Chronique musicale.
Nous avons encore celte semaine à inscrire dans notre chronique le début d’un ténor au Grand-Opéra. M. Gauche, que nous avons vu il y a quelques années à l’Opéra-Comique, s’est essayé sur notre première scène lyrique dans le rôle de Baoul, des Huguenots. La voix de cet artiste est d’un timbre agréable, mais elle ne nous semble pas avoir l’ampléur et la solidité nécessaires pour répondre à toutes les exigences d’un cadre aussi vaste que celui du Grand- Opéra. En outre, il y a bien des défectuosités dans sa méthode ; et elles sont et doivent être naturellement plus ap
parentes ici qu’à l’Opéra-Gomique ; nous lui signalerons, entre autres, l’émission du son, qui est souvent gutturale, et lapose de la voix, qui manque de sûreté. Sous le rapport du style, il nous a prouvé une fois de plus que rien n’est plus fâcheux pour un chanteur qu’un séjour prolongé dans les théâtres lyriques de la province. On voit d’ailleurs qu’il y a acquis beaucoup d’habitude de. la scène.
M. Mathieu a continué ses débuts par le rôle d’Eléazar, dans ία Juive. Quelques parties de ce rôle ne lui ont pas été très-favorables ; mais il était visiblement indisposé ce soir-là; c’est une revanche à prendre.
M “° Tedesco s’est montrée pour la première fois cette semaine dans le rôle de Léonor, de ία Favorite; elle l’a chanté avec une voix presque aussi belle que celle de \tUc Alboni, et joué avec une chaleur dramatique presque égale à celle qu’y déployait M e Stoltz. Il va sans dire qu’elle a été très-applaudie.
L’auteur de la Caverne et des Bardes vient de recevoir cette semaine un digne et solennel hommage : une statue lui a été élevée le 10 de ce mois à Abbeville, son pays natal. M. Ambroise Thomas, l’un des élèves de l’illustre maî
tre, que ses succès ont à son tour rendu lui-même illustre, a composé une cantate pour cette circonstance. En un mot,
rien n’a été négligé pour que cette mémorable journée fût en tout bien remplie. La vie de Lesueur est bien connue, et nous n’avons pas à faire ici sa biographie. D’ailleurs elle a été racontée avec beaucoup de talent par Μ. E. Solié :
nous rappellerons aussi l’éloge du célèbre compositeur écrit par M. Raoul-Rochette. La statue de Lesueur est due à M. Hochet, qui n’en est pas à sa première œuvre remar
quable de ce genre. Certainement la journée du 10 août 1852 laissera un long et précieux souvenir à tous ceux qui ont pu en être témoins.
Nous avons laissé les concours du Conservatoire à la troisième séance publique, consacrée, ainsi que nous l’avons dit, au chant. Celle qui a succédé a été remplie, et bien remplie, par le concours d’Opéra-Comique. Vingt-deux élè
ves y ont pris part, dont onze hommes et onze femmes. Les premiers ont eu cette année une supériorité marquée, et nous devons reconnaître que ce n est pas ordinairement ainsi. Mais les concours se suivent et ne se ressemblent pas tous, heureusement. Le jury a décidé qu’il n’y avait pas lieu à décerner de premier prix pour les femmes , et, au contraire, il en a accordé deux aux hommes. Ce sont MM. Faure, de la classe de AI. Moreau-Sainti, et Beckers, de la classe de M. Morin, qui les ont obtenus. AL Faure est le même qui a remporté avec tant de distinction le premier prix de chant. Par la manière dont il a joué le rôle de Mustapha dans quelques scènes de Γitalienne à Alger, il a prouvé qu’il était déjà comédien aussi intelligent que chanteur habile. C’est une excellente acquisition pour le théâtre de la rue Favart, s’il- est vrai, comme on l assure, que le directeur de ce. théâtre ait eu le bon esprit de l’en
gager. Quant à AI. Beckers, quoique moins correct que M. Faure dans sa façon de chanter, il a fait preuve aussi d’un talent très-distingué de comédien, en jouant dans une suite de scènes de VEau merveilleuse le rôle du charlatan; il y a de l’entrain et du naturel dans son action comique ; on doit seulement lui recommander d’éviter, dans son dé
bit, de parler si souvent qu’il fait sur un diapason trop grave; dans une salle plus grande que celle de la rue. Ber
gère, il courrait risque de n’être pas toujours entendu de la plupart de ses auditeurs. Mais, ce petit défaut corrigé, M. Beckers fera certainement honneur à n’importe quel théâtre, qui se l’attachera comme pensionnaire. Le second prix a été décerné à M. Sapin, élève de M. Moreau-Sainti; M. Sapin est doué d’une belle voix de ténor, qui a bon besoin encore d’être travaillée, mais il y a chez lui d’heureu


ses dispositions, de la chaleur, de l’effet naturel, un véri


table. instinct de la scène. MAL Codelaghi, Bonnehée et Holtzem ont obtenu les trois accessit gradués ; ils appar
tiennent tous trois à la classe de JL Morin. -— Il n’y a pas eu de premier prix pour les femmes, ainsi que nous l’avons dit ; mais le second prix a été partagé entre. Ailles Boulart, élève de M. Moreau-Sainti, et Girard, élève de AI. Morin.
La première a dit avec une grâce charmante une scène d’Actéon; elle a seize ans à peine, et peut par conséquent se. bercer des plus riantes espérances, pourvu toutefois qu’elle ménage bien sa voix, qui paraît fort délicate, ce qui n’a rien de surprenant à cet âge. MUc Girard, dans les scènes de Y Eau merveilleuse, où elle a concouru en remplis
sant le rôle sémillant d’Afgentine, a montré une verve comique de bon augure. Les trois accessit ont été décernés à Ailles Geismar, Hey, élèves de AL Morin, et Klotz, élève de M. Aloreau-Sainti.
Le concours de grand opéra, qui a eu lieu le surlendemain du précédent, n’a guère été moins nombreux; mais il n’a pas été aussi satisfaisant. Il n’y a eu de premier prix ni pour les hommes ni pour les femmes; le jury a été d’avis qu’il n’y avait lieu qu’à des seconds prix partagés. Parmi les hommes, ce sont MAI. AVickard et Bounehée qui les ont ob
tenus; ils sont tous deux élèves de AL Duvernoy; l’un et l’autre ont montré de bonnes dispositions, le premier dans le trio de Guillaume Tell, où il remplissait le rôle d’Arnold ; le second, dans la scène et le duo du deuxième acte de Charles FI, où il a fait le personnage du roi fou. Les trois
accessit ont été obtenus par A1M. Sapin, Jollois, élèves de M. Duvernoy, et Crambade, élève de M. Levasseur. Le second prix, pour les femmes, a été partagé entre Ailles Geis
mar et Dherbay ; la première, élève de M. Levasseur, s’est fait remarquer par la manière dont elle a dit le troisième acte A Othello, dans lequel M. Sapin l’a fort bien secondée;
et la seconde, élève de AI. Duvernoy, a paru digne de la même récompense par la façon dont elle a dit le rôle de Roméo dans la scène de Bornéo et Juliette. Le premier accessit a été décerné à M11 Itey, élève de AL Duver
noy ; le deuxième et le troisième à M“e Am. Bourgeois et Bimbaut, élèves de M. Levasseur. — Il y a une observation générale que nous croyons devoir faire à propos de ce con
cours : c’est que. presque tous ces jeunes artistes, ou desti
nés à l’être, ont une regrettable tendance à ralentir les mouvements des morceaux qu’ils chantent, au point que parfois on retrouve difficilement la mélodie, tant ils la ren
dent dépourvue de mesure et derhythme; il ne reste plus qu’une sorte de psalmodie languissante et décolorée. Sans doute ils s’autorisent de l’exemple donné dans ces derniers temps par quelques chanteurs célèbres. Et il n’est que trop vrai que les Huguenots, par exemple, dont la représentation durait autrefois cinq heures, dure un peu plus main


tenant depuis qu’on a fait de notables coupures dans le pre


mier et cinquième acte. Mais, au lieu de laisser suivre de pareils exemples par leurs élèves, MM. les professeurs du Conservatoire devraient s’attacher fermement à en combat
tre la fâcheuse imitation ; car, si l’on n’v prend garde, il n’y aura bientôt plus de. différence entré un De profundis et une scène de tragédie lyrique. Nous ne voyons pas quel avantage il y a pour l’art que les chanteurs dramatiques courent sur les brisées des chantres de paroisse : à ceux-ci le chant calme, sans rhytlnne comme sans modulation; à ceux-là les accents passionnés, c’est-à-dire rhythmés avec énergie, interprétés dans la mesure précise que le composi
teur leur a assignée. Telle doit être la règle première de l’enseignement des chanteurs, surtout dans un Conservatoire, quoi que la mode fasse au dehors.
La journée qui a Séparé les concours de grand opéra et d’opéra comique a été employée au concours des classes d’instruments à vent. Ce jour-là, la salie était à peu près vide d’auditeurs; et cependant, au point de vue de l’art, il n’importe pas moins d’avoir de bons instrumentistes que de bons chanteurs. Nous nous bornons à donner la nomen
clature des divers lauréats, suivant l’ordre de la séance. — Cor à pistons (classe de AL Alifred). Pas de premier prix ;
T prix : Al. Lefebvre ; 1er accessit : AL Carmont. — Basson (classe de AI. Cokken). 1er prix : AL Villaufret; 2e prix :
M. .luilien ; 1er accessit : M. üardin. — Clarinette (classe de M. Klosé). 1 prix : MAL Desormeaux et Boutmy; 2° prix : Al. Ledé. — Trombone (classe de M. Dieppo). 1er prix : Al. Sauret; 2 prix : AI. Chattejyn. — Hautbois (classe de AI. Arogt). 1er prix. : AI. Colin ; 2e prix : AI. Kleinmer; 1 acceshtt : AL Dordet; 2e accessit : AL Blanchet; 8“ accessit : AI. Ortmans. — Trompette (classe de AL Dauverné). Pas de premier prix. 2 ’ prix : AL Guignery; 1er ac
cessit : AI. Piiliard; 2 accessit : AL Lambert; 3e accessit : AL Lagarde. — Flûte (classe de AL Tulou). I prix:
AL Ileîmback ; 2e prix : AL Alvès. — Cor classe de AL Gallay). Ier prix : AL Bonnefoy premier; 2e prix : AI. Pothin; accessit : AL Bonnefoy quatrième.
Enfin ces séances se sont terminées par les concours de tragédie et de comédie, dont l’appréciation n’est pas de notre compétence. Et voilà, pour quelques triomphes, bien des déceptions ! et ces triomphes mêmes, que sont-ils, sinon,
pour la plupart de ceux qui les obtiennent, l’acheminement à de tristes déboires ? O carrière d’artiste ! si l’on savait au juste ce que tu es, le nombre de ceux qui te tenlent ne se
rait pas, à coup sur, si considérable. Alais, à vingt ans, qui ne se croit possesseur, dans son gosier ou au bout de ses doigts, pour peu que l’un ait dut timbre et les autres de l’a­
gilité, de plusieurs centaines de mille francs, sans compter la gloire ?
Georges Bousquet.
P. S. Deux artistes très-honoraldes, et de. nos amis, MAL Bazin et Lecouppey, ont cru voir dans notre dernière Chronique musicale des allusions blessantes qui leur étaient personnelles. Jamais une telle pensée n’a pu être la nôtre, nous nous empressons de le déclarer. Le but de nos réflexions, à propos des concours du Conservatoire, était uniquement de faire ressortir ce qu’il y a d’illogique dans le nouveau règlement concernant le partage des premiers prix.
Géographie chevaline de la France ancienne et moderne (1).
I.
Ce que les Français connaissent le moins, c’est leur pays. Nous portons loin ce travers. Il a peu d’inconvénients sans doute lorsqu’il ne s’attache qu’aux plaisirs du touriste. Il n’y a pas grand mal, en effet, que des gens qui s’ennuient ou qui croient s’ennuyer, partent pour la Suisse, aillent en Italie, au lieu d’étudier les A osges ou de parcourir les mon


tagnes si pittoresques de l’Auvergne. Peu importe que les


amateurs ou les oisifs, pleins de curiosité et d’admiration pour la cathédrale de Cologne, pour Saint-Pierre de Borne ou Saint-Paul de Londres, ne professent qu’un superbe dédain pour nos vieilles basiliques si majestueusement em
preintes du cachet de leur siècle. Alais en est-il ainsi de l’i­


gnorance dans laquelle nous vivons des richesses du sol,


des ressources de noire propre, industrie ? N’est-ce pas une honte, par exemple, que les étrangers sachent mieux que nous le mérite de nos races chevalines ; que la lumière et la justice nous viennent de nos rivaux ; que l’opinion publi


que en France, longtemps égarée ou hostile, se soit obsti


née à croire à la pauvreté, quand les plus louables efforts étaient parvenus à couvrir l’indigence des derniers temps? Nos voisins jugent, apprécient, mesurent plus sainement que nous l’échelle des progrès réalisés dans noire pays de
puis vingt ans. Us rient de. cet esprit de dénigrement qui esl un trait du caractère national, ils rient de cette mobi
lité qui ne laisse rien en place, qui bouleverse toutes choses par fol amour pour la nouveauté. Bien fous nous sommes de changer si souvent et si brusquement nos institutions hip
piques. La l’russe et la Russie nous les ont empruntées, mais elles ne nous suivent pas dans toutes nos évolutions et lous nos caprices. De notre organisation elles ont pris le côté solide; elles le pratiquent avec constance et avantage : nous, au contraire, qui semblons toujours être à la recher
che de la pierre philosophale en fait de chevaux, nous avons bien de la peine à ne pas lâcher la proie pour courir après l’ombre.
Cependant nous ne voulons pas être injuste envers l’opinion publique. Elle s’est bien modifiée dans ces derniers temps. Nous serions personnellement ingrat si nous ne reconnaissions pas qu’elle est revenue au sens droit, au sentiment du juste. Pour elle, la lumière s’est faile. Elle a re
gardé avec plus d’attention et d’impartialité que par 1e passé ; elle s’est éclairée des discussions importantes et ap
profondies auxquelles ce grave sujet a été soumis depuis quelques années; elle s’est inspirée, et nous l’en remer
cions sincèrement, de nos efforts et de nos travaux. La France chevaline, l’Atlas statistique de ta production des chevaux, en France, les Comptes rendus, la produc
tion d’une race nouvelle que l’on qualifie déjà de pur sang français, ont été accueillis avec une bienveillance marquée, comme des œuvres sérieuses et consciencieuses. Les résul
tats d’ailleurs se produisaient au grand jour; les preuves vivantes des progrès obtenus se rencontraient à chaque pas : adversaires et partisans tombaient facilement d’ac
cord sur les faits. Les messages présidentiels ont constaté et sanctionné tout à la fois le système adopté, la manière dont il était appliqué et les utiles services qu’il rendait au pays.
Nous nous emparons de cette situation comme d’un patrimoine. Nul ne songera à nous en déshériter, nous tous qui avons pendant vingt ans consacré notre intelligence, un zèle toujours soutenu et fécond, au développement, à la prospérité de la production chevaline de la France. Alais nous avons à dresser l’inventaire de ces richesses ; elles ap
partiennent au présent, c’est le passé qui les a créées ; on ne l’oubliera pas. L Illustration se prête à cette sorte d’en
registrement public ; elle ouvre ainsi ses colonnes à un puissant intérêt, nous ferons en sorte que le lecteur n’en soit pas trop détaché par l’aridité des détails. Cependant il
y a temps pour tout. Le tableau que nous avons à tracer de nos anciennes races comparées à la population actuelle ne
peut guère offrir que l’attrait de la vérité. Les charmes de la fiction se trouveront ailleurs ; à chacun sa tâche.
Posons d’abord les chiffres de la population aux différentes époques des recensements officiels. Il y a là un premier enseignement et une donnée toute favorable au présent.
La France possédait :
En 1789................ 2,058,000 chevaux. En 1812................ 2,285,000 — En 1829................ 2,553,712 — En 1850................ 2,818, 596 — En 1850................. 2,965,000 —
Les chevaux de l’armée ne sont pas compris dans ces nombres. A l’époque actuelle, l’effectif est de 70,000 : la France compte donc une population chevaline de plus de trois millions de têtes.
C’est un chiffre supérieur à celui qu’offrent les pays d’Europe qui en ont le plus. L’empire d’Autriche n’en possède que la moitié, et l’Angleterre un tiers. Il est vrai que, rela
tivement à la population humaine, plusieurs contrées en ont davantage. Ce sont le Danemark, la Suède, le Hanovre, la Suisse, la Hollande et la Prusse. Alais le plus grand nombre en a beaucoup moins. L’Autriche et la Bohème, la Hon
grie n’en comptent que quatre au lieu de huit, comme la France, pour cent habitants. L’Italie n’en a que le quart de la quantité des nôtres, et l’Espagne seulement un septième.
La statistique a constaté d’autres faits que celui de l’augmentation successive de la population. Ainsi, le rapport des naissances s’est accru et celui de la mortalité a faibli.
Les mâles, qui supportent des travaux plus rudes, vivent moins longtemps que les femelles. Le recensement de 1850, opéré et mené à bonne fin par les soins de l’administration des haras, comparé à celui de 1850, présente les différences suivantes :
Sur les chevaux de h ans et au-dessus, une diminution de 8,86 p. 100;
Sur les juments de même âge, une augmentation de 5,53 p. 100;
Sur les produits de 3 ans et au-dessous, un accroissement de 59,55 p. 100.
C’est, au total, en faveur de 1850, une augmentation de 6,10 p. 100.


Il est désirable que cette progression s’arrête. Economi


quement parlant, la France n’est pas posée pour faire un
(1) Cet article est l introduction d’une série d’articles qui embrassera la revue de toutes nos races de chevaux, avec riïistoire des améliorations réalisées jusqu’à ce jour par l’administration des haras. Ce travail ne pouvait être demandé à un écrivain d’une plus grande autorité sur ceite ma
tière... Le nom de M. Eüg. Gayot, le magniüq,iie atlas de la production chevaline qu’il à publié comme directeur de Γadministration des haias, la notoriété de ses services dans l’organisation et là conduite de ces établis
sements, sont connus d un public où l’Illustration a l’honneur de compter de nombreux abonnés. Elle était seule, d’ailleurs, en mesure de publier cette revue de nos races de chevaux, laquelle demande l’image à côté de la description. Les dessins de M. Lalaisse, qui a illustré l Atlas de M. Gayot avec tant de fidélité et de talent, compléteront ici également le travail de l’auteur, lequel s en réserve l’entière propriété. — La reproduction est formellement interdite.
Le Directeur.