client silencieux et soucieux. Pour eux, il s’agit de deviner les événements de la nuit, d’apprendre si tout va bien encore, si le régime .n’a pas besoin d’être modifié, si les exer
cices peuvent être continués, s’il faut les diminuer, si 1 on peut les augmenter; rien ne doit échapper à l’attention. L’œil et la main se posent et se placent ; ils voient, tou
chent, sentent, palpent, pressent, passent, reviennent et consultent encore. Mille observations de détails vont se produire, seront scrupuleusement saisies, pesées, résumées ;
elles éclaireront sur ce qui a été obtenu, sur la condition actuelle, et sur ce qui reste, à faire pour arriver au point convenable.... Pour l’entraîneur, l’intérêt et l’honneur de l’écurie sont là : pour le gouvernement qui dote l’institu
tion, c’est l’avenir de la population chevaline qui est en ques
tion, c’est la prospérité d’une branche d’industrie aux efforts de laquelle sont étroitement liées la richesse, la gloire et l’indépendance nationale.
Mais voilà toute cette population qui sort ; elle va à la manœuvre. Suivez-la. L’air est un peu vil; les chevaux se montrent frais et dispos; ils marchent, ils marchent en
core. ... Combien cela durera-t-il? Vous n’y êtes pas; ils en ont pour une heure ou deux, suivant les besoins. Ceci est toute une science qui ne peut être enseignée ici. Après les premiers exercices viennent les galops ; ceux-ci plus rapi
des, ceux-là plus prolongés. Quelques chevaux prendront une suée : tout a été préparé, disposé en conséquence. Combien cela n’offre-t-il pas d’intérêt? Ce sont.de beaux préludes, des essais brillants. On dirait d’une répétition géné
rale quelques jours avant la représentation publique d’un chef-d’œuvre. On y met un soin extrême; on y apporte toute l’attention dont on est capable.
L’animation est grande sur le terrain; car, sans se rechercher précisément, les écuries ne sauraient toujours s’éviter- Il y a des rencontres forcées, et l’on se regarde et l’on s’ob
serve. Mais le spectateur bénévole n’inspire aucune défiance, il peut tout voir. Son attention ne se fatigue pas. Ces che
vaux, qu’il avait déjà plusieurs fois perdus de vue, les voilà encore; ils passent rapides.et légers, puis disparaissent en dévorant l’espace, développant leurs forces, montrant leur énergie, mesurant contre le maître d école la puissance acquise et les progrès obtenus.
Peu à peu cependant, le terrain d’exercice se dépeuple ; chacun rentre au logis. Tout n’est pas fini; au contraire, tout recommence. Ici les soins de la main, le pansage ne sont point une affaire de quelques minutes. Chaque- animal réclame une heure, quelquefois plus, de travail et de fati
gue de la part de ceux qui le servent. Mais aussi comme il sera frotté, brossé, massé, peigné, épongé, essuyé, enve
loppé de la tète aux pieds ; comme sa litière sera secouée, soulevée, rafraîchie, matelassée; comme sa nourriture sera choisie, épluchée!....
La fenêtre est close; la porte se ferme ; la clef est emportée. Maintenant il fait nuit en plein jour dans cette box spacieuse et rangée. L’hôte est sûr d’y demeurer à l’abri des importuns, nul ne le dérangera; il a ses heures de re


pos et de. tranquillité absolue, comme il a eu ses heures de


travail et de fatigue. Il fera paisiblement la sieste et ne sera visible pour personne.
C’est là ce que bien des gens attaquent et blâment. Les soins de l’entraînement ne leur plaisent pas; ils résument pour eux le fait d’une éducation factice, et mènent à des ré
sultats artificiels. C’est une grossière erreur. Qn’est-ce donc que l’entraînement ? En première ligne, c’est le choix judi
cieux des sujets capables d’en supporter la fatigue, la discipline progressivement sévère du travail : —la bonne extraction, une conformation solide et régulière peuvent seules y résister ; en second lieu, c’est l’hygiène la plus rationnelle, le régime le mieux ordonné. Un pareil mode d’éducation ne saurait amollir ni dégrader la race; il en relève, il en conserve les qualités les plus précieuses en développant les lions germes, en accumulant un degré d’énergie que n’ac
querrait jamais l’animal soumis à des influences moins favo
rables. L’abus seul est mauvais, mais l’abus entraîne la ruine, et l’intérêt commande de prévenir celle-ci, en même temps que l’expérience apprend à l’éviter. Au reste, l’abus peut-il faire condamner l’usage rationnel ?
Le cheval bien entraîné, celui qui a été substantiellement, nourri dès les premiers jours de son existence, qui a été constamment bien tenu, qu’on a élevé d’après de saines idées, traité avec intelligence et prédilection pendant les exercices et d’une manière utile au développement de ses forces, ce cheval est plein de cœur et résistant, d’une grande vitalité et remarquable par sa longévité. Vainqueur ou vaincu sur l’hippodrome, il n’en sera pas moins un vail
lant animal propre à de rudes travaux, apte au service le plus pénible.
Telle est donc Futilité des courses. Ceux-là ne sauraient la bien apprécier qui n’en jugent les résultats qu’au jour de la lutte publique, pendant la durée si courte de la lutte ellemême.
Juger ainsi de cette utilité sur les seules épreuves officielles, serait mesurer l’utilité de l’armée sur le simple spectacle que donne un régiment en un jour de parade. A combien n’a-t-on pas entendu dire ce propos : « A quoi servent tous ces soldats? que de forces vives sont perdues !... »
Vienne maintenant le jour du danger, vienne la nécessité de repousser d’injustes attaques, le langage sera tout autre. — L’exercice forme le conscrit, la manœuvre en fait un soldat. En apprenant à se battre, il devient brave, et son ar
deur s’exalte au champ d’honneur. A personne n’est venue la pensée que l’instruction donnée à la jeune recrue la ren
dait moins capable et l’amollissait... Le poulain, faible et débile, inachevé quand on le laisse croupir dans l’oisiveté, prend de la taille et de l’ampleur, se fortifie et se développe à la faveur d’une éducation bien dirigée; il devient cheval énergique et puissant ; son intelligence, son moral le soutiennent quand on lui demande un grand labeur, une grande
somme de travail. Comme les soldats de France, il meurt et ne se rend pas.
Mais il y a de vilains soldats et de mauvais chevaux; il y a surtout beaucoup de mauvais chevaux qu’on a ruinés avant le temps par ignorance ou par cupidité. Tels ne sonl pas, nous le supposerons, ceux qui ont pris part aux dernières luttes de Chantilly.
Ils étaient cinquante-six, qui ont couru comme vingtquatre : c’est le fait des abstentions. Cinq prix d’une valeur de 13,200 fr., dont 10,200 fr. donnés par l’Etat, étaient offerts à l’émulation de nos sportsmen ; le montant des entrées à ajouter au principal s’est élevé à 9,800 fr. ; en tout 23,000 fr.
Les noms des vainqueurs doivent être connus; nous aiderons à les faire passer à la postérité. C’est, d’abord, Trust, pour 2,750 fr., prix de l’Oise ; puis James, pour 2,550 fr., prix de Sèvres; Fire-lVork, pour 5,300 fr,, prix de la ville de Chantilly ; Hervine, pour 6,200 fr., prix des haras na


tionaux, et Echelle, pour 9,600 fr., pour L Omnium, londé par les haras nationaux.




Le roi de la journée a été M. Alex. Aumont, propriétaire d Hervine et Echelle.


La course des poulains de deux ans (prix de la ville de Chantilly) avait réuni neuf inscriptions ; huit chevaux ont paru au poteau.
En mars dernier, on faisait état de quatre-vingts chevaux en entraînement à Chantilly. La dépense journalière est évaluée à? fr. par têle : c’est plus de 200.000 fr. pour l’an
née. A New-Market, la dépense est de 8 fr. par jour, et la population chevaline de trois cents têtes au moins : c’est 900,000 fr. environ pour l’année.
Dans ces chiffres, il n’est question, — bien entendu, — que des dépenses d’entraînement. Qui pourrait dire ce que la tenue des courses même apporte et laisse d’argent dans le pays ?
Plus de vendanges!


PROVERBE.


J’ai trouvé dans un vieux recueil trois proverbes espagnols pour lesquels j’ai conçu une particulière affection.
Ils sont nés, on le devine, dans ces heureuses contrées du midi de l’Espagne qui produisent les vins les plus géné
reux, et tous trois formaient, sans nul doute, l’adage favori du vigneron andalou.
Pauvre vieux livre, où j’ai lu ces trois proverbes ! Triste et seul souvenir qui me soit resté de la bibliothèque de
notre aïeul, pourquoi laissas-tu secrète pour lui la sagesse qui découle de tes pages ? Pourquoi ces trois maximes
n’ont-elles pas été le conseil de ses vieux jours? inutiles paroles aujourd’hui, qui pouviez alors, en prévenant une triste fin, éloigner de nous la ruine et la douleur!
« Ayez, dit le premier proverbe, une maison et une vigne. » Telle est la première condition du bien-être. Pos
séder! De toutes les joies la plus complète! de toutes les jouissances la plus durable ! Bonheur de l enfance docile, récompense de la jeunesse laborieuse, fruit des labeurs de l’homme fait, payement de ses fatigues et de ses sueurs, de son intelligence et de ses veilles. Possession ! A l’en
fance un jouet, un livre à la jeunesse, à l’âge mûr les biens de ce monde, et, de tous ces biens le plus stable, une part du sol sur lequel nous vivons! Un peu de terre et quelques pierres amoncelées, un champ et un abri, une maison bâtie et une vigne plantée, comme dit le proverbe :
Casa labrada, vina plantada.
Puis, à côté de cette noble satisfaction que donne la possession du bien dignement acquis, une autre vanité, moins légitime sans doute, mais qui porte avec elle d’utiles en
seignements. Ce champ est le bien de ma famille, c’esl le survivant témoignage de son industrie, de son activité. Partout je retrouve un souvenir de son existence, une mar
que de son passage. Le coin de terre, c’est mon aïeul qui l’a acquis, qui l’a cultivé, qui y a planté les ceps produc
tifs ; la maison, c’est mon père qui l’a élevée. : « Maison du père, vigne de l’aïeul : »
Casa de padre, vina de abuelo.
La maison date de trente ans; elle est bien sèche, bien assise, modifiée selon l’exigence du bien-être, selon que l’expérience et l’usage font indiqué. C’est là que je suis né, que s’est passée mon enfance, que mes premières larmes ont coulé; ces murs ont entendu mes premiers rires; tous ces recoins me sont familiers; chaque incident m’y est connu, depuis cette longue cassure qui partage en deux la
pierre du foyer, jusqu’à cette marche de bois de l’escalier qui cède et gémit sous le pied. Maison qui est pour mon corps ce que mon corps est pour mon esprit, et dans la
quelle, si Dieu venait à m’ôter la vue, je ne saurais faire un pas mal assuré.
La vigne est issue de bonne souche ; le terrain, après de nombreuses tentatives, a été ameubli comme il convient pour une fructueuse récolte. Mes heures de récréation se sont passées à la suite du vigneron, au milieu de ces ave


nues de pampres. Quelles joyeuses vendanges j’y ai faites!


Que de fois, avec mon enfantine importance, j’ai aidé, à la saison nouvelle, à laplsntation de cette iorêt d’échalas! Oue de fois, après la récolte, j’ai donné le signal de leur en
lèvement et de leur entassement au milieu du clos ! Vieille vigne du grand-père, dont le vin est le meilleur à dix lieues à la ronde! Vin précieux de la famille, dont chaque cuvée, depuis cinquante ans, apporte à certain coin de la cave un échantillon respecté!;
Casa de padre, vina de abuelo.
Mais il est quelque chose de plus complet encore, dit le dernier proverbe, c’est la position de la maison, c’est l’ex
position de la vigne. A celle-ci il faut l’action durable de la chaleur ; un terrain incliné, dans un vallon fermé par deux coteaux qui reçoivent, l’un, le soleil levant, l’autre, le so
leil du midi. Dans ce site choisi, la bise du nord ne pénètre jamais; le vent de l’ouest n’apporte pas son humide influence; la chaleur rayonne à toutes les heures du jour.
La maison est à l’un des angles de la vigne, au bas du vallon ; le midi fait resplendir sa façade, que décorent des guirlandes de fleurs et de fruits. En avant est le chemin qui conduit du village à la ville, et derrière la maison s’élève, en serpentant sur les flancs du coteau, un sentier que par
courent chaque matin, avec leurs cris divers, les bestiaux qui vont au pâturage. C’est pour cela que le proverbe place la maison clans un carrefour, la vigne dans un angle : « Maison en coin, vigne en recoin, »
Casa en canton, vina en rincon.
Tel était le domaine de notre aïeul : maison bâtie, vigne plantée; bâtie par son père, en l’àge mûr, plantée par notre trisaïeul ; maison à la rencontre de deux chemins, vigne à l’angle de deux coteaux.
L’aïeul dirigeait avec passion la culture du clos bien aimé de ses pères. Petit-Jean, fils de Petit-Jean et petit-fils de Petit-Jean, tous deux successivement métayers de la fa
mille, était un homme expert dans les soins que la vigne “ réclame, mais rigidement fidèle aux principes qui, depuis longtemps, faisaient la renommée du domaine. Petit-Jean accusait son maître d’être novateur ; notre plan était à ses yeux le meilleur qui fût au monde, le sol était le mieux préparé de tout le pays; et il reprochait vivement à l’aïeul d’avoir introduit çà et là quelques ceps venus à grands frais des crus prétendus célèbres, et d’avoir travaillé le terrain selon les habitudes de ces crus.
Il est de fait que, soit antipathie de climat, soit mauvais , vouloir du métayer, ces essais n’avaient pas réussi; la ré
colte en avait souffert, et Petit-Jean avait pleuré le déshonneur du domaine.
Mais, hélas ! un mauvais succès a-t-il jamais arrêté les tentatives d’un inventeur? L’aïeul s’était contenté bien longtemps


Du rapport de ce clos dont il vivait sans soin (1);


mais il rêvait maintenant pour sa vigne un peu de renommée, en même temps qu’il en voulait tirer, même au prix
de tentatives imprudentes, un plus grand revenu. Déplorable pensée ! imprudent désir !


Si sa fortune était petite,




Elle était sûre tout au moins (2).


L’aïeul habitait pendant neuf mois de l’année la petite maison du clos; il ne venait à la ville qu’au moment de la saison extrême, il était resté veuf de bonne heure, avec deux enfants. L’un, un fils, avait embrassé une profession savante qu’il exerçait loin de son père; l autre, une fille, vivante image d’une compagne regrettée, restait seule au
près de lui, et donnait à son intérieur toutes les joies du cœur et toutes les douceurs du bien-être.
Cet intérieur était ouvert à de rares amis. De ce nombre,. le plus jeune et le plus assidu était un personnage qu au* jourd’hui nous appelons l’oncle Nicolas. Alors qu’il s appe
lait Nicolas tout court, c’était un brave garçon franc-coms fois, remplissant à la ville de modestes fonctions. Son
intelligence, son affection dévouée en avaient fait, malgré la différence d’âge, l’ami de notre aïeul. Ses bons soins, son dévouement que la mauvaise fortune ne sut pas altérer, lui valurent plus tard l’affection de la tante Elise, et !e titre que nous lui donnons maintenant.
Pendant la belle saison il venait fréquemment au domaine. L’aïeul en avait fait le confident de ses essais; il ai
mait l emmener dans le clos pour lui faire apprécier les qualités des plans qu’il avait importés ; il aimait à le rendre juge des modes de culture dont il trouvait l’enseignement dans ses livres. Nicolas était d’ailleurs un confident com
mode. Sans expérience des choses qui remplissaient la vie de l’aïeul, il approuvait toujours et ne pouvait blâmer. Sa
vait-il, hélas! quels devaient être les effets delà manie à laquelle il se prêtait?
Elle devint telle peu à peu que l’aïeul ne lisait autre chose que des traités de viticulture, et que sa bibliothèque ne se composa plus que des ouvrages qui flattaient sa mal
heureuse passion. Et encore, si le mal n’avait envahi que la bibliothèque!
Mais le produit du clos était nécessaire à l’existence de la famille, et ce produit diminua peu à peu par le fait de tant de malheureux essais. La gêne vint, mais l’avertisse
ment fut perdu pour l’aïeul ; et pour faire face aux besoins de la maison, il emprunta, il s’engagea, puis il donna hypothèque.
Le désordre succéda à l’aisance, l’inquiétude au bienêtre, mais rien n’arrêta les progrès d’une incorrigible monomanie.
L’ami Nicolâs fit, à la fin de l automne, un voyage en Franche-Comté, et son absence se prolongea plus de trois mois. A son retour il courut au domaine. Ce fut Petit-Jean qui lui ouvrit; mais non plus le Petit-Jean des bons jours, le Petit-Jean dont les joyeuses chansons remplissaient les


murs du logis. Nicolas fut frappé de la tristesse qui se peignait


sur les traits du métayer ; sans attendre ses questions, celui-ci le conduisit vers le clos.
Triste spectacle ! La vigne n’avait reçu aucune façon depuis la récolte; les échalas étaient enlevés; les ceps aban- ; donnés à eux-mêmes projetaient de longues pousses étio
lées. De distance en dislance s’élevaient des choses sans
nom qui devaient être un jour des arbres à fruit; tiges dégarnies, tronçons écourtés, coiffés d’un emplâtre de poix ;
(1) La Fontaine, fable le Berger et la Mer. (2) Même fable.