Le buis bénit.La remégeuse.
troupeau. Ils n’étaient pas bons, ils ne guérissaient pas. Je ne pus jamais faire comprendre qu’aucune image n’est douée de vertu miraculeuse dans le sens ma
tériel que la superstition y attache. Le conseil de fabri
que me savait très-mauvais gré de ne pas spéculer sur la crédulité populaire. »
Ce curé n’est pas le seul à qui j’aie vu déplorer le ma
térialisme de la religion du
paysan. Plusieurs défendent d’employer le buis bénit au coin deschamps comme pré
servatif de la grêle, et de faire des pèlerinages pour la gué
rison des bêles; mais on ne. les écoute guère, on les trompe même. On extorque leurs bénédictions comme douées d’un charme magi
que, en leur signalant un tint qui n’est pas le vérita
ble. On mêle volontiers des objets bénits aux maléfices, où, sous des noms mysté
gères au christianisme sont invoquées tout bas. Le sor
cier des campagnes a, dans l’esprit, un singulier mé
lange de crainte de Dieu et de soumission au diable, dont nous parlerons peutêtre dans 1 occasion.
Disons, en passant, que le remégeux et la remégeuse sont parfois des êtres fort
par le iiaut clergé. Elle est contraire à l’esprit du véritable christianisme, et beaucoup d’excellents prêtres, très-ortho
doxes, souffrent de voir leurs paroissiens matérialiser à ce point l’effet des bénédictions de l’Eglise. J’en causais, il y a quelques années, avec un curé méridional qui ne se plai
sait pas autant que moi à retrouver et il ressaisir dans les coutumes religieuses de notre époque les traces mal effacées des religions antiques. « Quand j’entrai dans ma pre
mière cure, me disait-il, je vis le sacristain tirer d’un bahut de petits monstres fort indécents, en bois grossièrement équarri, qu’il prétendait me faire bénir. C’était l’ouvrage d’un charron de la paroisse, qui les avait fabriqués à l’ins
tar d’anciens prétendus lions saints réputés souverains pour toutes sortes de maux physiques. Ces modèles avaient été certainement des figures de démons du moyen âge, qui eux-mêmes n’étaient que le souvenir traditionnel des dieux obscènes du paganisme. Mon prédécesseur avait eu le cou
rage de les jeter dans le feu de sa cuisine; mais depuis ce moment une maladie endémique avait décimé la commune, et, sans nul doute, selon mes ouailles crédules, la destruc
tion des idoles était la cause du fléau ; aussi le charron s’é- tait-il fait fort d’en tailler de tout pareils qui seraient aussi
extraordinaires, soit par la puissance magnétique dont les investit la foi de leur clientèle, soit par la connaissance de certains remèdes fort simples que le paysan accepte d’eux, et qu’il ne croirait pas efficaces venant d’un médecin véritable. La science toute nue ne persuade pas ces es
prits avides de merveilles”; ils méprisent ce qui est acquis par l’étude et l’expérience; il leur faut du fantastique, des paroles incompréhensibles, de la mise en scène. Certaine vieille sibylle, prononçant ses formules d’un air inspiré , frappe l’imagination du malade, et pour peu qu’elle explique avec bonheur une médication rationnelle, elle obtient des parents et des amis qui le soignent, ce que le mé
decin n’obtient presque jamais : que ses prescriptions soient observées.
Sans doute la surveillance de l’Etat fait bien de proscrire et de poursuivre l’exercice de la médecine illégale, car, dans un nombre infini de cas, les remégeux administrent de véritables poisons. Quelques-uns cependant opèrent des cures trop nombreuses et trop certaines pour qu’il ne soit pas à désirer de voir l’Elat leur accorder quelque attention. La tradition, le hasard de certaines aptitudes naturelles, peuvent les rendre possesseurs de découvertes qui échappent
à la science, et qui meurent avec eux. Les empêcher d’exercer n’est que sagesse et justice, mais éprouver la vertu de leurs prétendus secrets et les leur acheter, s’il y a lieu, ce ne serait pas là une recherche oiseuse, ni une largesse inutile.
En dehors de la superstition, le paysan a partout des coutumes locales dont l’origine est fort difficile à retrouver.
Le nombre en est si grand que nous ne saurions les classer avec ordre; nous en prendrons quelques-unes au hasard. Nous avons dû suivre le caprice de notre dessinateur, qui lui-même a saisi au vol, et selon l’occasion , les scènes locales qui se sonl offertes à ses regards.
Une des plus curieuses est la cérémonie des livrées de noces, qui varie en France selon les provinces, et qui a été supprimée en Berry depuis une dizaine d’années, à la suite d’accidents graves. Dans un précédent article nous avons raconté la cérémonie toute païenne du chou, qui est encore en vigueur dans notre vallée noire : c’est la consécration du lendemain des noces. Celle des livrées était la consécra
tion de la veille ; elle est fort longue et compliquée, c’est tout un drame poétique et naïf qui se jouait autour et au sein de la demeure de l’épousée. Nous l’avons racontée
bons quand on les aurait bénits et pro
menés à la suite du saint sacrement. Je me refusai absolu
ment commettre cette profanation, et, prenant les nouveaux saints, je fis comme mon prédécesseur, je les brûlai; mais je faillis payer celle har
diesse de ma vie : mes paroissiens s’ameutè
rent contre moi, et je fus obligé de transi
ger. Je fis venir de nouveaux saints, des figures quelconques,
un peu moins laides etbeaucoup plus honnêtes, que je dus bé
nir et permettre d’honorer sous les noms des anciens protec
teurs de la paroisse ; je vis bientôt que le culte des paysans est complètement idolàtriqne, et que leur hommage ne s’adresse pas plus à l’Etre spiri
tuel dont les figures personnifient le sou
venir, que leurcroyance n’a pour objet les célestes bienheureux.
C’est à la figure même, c’est à la pierre ou au bois façonné qu ils croient, c’est l’idole qu’ils saluent et qu’ils prient. Mes nouveaux saints n’eurent jamais de crédit sur mon
aussi avec détail dans un livre; nous nous bornerons à expliquer ici le sujet de la vi
gnette qui montre le marié à la porte de sa fiancée, à la lueur des torches.
C’est le soir, à l’heure du souper de la fa
mille. Mais il n’y a point de souper pré
paré, ce soir-là, chez la fiancée. Les tables sont rangées contre le mur, la nappe est cachée, le foyer est vi
de et glacé, quelque temps qu’il fasse. On a fermé avec un soin extrême et barricadé d’une manière formi
dable à l’intérieur toutes les huisseries , porles, fenêtres, lucarne de grenier, sou
pirail de cave, quand, par hasard, la maison a une cave. Personne n’entrera sans la vo
lonté de la fiancée, ou sans une lutte sé
rieuse, un véritable siège ; ses parents,
tour d’elle; on attend la prière ou l’assaut du fiancé.
Le jeune marié,— on ne dit jamais au
Irement, quelque soit son âge, et, en fait, c’est, chez nous, presque toujours un gar
troupeau. Ils n’étaient pas bons, ils ne guérissaient pas. Je ne pus jamais faire comprendre qu’aucune image n’est douée de vertu miraculeuse dans le sens ma
tériel que la superstition y attache. Le conseil de fabri
que me savait très-mauvais gré de ne pas spéculer sur la crédulité populaire. »
Ce curé n’est pas le seul à qui j’aie vu déplorer le ma
térialisme de la religion du
paysan. Plusieurs défendent d’employer le buis bénit au coin deschamps comme pré
servatif de la grêle, et de faire des pèlerinages pour la gué
rison des bêles; mais on ne. les écoute guère, on les trompe même. On extorque leurs bénédictions comme douées d’un charme magi
que, en leur signalant un tint qui n’est pas le vérita
ble. On mêle volontiers des objets bénits aux maléfices, où, sous des noms mysté
rieux, des divinités étran
gères au christianisme sont invoquées tout bas. Le sor
cier des campagnes a, dans l’esprit, un singulier mé
lange de crainte de Dieu et de soumission au diable, dont nous parlerons peutêtre dans 1 occasion.
Disons, en passant, que le remégeux et la remégeuse sont parfois des êtres fort
par le iiaut clergé. Elle est contraire à l’esprit du véritable christianisme, et beaucoup d’excellents prêtres, très-ortho
doxes, souffrent de voir leurs paroissiens matérialiser à ce point l’effet des bénédictions de l’Eglise. J’en causais, il y a quelques années, avec un curé méridional qui ne se plai
sait pas autant que moi à retrouver et il ressaisir dans les coutumes religieuses de notre époque les traces mal effacées des religions antiques. « Quand j’entrai dans ma pre
mière cure, me disait-il, je vis le sacristain tirer d’un bahut de petits monstres fort indécents, en bois grossièrement équarri, qu’il prétendait me faire bénir. C’était l’ouvrage d’un charron de la paroisse, qui les avait fabriqués à l’ins
tar d’anciens prétendus lions saints réputés souverains pour toutes sortes de maux physiques. Ces modèles avaient été certainement des figures de démons du moyen âge, qui eux-mêmes n’étaient que le souvenir traditionnel des dieux obscènes du paganisme. Mon prédécesseur avait eu le cou
rage de les jeter dans le feu de sa cuisine; mais depuis ce moment une maladie endémique avait décimé la commune, et, sans nul doute, selon mes ouailles crédules, la destruc
tion des idoles était la cause du fléau ; aussi le charron s’é- tait-il fait fort d’en tailler de tout pareils qui seraient aussi
extraordinaires, soit par la puissance magnétique dont les investit la foi de leur clientèle, soit par la connaissance de certains remèdes fort simples que le paysan accepte d’eux, et qu’il ne croirait pas efficaces venant d’un médecin véritable. La science toute nue ne persuade pas ces es
prits avides de merveilles”; ils méprisent ce qui est acquis par l’étude et l’expérience; il leur faut du fantastique, des paroles incompréhensibles, de la mise en scène. Certaine vieille sibylle, prononçant ses formules d’un air inspiré , frappe l’imagination du malade, et pour peu qu’elle explique avec bonheur une médication rationnelle, elle obtient des parents et des amis qui le soignent, ce que le mé
decin n’obtient presque jamais : que ses prescriptions soient observées.
Sans doute la surveillance de l’Etat fait bien de proscrire et de poursuivre l’exercice de la médecine illégale, car, dans un nombre infini de cas, les remégeux administrent de véritables poisons. Quelques-uns cependant opèrent des cures trop nombreuses et trop certaines pour qu’il ne soit pas à désirer de voir l’Elat leur accorder quelque attention. La tradition, le hasard de certaines aptitudes naturelles, peuvent les rendre possesseurs de découvertes qui échappent
à la science, et qui meurent avec eux. Les empêcher d’exercer n’est que sagesse et justice, mais éprouver la vertu de leurs prétendus secrets et les leur acheter, s’il y a lieu, ce ne serait pas là une recherche oiseuse, ni une largesse inutile.
En dehors de la superstition, le paysan a partout des coutumes locales dont l’origine est fort difficile à retrouver.
Le nombre en est si grand que nous ne saurions les classer avec ordre; nous en prendrons quelques-unes au hasard. Nous avons dû suivre le caprice de notre dessinateur, qui lui-même a saisi au vol, et selon l’occasion , les scènes locales qui se sonl offertes à ses regards.
Une des plus curieuses est la cérémonie des livrées de noces, qui varie en France selon les provinces, et qui a été supprimée en Berry depuis une dizaine d’années, à la suite d’accidents graves. Dans un précédent article nous avons raconté la cérémonie toute païenne du chou, qui est encore en vigueur dans notre vallée noire : c’est la consécration du lendemain des noces. Celle des livrées était la consécra
tion de la veille ; elle est fort longue et compliquée, c’est tout un drame poétique et naïf qui se jouait autour et au sein de la demeure de l’épousée. Nous l’avons racontée
bons quand on les aurait bénits et pro
menés à la suite du saint sacrement. Je me refusai absolu
ment commettre cette profanation, et, prenant les nouveaux saints, je fis comme mon prédécesseur, je les brûlai; mais je faillis payer celle har
diesse de ma vie : mes paroissiens s’ameutè
rent contre moi, et je fus obligé de transi
ger. Je fis venir de nouveaux saints, des figures quelconques,
un peu moins laides etbeaucoup plus honnêtes, que je dus bé
nir et permettre d’honorer sous les noms des anciens protec
teurs de la paroisse ; je vis bientôt que le culte des paysans est complètement idolàtriqne, et que leur hommage ne s’adresse pas plus à l’Etre spiri
tuel dont les figures personnifient le sou
venir, que leurcroyance n’a pour objet les célestes bienheureux.
C’est à la figure même, c’est à la pierre ou au bois façonné qu ils croient, c’est l’idole qu’ils saluent et qu’ils prient. Mes nouveaux saints n’eurent jamais de crédit sur mon
aussi avec détail dans un livre; nous nous bornerons à expliquer ici le sujet de la vi
gnette qui montre le marié à la porte de sa fiancée, à la lueur des torches.
C’est le soir, à l’heure du souper de la fa
mille. Mais il n’y a point de souper pré
paré, ce soir-là, chez la fiancée. Les tables sont rangées contre le mur, la nappe est cachée, le foyer est vi
de et glacé, quelque temps qu’il fasse. On a fermé avec un soin extrême et barricadé d’une manière formi
dable à l’intérieur toutes les huisseries , porles, fenêtres, lucarne de grenier, sou
pirail de cave, quand, par hasard, la maison a une cave. Personne n’entrera sans la vo
lonté de la fiancée, ou sans une lutte sé
rieuse, un véritable siège ; ses parents,
scs amis, ses voisins, tout son parti est au
tour d’elle; on attend la prière ou l’assaut du fiancé.
Le jeune marié,— on ne dit jamais au
Irement, quelque soit son âge, et, en fait, c’est, chez nous, presque toujours un gar