flottants des banderoles, des groupes d’adorables femmes, étincelantes de pierreries se pressent et promènent sur la loule des regards plus brillants que leurs diamants mêmes.
Un coup de canon répercuté par tous les échos du rivage retentit tout à coup. Les vigies viennent de signaler CEt“i e de Franc ; la voilà s’avançant sur le front d’une triple rangée de navires embossés devant la ville, toutes voiles déployées, etpavoisés jusqu’aux barres. Le Prince débarque ; les autorités le complimentent; un vélum élé
gant s’élève au-dessus du débarcadère; les troupes saluent le Président des cris de : ne F Empereur! les députations communales défilent, précédées de drapeaux et entremêlées de quelques vieux débris de l’Empire, portant ces uniformes « usés par la victoire, » mais bien plus encore par trentesept ans de paix forcée, vénérables guerriers dont la plu
part paraissent à peine pouvoir se soutenir. Ce défilé dure près d’une heure. Puis le Prince, suivi d’un nombreux et brillant état-major, s’avance sur un magnifique cheval alezan foncé, qui paraît fier de porter un futur empereur. C’est ce que j’admire le plus (c’est notre correspondant qui parle),moi, personnage obscur, qui m’occupe moins de politique que d’équitation. Le Prince se rend d’abord à la cathédrale, et de là au palais municipal, splendide construc
tion du dernier siècle, qui fut autrefois l’archevêché. La journée se termine par un banquet de quatre-vingts cou
verts, dont je ne puis parler, n’y ayant point assisté, et dont les irritants parfums ne sont même point venus à moi.


Deux eme journée.—Toutes les troupes étaient formées en bataille pour la revue sous les belles allées des Quin


conces. Une estrade s’élevait, chargée de femmes charmantes.
Quel tableau gracieux et plein de contrastes ! Ici les obusiers, les baïonnettes, les sabres; là, pour toute arme, l’é­ ventail. Le Prince, au très-petit galop, a passé devant l’es
trade, saluant les belles spectatrices. Le défilé a suivi aux acclamations habituelles.
J’arrive à la portion la plus brillante du programme : le bal. Je n’entreprendrai pas d’en faire le tableau. La vaste salle du Grand-Théâtre (plus grande que l’Opéra de Paris) était, du plafond au parquet, étincelante de dorures. Un peu plus que pleine, elle pouvait contenir de sept à huit mille personnes. La loge était recouverte du manteau impé


rial semé d’abeilles d’or et soutenu par les serres d’un


grand aigle de même métal. Aux vivat qui ont signalé l’entrée de Louis-Napoléon a succédé soudain un silence solennel : une voix mélodieuse monte jusqu’à la voûte de ce temple des arts ; soutenue par un chœur puissant, elle entonne la cantate composée en l’honneur du Prince. Je
n’en ai pu saisir que le refrain : H umeur et gloire à soit sauveur ! Louis-Napoléon a ensuite ouvert le bal avec Mme Haussmann, femme du préfet ; puis il s’est mêlé à la foule. C’est pendant ce temps que la pluie a commencé, pour ne plus guère discontinuer jusqu’au départ. Il en est résulté que, le lendemain, n’a pu avoir lieu ce beau car
rousel pour la décoration duquel la ville avait dépensé plus de 15,000 francs, et dont se promette ent tant de joie, et les officiers et sous-officiers du régiment de chasseurs qui
devaient y participer, et les nombreux étrangers amenés à Bordeaux par le passage du Prince.
Nous compléterons ces détails par la mention succincte des incidents les plus dignes de remarque qui ont signalé ce passage.
Les réceptions officielles ont eu lieu le 8, au matin, dans le palais municipal. Après la revue, le Prince a visité la manufacture de porcelaines de MM. Vieillard et Johnston, la filature de M. Joubert et les chais magnifiques de MM. Crouza et Uirefeld. Le soir, ou pour mieux dire, tous les soirs, la ville est éclairée n g o no.
Le 10, le Prince a visité l’hôpital, et, malgré la pluie, a assisté, sur le quai de la Paludate, au lancement du < ouis- Nup i/éoii, construit dans les chantiers-de M. Montané, dé
puté au corps législatif. Ce bâtiment, première application d’un nouveau système de bois et de fer, est le plus fort navire de commerce qui ait encore été construit en France, et jauge deux mille cent soixante-dix tonneaux. Il est dé
coré a l’avant d’un buste colossal du Prince. L’opération a parfaitement réussi, et Louis-Napoléon a remis la croix de la Légion d’honneur à M. Annan, ingénieur constructeur.
Le soir, il s’est rendu à la Bourse, où a eu lieu le banquet offert par la chambre de commerce. C’est là qu’a été pro
noncé le discours-manifeste dont l’impression dure encore. Après avoir assisté, des salons de la Bourse, à un feu d’artifice très-magnifique, le Prince s’est rendu à un bal popu
laire, offert aux ouvriers par la ville, dans la salle du Grand-Théâtre, disposée exactement comme la veille. Là, le Prince a reçu des fleurs et un compliment de M118 Kuspino, fil e d’un pompier de la ville, parlant au nom de ses compagnes, et il lui a offert la main pour ouvrir le bal, où figuraient plusieurs ministres.
Le 10, le Prince, a pris congé des autorités en disant : « Messieurs, vous m’avez reçu comme un souverain ; veuil
lez vous souvenir de moi comme d un ami. « Il a entendu une messe basse à l’église de Saint-André, et s’est mis en route pour Angoulême, salué de vivat, et accompagné d’une foule nombreuse, malgré une pluie continue.
La Charente s’étant elle-même intitulée, depuis 1848, la Vendée napoléonienne, on peut juger si l’accueil qui attendait, dans ce département, le Prince, a été chaud et em
pressé. 11 y a eu trois stations, toutes triomphales, àLibourne, à Chalais et à Montrond. A Angoulême, l’arc de triomphe élevé dans la gare portait : Au sauveur de la Franc-, sa fidèle Charente. » Le Prince, en arrivant, paraissait fatigué,
dit le Char en tais, et ses traits portaient l’empreinte de la souffrance. Il a été harangué par Mgr l’évêque d’Angoulême.
Le programme de la journée a été celui de toutes les villes précédemment traversées : revue, banquet, où a figuré, entre autres personnes distinguées, M. Alfred de Vigny,
membre de l’Académie française; bal le soir, illuminations, et de plus un enthousiasme colossal.
Le lendemain, 11, les communes intermédiaires du parcours d’Angoulême à Rochefort étaient envahies par les po
pulations villageoises. A Niersac, à Jarnac, à Cognac, à Lepontreaux, à Saintes, à Saint-Pourçain et à Charente, ce n’étaient partout qu’arcs de triomphe et guirlandes. La ville de Cognac avait fait de grands préparatifs, qui se sont trou
vés inutiles. A Saintes, le Prince a passé sous l’arc de triomphe antique érigé à Germanicus, dont la frise portait l’inscription suivante : Santon s imitera forent le sainlaui. A Rochefort, la dernière ville que quitta l’Empereur en 1815, les sentiments napoléoniens étaient surtout portés au comble. C’est cette même ville qui, la première aussi, a nommé Louis-Napoléon à l’Assemblée constituante. Sur la place de l’Obélisque s’élevaient quatre statues, celles de Begon, de Laurens, de Lalouche-Tréville et de Duvivier. En
haranguant le Prince, le maire lui a dit: « Cette ville est bien à vous, Monseigneur! » A la préfecture maritime, M. de Coêtlogon fils et M118 Montagniès de la Roque lui ont présenté un étendard brodé par les clames de la ville et des couronnes de fleurs. Le soir, banquet et bal comme toujours. La salle à manger, entièrement décorée avec les ar
mes de l’arsenal, présentait un coup d’œil imposant, mais peu pacifique : aigles, croix d’honneur, médailles militaires, étaient figurées par des sabres, des pistolets et des fusils. De cette panoplie se détachaient le buste de l’Empereur et celui du Prince. Le maire de Marennes avait eu l’i­
dée originale d’offrir au Prince un millier des pins belles huîtres du cru, qui lui ont été présentées, rangées en pyra


mides, sur un brancard que portaient douze vieux marins,


escortés de douze éeaillères en grande coiffe, portant à la ceinture les couleurs du Prince, et qui, après lui avoir remis un bouquet, ont été admises à circuler autour des tables.
Nous ne devons point omettre, dans la relation du séjour de Rochefort, un incident qui semblerait démentir les rumeurs sinistres accréditées depuis quelque temps, à Paris, sur les intentions qu’aurait le pouvoir relativement aux journaux. Un journaliste de la ville, M. Vallein, a été présenté par le préfet au Prince comme l’un des écrivains qui se sont montrés le plus dévoués à l’ordre au milieu des orages de 1848. Louis - Napoléon a très - bien accueilli M. Vallein, et lui a dit : « Je suis toujours heureux quand je vois de près mes amis. » A quoi M. Vallein a répondu : « Monseigneur, je crois que, grâce à votre fermeté, la mis
sion de la presse est à peu près terminée. — Non. pas, non pas, a répliqué le Prince : continuez à marcher dans la voie que vous avez suivie. »
Louis-Napoléon a couché dans la chambre où son oncle avait passé sa dernière nuit sur le territoire français. Le lendemain, 12, il a passé en revue tes troupes et les délé
gations communales ; puis il a visité le port et l’arsenal, les bâtiments en rade ou en construction dans un canot que l’Empereur avait monté en 1808. Il a examiné les ateliers de modèles et de métaux, la fonderie, et jeté un coup d’œil sur les bâtiments du bagne aujourd’hui désert, et dont la suppression est certainement Tune des Causes particulières de la chaleur de sentiments que lui a témoignée la ville de Rochefort.
A la Rochelle, où le Prince était rendu à trois heures, l’effusion n’a pas été moindre, sur la porte Saint-Nicolas, on lisait toutes les éphémérides impériales, entre autres, celles-ci : 2 décembre 1802, Dieu donne Napoléon a la France; 10 décembre 1848, Napoléon nous est rendu. On y lisait aussi : Prince, songez toujours aux campa
gnes; la est la force... Le maire de la Rochelle a eu le bon goût d’être très-bref dans son discours. Mgr l’évêque en a prononcé un également. La revue des députations a été fort longue : tout l’Aunis et toutes les îles de Ré et d’Oiéron s’y étaient donné rendez-vous. La salle du bal, le soir, était décorée comme la salle à manger de Rochefort : canons, pistolets, baïonnettes y brillaient aux clartés des lustres. Mais l’ensemble, disposé avec un goût et une élégance ra
res, par les soins de M. Thiolet, du Musée d’artillerie de Paris, doit compter parmi tes plus brillants trophées de cette longue fêle. Le Prince, dit-on, en a exprimé son sen
timent de la manière la plus flatteuse pour la ville et pour ses ordonnateurs. Quatre statues en décoraient le fond : celles de Guiton, magistrat de la ville au temps de Riche
lieu; d’Auffredy, le fondateur de l’hospice ; du légat Valin et du physicien Réaumur On y lisait, sur les panoplies, entre autres inscriptions : Marcelius, imperator eris. On
y voyait aussi les bustes du président Dupaty, de l’acteur Larive, de Fleurian de Bellevue et de Bonplan. Le soir, grande illumination, foule compacte et acclamations formidables.
13 octobre. On a trouvé sur la route de Niort des arcs de triomphe à Grolaml, à Ferrière, à Mauzé et à Fontenay.
Le Prince a déjeuné en route, à Beauregnrd, chez M. de Chassiron. A Niort, un arc de triomphe rappelait celui de la Porte-Saint-Martin. Le maire, dans son discours, a de
mandé l’exécution du décret impérial de 1808, qui prescrit
la canalisation de la Sèvre. Mgr de Poitiers a reçu le Prince à l’église de Notre-Dame. U y avait beaucoup de Vendéens à Niort, et ils n’étaient pas les moins chauds à crier : r ire CEmpereur! M118 Clémence Besançon, fille du général de ce nom, a prononcé un discours en remettant des fleurs. M. Leroux a demandé, au nom du conseil général, le réta
blissement de l’empire M. Bouillée, maire de Napoléon- Vendée, a présenté des pétitions dans le même sens. Le soir, au bal, on lisait cette inscription :
Gloire aux deux Empereurs !


Souvenir pour Fonde, reconnaissance pour le neveu.


Le Prince, en quittant Niort, a passé sous un arc qui portait ces inscriptions :
/ ous partez, Président, revenez Empereur.
Votre destin vous conduit où uns vœux vous précèdent.
A Saint-Maixent, l’un des trois arcs de triomphe érigés portait pour dédicace : Au régénérateur de la France.


A Poitiers on lisait celle-ci : Ainsi qu Auguste, tu succè


des à César. Le programme de la journée, dans cette dernière ville, a élé identiquement le même que clans les pré
cédentes : revue, banquet, bal le soir, illuminations et grand feu d’artifice tiré sur la belle place de Blossac. Nul incident digne de remarque.
Dans la route de Poitiers à Tours, le Prince ne s’est arrêté qu’une seule fois à Châtellerault, qui s’était mis en grands frais, et où s’élevait un très-grand arc de triomphe.
A Tours, la réception n’a pas été moins bonne. On lisait sur les bannières des communes rurales : Après Dieu, tout a toi! — Au sauveur, au seul espoir de la France! —
Charles Marti. Jeanne d Arc, Louis-Napoléon! — Sur la bannière d’Amboise : JquVa (sic) in turribus insidere jurai, et sur celle de Clienonceaux : Foi proml e et gar
dée ; à UmiH-Napoté n, Empereur ! Les états-majors des écoles de Saumur et de la Flèche ont reçu le Prince à la gare, conjointement avec les autorités. En réponse au dis
cours du maire, Louis-Napoléon a dit : « Si la ville de Tours se trouve la dernière sur mon passage, elle n’est pas la der
nière dans mes affections. » Les préparatifs de la fête étaient fort beaux, mais sans grande nouveauté : c’étaient, comme partout, arcs de triomphe, mâts pavoises, inscriptions, légendes, vœux impérialistes. Le vrai beau ciel de la Tou
raine luisait sur cette journée. M. César Bacot a prononcé un discours au nom du conseil général, et il a expliqué que les populations avaient accueilli avec joie te discours de Bordeaux, parce qu’elles « y ont vu la fin du régime bâtard que les révolutions nous avaient imposé. »
A Tours, le Prince a dit, en réponse aux félicitations de Mgr Morlot, archevêque, qu’il aimait à saluer en lui un futur cardinal. On annonce en effet comme prochaine cette nomination, qui portera à six le nombre actuel des cardinaux français.
A Amboise s’esi produit, dans le court passage du Prince, l’épisode très-considérable de la délivrance d’Abd-el-Kader, pour les détails duquel nous renvoyons le lecteur à l’histoire de la semaine.
Le lendemain, à Blois, dans un irès-long discours, M.Crosnier, membre du corps législatif et président du conseil général de Loir-et-Cher, a rappelé qu’en 1850, ce conseil avait été le premier à demander la révision de la cons
titution et la réégibilité du Prince. Inutile d’ajouter que la ville de Blois a fêté magnifiquement le peu d’instants que le Prince, attendu à Paris, a pu lui donner au passage.
A Orléans, il n’y a eu qu’une réception des autorités dans la gare. Le prince a annoncé à l’évêque qu’il comptait bientôt visiter cette ville.
L’arrivée de M. le Président à Paris a été avancée d’une heure, et à deux heures le train qui le portait entrait dans; la gare du chemin de fer d’Orléans. La salle qui devait re
cevoir le Prince à l’embarcadère avait été décorée avec une grande magnificence ; elle était entièrement tendue de velours rouge, et, sur une estrade, s’élevait un fauteuil de même étoffe, semé d’abeilles d’or et surmonté d’un riais, pareillement en velours. Le Prince n’y a point pris placé. Etaient réunis dans cette salle les ministres, des députa
tions nombreuses du sénat, du corps législatif, du conseil d’Etat, de la cour de cassation, de la cour des comptes, de
1 Institut, les grands officiers de la Légion d’honneur , le grand chancelier en tête , les états-majors de l’armée, de la marine et de la garde nationale, la cour d’appel, les tri
bunaux civil et de commerce, le préfet de police, etc., etc. — Le prince Jérôme occupait la droite de l’estrade à la tête du sénat; en avant du fauteuil se tenaient les ministres;
derrière, la maison civile et militaire du Prince. M. Feuillet de Conciles, faisant les fonctions de maître des cérémonies, avait distribué les places. Un très-grand nombre de pré
fets figuraient aussi à la gare. M. Billault était en tête de la députation du corps législatif.
Ann peu plus de deux heures, au bruit du canon, le Prince est entré dans la salle; il a embrassé son oncle et serré la main aux personnages considérables qui se pres
saient sur son passage. I! s’est entretenu plusieurs minutes avec M. l’archevêque de Paris. Apercevant dans les rangs du corps législatif M. de Morny, il Ta embrassé affectueusement.
Pendant ce temps, deux cantates ont été exécutées : l’une de M. Dufrêne, le célèbre piston, paroles de M. Oranger, à deux couplets, qui avaient le refrain suivant :
Jour d allégresse, jour de gloire! Parmi nous il est de retour.
Paris à ses beaux jours de gloire Vient d ajouter un nouveau jour.
La seconde, dont nous ignorons les auteurs, a été exécutée sous la direction de M. Mcou, chef de musique de 198; le refrain en est ainsi conçu :
Seigneur, arbitre des destins, Voulant révéler ta puissance,
Tu l’as choisi dans tes desseins Pour délivrer la France.
Au bout de vingt minutes , le Prince, montant à cheval, s’est mis en marche avec tout son cortège composé des mi


nistres et d’un grand nombre d’officiers généraux et supé


rieurs. Au sortir de l’embarcadère, il a été entouré des députations et de cent jeunes filles du 12me arrondissement qui lui ort prodigué les fleurs.
Arrivé sur la place Walliubert, le Prince s’est dirigé vers le pavillon occupé par le préfet de la Seine et le conseil municipal. Là, M. Berger lui a adressé le discours suivant :
Monseigneur,
« La ville de Paris, votre fidèle capitale, est heureuse de vous voir aujourd’hui rentrer dans ses murs.
« Depuis un mois, elle vous suivait du cœur et de la pensée dans votre marche triomphale, et attendait avec impa


tience le jour où, elle aussi, pourrait saluer votre retour de ses acclamations.




« Ces triomphes pacifiques valent bien des victoires, et