nombre de chevaux de beaucoup supérieur à ses besoins ; nous les produisons plus chèrement que tous les peuples d’Allemagne, et ceux-ci travaillent déjà surabondamment pour eux-mêmes. Améliorons nos races, meilleures au fond que celles d’outre-lthin, mais ne grossissons pas le. chiffre de notre population équine; elle lient beaucoup de place sur le sol, et ses exigences d’alimentation sont grandes.
Malgré les progrès déjà réalisés, c’est particulièrement la forme qui a besoin encore d’être perfectionnée chez nous.
Notre cheval est plus commun que beau ; il faut lui donner une. apparence moins pauvre, un extérieur plus brillant, des dehors plus distingués, un peu plus de propreté. La main
de l’éducateur intelligent et soigneux doit passer par là et façonner un peu ce lourdaud.
Le principe d’amélioration par le sang, une méthode d’é­ lève judicieuse, et le. perfectionnement de toutes nos voies de communication, conduiront vite à ce résultat qui con
tient la solution de cet important problème : — diminuer au minimum le nombre et la difficulté des services à obtenir du cheval ; augmenter au maximum sa force et sa puissance individuelles.
L’impulsion a été donnée dans ce sens; le pays est en marche. Si rien ne l’arrête, il parviendra rapidement au terme.
Un fait considérable aussi doit être constaté dans ces généralités : c est la situation relativement favorable de l’indus
trie chevaline en France, comparée à celle de la production des autres animaux domestiques.
Le tableau en a été dressé par un ancien inspecteur générai de l’agriculture, Îtoyer, si prématurément enlevé à la bonne science, à celte qui s’appuie toujours sur la pratique intelligente et raisonnée. Les calculs du fonctionnaire ont porté sürune période de plus de 20 ans, de 1815 à 1836. Nous en donnerons seulement les moyennes.
Itoyer confondait en une seule opération agricole la production du cheval et l’industrie mulassière. « Ce sont des juments, disait-il, qui produisent les mulets; si le cultiva
teur leur donne des ânes pour étalons, il leur donnerait tout aussi bien des chevaux s’il y trouvait le même profit. »
Or, réunissant le commerce extérieur des chevaux et des mulets pendant une période de 21 ans, il arrivait à la moyenne annuelle suivante :
Importations.
Chevaux, 15,029 têtes, évaluées /t,216,969 fr. Mulets, 799 — — 239,760


Total. . . 15,828 têtes, évaluées à,456,729 fr.


Exportations.
Chevaux, 3,499 têtes, évaluées 1,094,810 fr. Mulets, 13,628 — — 4,087,932
Total. . . 17,127 tètes, évaluées 5,182,742 fr.
Il en resuite un excédant sur les besoins de 1,298 têtes procurant au pays un solde commercial de 726,013 fr.
Voici maintenant le découvert laissé par les autres espèces domestiques. Déduction faite des exportations, la moyenne des importations donne les résultats ci-après :
Pour l’espèce bovine, 22,621 tètes, évaluées 3,162,722 f. Pour l’espèce ovine, 114,662 — ·— 1,100,720 Laines brutes, 6,965,953 kilog. — 14,562,058
Pour l’espèce porcine, 68,882 têtes — 1,237,509 Pour l’espèce caprine, 4,464 — — 35,635
Total des valeurs. 20,098,644 f.
Nous ne parlons pas des tissus pour lesquels, compensation faite entre l’importation et l’exportation, nous débour
sons annuellement 10,500,000 fr. au préjudice de notre agriculture.
Avant que ces choses fussent connues, la plainte et le blâme en matière de haras étaient affaires de mode et de bon ton. La plainte et le blâme avaient revêtu ici la forme opiniâtre et la force de la tradition ; ils avaient passé à l’état chronique. C’était un pli et un parti pris, une habitude invétérée, un thème toujours fécond pour la critique.
Cette disposition des esprits a changé. Les faits les plus récents sont d’ailleurs de nature à satisfaire les plus exigeants :
Voici les chiffres de l’administration des douanes pour 1851 :


Importations.


Chevaux, 13,985 têtes, évaluées 4,571,840 fr. Mulets, 238 — — 71,400


Total, 14,223 têtes, évaluées 4,643,240 fr.


Exportations.
Chevaux, 9,014 têtes, évaluées 2,869,340 fr. Mulets, 26,774 — — 8,197,340


Total, 35,788 têtes, évaluées 11,066,680 fr.


Ces chiffres donnent sur les besoins un excédant de 21,565 têtes, procurant au pays un solde commercial de 6,423,440 fr.
De tels résultats, certes, justifiaient l’opinion du Prince- Président de la Itépublique, lorsque, s’adressant au pouvoir législatif, il insérait celte phrase dans l’un de ses Messages à l’Assemblée législative :
« La production chevaline, partout en progrès, présente «les résultats les plus satisfaisants. L’administration des « haras, qui marche avec un ordre et une régularité dignes « d’éloges, a bien mérité de l’agriculture et de l’armée. Le « nombre des chevaux s’est accru dans le pays ; leur valeur « s’est relevée. »
Faisons mieux connaître la France hippique. Elle est plus
riche qu’elle n’a jamais cté, et les plus grands progrès datent de l’époque la plus rapprochée.


Quelques chiffres accuseront mieux les faits. Ainsi :


En 1831, l’Etat possédait 909 étalons, qui servaient 30,685 juments ;
En 1851, l’effectif était de 1,366 étalons, qui suffisaient à la serle. de 70,414 poulinières.
Le service des étalons approuvés a progressé dans la même proportion.
Voici les nombres pour les années correspondantes : 1831. ·— 335 étalons; 13,544 juments.
1851. — 496 — 20,826 —
Avant 1789, sous la vieille monarchie, le gouvernement entretenait ou subventionnait 3,239 étalons, qui ren
daient à peine des services équivalents aux 1,862 employés en 1851.


II.


L’ancien état politique de la France, son ancienne division territoriale avaient favorisé, dans certaines parties du royaume, l’établissement de races chevalines nombreuses et distinctes. Leur nom, mieux que cela, — leur renom
mée , — a traversé l’espace, et vit encore pour quelquesuns comme un souvenir à jamais regrettable.
Les influences qui avaient créé ces races étaient puissantes à les maintenir et à les perpétuer, car elles pesaient exclusivement et uniformément sur toutes les existences. La vie propre à ces familles était celle aussi des popula
tions qui les utilisaient. —Complètement isolée, libre de tout mélange, exempte de secousses intérieures, elle pas
sait sans lutte, qu’on nous permette le mot, des ascendants aux descendants, conservant toujours, chez ces derniers,
une force propre et les signes extérieurs qui impriment tin cachet, constituent l’individualité, un type.
Les contrées, au contraire, qui, par leur position géographique ou par le rôle qu’elles ont été appelées à jouer dans le mouvement de la civilisation, présentent un aspect sans cesse variable ; les contrées dans lesquelles se fait le plus grand retentissement d’événements extraordinaires ou qui ne se montrent pas très-favorables à la culture des espèces les mieux appropriées aux besoins du moment, n’offrent point, n’ont jamais offert cette uniformité qui pourrait se prolonger de siècle en siècle sans subir aucune altération importante.
Dans l’un et l’autre cas, les conditions sont bien différentes.
Aucun changement notable n’apparaît là où les influences sont, pour ainsi dire, invariables, là où les éléments sont homogènes, où nul contact étranger ne trouble et ne dérange la vie intérieure, habituelle. C’est toujours la même physionomie et le même cachet. Mais, là où les influences se montrent nombreuses, diverses, changeantes, loin d’être les mêmes, les effets se croisent, se combinent, se neutra
lisent ou se fortifient, de telle sorte que tout est mélangé, contusionné au milieu de cette relation incessante de causes différentes ou renouvelées, car, — éléments hétérogènes,
—· elles se mêlent aux habitudes, à la vie, au sang, et ne permettent à aucun caractère de se fixer d’une manière durable dans la constitution même de l’individu.
Ln mouvement aussi considérable, ce va et vient continuel, dès qu’ils s’établissent quelque part, font bientôt disparaître jusqu’aux derniers vestiges delà race la plus homo


gène et la plus anciennement fondée. Ce n’est donc ni le


hasard ni l’ignorance qui ont contribué à anéantir les races de chevaux dont la France s’est enorgueillie autrefois; mais les nécessités du temps, les exigences chaque jour plus grandes de la société et les conditions nouvelles d’une civilisa
tion toujours progressive. Forcément, les races des chevaux
qui couvraient les différentes parties de la France se sont rapprochées, mêlées, fusionnées, pour se modifier, pour perdre leurs caractères distinctifs, et prendre, avec d’autres
formes, des aptitudes plus en rapport avec les besoins nouveaux.
Essayons de ressaisir, à travers les temps et les générations éteintes, les transformations diverses par lesquelles
ont passé nos races équestres, à partir de l’époque où elles ont eu un nom dans l’histoire chevaline du pays, et arrivons successivement à l’époque actuelle.
Ce voyage en France nous fera parcourir et étudier toutes nos provinces à production chevaline. Nous retrouverons le siège de toutes les anciennes races, nous en rétablirons les conditions d’existence et de prospérité, et nous verrons ce qu’elles sont encore, et ce qu’elles peuvent devenir.
Toutes ont été placées sous l’action d’un établissement de l’Etat. Il en résulte qu’en allant de l’un à l’autie, nous en connaîtrons l’utilité par les résultats obtenus.
Cette revue commencera par le midi, où nous rencontrerons surtout les restes de nos vieilles races dans les cir
conscriptions des dépôts d’étalons d’Arles, — Tarbes, — Pau, — Jlhodez, — Villeneuve-sur-Lot, — Aurillac, — Libourne -— et du beau haras de Pompadour.
Nous passerons ensuite dans l’ouest pour explorer la Saintonge, ·— le Poitou, ·— la Vendée, ·— la Bretagne, —
l’ Anjou, sans oublier les territoires qui ont été rattachés aux dépôts d’étalons de Cluny et de Blois.
Viendront ensuite la Normandie et le Perche, le Boulonnais, les Ardennes, la Franche-Comté, ΓAlsace, la Lorraine, la Champagne et la Bourgogne, puis enfin Γ f le de France.
A nos descriptions de races, nécessairement vagues et abstraites, nous ajouterons des dessins copiés sur les por
traits si exacts, si spirituels, si gracieux et si vrais tout à la fois, que nous avions confiés au talent exercé et consciencieux d’un artiste aussi habile que modeste, AL li. Lalaisse,
lorsque nous nous occupions de l Atlas statistique de la production des chevaux en France. M. Lalaisse a fait de cette œuvre un monument.
Ces dessins reproduisent les types les plus prononcés qui soient en ce moment dans la sphère d’action de chacun de
nos établissements hippiques. Il en est qui rappellent les anciennes races et d’autres qui font connaître les races nouvelles. Celles-ci montrent les heureux effets d’une culture intelligente, soigneuse et profitable; celles-là conser
vent les défectuosités héréditaires d’une origine abâtardie par l’abandon, l’âge ou les mauvais traitements.
Eug. Gayot. Mœurs et coutumes du Berry.


(Voir le n°444.)


Lorsque le christianisme s’introduisit dans les campagnes de la vieille France, il n’y put vaincre le paganisme qu’en donnant droit de cité dans son culte à diverses cérémonies antiques pour lesquelles les paysans avaient un attachement invincible. Tels furent les honneurs rendus aux images et aux statuettes des saints placées dans certains carrefours, ou sous la voûte de certaines fontaines lustrales, ou lavoirs publics. Nous voyons, aux premiers temps du christianisme, des pères de l’Eglise s’élever avec éloquence contre la cou
tume idolàlrique d’orner de fleurs et d’offrandes les statues des dieux. Plus spiritualistes que ne l’est notre époque, ils veulent qu’on adore le vrai Dieu en esprit et en vérité. Ils proscrivent les témoignages extérieurs ; ils voudraient détruire radicalement le matérialisme de l’ancien monde.
Mais avec le peuple attaché au passé il faut toujours transiger. Il est plus facile de changer le nom d’une croyance que de la détruire. On apporte une foi nouvelle,
mais il faut se servir des anciens temples, et consacrer de nouveau les vieux autels. C’est ainsi qu’en beaucoup d’endroits les pierres druidiques ont traversé la domination romaine et la domination franque, le polythéisme et le christianisme primitif, sans cesser d’être des objets de vénéra
tion, et le siège d’un culte particulier assez mystérieux, qui cache ses tendances cabalistiques sous les apparences de la religion officielle.
Ce qu’on eut le plus difficilement extirpé de l’âme du paysan, c’est certainement le culte du dieu Terme. Sans métaphore et sans épigramme, le culte de la borne est invinci
blement lié aux éternelles préoccupations de Fliorame dont la vie se renferme dans d’étroites limites matérielles. Son champ, son pré, sa terre, voilà son monde. C’est par là qu’il se sent affranchi de l’antique servage. C’est sur ce /coin du sol qu’il se croit maître, parce qu’il s’y sent libre relativement, et ne relève que de lui-même. Cette pierre qui marque le sillon où commence pour le voisin son em
pire, c’est un symbole bien plus qu’une barrière, c’est presque un Dieu, c’est un objet sacré.
Dans nos campagnes du centre, où les vieux us régnent peut-être plus qu’ailleurs, le respect de la propriété ne va pas tout seul, et les paysans ont recours, les uns contre les autres, à la religion du passé, beaucoup plus qu’au prin
cipe de l’équité publique. On ne se gène pas beaucoup pour reculer tous les ans d’un sillon la limite de son champ sur celui du voisin inattenlif. Mais ce qu’on déplace ainsi, c’est une pierre quelconque, que l’on met en évidence, et qu’au besoin on pourra dire soulevée là par le hasard. Un jour oit le propriétaire lésé s aperçoit qu on a gagné dix sillons sur sa terre, il s’inquiète, il se plaint, il invoque le souve
nir de ses autres joux tans (on appelle encore la borne du nom latin de jus {droit). Les enfants s’en servent même dans leurs jeux pour désigner le but conventionnel). Alors, quand le réclamant a assemblé les arbitres, on signale la fraude et on cherche la borne véritable, l’ancien terme qu’à moins d’un sacrilège en lui-même beaucoup plus redouta


ble que la fraude, le. délinquant n’a pu se permettre d’enle


ver. Il est bien rare qu’on ne le retrouve pas. C’est une plus grosse pierre que toutes les autres, enfoncée à une assez grande profondeur pour que le socle de la charrue n’ait pu la soulever. Cette pierre brute, c’est le Dieu anti
que. Pour l’arracher de sa base, il eût fallu deux choses :
une audace de scepticisme dont la mauvaise foi elle-même ne se sent pas souvent capable, et un travail particulier qui eût rendu la trahison évidente; il eût fallu venir la nuit, avec d’autres instruments que la charrue, choisir le temps où la terre est en jachères, et où le blé arraché et foulé, le sillon interrompu, ne peuvent pas laisser de traces révé
latrices. Enfin, c’est parfois un rude ouvrage : la pierre est lourde, il faut la transporter et la transplanter plus loin, au risque de ne pouvoir en venir à bout tout seul. Il faut un ou plusieurs complices. On ne s’expose guère à cela pour un on plusieurs sillons de plus.
Quand l’expertise est faite, quand chacun, ayant donné sa voix, déclare que là doit être le jus primitif; on creuse un peu, et on retrouve le dieu disparu sous l’exhaussement progressif du sol. Le faux dieu est brisé, et la limite est de nouveau signalée et consacrée. Le fraudeur en est quitte pour dire qu’il s’était trompé, qu’une grosse pierre emportée peu à peu par le travail du labourage a causé sa mé
prise, et qu’il regrette de n’avoir pas été averti plus tôt. Cela laisse bien quelques doutes, mais il n’a pas touché au vrai jus, il n’est pas déshonoré.
En général le jus sort de terre de quelques centimètres, et le dimanche des Hameaux il reçoit l’hommage du buis béni, comme celui des Itomains recevait un collier ou une couronne de feuillage.
Les eaux lustrales, d’origine hébraïque, païenne, indoue, universelle probablement, reçoivent aussi chaque année des honneurs et de nouvelles consécrations religieuses. Elles guérissent diverses sortes de maux, et principalement les plaies, paralysies et autres estropiaisons. Les infirmes y plongent leurs membres malades au moment de la béné
diction du prêtre ; les fiévreux boivent volontiers au même courant. La foi purifie tout.


Cette tolérance du clergé rustique pour les anciennes


superstitions païennes ne devrait pas être trop encouragée