant de la main droite un livre ouvert, et appuyant sa main gauche sur le manche d’un couteau de cuisine, qui brillait fièrement à sa ceinture, à côté d’une modeste cuiller d’étain.
11 achevait de lire, ou plutôt de déclamer à haute voix ce passage de Roland le furieux où l’Arioste décrit les dangers que court la vertu d’Angélique. Pour donner plus d’ac
cent au débit, sa main gauche, quittant par intervalles le manche, de couteau qui lui servait de support, s’élevait, non sans peine, jusqu’à la hauteur de sa tête, d’où elle redescendait avec beaucoup plus de facilité.
— Quel homme ! quel homme! s’écriait-il en s’interrompant, ou plutôt quel Dieu!
— Messire, lui dit tout à coup en s’avançant le compagnon de la jeune fille, mille pardons si je vous dérange dans une. lecture que vous paraissez beaucoup trop goûter...
— Comment beaucoup trop? riposta aigrement l’admirateur de l’Arioste. .Monsieur est Français, ou peut-être
On se rappelle qu’à celte époque les querelles de François I et de Charles-Quint inondaient l’Italie de soldats étrangers.
— Calmez-vous, messire. Je suis Italien comme vous.
— Et vous n’admirez pas, que dis-je, vous n’adorez pas l’Arioste ?
— En vérité ! vous lui faites beaucoup d’honneur, et vous m’avez l’air d’un gaillard à lui.en remontrer. li a du bon j Et vous aussi, vous en avez: mais ce n’est pas tout à fait de la même manière. Allez au diable!
Et l’irascible métromane tourna le dos à son interlocuteur.
— Vous y êtes !
— Ainsi me voilà damné pour n’adorer pas F Arioste?
— Ne riez pas, monsieur, dit le gros homme en se retournant. Il y en a, certes, dans la chaudière du diable qui ont fait moins que cela. Ne pas admirer l’Arioste, c’est d’un malhonnête homme!
— Vous avez dit adorer.
— Et je maintiens le mot. Ne pas admirer l’Arioste! reprit le fanatique de ce poète en revenant sur ses pas.
Ecoutez, monsieur, la description du séjour de Roger dans file des Plaisirs.
Et, fermant le livre, il se mit à réciter ce brillant passage.
— Et l’entrevue de Bradamante avec Merlin ! poursuivitil avec une véhémence croissante. Et lqS fureurs de Ro
land ! et la marche de Charlemagne sur Parts ! Et le cheval volant ! et Renaud ! et Ferragus ! Et... et mon macaroni qui brûle ! s’écria-t-il tout à coup en se dirigeant de toute là vitesse de son gros corps vers une enceinte de rochers d’où s’échappait 1 odeur nauséabonde qui était venue l’a vertir.
— C’est sans doute un ermite, dit la jeune fille à son compagnon.
— En tout cas, répartit celui-ci en souriant, il pourrait mieux choisir ses livres de prières.
Mais déjà le prétendu ermite avait reparu, et il s’était écrié de nouveau : Ne pas admirer l’Arioste!
— Eh bién ! reprit le compagnon de la jeune fille, au nom de cet Arioste qui doit être lier d’inspirer un tel en
thousiasme, veuillez nous dire le chemin le plus direct pour arriver à Castel-Nuovo. Et, en retour de ce léger ser
vice, je vous promets de faire savoir à votre poète favori qu’il a un fervent admirateur dans les montagnes de Garfagnana.
— Ah ! monsieur, répondit le gros homme tout à fait radouci; vous daigneriez parler de moi au divin Arioste !... Mon nom serait prononcé devant cet immortel génie !...
— Quel est votre nom ?
— Zefirino Monteflore, pour vous servir, monsieur. Cuisinier par état, et poète par tempérament.
— Que de poètes, monsieur Zefirino, qui sont poètes par état et cuisiniers par tempérament !
Zefirino applaudit fort à la plaisanterie de l’étranger, et, comme de juste, il en fit généreusement l’application à tous les poètes de sa connaissance. Puis il se mit en devoir d’enseigner à son interlocuteur la route de Castel-Nuovo.
Déjà il étendait le bras vers F orient, lorsqu’un signal venu de ce côlé lui fit dire à deini-voix : «Ah! il nous faut
.prendre une autre direction. >f Et, se tournant vers le sudest, il indiquait du doigt un sentier bordé de buissons, lors
qu’un nouveau signal le fit s’écrier : «Allons! nous n’avons pas de bonheur. » Faisant alors un demi-cercle, il levait la main vers le sud-ouest, quand un troisième signal le rendit muet.
— Diable! diable! s’écria-t-il enfin, en regardant ses deux auditeurs dont les traits exprimaient la plus vive sur
prise. On vient de poser les sentinelles. Toutes les issues sont gardées. Les amis reviennent.
— Comment! les amis! s’écria le compagnon de la jeune fille avec un étonnement mêlé d’inquiétude. Mais où sommes-nous donc ?
— Ah ! c’est vrai, répartit Zefirino. Je ne vous l’avais pas
dit. C’est ici le quartier général des Fraielli de Garfagnana.
— Des Fratelli ! les plus redoutables brigands des Apennins ! Henry Trianon.
Quelle est cette pauvre folle dont les yeux fixes et hagards annoncent un cœur déchiré par la douleùf? Elle ne répand point de larmes, mais souvent elle soupire; elle ne fait entendre aucune plainte, mais son silence n’est que la muette résignation du désespoir.
Elle ne cherche pas à exciter la pitié; elle ne demande pas d’aumônes ; elle ne prend nul soin de ses vêlements ni de sa nourriture. Le souille cruel de l’hiver, passant à tra
vers ses haillons, gerce son sein, et sur sa jeune joue règne déjà une pâleur mortelle.
Cependant il n’y a pas longtemps encore que la pauvre, Marie, la folle, élait gaie et heureuse, et les voyageurs qui s’arrêtaient dans ce pays disaient qu’ils ne connaissaient pas de servante plus aimable ni plus joviale que Marie, la fille d’auberge.
Elle accueillait les hôtes avec un sourire charmant, elle les servait avec une grâce enchanteresse. Son cœur était exempt de toute frayeur puérile, et Marie était capable d’al
ler se promener, de nuit, dans la vieille abbaye quand le vent du nord y élevait sa mugissanle voix.
Elle avait un fiancé; le jeune Richard avait déjà fixé le jour qui devait assurer leur bonheur. Mais Richard élait pa
resseux et joueur, et ceux qui le connaissaient plaignaient la pauvre Marie et disaient qu’elle était trop bonne pour être sa femme.
L’automne commençait; aux jours brumeux succédaient des nuits orageuses et noires; lès portes et les fenêtres étaient soigneusement fermées. Deux étrangers, assis auprès d’un feu pétillant, qu’ils tisonnaient en silence, écoutaient avec délices le bruit du vent qui grondait au dehors.
— Il y a un certain plaisir, dit l’un d’eux, à entendre, au coin d’un bon feu, ce murmure effrayant
— Quelle nuit pour l’abbaye! répondit l’autre. Ün homme qui oserait en parcourir les ruines à cette heure mériterait certainement ie nom de brave.
— Moi même, je l’avoue, je tremblerais comme un enfant au moindre frémissement des feuilles du lierre au-dessus de ma iête. A chaque instant, je croirais voir, par un effet de la peur, le spectre hideux dè quelque vieux moine sortir de son tombeau, — car ce vent doit éveiller les morts.
— Je gage Un dinef, ajouta le premier, que Marie ne craindrait pas de tenter l’aventure. — Eh bien, pariez èt perdez ! répliqua l’autre interlocuteur d’un ton moqueur;
je suis sûr que la peur des revenants paralysera ses pas, èt qu’elle perdra connaissance si elle rencontre une vache blanche.
Marie veut-elle soutenir ma gageure? demanda le premier voyageur... Je gagnerai, car je sais qu’elle acceptera, et je lui achèterai un chapeau tout neuf si elle me rapporte un rameau du sureau qui croît dans le vieux cloître.
Marie n’hésita pas un seul instant à donner cette preuve de courage, et elle prit résolument le chemin de l’antique
édifice. La nuit était sombre, le vent était fort; il chassait devant lui les nuages, et Marie tremblait, non pas de peur, mais de froid.
Elle continua d’avancer par le chemin bien connu au bout duquel se dressait l’abbayè. Elle franchit le seuil de la porte avec une mâle assurance, quoique les ruines fussent désertes et sauvages, èt que leur ombre parût redoubler les ténèbres de la nuit.
Tout se taisait autour d’elle, excepté la bise dont les bouffées glaciales hurlaient par intervalles dans les vieux murs. Elle sauta pâr-dèsstis des décombres tapissés de broussailles, ét arriva enfin sans crainte au fond du cloître où croissait un sureau centenaire,
Elle s’en approche tonie joyeuse, elle lève le bras pour en détacher une brandie légère, lorsqu’elle crut distinguer près d’elle des sons articulés, et elle s’arrêta... Elle prêta une oreille attentive... Son cœur battait avec violence.
L’aquiloii mugit de nouveau; le lierre, aux feuilles glabres palpite sur sa tête... Elle prête l’oreille de nouveau... Tout est silencieux. Le veut tombe, mais son cœur se serre avec une anxiété indicible, car elle vient de distinguer parmi les ruines un bruit de pas qui se dirigent vers elle.
Haletante de terreur, elle sè glisse derrière un palier voisin, et s’y blottit de son mieux. En ce moment la lune
se montra brillante à travers un nuage gris, et, à la lueur de cçt astre, Marie vit apparaître dans le cloître deux brigands qui traînaient un cadavre.
Ün frisson douloureux parcourut tous ses membres....... La bise, souillant encore, fit tomber le chapeau de l’un des meurtriers, et le roula aux pieds mêmes de la jeune fille... Elle se crut perdue, et s’apprêta à mourir.
«Maudit chapeau!» s’écria l’assassin... «D’abord mettons ce mort en ferre, » répliqua son complice. Marie les vit passer près d’elle sans en être aperçue... Elle saisit le chapeau, rassemble ses forces, et se précipite hors de l’abbaye.
Elle court, ou plutôt elle vole; elle arrive hors d’haleine à l’auberge; elle jette un regard autour d’elle, et aussitôt, s’affâisanl sur elle-même comme si tous les ressorts de son corps étaient brisés, elle tombe étendue sur le plancher, sans mouvement et sans voix.
Avant que ses lèvres décolorées essayassent de raconter son histoire, le fatal chapeau avait frappé sa vue. Ses yeux s’en étaient détournés avec épouvante; car... qui peut décrire le trouble qui s’empara de ses sens lorsqu’elle lut dessus le nom de Richard.
Aujourd’hui, à peu de distance de l’abbaye, et à deux pas de la grande route, on voit une potence... C’est celle de Richard... Et le voyageur qui l’aperçoit soupire, en pensant à la pauvre Marie, la fille d’auberge.
Restauration
ET DE LA FENÊTRE DITE FAUSSEMENT DE CHARLES IX.
La partie la plus ancienne de la galerie du Louvre qui longe la Seine, et le bâtiment en équerre qui la rattache au vieux Louvre, étaient restés, extérieuremen t, dans l’état où les avaient laissés Charles IX et Henri IV. On achève en ce moment de sculpter la façade de l’une, et on a complète
ment restauré le second, où se trouve la galerie d’Apollon, qui vient d’être rendue à la France avec toute sa magnifi
cence. Au-dessous delà galerie d’Apollon est celle, du musée des antiques, placée dans i’ftxe de la porte d’entrée du mu
sée. Cette galerie fit partie dés appariements d’Anne (F Aüti iche. El e en fit décorer les plafonds de peintures par Roroaneffi, de l’école de Pietre de Cortone. Ces peintures fa
ciles, d’un style plus agréable que correct, appellent ellesmêmes la restauration dans certaines parties. A l’extrémité de la galerie est ùne grande fenêtre à arcade, qui aboulit à un balcon dominant lè (jiiaj, et à laquelle de néfastes souvenirs historiques ont donné une triste célébrité. On pré
tend que de celle fenêtre Charles IX tira sur les huguenots pendant les massacres delà Saint-Barthélemy. Pour consacrer la mémoire de ce forfait, le conseil général de, la com
mune de Paris rendit, en l’an ni, un arrêté portant « qu’un poteau de pierre serait placé à cet endroit, et qu’il y serait attaché une inscription infamante. » Pendant six ans, tout Paris put lire l’inscription suivante, que Bonaparte, pre
mier consul, fit enlever plus tard : C est de cette Jmétre que l infâme Charles IX, ci exécrable mémoire, a tiré sur le p upie avec, une carabine. Il y a dans cette tradition plus d’une chose contestable. D’abord, elle n’est ap
puyée que sur l’autorité suspecte de Brantôme. Jl dit qu’a- près s’être laissé entraîner par la reine à ce massacre, « il y fut plus ardent que tous ; si que, lorsque le jeu se jouait et qu’il fut jour, et qu’il voyait aucuns dans les fauxbours de Saint-Germain qui se re.müoient et se sauvoient, il prit
un grand harquçbus de chasse qu’il avoit, et en tira tout plaid de coups à eux, mais en vain, car l’barquebus ne tiroit Si loing. » Quoi qu’il en soit de cette inutile fusillade à travers la Seine, et quand bieh même Charles IX n’en serait pas coupable, sa mémoire fie serait pas moins odieuse.
Loin de désavouer lès massacres de la Saint-Barthélemy, il s’est vanté en plein parlement que c’était par son ordre qu’ils avaient eu lieu. D’un caractère faible, dissimulé et cruel, il ordonne de massacrer un parti sur lequel s’ap
puyait la veille sa politique de bascule, ou plutôt celle dé F Italienne Catherine de, Médicis, sa mère; il laisse lâche
ment égorger des amis avec qui il avait passé la soirée à jouer, ne sauvant que le médecin Ambroise Paré, parce qu’il ne pouvait se. passer de ses soins pour une maladie dif
ficile à guérir, et dont 11 devait se préoccuper d’autant plus que son grand-père, François I , en était mort. Toutefois, il faut reconnaître que dans l’inscription rédigée en Fan ni par la commune de Paris, l’histoire est faussée par ce mi
rage, particulier à TépoqUe, pour laquelle César était un tyran et son assassin Brutus un libérateur affranchissant sa patrie,
tandis qu’en réalité Brutus était l’homme de l’aristocratie et des privilèges, et que la démocratie était du côté de. Cé
sar. Ainsi, dans Charles IX tirant des coups d’arquebuse sur les huguenots, PinSCription semble ne voir qu’un roi tirant
sur ib peuple. Or, il ne faisait que ce que le peuple faisait lui-même; il était avec la majorité du peuple, et il en était applaudi quand il allait au gibet de Montfaucon, avec sa mère, ses sœurs et la cour, voir le cadavre de l’amiral de. Coligny, pendu par les pieds. La vérité suffit à rendre le nom de Charles IX un nom exécré parmi ceux des rois de France ( il n’ëst pas besoin pour cela de lui mettre un masqùé.
Si rien ne saurait protéger le souvenir cle ce jeune homme, de, vingt-deux ans, un des bons poètes de son temps, et doué
cle quelques qualités qui furent étouffées par sa mère, de la juste exécration de la postérité; s’il est vrai même que Charles IX tira sur les huguenots, ses sujets, d’une fenêtre, de son palais, du moins la fenêtre du Louvre qu’on accuse
d’avoir été le théâtre de cet attentat en est complètement; innocente, et il y a à cela une excellente raison : c’est qu’a-’ lors elle n’existait pas. Au milieu de la confusion et de l’incertitude entre les époques où ont été construites les diffé
rentes parties du palais voisines du pavillon dont nous nous occupons ici, il y a lieu de, reconnaître que la galerie s’é
tendant du vieux Louvre au bord de la Seine au-dessus du jardin de l’Infante, et construite par Catherine de, Médicis et Charles IX, ne s’avançait pas jusqu’au point où elle se ter
mine aujourd’hui sur le quai; aussi cette première portion cle, la façade sur le jardin est-elle d’un autre style que celle
qui lui a été ajoutée, et qui comprend les trois dernières fenêtres de la galerie des antiques du côté du quai. Cette
extrémité fut ajoutée par Henri IV, comme l attestent les H conservés par la récente restauration de la façade clans la frise entre le rez-de-chaussée et le premier étage; on pré
tend même que le chiffre d’Henri IV y était réuni à celui de Gabrielle d’Estrées, mais ces chiffres enlacés n’existent au
jourd’hui que sur la façade cle la galerie, qui, à partir du pavillon, s’avance dans 1e sens de la Seine vers les Tuile
tre temps que de voir ces entrelacs amoureux, monuments honteux de la faiblesse cle nos rois, non-seulement scrupu
leusement restaurés, mais encore sculptés à nouveau par la république de 18à8.
Le balcon du haut duquel Charles IX avait tiré sur les Huguenots de l’autre côté de la Seine aurait donc été en arrière, par rapport au balcon actuel, de toute la longueur des trois travées ajoutées par Henri IV ; et celui dont nous reproduisons ici la nouvelle restauration est innocent de ces affreux souvenirs cle, guerre civile et cle religion ; _ aussi l’architecte. qui a présidé, dernièrement à sa décoration y a-t-il
seur. La tête de ce personnage était tout à fait digne de couronner le reste, soit par l’ampleur des parties charnues,
soit par l’éclat du coloris, soit par la gravité magistrale dont .elle était empreinte. L’heureux possesseur de cet ensemble imposant s’avançait d’un pas noblement cadencé, tenant de la main droite un livre ouvert, et appuyant sa main gauche sur le manche d’un couteau de cuisine, qui brillait fièrement à sa ceinture, à côté d’une modeste cuiller d’étain.
11 achevait de lire, ou plutôt de déclamer à haute voix ce passage de Roland le furieux où l’Arioste décrit les dangers que court la vertu d’Angélique. Pour donner plus d’ac
cent au débit, sa main gauche, quittant par intervalles le manche, de couteau qui lui servait de support, s’élevait, non sans peine, jusqu’à la hauteur de sa tête, d’où elle redescendait avec beaucoup plus de facilité.
— Quel homme ! quel homme! s’écriait-il en s’interrompant, ou plutôt quel Dieu!
— Messire, lui dit tout à coup en s’avançant le compagnon de la jeune fille, mille pardons si je vous dérange dans une. lecture que vous paraissez beaucoup trop goûter...
— Comment beaucoup trop? riposta aigrement l’admirateur de l’Arioste. .Monsieur est Français, ou peut-être
Espagnol, à moins que monsieur n’ait l’Insigne honneur d’être Allemand ?
On se rappelle qu’à celte époque les querelles de François I et de Charles-Quint inondaient l’Italie de soldats étrangers.
— Calmez-vous, messire. Je suis Italien comme vous.
— Et vous n’admirez pas, que dis-je, vous n’adorez pas l’Arioste ?
— L’Arioste a du bon.
— En vérité ! vous lui faites beaucoup d’honneur, et vous m’avez l’air d’un gaillard à lui.en remontrer. li a du bon j Et vous aussi, vous en avez: mais ce n’est pas tout à fait de la même manière. Allez au diable!
Et l’irascible métromane tourna le dos à son interlocuteur.
— Veuillez du moins me dire le chemin, riposta celui-ci .en riant.
— Vous y êtes !
— Ainsi me voilà damné pour n’adorer pas F Arioste?
— Ne riez pas, monsieur, dit le gros homme en se retournant. Il y en a, certes, dans la chaudière du diable qui ont fait moins que cela. Ne pas admirer l’Arioste, c’est d’un malhonnête homme!
— Vous avez dit adorer.
— Et je maintiens le mot. Ne pas admirer l’Arioste! reprit le fanatique de ce poète en revenant sur ses pas.
Ecoutez, monsieur, la description du séjour de Roger dans file des Plaisirs.
Et, fermant le livre, il se mit à réciter ce brillant passage.
— Et l’entrevue de Bradamante avec Merlin ! poursuivitil avec une véhémence croissante. Et lqS fureurs de Ro
land ! et la marche de Charlemagne sur Parts ! Et le cheval volant ! et Renaud ! et Ferragus ! Et... et mon macaroni qui brûle ! s’écria-t-il tout à coup en se dirigeant de toute là vitesse de son gros corps vers une enceinte de rochers d’où s’échappait 1 odeur nauséabonde qui était venue l’a vertir.
— C’est sans doute un ermite, dit la jeune fille à son compagnon.
— En tout cas, répartit celui-ci en souriant, il pourrait mieux choisir ses livres de prières.
Mais déjà le prétendu ermite avait reparu, et il s’était écrié de nouveau : Ne pas admirer l’Arioste!
— Eh bién ! reprit le compagnon de la jeune fille, au nom de cet Arioste qui doit être lier d’inspirer un tel en
thousiasme, veuillez nous dire le chemin le plus direct pour arriver à Castel-Nuovo. Et, en retour de ce léger ser
vice, je vous promets de faire savoir à votre poète favori qu’il a un fervent admirateur dans les montagnes de Garfagnana.
— Ah ! monsieur, répondit le gros homme tout à fait radouci; vous daigneriez parler de moi au divin Arioste !... Mon nom serait prononcé devant cet immortel génie !...
— Quel est votre nom ?
— Zefirino Monteflore, pour vous servir, monsieur. Cuisinier par état, et poète par tempérament.
— Que de poètes, monsieur Zefirino, qui sont poètes par état et cuisiniers par tempérament !
Zefirino applaudit fort à la plaisanterie de l’étranger, et, comme de juste, il en fit généreusement l’application à tous les poètes de sa connaissance. Puis il se mit en devoir d’enseigner à son interlocuteur la route de Castel-Nuovo.
Déjà il étendait le bras vers F orient, lorsqu’un signal venu de ce côlé lui fit dire à deini-voix : «Ah! il nous faut
.prendre une autre direction. >f Et, se tournant vers le sudest, il indiquait du doigt un sentier bordé de buissons, lors
qu’un nouveau signal le fit s’écrier : «Allons! nous n’avons pas de bonheur. » Faisant alors un demi-cercle, il levait la main vers le sud-ouest, quand un troisième signal le rendit muet.
— Diable! diable! s’écria-t-il enfin, en regardant ses deux auditeurs dont les traits exprimaient la plus vive sur
prise. On vient de poser les sentinelles. Toutes les issues sont gardées. Les amis reviennent.
— Comment! les amis! s’écria le compagnon de la jeune fille avec un étonnement mêlé d’inquiétude. Mais où sommes-nous donc ?
— Ah ! c’est vrai, répartit Zefirino. Je ne vous l’avais pas
dit. C’est ici le quartier général des Fraielli de Garfagnana.
— Des Fratelli ! les plus redoutables brigands des Apennins ! Henry Trianon.
(La suite à un prochain numéro.)
Marie la fille d’auberge, par Southey.
Quelle est cette pauvre folle dont les yeux fixes et hagards annoncent un cœur déchiré par la douleùf? Elle ne répand point de larmes, mais souvent elle soupire; elle ne fait entendre aucune plainte, mais son silence n’est que la muette résignation du désespoir.
Elle ne cherche pas à exciter la pitié; elle ne demande pas d’aumônes ; elle ne prend nul soin de ses vêlements ni de sa nourriture. Le souille cruel de l’hiver, passant à tra
vers ses haillons, gerce son sein, et sur sa jeune joue règne déjà une pâleur mortelle.
Cependant il n’y a pas longtemps encore que la pauvre, Marie, la folle, élait gaie et heureuse, et les voyageurs qui s’arrêtaient dans ce pays disaient qu’ils ne connaissaient pas de servante plus aimable ni plus joviale que Marie, la fille d’auberge.
Elle accueillait les hôtes avec un sourire charmant, elle les servait avec une grâce enchanteresse. Son cœur était exempt de toute frayeur puérile, et Marie était capable d’al
ler se promener, de nuit, dans la vieille abbaye quand le vent du nord y élevait sa mugissanle voix.
Elle avait un fiancé; le jeune Richard avait déjà fixé le jour qui devait assurer leur bonheur. Mais Richard élait pa
resseux et joueur, et ceux qui le connaissaient plaignaient la pauvre Marie et disaient qu’elle était trop bonne pour être sa femme.
L’automne commençait; aux jours brumeux succédaient des nuits orageuses et noires; lès portes et les fenêtres étaient soigneusement fermées. Deux étrangers, assis auprès d’un feu pétillant, qu’ils tisonnaient en silence, écoutaient avec délices le bruit du vent qui grondait au dehors.
— Il y a un certain plaisir, dit l’un d’eux, à entendre, au coin d’un bon feu, ce murmure effrayant
— Quelle nuit pour l’abbaye! répondit l’autre. Ün homme qui oserait en parcourir les ruines à cette heure mériterait certainement ie nom de brave.
— Moi même, je l’avoue, je tremblerais comme un enfant au moindre frémissement des feuilles du lierre au-dessus de ma iête. A chaque instant, je croirais voir, par un effet de la peur, le spectre hideux dè quelque vieux moine sortir de son tombeau, — car ce vent doit éveiller les morts.
— Je gage Un dinef, ajouta le premier, que Marie ne craindrait pas de tenter l’aventure. — Eh bien, pariez èt perdez ! répliqua l’autre interlocuteur d’un ton moqueur;
je suis sûr que la peur des revenants paralysera ses pas, èt qu’elle perdra connaissance si elle rencontre une vache blanche.
Marie veut-elle soutenir ma gageure? demanda le premier voyageur... Je gagnerai, car je sais qu’elle acceptera, et je lui achèterai un chapeau tout neuf si elle me rapporte un rameau du sureau qui croît dans le vieux cloître.
Marie n’hésita pas un seul instant à donner cette preuve de courage, et elle prit résolument le chemin de l’antique
édifice. La nuit était sombre, le vent était fort; il chassait devant lui les nuages, et Marie tremblait, non pas de peur, mais de froid.
Elle continua d’avancer par le chemin bien connu au bout duquel se dressait l’abbayè. Elle franchit le seuil de la porte avec une mâle assurance, quoique les ruines fussent désertes et sauvages, èt que leur ombre parût redoubler les ténèbres de la nuit.
Tout se taisait autour d’elle, excepté la bise dont les bouffées glaciales hurlaient par intervalles dans les vieux murs. Elle sauta pâr-dèsstis des décombres tapissés de broussailles, ét arriva enfin sans crainte au fond du cloître où croissait un sureau centenaire,
Elle s’en approche tonie joyeuse, elle lève le bras pour en détacher une brandie légère, lorsqu’elle crut distinguer près d’elle des sons articulés, et elle s’arrêta... Elle prêta une oreille attentive... Son cœur battait avec violence.
L’aquiloii mugit de nouveau; le lierre, aux feuilles glabres palpite sur sa tête... Elle prête l’oreille de nouveau... Tout est silencieux. Le veut tombe, mais son cœur se serre avec une anxiété indicible, car elle vient de distinguer parmi les ruines un bruit de pas qui se dirigent vers elle.
Haletante de terreur, elle sè glisse derrière un palier voisin, et s’y blottit de son mieux. En ce moment la lune
se montra brillante à travers un nuage gris, et, à la lueur de cçt astre, Marie vit apparaître dans le cloître deux brigands qui traînaient un cadavre.
Ün frisson douloureux parcourut tous ses membres....... La bise, souillant encore, fit tomber le chapeau de l’un des meurtriers, et le roula aux pieds mêmes de la jeune fille... Elle se crut perdue, et s’apprêta à mourir.
«Maudit chapeau!» s’écria l’assassin... «D’abord mettons ce mort en ferre, » répliqua son complice. Marie les vit passer près d’elle sans en être aperçue... Elle saisit le chapeau, rassemble ses forces, et se précipite hors de l’abbaye.
Elle court, ou plutôt elle vole; elle arrive hors d’haleine à l’auberge; elle jette un regard autour d’elle, et aussitôt, s’affâisanl sur elle-même comme si tous les ressorts de son corps étaient brisés, elle tombe étendue sur le plancher, sans mouvement et sans voix.
Avant que ses lèvres décolorées essayassent de raconter son histoire, le fatal chapeau avait frappé sa vue. Ses yeux s’en étaient détournés avec épouvante; car... qui peut décrire le trouble qui s’empara de ses sens lorsqu’elle lut dessus le nom de Richard.
Aujourd’hui, à peu de distance de l’abbaye, et à deux pas de la grande route, on voit une potence... C’est celle de Richard... Et le voyageur qui l’aperçoit soupire, en pensant à la pauvre Marie, la fille d’auberge.
Restauration
DU PAVILLON DE LA GALERIE DES ANTIQUES, SUR LE QUAI,
ET DE LA FENÊTRE DITE FAUSSEMENT DE CHARLES IX.
La partie la plus ancienne de la galerie du Louvre qui longe la Seine, et le bâtiment en équerre qui la rattache au vieux Louvre, étaient restés, extérieuremen t, dans l’état où les avaient laissés Charles IX et Henri IV. On achève en ce moment de sculpter la façade de l’une, et on a complète
ment restauré le second, où se trouve la galerie d’Apollon, qui vient d’être rendue à la France avec toute sa magnifi
cence. Au-dessous delà galerie d’Apollon est celle, du musée des antiques, placée dans i’ftxe de la porte d’entrée du mu
sée. Cette galerie fit partie dés appariements d’Anne (F Aüti iche. El e en fit décorer les plafonds de peintures par Roroaneffi, de l’école de Pietre de Cortone. Ces peintures fa
ciles, d’un style plus agréable que correct, appellent ellesmêmes la restauration dans certaines parties. A l’extrémité de la galerie est ùne grande fenêtre à arcade, qui aboulit à un balcon dominant lè (jiiaj, et à laquelle de néfastes souvenirs historiques ont donné une triste célébrité. On pré
tend que de celle fenêtre Charles IX tira sur les huguenots pendant les massacres delà Saint-Barthélemy. Pour consacrer la mémoire de ce forfait, le conseil général de, la com
mune de Paris rendit, en l’an ni, un arrêté portant « qu’un poteau de pierre serait placé à cet endroit, et qu’il y serait attaché une inscription infamante. » Pendant six ans, tout Paris put lire l’inscription suivante, que Bonaparte, pre
mier consul, fit enlever plus tard : C est de cette Jmétre que l infâme Charles IX, ci exécrable mémoire, a tiré sur le p upie avec, une carabine. Il y a dans cette tradition plus d’une chose contestable. D’abord, elle n’est ap
puyée que sur l’autorité suspecte de Brantôme. Jl dit qu’a- près s’être laissé entraîner par la reine à ce massacre, « il y fut plus ardent que tous ; si que, lorsque le jeu se jouait et qu’il fut jour, et qu’il voyait aucuns dans les fauxbours de Saint-Germain qui se re.müoient et se sauvoient, il prit
un grand harquçbus de chasse qu’il avoit, et en tira tout plaid de coups à eux, mais en vain, car l’barquebus ne tiroit Si loing. » Quoi qu’il en soit de cette inutile fusillade à travers la Seine, et quand bieh même Charles IX n’en serait pas coupable, sa mémoire fie serait pas moins odieuse.
Loin de désavouer lès massacres de la Saint-Barthélemy, il s’est vanté en plein parlement que c’était par son ordre qu’ils avaient eu lieu. D’un caractère faible, dissimulé et cruel, il ordonne de massacrer un parti sur lequel s’ap
puyait la veille sa politique de bascule, ou plutôt celle dé F Italienne Catherine de, Médicis, sa mère; il laisse lâche
ment égorger des amis avec qui il avait passé la soirée à jouer, ne sauvant que le médecin Ambroise Paré, parce qu’il ne pouvait se. passer de ses soins pour une maladie dif
ficile à guérir, et dont 11 devait se préoccuper d’autant plus que son grand-père, François I , en était mort. Toutefois, il faut reconnaître que dans l’inscription rédigée en Fan ni par la commune de Paris, l’histoire est faussée par ce mi
rage, particulier à TépoqUe, pour laquelle César était un tyran et son assassin Brutus un libérateur affranchissant sa patrie,
tandis qu’en réalité Brutus était l’homme de l’aristocratie et des privilèges, et que la démocratie était du côté de. Cé
sar. Ainsi, dans Charles IX tirant des coups d’arquebuse sur les huguenots, PinSCription semble ne voir qu’un roi tirant
sur ib peuple. Or, il ne faisait que ce que le peuple faisait lui-même; il était avec la majorité du peuple, et il en était applaudi quand il allait au gibet de Montfaucon, avec sa mère, ses sœurs et la cour, voir le cadavre de l’amiral de. Coligny, pendu par les pieds. La vérité suffit à rendre le nom de Charles IX un nom exécré parmi ceux des rois de France ( il n’ëst pas besoin pour cela de lui mettre un masqùé.
Si rien ne saurait protéger le souvenir cle ce jeune homme, de, vingt-deux ans, un des bons poètes de son temps, et doué
cle quelques qualités qui furent étouffées par sa mère, de la juste exécration de la postérité; s’il est vrai même que Charles IX tira sur les huguenots, ses sujets, d’une fenêtre, de son palais, du moins la fenêtre du Louvre qu’on accuse
d’avoir été le théâtre de cet attentat en est complètement; innocente, et il y a à cela une excellente raison : c’est qu’a-’ lors elle n’existait pas. Au milieu de la confusion et de l’incertitude entre les époques où ont été construites les diffé
rentes parties du palais voisines du pavillon dont nous nous occupons ici, il y a lieu de, reconnaître que la galerie s’é
tendant du vieux Louvre au bord de la Seine au-dessus du jardin de l’Infante, et construite par Catherine de, Médicis et Charles IX, ne s’avançait pas jusqu’au point où elle se ter
mine aujourd’hui sur le quai; aussi cette première portion cle, la façade sur le jardin est-elle d’un autre style que celle
qui lui a été ajoutée, et qui comprend les trois dernières fenêtres de la galerie des antiques du côté du quai. Cette
extrémité fut ajoutée par Henri IV, comme l attestent les H conservés par la récente restauration de la façade clans la frise entre le rez-de-chaussée et le premier étage; on pré
tend même que le chiffre d’Henri IV y était réuni à celui de Gabrielle d’Estrées, mais ces chiffres enlacés n’existent au
jourd’hui que sur la façade cle la galerie, qui, à partir du pavillon, s’avance dans 1e sens de la Seine vers les Tuile
ries; et ce n’a pas élé une des moindres singularités de no
tre temps que de voir ces entrelacs amoureux, monuments honteux de la faiblesse cle nos rois, non-seulement scrupu
leusement restaurés, mais encore sculptés à nouveau par la république de 18à8.
Le balcon du haut duquel Charles IX avait tiré sur les Huguenots de l’autre côté de la Seine aurait donc été en arrière, par rapport au balcon actuel, de toute la longueur des trois travées ajoutées par Henri IV ; et celui dont nous reproduisons ici la nouvelle restauration est innocent de ces affreux souvenirs cle, guerre civile et cle religion ; _ aussi l’architecte. qui a présidé, dernièrement à sa décoration y a-t-il