Courses à Chantilly.


RÉUNION D’AUTOMNE.
C’est un étranger, M. le comte Demidoff, qui a conçu la pensée d’établir un hippodrome et de créer des courses à Chantilly, « Vous en ferez, avait-il dit, le New-Market de la France. » L’idée fut accueillie.
En mai 1834, quelques amateurs prenaient possession de la magnifique pelouse, de Chantilly. 5,500 francs en trois prix et sept chevaux, tel a été le point de départ.
Un pareil début répondait mal au brillant horoscope tiré par le comte. En 1835, le nouvel hippodrome resta frappé lu même insuccès : six courses et 8,500 francs ! La prophétie ne s’était pas accomplie.
En ce temps-là, un autre étranger, lord Henry Seymour, tenait chez nous le sceptre du turf. Par quelle bizarrerie le noble sportsman refusa-t-il tout d’abord de s’associer à cette création, et d’envoyer ses coursiers à Chantilly ? On ne l’a pas su, ou tout au moins on ne l’a pas dit. Ce n’était pas difficile à deviner, peut-être... Toujours est-il que, lord Seymour faisant la pluie et le beau temps et s’abstenant, le succès des courses de Chantilly était fort compromis.
Cependant l’éducation et l’élève du cheval commençaient à prendre en France un salutaire développement. Mieux que par le passé, on comprenait que leurs résultats inté
ressaient l’agriculture, le commerce, le luxe, l armée, c’està-dire le pauvre et le riche, la fortune et l’honneur du pays. Il y avait au fond de tout cela une utilité sociale, et non plus seulement de simples jeux olympiques, l’occasion d’amusements frivoles et de stériles gageures. En s’élevant pour dominer la question et l’envisager par ses résultats, on voyait dans l’institution bien dirigée un moyen de pro


grès certains, des épreuves qui ne trompent pas, un con


trôle incontestable de la bonne ou mauvaise production des races supérieures, dont le contact ennoblit et améliore les espèces secondaires et les races déchues.
Ces graves considérations firent que les courses de Chantilly passèrent, non pas sous le bienveillant patronage, mais bien sous la protection intelligente et efficace du prince royal, de S. A. Mgr le duc d’Orléans, dont le goût et les lumières ont été si utiles à l’avancement des intérêts hippiques du pays.
Dès lors l’hippodrome de Chantilly fut bientôt à la mode. Le nombre des prix fut augmenté, les sommes à disputer excitèrent une vive émulation parmi les éleveurs, et les che
vaux ne firent plus défaut, pas même ceux de lord Henry Seymour.
En 1840, Chantilly vit, pour la première fo.s, deux réunions, deux meetings, comme on dit en Angleterre, et notre New-Market a, depuis cette époque, deux saisons de courses, — celle du printemps et celle d’automne. Une ving
taine de prix, s’élevant à près de cent mille francs, entrées comprises, y sont maintenant courus suivant des règles
fixes et constantes. C’est le septième à peu près du budget annuel de l’institution en France.
D’aucuhs disent que ces règles ne sont pas ce qu’elles pourraient et devraient être, que le but d’utilité pratique que l’on s’était proposé, il y a quelque dix-huit ans, n’est pour rien aujourd’hui dans la direction imprimée par le Jockey-Club à l’institution; qu’il y a là de grands sacrifices pour de très-minces résultats, que les éleveurs sérieux sont encore à naître dans le rayon des hippodromes de Paris, Versailles et Chantilly; on dit bien d’autres choses encore ; mais, aucune de celles-ci n’étant de notre compé
tence, nous passons outre, laissant de côté tout ce qui est sujet à controverse, pour la simple constatation des faits.


Pour le moment d’ailleurs, nous ne voulons pas y aller voir;


nous aimons mieux croire que la société du Jockey-Club cherche à pratiquer la devise adoptée dans les temps an
ciens par les maestranza, ou sociétés hippiques de l’Espagne :
Pro republica est, dum ludere videmur. (Nos jeux à nous sont le bien du pays.)
1848 a failli emporter les courses de Chantilly : l’administration des haras les a sauvées comme tant d’autres. Cette année-là, au meeting d’automne (il n’y avait point eu
de réunion au printemps), furent inaugurées les magnifiques tribunes établies à demeure par S. A. Mgr le duc d’Au
male, qui ne les a pas vu achever. Jusque-là l’hippodrome de Chantilly n’avait été pourvu que de tentes passagères.
Celles-ci ne réunissaient aucune des conditions de confort nécessaire. Les choses ont bien changé. Tout y est aujour


d’hui admirablement, luxueusement disposé. C’est en tou


tes choses un établissement princier, et qui répond à toutes les splendeurs du lieu, le château, la forêt, la pelouse, et le palais qui porte le nom d’Ecuries de Chantilly.
La ville a été mise en possession ou plutôt en jouissance des tribunes. Le dessin que nous empruntons à V Atlas statistique de la production des choraux en France ne re
présente que la partie qu’on nomme—enceinte du pesage : ce sont les coulisses de la chose.
Mais qui ne voit Chantilly qu’aux jours de courses officielles, ne se fait aucune idée de l’animation et de la vie que
l’installation des chevaux et leur préparation donnent toute l’année à la ville, à la forêt, à la pelouse. La plupart des éleveurs dont les produits fréquentent et peuplent les hip
podromes du Champ de Mars et de Satory ont leurs écuries à Chantilly; leurs poulains s’y élèvent et y prennent leurs grades, qu’on nous passe le mot; ils y sont entourés d’en
traîneurs, de jockeys et de stud-grooms. Les établissements
sont vastes et spacieux; chaque tête y trouve sa cellule, sa box. Il y fait nuit de bonne heure, mais au petit jour tout se réveille.
Alors la vie commence ; les chevaux hennissent comme le coq chante. Au premier bruit qui se fait autour d’eux, ils réclament la première avoine. Les entraîneurs les appro
E n c e i n t e d u
p e s a g e s u r l ’ h i p p o d r o
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M. L a l a i s s e ( A l l a s
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d e s c h e v a u x ) .