Sur un terrain remué jusque dans ses entrailles par toutes les révolutions, depuis Auréliep et les barbares jusqu’aux


ducs de Bourgogne et à Louis-Napoléon, la population dijonnaise se pressait autour de nos auloiilés civiles et militaires, couvrant les places de la Sainte-Chapelle et des Ducs.
La tour du roi Réné avait ouvert ses fenêtres ; les frises de la salle de spectacle et les galeries qui couronnent la façade du château ducal étaient envahies : la foule montait d’étage en étage jusqu’aux toits les plus élevés; le dessin de M. Souvestre représente admirablement l’un des points de vue de cette scène.
Mais il n’a pu dire ce qui était sous pos pieds, ni représenter tous les souvenirs qui sortaient de terre ou descen
daient de a tour ducale. Des statues taillées par les Romains étaient éparses çà et là, confondues avec des inscriptions latines. Voici des corniches de monuments que vit saint Bénigne, l’apôtre de la contrée; des pierres que. mesura Grégoire de Tours ; des débris de murailles le long des
quelles s’agitèrent les chevaux des Sarrasins. Voici des chapiteaux dé cette Sainte-Chapelle, contemporaine des croisa
des et promise à la Vierge au milieu des îlots soulevés de la Méditerranée. Ici siégèrent les premiers chevaliers de la Toison-d’Or; ici fut baptisé Jean sans Peur; ici fut enfermé Réné de Bar; ici même, la veille de la bataille de Fontaine- Française, Henri IV s’agenouilla, couvert d’un pourpoint de futaine percé aux deux coudes; ici encore Louis NI V lutta corps à corps avec les Etats de Bourgogne; on eût dit que tous les siècles passés avaient voulu se réunir à la génération présente pour la plus grande gloire de l’avenir.
Mais la foule était tout entière au présent. Les cloches de Notre-Dame étaient ébranlées; tous les regards étaient fixés sur les mâts pavoisés, sur les fondations de l’édifice, sur le pied de chèvre qui tenait en l’air un bloc de pierre énorme, enfin sur l’aigle gigantesque qui dominait toute la scène et semblait appeler nos espérances sous ses ailes éployées.
M. de Bry, préfet de (a Côte-d’Or, dans un langage digne de cette solennité, s’est fait l’interprète des sentiments de l’assistance pour le prince que la France s’est donné, et il a mis en relief les pensées paternelles de l’administration
municipale. Elle n’a dédaigné aucun intérêt; s’il y a, dans le palais entrepris, du travail pour longtemps et pour unegrande
partie de la population, c’est aux sciences, aux arts et aux lettres qu’il a été consacré. Le maire de Dijon, M. André, et son conseil ont voulu conserver à cette cité sa vieille répu
tation, — iergemipis konoribus, — en la montrant digne encore de Buffon, de François de Vosges et de Bossuet.
« Dieu protège la France ! — s’est écrié M. de Bry au mi« lieu des chaleureux bravos; — nous allons poser la pre« mière pierre d’un édifice qui attestera aux âges futurs la « sollicitude et le zèle éclairé de vos représentants. »
M. le préfet rendait ainsi un juste hommage aux gouvernements dont l’initiative a préparé ces travaux, et à celui à qui il est donné de les voir s’accomplir.
Après le discours de M. le curé de Notre-Dame, qui avait pour texte : Nisi Dominas xdificaverit, la pierre angulaire a été bénie. Une boîte en plomb a été déposée dans une cavité pratiquée dans le centre de la pierre, et le bloc sus
pendu s’est solennellement posé sur le tout. M. de Bry et M. André ont successivement pris l’équerre et le tablier; ils se sont assurés des niveaux; ils ont appliqué du mortier avec la truelle, et donné sur la muraille commencée quelques coups du marteau symbolique.
Ainsi s’est terminé, à Dijon, le second acte de la fête du 15 août.
Notre ville s’embellit donc sans interruption; Louis XIV ordonna la pose de la première pierre du palais des Etats ; Louis-Napoléon fait placer la dernière. Gabriel a attaché son nom à la partie occidentale du monument; la partie orientale s’élève sous la direction de M. Belin , professeur d’architecture à notre école des beaux arts. Félicitons notre compatriote d’avoir été jugé digne de mettre la main au grand édifice dijonnais; il n’est pas facile d’être prophète en son pays. Mais n’anticipons pas sur l’avenir; quand le monument sera debout et inauguré, M. Sauvestre nous donnera, j’espère, le pendant de son spirituel croquis, et nous parlerons en détail du palais des Etals.
Rossignol.


Les Musées d’Europe,




Par M. Louis Viardot. Deuxième édition, très-augmentée (1).


(2e article. —Voir len° 495.)


MUSÉES D’ALLEMAGNE. — MUSÉES D’ANGLETERRE,


DE BELGIQUE, DE HOLLANDE, DE RUSSIE.
Dans un précédent article, nous avons rendu compte des deux premiers volumes deM. Viardot, consacrés aux musées du Midi ; dans celui-ci nous allons examiner les deux der
niers, consacrés aux musées du Nord. Nous commençons par les Musées d’Allemagne : Munich, Vienne, Dresde, Berlin et Francfort.
Munich est une ville moderne, dont l’importance ne date que du dix-septième siècle et du règne de Maximilien, qui avait un goût vif pour les arts. L’électeur Maximilien-Joseph, fait roi de Bavière par la France en 1805, concourut à l’em
bellir. Mais c’est surtout son fils Louis, enthousiaste des beaux-arts, et roi de 1824 à 1848, qui a fait de cette ville la moderne Athènes et la merveille de l’Allemagne ; merveille artistique reconstruite avec de l’archaïsme et de l’érudi
tion, et dont les modernes monuments sont des fac-similé habiles, empruntés par une fantaisie curieuse à l’architecture dorique, byzantine, du moyen âge et de la renaissance.
Munich possède deux grands établissements artistiques : la Glyplothèque, ou musée de sculpture, édifice construit par
M. de Klenze et achevé en 1830, et la Pinacothèque, ou musée de peinture, par le même, achevé en 1836. La Pina
cothèque est formée de la réunion de plusieurs collections : la célèbre galerie de Dusseldorf, celles de Schleissheim et
Manheirp, la galerie de Munich, commencée par l’électeur Maximilien 1 , et accrue par les souverains intermédiaires, enfin la précieuse collection gothique des frères Boissérée. Cet ensemble s’élève à près de treize cents tableaux. Le bâ
timent qui leur est destiné est construit dans le style des palais de Rome. Au lieu de former une galerie unique, comme le Louvre, il est divisé en neuf grandes salles, occu
pant le centre, et éclairées par le haut, et de vingt-trois chambres éclairées par des croisées. Sa forme est celle-ci : M. Cet édifice est isolé de toutes parts et entouré d’ar
bres, ce qui le met à l’abri du feu. Par une disposition contraire et inexplicable, on va établir à notre musée.du Louvre des casernes immédiatement au-dessous des galeries de tableaux.
« Il n’y a sans doute nulle collection au monde où l’on puisse, aussi bien qu’à la Pinacothèque de Munich, étudier l histoire de l’ancienne école allemande. Sauf les essais pri
mitifs des peintres bohèmes, rien n’y manque, depuis les origines jusqu’à la complète extinction. » Les limites entre l’art de Γ \llemagne et celui des Flandres, nés ensemble et dans le même bfit ceau, sont difficiles à tracer. M. Viardot établit d’abord cette délimitation, et donne un précis ra
pide de l’histoire des primitives écoles allemandes; cela fait, il procède à l’examen détaillé des œuvres contenues dans la Pinacothèque. Nous ne pouvons que citer quelques noms extraits des différentes divisions de son analyse. Pla
çons ici le grand nom d’Albert Durer : dix-sept tableaux font connaître cet artiste depuis ses débuts jusqu’à son der
nier style. Deux grands tableaux représentant suint Pierre et saint Jean-Baptiste, saint Paul et saint Marc, sont d’une élévation de style, due sans doute aux études faites par lui en Italie. Ces remarquables pendants, placés dans la première salle, éveillent subitement une involonta re comparaison avec le saint Marc de Fra Bartolommeo du palais Pitli. Ils ont, ce me semble, moins d’ampleur et une certaine roideur gothique inconnue au Florentin, mais ils ont un aspect plus sévère et aussi saisissant. — Les deux écoles, allemande et flamande, «marchant d’abord parallè
lement dans des voies toutes nationales, inclinèrent ensuite toutes deux vers l’Italie, dont elles se font, au seizième siècle, les imitatrices. Mais alors commence entre elles une différence complète et radicale. L’école allemande périt dans cette imitation de l’Italie; elle s’y submerge, elle s’y noie,
et dès lors les artistes de l’Allemagne, rares, isolés, se font purement italiens, sans conserver la moindre empreinte du caractère natif. L’école flamande, au contraire, puise dans cette assimilation du style italien une nouvelle force, une
nouvelle vie. Sous les Van Orley, les Cocxie, les Otto Venius, un compromis se forme entre l’art du Midi et celui du Nord; une fusion s’opère, intelligente et intime, d’où sort une troisième époque et comme un second art flamand, celui de Rubens et de Van Dyk, qui couronne magnifiquement ce cycle ouvert par les Van Eyck. Quant aux Hollan
dais, séparés des Flamands par la réforme protestante, et jetés par elle, comme le Saxon Lucas Kranach, hors du dogme et de la légende, hors de la mythologie chrétienne, ils se réfugient tous dans la simple et matérielle reproduc
tion de la nature, où ils demeurent maîtres incontestés. » Cette citation servira à donner une idée de la manière lu
mineuse, rapide et animée avec laquelle M. Viardot groupe les faits. ·— Neuf tableaux attribués à Heimling sont, pour l’auteur des Musées, le sujet d’une discussion particulière,
où il conteste cette attribution, et qui mérite d’autant mieux d’être prise en considération, que sa critique, sage et mesurée, est en général plus sobre de ces manifestations d’opinions personnelles, dont tant de critiques abusent étourdiment. — La Pinacothèque possède quatre-vingtquinze tableaux de Rubens, réunis au centre de l’édifice, dans la plus vaste des neuf salles et la plus grande cham
bre, réunies par une espèce, de portique ouvert. « C’est la plus considérable collection des œuvres d’un seul maître qui existe au monde. » Le plus important est son Jugement dernier, de vingt pieds sur quinze de large. Il y a quarante-unVanDyck ; dix-huit Rembrandt ; quatorze Téniers;
neuf Ruisdael; huit Berghem; seize Gérard Dow; seize Woinvermans ; vingt-neuf Van der Werlf, la plus notable partie de son œuvre totale. La Pinacothèque est la première des collections publiques pour les œuvres de l’ârt du Nord.
Si les écoles d’Italie et d’Espagne y étaient aussi richement représentées, elle l’emporterait de tous points sur les musées d’Italie, d’Espagne et de France.
La GlyotothèqUe, ou musée de sculpture, est un édifice carré, à façade élégante, et parfaitement adapté à sa desti
nation. En 1808, Munich ne possédait pas encore une seule œuvre originale de, l’antiquité. Les fameux marbres d’Egine, découverts en 1811, et acquis par le prince Louis, depuis roi de Bavière, qui les fit restaurer par Thorwaldseo, de
vinrent comme le noyau de ce musée, rapidement formé, à l’aide d’acquisitions nombreuses faites avec un zèle éclairé.
Une salle spéciale est consacrée aux dix-sept statues qui composaient les l rontonsdu temple d’Egine, et que l’on con
sidère comme antérieures d’un demi-siècle aux sculptures du Parthénon. C’est le spécimen le plus curieux de l’art antique de la Grèce. Les têtes inexpressives ont ce caractère conventionnel dont la tradition s’est conservée dans le style étrusque. En conlr ste avec celte roideur et celte fixité des traits, les corps ont du mouvement et des attitudes variées. Après les marbres d’Egine, le morceau capital de la Glyptothèque est le Faune endormi. Adrien l’avait placé dans son tombeau, aujourd’hui le château Saint-Ange. « Lorsque Bélisaire et ses Grecs s’y défendirent en 537 contre les Goths, ils jetèrent jusqu’aux statues sur les assaillants, et
entre autres celle-ci, qui fut retrouvée toute mutilée, neuf siècles après, dans un fossé du fort. Le sculpteur romain
Pacini l’a restaurée il y a trente ans. » Les fresques de Cornélius, de trois salles de la Glyplothèque, fournissent à M. Viardot l’occasion d’une intéressante et juste appréciation de l’école allemande moderne.
Vienne : Le musée du Belvédère, château construit par Marie-Thérèse, réunit, dans les trente salles de ses trois étages, 1,505 ouvrages de peintres morts et 156 d’artistes vivants. « Malgré l’importance, la valeur et la beauté de quelques œuvres d’élite, surtout dans les écoles du Nord, je ne crois pas que, prise en masse, la collection du Belvédère égale celle de la Pinacothèque de Munich. » M. Viardot décrit avec son ordre habituel et par écoles les principales cou
vres de cette collection mal classée; et ensuite les galeries particulières, qui, toutes proportions gardées, lui semblent plus remarquables que le musée impérial lui-même.
Dresde. « Pour montrer combien sont nouveaux, au moins dans leur forme actuelle, la plupart des musées de l’Europe, il suffit de rappeler qu’au commencement de notre dix-neuvième siècle une seule collection publique pou
vait rivaliser avec le musée du Louvre, la galerie de
Dresde. Alors n’existaient ni le museo del Vaticano à Rome, ni le museo degli Studi à Naples, ni Y J ca demie dette Belle Arti à Venise, ni le museo del lley de Madrid,
ni la Pinacothèque de Munich, ni la Gemaelde-Sammlung de Berlin, ni la National-Gallery de Londres; et les collections du palais Pitti à Florence, du Belvédère à Vienne, de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, de la Haye en Hollande, d’IIampton-Court en Angleterre, n’étaient que les cabinets particuliers des souverains. » La galerie de Dresde, quia le droit d’aînesse sur tant d’autres, fut commencée, il y a tout au plus cent ans, par l’électeur de Saxe et roi de Po
logne Auguste 1II, qui acheta 450,000 francs la collection des ducs de Modène, où se trouvaient, entre autres, les cinq tableaux de Corrége. « Aujourd’hui elle contient 1,857 ta
bleaux et 176 pastels; en tout 2,033 cadres. C’est autant que le Louvre et le musée de Madrid. « Malheureusement cette magnifique collection est dans un désordre complet et placée dans un local étroit et sombre. Raphaël règne à Dresde comme à Rome, à Naples, à Florence, à Bologne, à Madrid, à Paris. « Dresde n’a pourtant qu’une page de sa main; mais quelle importance a cette page unique! il suffit de la nommer : c’est la Γ ierge de Saint-Sixt. » A côté d’elle nommons la Nuit de Corrége et son petit tableau si célèbre de la Madeleine, ainsi que la Vierge de Bâle, par Ilolbein.
Berlin. Ce fut seulement en 1828, que Frédéric-Guillaume lit ouvrit le Gemaelde-Sammluny, vaste bâtiment carré, un peu lourd, mais d’un aspect imposant et digne d’une galerie plus importante. « Quelques efforts que fas
sent aujourd’hui les souverains prussiens pour agrandir, pour compléter, pour illustrer leur collection, ils éprou
vent, comme la nation anglaise, l’inévitable infériorité des derniers venus. » Si celte de Berlin ne possède aucune œu
vre transcendante, du moins on n’y a pas admis des œuvres sans valeur et dépourvues d’authenticité, plie compte 1,198 tableaux, dont la classification est aussi des plus embrouillées.
Le volume est terminé par un travail nouveau sur un petit musée d’origine récente : la galerie de C Institut des beaux-arts de Francfort-sur-AÎein. A l’occasion d’une grande composition allégorique, chef-d’œuvre d’Overbeeck, M. Viardot complète son appréciation de l’école néo-catho
lique allemande, qui n’était pas viable, et a passé en peu de temps du berceau à la tombe. VAriane de Dannecker (1814), cette curiosité dont les Francfortois sont fiers et qu’ils ont reproduite de mille manières; cette volupté de l’art, qui attire chaque jour les touristes à la demeure de l’heureux propriétaire, et sur laquelle un cicerone com
plaisant étend les mystérieux reflets d’un rideau rose, ne trouble pas le ferme jugement de M. Viardot. Tout en louant celte œuvre gracieuse et distinguée, il reconnaît qu’elle est inférieure à plusieurs œuvres de sculpteurs mo
dernes, tels que MM. Rauch, Schadow, Schwanthaler, Kiss, Drake, etc.
Le quatrième et dernier volume des Musées d’Europe, qui vient de paraître, est consacré aux musées d Angle
terre, de Belgique, de Hollande et de Russie, et complète la longue et heureuse odyssée pittoresque de M. Viardot. Dans la première édition les musées d Angleterre et de Belgique étaient réunis à ceux d Espagne, et les musées de Rus
sie placés à la lin de ceux d’Allemagne; mais, par suite des développements considérables donnés à l’école espagnole,
les musées d’Espagne forment aujourd’hui un volume à part, disposition plus convenable, vu la rareté des voyages dans ce pays. Les musées d’Allemagne, qui ont reçu quelques additions, forment de même un volume, égal en gros
seur aux trois autres, tandis que, réunis, dans la première édition, aux musées de Russie, ils faisaient un volume trop lourd. Indépendamment de cette meilleure distribution, nous signalerons aussi d importantes augmentations dans le dernier volume, dont il nous reste à parler, telles qu’un travail nouveau sur le British-Muséum et les galeries particulières de Londres, les musées d’Amsterdam, de Rotterdam, de la Haye, ainsi que sur le Kremlin de Moscou.
L’Angleterre, si riche en collections particulières, n a­ vait pas, il y a vingt-cinq ans, la moindre collection publi
que dans sa capitale. La National-Gallery de Londres ne date que de 1825. La galerie particulière d’un amateur, M. Angerstein, acquise par le gouvernement, et qui se com
posait de trente-huit tableaux seulement, en fut le premier fonds. Ce fonds s’est accru par des dons et des legs, et au moyen d’acquisitions successives. La National-Gallerij compte aujourd’hui cent quatre vingt-cinq cadres. « C’est peu sans doute pour le titre pompeux dont on l’a décoré en naissant, comme les enfants de grande maison ; mais c’est beaucoup pour son âge. » Dans ce nombre restreint il se trouve malheureusement des tableaux médiocres et des at
(1) Paris, 1852 ; Paulin et Lechevalier, 4 vol. in-18. — 3 fr. 50 c.