Pour notre part, nous verrons avec bonheur le chef du gouvernement écouter souvent cette conseillère si politique et si noble de tous les pouvoirs ; elle ne lui laissera pas oublier les Français qui, par suite de nos discordes civiles,


errent encore sur la terre étrangère, loin de leurs familles et de leurs plus chères affections ! »


Le second acte est publié dans le Moniteur du 19, et porte la date de ce même jour ; c’est le décret qui con
voque le sénat pour le h novembre prochain. Il est précédé de la déclaration suivante :
« La manifestation éclatante qui vient de se produire dans toute la France en faveur du rétablissement de l’Empire impose au Prince Président de la République le devoir de convoquer le sénat.


« Le sénat se réunira le h novembre prochain.


« S’il résulte de ses délibérations un changement dans la forme du gouvernement, le sénatus-consulte qu’il aura adopté sera soumis à la ratification du peuple français.
« Pour donner à ce grand acte toute l’autorité qu’il doit avoir, le corps législatif sera appelé à constater la régu
larité’des votes, à en faire le recensement et à en déclarer le résultat. »
Louis-Napoléon ,
Président de la République française,
Vu les art. 24 et 31 de la constitution ; Décrète :
Art. 1er. Le sénat est convoqué pour le 4 novembre procli cii n
Art. 2. Le ministre d’Etat est chargé de l’exécution du présent décret,
Fait au palais de Saint-Cloud, le 19 octobre 1852.
Louis-Napoléon. Par le Prince-Président :
Le ministre d Etat,
Achille Fould.
— Les nouvelles de l’étranger présentent, en résumé, les faits suivants :
Le cabinet formé par M. H. de Brouckère est dissous avant d’avoir fonctionné. Il paraît que le roi Léopold a fait appeler M. de Theux pour tenter une nouvelle combinaison formée des membres les plus modérés du parti catholique.
On lit dans le limes qu’après le conseil des ministres dans lequel a été décidée la convocation du parlement, la reine a invité les membres du cabinet à ne plus s’éloigner de la capitale avant qu’un vole du parlement ait prononcé sur l’existence du gouvernement actuel. Le discours de la couronne sera prononcé après la vérification des pouvoirs, c’est-à-dire huit à dix jours après la réunion de la chambre. L’élection du speaker sera le premier actede cette dernière. La session ne commencera en réalité que le 11 novembre.
Les démonstrations en faveur de la réunion des biens ecclésiastiques au domaine continuent en Sardaigne. Parmi les conseils municipaux qui se sont nouvellement pronon
cés dans le même sens, on cite ceux de Quassolo, Baio Ceva, Vernante, Saluzze, Vercelli.
Le gouvernement, qui s’était tenu jusqu’à ce jour dans la plus grande réserve au sujet des pétitions de plusieurs municipalités pour Yincaméiation des biens ecclésiasti
ques, vient de se prononcer dans une circulaire adressée par le ministre de l’intérieur aux intendants généraux. Le gouvernement est opposé au but de ces pétitions.
Le Moniteur toscan annonce que le portefeuille de ]Yi, Peschenada, ministre de la police à Naples, décédé, a été confié provisoirement à M. Ferdinand Troya, président du conseil des ministres.
La question douanière en est toujours au même point en Allemagne. Bade, qui n’avait pas signé la réponse arrêtée à Munich par les Etats coalisés, ce qu’on avait interprété dans le sens d’une adhésion à la Prusse, vient d’expliquer son abstention de manière à détruire cette interprétation, et s’est rapproché, par conséquent, des Etat coalisés.
En Prusse, on commence à se préoccuper des élections pour la seconde chambre, qui commenceront le 25 de ce mois. Les journaux ministériels et ceux de l’extrême droite accusent le parti libéral, les démocrates et le centre droit de se coaliser pour enlever les élections ; mais la vérité paraît être que les démocrates et même les libéraux persiste
ront dans la résolution arrêtée par eux de s’abstenir de prendre part à la lutte électorale.
La Gazette prussienne annonce que les conférences douanières des Etats coalisés à Darmstadt s’ouvriront à Vienne le 20 de ce mois.
Le roi Olhon de Grèce, encore malade, a dû quitter Munich le 16 pour retourner à Athènes , son médecin ayant déclaré qu’un plus long séjour en Allemagne pourrait empirer son état.
Les correspondances confirment, en y ajoutant des détails, une nouvelle importante, apportée par le dernier pa
quebot de Constantinople : celle de la chute du grand vizir Ali-Pacha et de son remplacement par Méhémet-Ali-Pacha, ministre de la marine.
Les versions diffèrent sur les causes de cette modification du cabinet ottoman. Suivant les uns, il faudrait l’attribuer à l’appui prêté par Ali-Pacha à l’emprunt conclu à Paris, et contre lequel le vieux parti turc aurait réveillé les répugnances du sultan. Suivant les autres, la question de l’em
prunt serait complètement étrangère à la chute du grand vizir, qu’il faudrait attribuer à des dissentiments sur la politique intérieure.
Toujours est-il que le fait est d’une extrême importance. On espère, néanmoins , que Méhémet-Ali-Pacha , le nou
veau grand vizir, ne désertera pas la cause des réformes auxquelles il s’est associé, du reste, depuis dix ans. il est
remplacé dans ses fondions de ministre de la marine par Mahmoud-Pacha.
La Turquie est entrée depuis quelques années dans une voie de civilisation où elle a marché à grands pas. Tous les Etats européens doivent suivre avec intérêt les diverses péripéties qui signalent cette marche de la société musulmane vers la civilisation de l’occident.
On a reçu à Liverpool les nouvelles des Etats-Unis du 17 octobre.
On écrit de Washington que M. Webster est sur le point de proposer à l’Angleterre une nouvelle convention commerciale, afin de favoriser les pêcheurs des Etats- Unis.
La traite des noirs se fait de nouveau ouvertement avec la Havane sous la proleclion du gouvernement. Une cargaison a été déposée à la Trinidad.
On écrit de Valparaiso, 2 septembre, que le congrès a résolu de défendre les îles Lobos contre toute agression du dehors, et que trois vapeurs de guerre sont placés sous le commandement du général Deuslus à cet effet.
Les vaisseaux de l’expédition de Florès ont été désarmés à Païta, et les principaux chefs, les généraux Wright et Guerra, ont reçu l’ordre de quitter le Pérou. Le général Florès est arrivé à Valparaiso, où il va résider.


Le Ie* octobre doit s’ouvrir le chemin de fer de Valparaiso à Santiago.


Le général Urbena a été élu président ad intérim de la république de l’Equateur.
Facciola, l’imprimeur de ta Uoix du Peuple, de Cuba, a subi, à la Havane, le supplice du garrot. On ne se con
tente plus, à la Havane, d’interdire l’entrée des journaux américains ; on va jusqu’à s’emparer indistinctement de toutes les lettres et correspondances particulières ou commerciales qui proviennent des Etats-Unis.
Le bateau à vapeur, le < repout-ci’y, des Etats-Unis, a reçu, des autorités espagnoles, la signification qu’à l’avenir 1 entrée de la rade de la Havane lui serait interdite jusqu’à nouvel ordre.
Les Etats-Unis ont voulu avoir, eux aussi, leur exposition des produits de toutes les nations. A New-York, on a déjà commencé les travaux de l’édifice qui devra les recevoir.
Paulin.
Homère, poëme de M. F. Ponsard.
Les succès et les revers de M. Ponsard, les débats qui recommencent à chacune de ses nouvelles publications, et qui jettent encore une grande incertitude sur sa valeur réelle, méritent dans l’histoire littéraire de notre temps une attention toute particulière. Il ne doit le retentissement qui accompagne ses œuvres dès leur apparition à aucune de ces manœuvres par lesquelles se sont tour à tour élevées,


puis écroulées bien des réputations contemporaines; si jadis l’enthousiasme de quelques amis excités par un zèle exces


sif lui dressa un piédestal beaucoup trop élevé et d’où il a quelque peine à descendre, le caractère de l’homme et le caractère de ses écrits attestent qu’il est étranger à cette apothéose prématurée. M. Ponsard apparaît, dans tou tes ses œuvres, comme un auteur consciencieux, épris d’un amour sincère pour le beau, et surtout pour le beau antique, mo
deste et connaissant la mesure de ses forces : ce sont là des qualités solides, mais moins brillantes que certains dé
fauts, auxquels un grand nombre d’écrivains ont dû leur popularité éphémère.
il est cependant incontestable que M. Ponsard a trouvé le secret d’attirer sur lui et sur ses œuvres l’attention du public, les éloges et les censures passionnées de la critique. On ne se contente pas de lui accorder les vulgaires bon
neurs du feuilleton : sa gloire arrive jusqu’aux colonnes supérieures, et occupe la plume d’aristarques p!vs haut, pla
cés que ceux qui signent les articles du lundi. Comment accorder ce bonheur avec la modestie de l’auteur? Il ne s’agit pas dans Homère d’une nouvelle école littéraire, puis
que l’auteur de Lucrèce a rêvé et poursuivi de tout temps un fantastique éclectisme, une fusion chimérique entre le camp de Racine et celui de Shakspeare. Cet accueil n’est pas non plus fait à un génie qui s’élance au delà des routes con
nues, et ne laisse de place qu’aux imprécations des rivaux qu’il éclipse et aux adulations des admirateurs qu’il en
traîne à sa suite. Rien, il me semble, ne devait faire naître un si grand contraste, un tel dissentiment, et M. Ponsard ne paraît avoir mérité


Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité.


M. Ponsard n’aspire qu’au glorieux repos du trône académique; le fauteuil désiré l’attend après une nouvelle victoire, et l’on peut le considérer comme l’héritier pré
somptif et le digne successeur de messieurs tel ou tel,
parmi les plus illustres entre les Quarante. Que signifie donc une pareille discorde, une guerre civile si achar
née entre les divers feuilletons et leurs antagonistes les revues littéraires, ou soi-disant telles? Lé plus grand mal qui soit résulté de cette fausse position faite à Fauteur de Lucrèce, c’est qu’il n’a pu encore se juger lui-même d’après l’infaillible thermomètre de l’opinion publique. Il a écouté avec, complaisance le bruit des combats à fer émoulu qui se livraient en son nom, et n’a pas entendu ce que di
sait le parterre, ce que disaient les lecteurs. Aussi a-t-il fait précéder son nouveau poème d’une sorte de manifeste, assez maladroitement déguisé en préface, et dans lequel on retrouve ce qu’il a dû penser après le triomphe de sa pre
mière tragédie. Vous croiriez lire ces vastes professions de foi qui jetèrent jadis l’alarme au camp des classiques, ces déve
loppements ex cathedra du nouvel art poétique de Cromw II, des Orientales et de Nntre-Uame de Paris. Seulement M. Ponsard se montre plus modeste, et c’est par insi
nuation, à la dérobée, qu’il fait entrevoir sa prétention à se poser en chef d’école. Le grand nom d’Homère lui sert à merveille ; Homère est si simple, si vrai : il ne cherche pas
l’effet ; il montre partout de l’ingénuité, de la naïveté. Imitons Homère; faisons un retour vers les Grecs réritables
des temps héroïques. D’après ce modèle, il faut peindre Ulysse, rusé comme un paysan de nos jours; Antinous, grossier ; Pénéloppe, douée d’une prudence un peu habile ; il faut composer un drame simple et nu, comme celui que j’ai découpé dans l’Odyssée (et ce n’est pas besogne facile, essayez plutôt). Telle est l’allure détournée du manifeste : avec plus de franchise, il prêcherait la restauration de l’é­ popée antique, et tracerait la voie à qui voudrait refaire Té
lémaque ou les premiers livres des Martyrs. Malheureuse
ment jusqu’ici M. Ponsard n’avait pas suivi son école : ses drames sont du Racine habilement enté sur le Shakspeare, et la tragédie d Ulysse, son premier pas dans la route nou
velle, n’a pas obtenu, malgré un mérite très-réel, le succès décisif ou la chute éclatante dont a besoin toute innovation.
Cette préface est donc disproportionnée à l’œuvre : elle révèle aussi une autre faiblesse de l’auteur. M. Ponsard a un talent austère, mûri par l’étude des modèles et complété par un travail ssidu qui le rend maître de la rime et du vers; il y joint le défaut de chercher la fine plaisanterie et la légèreté. En voici un exemple : ce sont ces deux pre
miers vers de Virgile, appliqués à un critique très-connu :
O Tityre, enseveli sous la couverture d une revue épaisse,


Tu écris des pages rustiques avec une plume de mince valeur.


Voilà une maladroite boutade. Vaut-elle bien mieux, en elle-même, que le vers de Sextus dans Lucrèce f
Jamais coup de bâton ne cassa tête d’âne,
ou que cet autre, qui se trouve non loin de la fin d7/o- rnère :
.... L’immortalité semble une triste fin,
Quand, pour y parvenir, il faut mourir de faim.
Si ce n’était pas trop irrévérencieux, je rappellerais à M. Ponsard un conseil cia bonhomme : « Ne forçons point notre talent, etc., » et je le prierais, puisque, dii-or., il va nous donner une comédie, d’imiter le Misant h ro Quelques mois maintenant de l’ouvrage, après cette longue digression sur la préface. Il se compose de deux parties, la traduction du sixième chant de l Odyssée et un poème légendaire sur l’immortel aveugle, servant de cadre a celte traduction. D’après des récits antiques, déjà répandus du temps de Thucydide, et consignés dans une nie d’Homère faussement attribuée à Hérodote, le prince des poètes aur lit vu le jour à Smyrne : sa mère, Crithéis, fille orpheline de Ménalippe, aurait été séduite et abandonnée par son tu
teur. Né sur les bords du torrent le Mêlés, et nommé de là Mélésigène, Homère fut d’abord successeur de Phénjius, qui tenait une école d éloquence et qui avait épousé Crithéis.
fl se livra ensuite à de nombreux voyages, y perdit la vue et sa fortune, et passa ses dernières années en rhapsode pèlerin, composant et chantant pour vivre Viliatu, l o­
dyssée, la lia racliomyiimachie, le Maryiiè-. les Cercope , les Hymnes et une foule d’autres poèmes. Il est inutile de faire ressortir ici le caractère fabuleux de cette biographie, qui attribue à un seul homme les productions de toute une littérature, le Hou m e ru, si l on peut ainsi dire, de toute une génération de rhapsodes. A titre de sim
ple légende, elle offre ample moisson de détails piquants ; l odyssée de ce chanteur, accueilli par des artisans et re
poussé par des matelots ou de riches trafîcants, payant en vers ses hôtes, et maudissant aussi en vers ceux qui lui re
fusent leur seuil, ces aventures, dont la date est si éloignée, ont déjà inspiré André Chénier d’une façon heureuse. M. Ponsard a choisi l’épisode des habitants de Cumes refusant l’hospitalité à l Homère Mélésigène ;
Ils donnaient ce surnom à l aveugle vieillard, Car Homère, chez eux, veut dire sans regard.
Son devancier avait préféré le peindre chez les pâtres de Sicos, qui le reçoivent avec enthousiasme. Comme ornement, M. Ponsard, au moyen d’un anachronisme local sans dou le vo
lontaire, a placé à Cumes l’armurier Tyehius, que la tradition nous donne pour l hôte et l’ami du poète. L Iliade lui attri
bue Hylé pour résidence. Tyehius, qui a vait dans Hy>é, avait fait le bouclier d’Ajax : je pense que cette Hylé était près de Salamine, patrie du héros, et l’on pourrait s’en as
surer dans le commentaire d’Euslathe. D’ailleurs la légende est assez fidèlement suivie. Homère s’adresse au conseil des vieillards cuméens pour obtenir un asile et des secours qu’il remboursera par ses chants : il récite, comme échantillon, l’épisode d Ulysse et de Nausicaa. Les juges sont d’a­
bord émus ; mais un riche marchand, Mastor, fils d’Aicine, par des arguments très-modernes, leur prouve que la poé
sie ne sert à rien, puisqu’elle n’enrichit pas les poètes. Son discours sèche l’enthousiasme (pourquoi gus éteint?), et
l’IJomère, repoussé, prononce sa malédiction contre la ville aux chantres amère. Tyehius, lui, sera immortel
Car Homère écrira son nom da s VIliade.
On reconnaîtra dans ce plan presque toute l’idylle d’André Chénier : l’imprécatio i contre Cumes, l’immortalité promise, les chiens qui menacent l’aveugle, l’accueil hos
pitalier fait par des liôles pauvres au poêle voyageur. Mais le sentiment n’est pas le même chez les deux imi
tateurs; ce n’est qu’en lisant, dans le texte, l Iliade et l Odyssée, qu’on peut acquérir une idée exacte de ce qu’il faut entendre par la simplicité homérique. M. Ponsard re
proche à son prédécesseur dans la carrière d’avoir allié à l’or pur du rhapsode grec des ornements et des idées prises aux époques postérieures, à Théocrile, à Virgile, à Ho
race : André Chénier pourrait lui reprocher de n’avoir offert aux lecteurs qu’une face, qu’un côté de ce grand génie , et d’en avoir transformé la simplicité en nudité.