Collections particulières. — Collection de M. Adolphe Moreau.


On a beaucoup parlé, dans ces derniers temps, de collections parti
culières qui se sont vendues et dis
persées; parlons un peu de celles qui ne se vendent pas. C’est déjà un titre à signaler à notre époque qu’un esprit de conservation, non démenti, d’un amateur à l’égard de sa collection d’art ou de curiosités. Un cer
tain nombre de collections ne sont formées que dans l’intention de les revendre un jour. Elles sont moins un plaisir délicat du goût qu’elles ne sont un placement et une spécu
lation. Celle dont nous allons nous occuper, formée de tableaux moder
nes par achats successifs depuis plus de vingt ans, a ce mérite que le pro
priétaire n’en a jamais vendu un tableau. Cette fixité lui donne un in
térêt particulier pour l’histoire de la peinture contemporaine, en ce qu’on peut y suivre les transformations de manière de quelques-uns de nos p autres. Du reste, elle n’a pas l am
bition des grandes toiles; elle ne se compose que de tableaux de genre de moyenne et pelile dimension, au nombre de près de cinq cents.
Une collection de tableaux, par suite de la mobilité de nos goûts et du peu de fixité dans l’assiette des familles, n’est pas destinée de nos jours à durer longtemps. La disper
sion qui les attend tôt ou tard doit être une des douleurs secrètes de l’amateur. A leur réunion est atta
chée sa personnalité. Quand ils se dispersent, sa mémoire semble s’é­ vanouir une dernière fois. Le souve
nir de galeries, même importantes et princières, ne vit plus que dans les descriptions qui en ont été faites ou dans les gravures qui les ont reproduites, et dont le recueil en perpé
tue l’ensemble sous une autre forme. Un mode de reproduction plus mo
deste et plus facilement accessible, la lithographie, fournit un moyen analogue, et il y a lieu de s’étonner que les amateurs n’y aient pas plus souvent recours. C’estcequeM. Adolphe Moreau a fait pour son cabinet.
Il fait exécuter par divers lithogra-1 phes les dessins de ses meilleurs ta
bleaux. Chacune de ces lithogra-É phies est tirée à cinquante exem-fé plaires ; après quoi le dessin est éf-H facé sur la pierre. Aucune de ce? li-S
de 1841, en même temps que la Prise de Constantinople par tes croisés et la Noce juive dans le Maroc, cette toile si lumineuse qui égaye aujourd’hui le musée du Luxem
bourg. La Barque est une œuvre grandiose , à l’étroit dans le cabinet
d’un particulier; elle devrait figurer dans un grand musée; c’est une œu
vre de la race des grands maîtres. Ceux qui l’ont vue se rappellent cette scène désolée et lugubre, ce drame de l’abandon et du désespoir, dont l’artiste a si énergiquement exprimé l’horreur. Au milieu d’une mer som
bre, muette, inlinie, se confondant avec un ciel orageux et impitoyable, erre à l’aventure une barque char
gée de passagers, de femmes et de matelots. Us tirent au sort en avan
çant la main vers un chapeau que présente un matelot, et où il a mêlé les chances. L’homme est sur le point de disparaître; il n’y aura bientôt que la bête féroce tourmentée par la faim. La pitié est déjà éteinte; il ne subsiste plus que la justice, que l’é­
galité. C’est le hasard qui décidera de la victime. Que les personnes re
belles au talent de Μ. E. Delacroix
viennent contempler cette page, qui restera parmi les plus caractéristiques de son œuvre, et elles comprendront la puissance du grand ar
tiste. fl n’y a pas ici de mystère de l’art révélé seulement à quelques adeptes : il y a là un tableau entre mille ; une scène qui ne sortira plus de la mémoire, quand une fois elle aura frappé les yeux. Le point pour voir le tableau est là, où cette poésie vous saisit dans son ensemble. Si, vous détournant d’elle, vous vous approchez curieusement de la toile pour y noter les incorrections de dé
tail , peut-être y trouverez-vous de nombreuses fautes de dessin? c’est possible; je n’en sais rien et je n’en veux rien savoir. Tout ce que je sais,
c’est qu’au véritable point de vue, le dessin de ce tableau est magnifique, plein de mouvement et dans une convenance parfaite avec le sujet.
Une autre fois, vis-à-vis de quelque figure isolée, de quelque odalisque,, de quelque Juliette ou de quelque Desdémone, je contesterai moins la légitimité de votre analyse et la vérité de vos remarques. Mais ici je ne
Galerie de M. Moreau. — Espagnols des environs de Penticosa.— Tableau par C. Roqueplan; dessin de Valentin.


Urographies


n’est destinée à être mise dans le commerce. — Outre la satisfaction personnelle de l’ama
teur qui étend ainsi la connais
sance et la durée de la collection qu’il s’est plu à réunir , ces re
productions peu
vent servir de renseignements
pour l’histoire de la peinture contemporaine , et, à un autre point de vue, el
les emploient u- tilement des ar
tistes , dont le nombre augmen
te chaque jour. Il y a là un bon exemple à en
courager et à re
commander aux amateurs.
M. Eugène Delacroix occupe une place importante dansla col
lection de Μ. A- dolphe Moreau. Un de ses ta
bleaux en est même, à mon avis , le point culminant et l’honneur. Ce tableau est la célèbre Barque exposée au Salon
viens pas vous demander de concession,je ne vous dis pas d’é­ touffer la révol
te instinctive de votre goût; il ne s’agit que de ve
nir, de voir et d’être vaincu , subjugué par cet harmonieux ensemble, par cette poésie terri
ble, comme celle de Dante ou de Shakspeare, àlaquelle ni la cou
leur ni le dessin ne font défaut.
La Barque de Μ. E. Delacroix fut acquise, il y a onze ans, au prix de 4,000 fr.
Depuis on en a offert 12,500 fr. au propriétaire. Telle œuvre aca
démique du même temps, correctement dessi
née , aura suivi une progression inverse. —For
mons des vœux pour que cette œuvre,qui comp
te dans l’école française, arrive un jour à notre musée du Lou
vre. Si les héritiers de M. Adolphe Moreau de
vaient s’en sépa-Galerie de M. A. Moreau. — Italiennes à une fontaine. — Tableau par D. Papety; dessin de Valentin.