Joseph Patania, peintre Sicilien.
Il y a quelques mois que Joseph Patania, peintre palermitain, est mort, et aucun artiste sicilien n’a jusqu’ici joui plus amplement de sa renommée pendant sa vie. J. Patania doit-il cet avantage seule
ment au mérite de ses oüvrages? C’est une question que le temps seul pourra faire résoudre. Toutefois il est certain que les louanges que les hommes ne donnent ordinairement aux plus illustres d’en tre eux que lorsque ceux-ci ont cessé de vivre, ont été pro
diguées à J. Patania pendant presque tout le cours de sa vie; et en Sicile on se plaît aujourd’hui !i associer le nom de ce pein
tre, à ceux de deux hommes célèbres de ce pays, le poète Meli et le musicien Bellini.
Joseph Patania, né en 1780 à Païenne, montra de très-bonne heure des disposi
tions pour l’art de la peinture, et travailla d’instinct jusqu’à l’âge de dix ans, époque à laquelle il suivit les leçons du pein
tre Velasquez, artiste qui combattit alors en Sicile le goût maniéré régnant en Eu
rope, et y établit les doctrines nouvelles qui furent suivies en Italie par Canova, et en France par Louis David. J. Patania avait une imagination brillante, et, comme les principes sévères et le caractère tant soit peu rude de son maître entravaient plutôt qu’ils ne favorisaient ses instincts, il réso
lut d’étudier les grands maîtres, et de se former en quelque sorte tout seul. Il par
tagea donc son temps entre ces éludes et l’emploi lucratif de son pinceau, peignant à la détrempe et à fresque, et faisant des décorations de théâtre, ce qui lui fit ac
quérir de la facilité et de l’expérience dans l’art de peindre.
Cependant son nom était encore obscur. Mais bientôt il se remit à peindre à l’huile, et à traiter des sujets graves, et bientôt,
en 1805, il jouissait de la réputation d’un artiste assez habile pour que le consul d’Espagne le fît appeler à Mahon, dans l’ile de Minorque, où il exécuta en effet un assez grand nombre de compositions.


De là il passa à Naples, d’où il se propo


sait d’aller étudier les grands maîtres à Rome, projet que les tempêtes politiques
ne lui permirent pas de réaliser, et qui le forcèrent de rentrer dans sa patrie. Là il
perfectionna son talent par l’étude et à l’aide des conseils de quelques artistes étrangers venus en Sicile ; mais c’est aussi
à compter de cette époque qu’il fut atteint d’une infirmité qui le força de rester confiné chez lui pour le reste de ses jours.
J. Patania avait une imagination fertile, brillante et trèsvariée ; aussi a-t-il peint dans tous les modes de son art :
I histoire sacrée et profane, grandes et petites compositions I anacréontiques, paysage, portrait et miniature, il n’était
étranger à aucun de ces genres. Ceux de ses compatriotes qui prisent le plus son talent s’accordent cependant à dire qu’il réussissait particulièrement en traitant des scènes gracieuses, auxquelles s’adaptaient si bien son coloris vrai
et brillant, la vivacité de son pinceau, et surtout le tour de son esprit, qui lui faisait ordinairement voir la nature sous un aspect gai et séduisant.
L’infirmité qui, pendant près de quarante ans, ne lui permit de sortir de chez lui que pendant les chaleurs, l’avait habi
tué à la solitude ; il l’aimait même, parce qu’elle favorisait son goût pour son art et le travail. Le soir, après la journée consa
crée à peindre, Patania faisait usage du crayon et de la plume pour dessiner ; et c’est en se livrant à ce dernier exercice qu’il a tracé une suite nombreuse de com
positions dontl es sujets sont tirés du 7élémaque de Fénelon, compositions remar
quables que plusieurs personnes ont pu voir à Paris, et dont elles ont apprécié le mérite.
μ Parmi les grands tableaux de J. Patania, on cite un Christ flagellé, un saint Vincent, et l’Adoration des Mages, placés dans différentes églises de la Sicile ; puis Françoise de Rimini, Vénus et Adonis, l’Espérance embrassant l’Amour, et une foule de sujets familiers.
Les amis de J. Patania, MM. A. Gallo et L. Vigo entre autres, dont les notices nous ont aidé à faire connaître cet artiste en
France, ne tarissent pas d’éloges sur la bonté du cœur et l’agrément du caractère de celui qu’ils regrettent, ainsi que tous les Palermilains ; ces excellentes qualités, jointes au talent de l’artiste, rendent rai
son de l’estime générale dont J. Patania
jouissait auprès de toutes les personnes distinguées de son pays.
Jusqu’à sa dernière heure J. Patania a conservé l’usage complet de ses facultés.
La veille de sa mort il termina le portrait peint d’une dame, et dans l’après-midi il traça encore au crayon le sujet de Jésus- Christ présenté à Caïphe. J. Patania rendit le dernier soupir à Païenne, le 23 février 1852, et non-seulement ses nombreux amis lui rendirent les derniers honneurs, mais toutes les personnes de la noblesse
palermitaine s’empressèrent en cette occasion de rendre hommage au talent et aux précieuses qualités du défunt. E.-J. Delécluze.
Fête à l’école régionale de Grignon.
Grignon est, après Roville, l’établissement qui a le plus contribué à la régénération de l’agriculture française.
Comme Roville, dont le nom est désormais inséparable de celui de l’illustre Dombasle, son fondateur et son directeur, Grignon a eu pour directeur et fondateur un homme remarquable à plus d’un titre, M. A. Bella. Si l’un s’est ac
quis des droits durables à la reconnaissance publique en cherchant le premier à vulgariser chez nous les grands
principes d’agriculture et d’économie rurale posés par Thaer et Sinclair, l’autre n’a pas moins mérité de celte reconnaissance en poursuivant avec ardeur la réalisation de ces principes, et en les inculquant à de nombreux élèves.
Plus heureux que Dombasle, à la mémoire duquel Nancy vient de rendre un tardif hommage, M. A. Bella a pu recueillir de son vivant les té
moignages de gratitude et de sympathie que son dévouement à l’agricul
ture lui a mérités. La journée du 31 août réu
nissait autour de lui la plus grande partie des élèves de Grignon. Une noble pensée, un élan du cœur, un de ces sentiments, enfin, qui sem
blent l’apanage exclusif de la jeunesse française, avait spontanément ras
semblé tous ces jeunes gens. Ils voulaient donner à leur maître vé
néré un gage durable de souvenir, honorer solennellement en lui l’homme intègre qui a rempli de grands devoirs.
Dans la matinée, une messe en musique, com


posée par M. F. Hervé,


connu déjà par quelques essais qui ont eu du re
tentissement à Paris, avait été exécutée dans la chapelle de l’école.
Après la messe, concours de charrue, divertissements et jeux de
toutes sortes offerts aux populations des communes environnantes. Enfin, à quatre heures, banquet présidé par M. A. Bella, auquel les souscripteurs et quelques invités seuls étaient admis. Dès notre entrée dans la Salle du ban
quet, nos yeux se fixèrent sur un buste reproduisant fidèlement les traits du noble vieillard, et dû au ciseau de l’habile M. Dantan aîné.
Le repas était depuis longtemps commencé, que de nouveaux arrivants, attardés par les distances qu’il leur avait fallu parcourir, venaient prendre place à côté de leurs anciens camarades. Plusieurs habitaient à cent cinquante, deux cents lieues de Paris. De cordiales poignées de main
étaient échangées, et toutes les physionomies exprimaient le bonheur de se revoir après tant d’années de séparation.
Mais le bruit des conversations cesse tout à coup,, et
M. Lecouteux, ancien élève de Grignon, directeur des cultures de l’Institut agronomique, se lève et porte un toast à M. A. Bella. L’accent de la voix, l’agitation des gestes de l’orateur, ce désordre touchant qui prouve la sensibilité vraie, en ont plus dit que les paroles, pleines d’énergie pourtant et fortement colorées, qu’il a prononcées^ Aussi l’émotion a-t-elle gagné tous les cœurs; elle se fait jour par un tonnerre d’applaudissements ; et c’est à peine si le vénérable vieillard, qui cherchait, par un reste de stoï
cisme militaire, à dissimuler les joies qui l’inondaient, a pu répondre aux élèves dont M. Lecouteux a été l’heureux interprète, , . „ ...
Plusieurs discours ont été dits ensuite par MM. Gaillat et Ileuzé, professeurs de l’école, et par M. Pommier, ré
dacteur en chef de L Echo agricole. Mais notre intérêt a été vivement excité au moment où deux anciens élèves de
Grignon , l’un Belge , M. de Gemblines, ingénieur civil, l’autre Polonais , ont pris la pa
role. Ces deux jeunes gens ont exprimé, avee un sentiment profond de gratitude, au nom de leurs compatriotes et de leur patrie res
pective, combien ils ap
préciaient la grandeur du pays où l’on rencontre des hommes véritablement dévoués com
me le chef de l’école de Grignon, et qui, sans esprit étroit de natio
nalité, ouvrent leurs portes et donnent libé
ralement à tous le pain de la science.
En nous faisant les narrateurs bienveillants d’une fête de famille consacrée à la glorifica


tion d’un intérêt public,


en nous associant à la reconnaissance et à la joie des élèves de Grignon envers le fonda
teur de l’école, nous ne
pouvons oublier ceux qui ont aidé M. Bella dans cette fondation.
Dessin de Janet-Lange, d’après M. J. Grandvoinet.