jourd’hui à VIllustration. Si Caslil-Blaze a manqué au congrès, il ne nous manquera pas ici. Nous le savons par cœur depuis notre en
fance, nous avons crayonné vingt fois cette tête si pittoresque du Rabelais provençal. Nous ti
rons aussi de nos albums la tête d’un homme supérieur par le cœur et par l’intelligence, d’un homme qui se fût distingué autant dans la science que dans les lettres, d’un homme qui a fait dans sa jeunesse de charmantes poésies patoises ; malheureusement cet homme modeste, Augustin Anrès, a caché ses œuvres et sa vie;
mais il méritait trop bien sa place entre M. d’Astros et Castil-Blaze pour la lui refuser.
« Ailleurs, nous réunissons la figure si animée, de Roumanille, celle de Camille Reybaud, le poète de la mélancolie et de la tristesse, celle de Crouzillat, au profil grec, et celle de Mistral, profonde et en même temps gracieuse d’expression.
«Enfin Aubanel, le peintre des scènes terribles; Mathieu, celui des sentiments les plus doux, et Gaut, auteur de choses charmantes de grâce, forment un dernier groupe.
« Il y avait certes à Arles bien d’autres têtes dignes d’illustr; tion ; mais le temps nous a man
qué lorsqu’elles posaient au banquet, devant nous ; et l’espace nous aurait manqué ici pour donner une galerie plus étendue des modernes troubadours provençaux. Nous restons donc avec tous nos regrets à cet égard.
« Par un heureux hasard, le jour et le lieu choisis par les poètes pour se réunir l’avaient été par la société agricole du département des Bouches-du-Rhône. La ville d’Arles était donc toute festoyante. Chaque convoi du chemin de fer amenait de nombreux curieux de Nîmes, de Beaueaire, d’Avignon, de Tarascon, tandis que les Marseillais arrivaient plus nombreux par des trains de plaisir. C’était beau de voir toute cette foule parée répandue sur l’antique enceinte des
arènes comme une neige brillante qui se serait attachée à chaque pierre. C’était beau de voir entrer sous les noirs arceaux romains, aux sons delà musique militaire, un immense char traîné par des bœufs, et orné de tous les plus riches produits de l’agriculture provençale!
« Le soir, pour couronner dignement la fête, la ville donna un bal, où l’on vit avec plaisir l’é clat du costume populaire lutter avec la ri
chesse des parures du beau monde. On y vit avec plaisir le poète à côté du général d’ar
mée, l’agriculleur et l’ouvrier à côté du riche.
trois cents forçats et sept prisonniers politiques. M. Letuaire, notre correspondant, nous adresse à ce sujet une lettre, datée du A, et accompagnée d’un dessin de la scène à laquelle a donné lieu cette opération.
« Ce matin, samedi, a eu lieu, à sept heures, Rembarquement de trois cents forçats à bord du bâ
timent de l’État la Fortune, — quelle fortune! — qui doit les transporter à Cayenne. Deux chaloupes de la direction du port étaient affectées à ce ser
vice. Les condamnés n’avaient plus le costume du bagne. Ils portaient un pantalon de toile bleue, une grande blouse grise également en toile, et une cas
quette en velours rayé; ces casquettes étaient de différentes couleurs. Ils avaient en outre un pantalon de toile grise sous le bras. Tous étaient chaussés de neuf, et n’avaient plus la chaîne ni le gros maillon de fer, qui était remplacé par un autre beaucoup plus mince, à peine apparent. On ne reconnaissait plus en eux le type du forçat. Il n’y avait ni soldats, ni gardes pour les conduire ; mais seulement les adju
dants, qui, eux aussi, se rendent à la Guyane. Ceuxci se plaçaient à l’arrière des chaloupes, et n’étaient guère que cinq ou six par embarcation.
Placés sur deux rangs dans la cour du bagne, les forçats ont défilé devant leur commissaire, qui pré
sidait à leur embarquement, assisté de ses principaux agents. Ceux de leurs camarades qui n’avaient pu leur serrer la main leur disaient adieu de loin, leur souhaitant un bon voyage, en exprimant l’espoir de les rejoindre bientôt. On a remarqué dans chacune des chaloupes un condamné muni d’un violon, qui, au commandement de : Pousse ! du patron, s’est mis à racler de toutes ses forces, à la grande joie de ses compagnons. Dans la deuxième, le violon était ac
compagné d’un fifre. La scène était d’autant plus originale, qu’on ne s’y attendait pas. Les virtuoses s’étaient perchés sur l’avant : les autres sautaient, gambadaient, chantaient, et semblaient dans le plus grand contentement.
Le navire était emménagé de manière que les condamnés politiques et les repris de justice fussent sé
parés. On avait embarqué, pour chaque forçat, une paire de souliers et trois chemises. Le nouveau cos
tume que l’administration du bagne leur avait donné n’est que pour la traversée, puisqu’à leur arrivée à Cayenne, ils seront affublés d’un autre costume uni
forme. L’administration du bagne avait ordonné d’embarquer à bord de la Fortune des casaques, des bonnets de forçats des différentes catégories, ainsi que des chaînes, des manilles, des anneaux, etc., comme moyens de punition et de répression, autant pour la traversée que pour la-colonie; et pour éviter les suites fâcheuses que pourraient amener l’oisiveté de ces hommes durant le passage, on a mis à la dis
position du commandant une certaine quantité de jeux de cartes, de dominos, de dames, etc. Quarante ou cinquante soldats de la 32 · compagnie d’infanterie de marine doivent être affectés à la garde de ces hommes, plus un surveillant de lre classe, six de 2e etsixde3e.
Costume des forçats pour la traversée.
bourgeois. En un mot, ce bal tut magnifique, et il laissera un charmant souvenir à ceux qui l’ont vu.
« Voilà les titres auxquels la journée artésienne du 29 août nous a paru réclamer de notre plume et de notre crayon une mention particulière dans ce journal.
« J. B. Laurens. »
On avait ordre aussi de n’embarquer que les hommes les plus valides et ceux qui offraient le plus de garanties sous le rapport de la conduite.
Salutation. Letuaire.
P. S. De grands préparatifs se font à Toulon pour la réception du
Embarquement de trois cents forçats
Tous les journaux onl annoncé, celte semaine, que ta Fortune, partie de Toulon pour Cayenne le 5, a embarqué
fance, nous avons crayonné vingt fois cette tête si pittoresque du Rabelais provençal. Nous ti
rons aussi de nos albums la tête d’un homme supérieur par le cœur et par l’intelligence, d’un homme qui se fût distingué autant dans la science que dans les lettres, d’un homme qui a fait dans sa jeunesse de charmantes poésies patoises ; malheureusement cet homme modeste, Augustin Anrès, a caché ses œuvres et sa vie;
mais il méritait trop bien sa place entre M. d’Astros et Castil-Blaze pour la lui refuser.
« Ailleurs, nous réunissons la figure si animée, de Roumanille, celle de Camille Reybaud, le poète de la mélancolie et de la tristesse, celle de Crouzillat, au profil grec, et celle de Mistral, profonde et en même temps gracieuse d’expression.
«Enfin Aubanel, le peintre des scènes terribles; Mathieu, celui des sentiments les plus doux, et Gaut, auteur de choses charmantes de grâce, forment un dernier groupe.
« Il y avait certes à Arles bien d’autres têtes dignes d’illustr; tion ; mais le temps nous a man
qué lorsqu’elles posaient au banquet, devant nous ; et l’espace nous aurait manqué ici pour donner une galerie plus étendue des modernes troubadours provençaux. Nous restons donc avec tous nos regrets à cet égard.
« Par un heureux hasard, le jour et le lieu choisis par les poètes pour se réunir l’avaient été par la société agricole du département des Bouches-du-Rhône. La ville d’Arles était donc toute festoyante. Chaque convoi du chemin de fer amenait de nombreux curieux de Nîmes, de Beaueaire, d’Avignon, de Tarascon, tandis que les Marseillais arrivaient plus nombreux par des trains de plaisir. C’était beau de voir toute cette foule parée répandue sur l’antique enceinte des
arènes comme une neige brillante qui se serait attachée à chaque pierre. C’était beau de voir entrer sous les noirs arceaux romains, aux sons delà musique militaire, un immense char traîné par des bœufs, et orné de tous les plus riches produits de l’agriculture provençale!
« Le soir, pour couronner dignement la fête, la ville donna un bal, où l’on vit avec plaisir l’é clat du costume populaire lutter avec la ri
chesse des parures du beau monde. On y vit avec plaisir le poète à côté du général d’ar
mée, l’agriculleur et l’ouvrier à côté du riche.
trois cents forçats et sept prisonniers politiques. M. Letuaire, notre correspondant, nous adresse à ce sujet une lettre, datée du A, et accompagnée d’un dessin de la scène à laquelle a donné lieu cette opération.
« Ce matin, samedi, a eu lieu, à sept heures, Rembarquement de trois cents forçats à bord du bâ
timent de l’État la Fortune, — quelle fortune! — qui doit les transporter à Cayenne. Deux chaloupes de la direction du port étaient affectées à ce ser
vice. Les condamnés n’avaient plus le costume du bagne. Ils portaient un pantalon de toile bleue, une grande blouse grise également en toile, et une cas
quette en velours rayé; ces casquettes étaient de différentes couleurs. Ils avaient en outre un pantalon de toile grise sous le bras. Tous étaient chaussés de neuf, et n’avaient plus la chaîne ni le gros maillon de fer, qui était remplacé par un autre beaucoup plus mince, à peine apparent. On ne reconnaissait plus en eux le type du forçat. Il n’y avait ni soldats, ni gardes pour les conduire ; mais seulement les adju
dants, qui, eux aussi, se rendent à la Guyane. Ceuxci se plaçaient à l’arrière des chaloupes, et n’étaient guère que cinq ou six par embarcation.
Placés sur deux rangs dans la cour du bagne, les forçats ont défilé devant leur commissaire, qui pré
sidait à leur embarquement, assisté de ses principaux agents. Ceux de leurs camarades qui n’avaient pu leur serrer la main leur disaient adieu de loin, leur souhaitant un bon voyage, en exprimant l’espoir de les rejoindre bientôt. On a remarqué dans chacune des chaloupes un condamné muni d’un violon, qui, au commandement de : Pousse ! du patron, s’est mis à racler de toutes ses forces, à la grande joie de ses compagnons. Dans la deuxième, le violon était ac
compagné d’un fifre. La scène était d’autant plus originale, qu’on ne s’y attendait pas. Les virtuoses s’étaient perchés sur l’avant : les autres sautaient, gambadaient, chantaient, et semblaient dans le plus grand contentement.
Le navire était emménagé de manière que les condamnés politiques et les repris de justice fussent sé
parés. On avait embarqué, pour chaque forçat, une paire de souliers et trois chemises. Le nouveau cos
tume que l’administration du bagne leur avait donné n’est que pour la traversée, puisqu’à leur arrivée à Cayenne, ils seront affublés d’un autre costume uni
forme. L’administration du bagne avait ordonné d’embarquer à bord de la Fortune des casaques, des bonnets de forçats des différentes catégories, ainsi que des chaînes, des manilles, des anneaux, etc., comme moyens de punition et de répression, autant pour la traversée que pour la-colonie; et pour éviter les suites fâcheuses que pourraient amener l’oisiveté de ces hommes durant le passage, on a mis à la dis
position du commandant une certaine quantité de jeux de cartes, de dominos, de dames, etc. Quarante ou cinquante soldats de la 32 · compagnie d’infanterie de marine doivent être affectés à la garde de ces hommes, plus un surveillant de lre classe, six de 2e etsixde3e.
Costume des forçats pour la traversée.
bourgeois. En un mot, ce bal tut magnifique, et il laissera un charmant souvenir à ceux qui l’ont vu.
« Voilà les titres auxquels la journée artésienne du 29 août nous a paru réclamer de notre plume et de notre crayon une mention particulière dans ce journal.
« J. B. Laurens. »
On avait ordre aussi de n’embarquer que les hommes les plus valides et ceux qui offraient le plus de garanties sous le rapport de la conduite.
Salutation. Letuaire.
P. S. De grands préparatifs se font à Toulon pour la réception du
Président. J’aurai l’honneur de vous envoyer plusieurs dessins.
Embarquement de trois cents forçats
pour Cayenne.
Tous les journaux onl annoncé, celte semaine, que ta Fortune, partie de Toulon pour Cayenne le 5, a embarqué