nin, voilà ce que c’esl que la salle Chantereine en ce, moment, et puisqu’aussi bien le maître a pris la parole, il faut la lui laisser. «Voyez le miracle, a-t-il dit, cette salle était fermée, et elle est ouverte ; elle était vide, et elle se remplit d’une foule attentive. Un iiomme s’est rencontré, plein de fantaisie et de science, hardi et convaincu autant qu’on peut l’être,
habile, ingénieux, savant, d’une bonté à toute épreuve, un cœur, un esprit, une volonté nonchalante, mais enfin une volonté, d’une main forte il a frappé à cette porte rouillée, et la porte s’est ouverte.
Vous savez, nous savons tous que cet homme est l’ami de quiconque aujourd’hui tient une plume, un crayon, un ébauchoir ; il a vu par
tir tout ce qui marche en ce moment, il a vu mourir tout ce qui est mort, il a deviné chacune des promesses de l’avenir, il a prédit tou
tes les renommées; le premier il a salué toutes les gloires, grandes ou petites, avec ce transport enthousiaste et permanent qui n’appar
tient qu’aux natures les plus généreuses et les plus bienveillantes. Ah ! cher ami de notre jeunesse passagère, en ce moment le voilà semblable à quelque philosophe du Portique, appelant à lui ses jeunes disciples et les condui
sant à travers tant d’obstacles à ce but lointain
d’un art sérieux, difficile, et reculant toujours à mesure que l’artiste avance en la voie qui lui est tracée. Il s’appelle donc Achille Ricourt, ce dernier gardien et conservateur de l’art dra
matique aux abois! et voici maintenant son dernier asile, la salle Chantereine. Oui, tant de soins, tant de peine et tant de zèle obstiné, et a quoi cela peut-il servir? Zénon l’a dit : «Si tu es philosophe, attends-toi à être mal compris; » et puis, comptez-vous pour rien l’opposition des barbares? car, nous autres, nous appelons les barbares une abominable disposition qui tient les hommes insensibles aux char
mes de l’art, et qui les rend indifférents à tous les efforts que l’on peut tenter en leur faveur. »
Ceci est pour vous dire qu’une fois la semaine, et plutôt deux fois qu’une, la salle Chan
tereine est un théâtre en même temps qu’elle est une école. Même au Conservatoire, vous ne trouveriez pas de maître plus habile ni de disciples plus fervents. Le ciel de cet Olympe dra
matique n’est pas encore très-peuplé, et les dieux y sont rares, mais on y a déjà salué l’ap
parition de deux étoiles : Mllc Verviers, M.Ue Deiille. L’une, c’estla tragédienne, a vingt ans tout au plus, et elle joue la Phèdre de Racine, un tour de force incroyable. L’autre, enfant de
seize ans, est à la fois l’Agnès, la Célimène et ΓAride de céans, et on l’applaudit comme la


La Résignation, statue, par M. Humann.


plus charmante espérance de talent qui se puisse voir. Ah! si cette humble salle Chantereine pouvait se procurer un lustre, des musi
ciens, un costumier et le reste, comme elle deviendrait aisément à la mode !
Un homme qui fut cher à plusieurs générations vient de mourir. C’était peut-être le personnage le plus en évidence à Paris, et per
sonne n’a jamais su son nom. Les petits, et même beaucoup de grands enfants, ne l’appro
chaient guère sans un battement de cœur ; on l’écoutait avec plaisir, malgré sa voix rauque, en dépit de son discours, qui était toujours le même discours, ou plutôt la même phrase : quatre ou cinq mots de l’effet le plus magique : Les Feux pyrrhiques, le Pont cassé, les deux Tire-lire. Ce fut là pendant cinquante ans toule sa dépense oratoire. Moniteur universel de l’empire de Séraphin, il était né avec les om
bres chinoises qu’il ne devait plus quitter. Les révolutions n’eurent aucune prise sur lui ; il laissait passer la bourrasque, et, l’ordre rétabli, il se retrouvait à son poste ; aussi peu ambi
tieux que la veille, il recommençait bientôt sa promenade de quatre pas, en criant son pro
gramme immuable à la face du gouvernement établi : Ombres chinoises, les Feux pyrrhi
ques, le Pont cassé! Qui est-ce qui aurait pu découvrir un prophète quelconque dans cet homme qui répétait toujours la même chose ? Jusqu’au dernier moment il n a pas plus chan
gé d’opinion que d’habit. En toute saison on ne lui vit jamais que sa houppelande, si bien que les badauds prétendaient qu’il était né en
carrick. Une seule fois il eut maille à partir avec la justice, ou plutôt avec un voisin qui,
ne comprenant pas le sens profond de cette éternelle psalmodie, avait traîné sans pitié l’a­
vertisseur de Séraphin devant les tribunaux. Mais l’accusateur en fut pour ses frais, et Séraphin put continuer sa promenade et sa harangue. Ah ! pauvre ombre errante, fidèle serviteur des ombres chinoises pendant si longtemps, que n’as-tu écrit tes mémoires !
Un dernier renseignement au sujet de la statue dont cette page est le piédestal. C est l’œu
vre d’une célébrité, M. Humann, celui-là même qui n’a pas son pareil dans le monde pour la coupe d’un pantalon ou la belle façon d un gilet. Cette production du talent de M. Humann sera appréciée des artistes et des ama
teurs ; l’attitude est touchante, les lignes sont pures, l’auteur a surtout réussi dans la drape


rie. Il en résulte que M. Humann taille pres


que aussi bien le marbre que les habits, et qu’il manie avec la même grâce tous les ciseaux.
Philippe Busoni.


Brousse.


Nous avons pensé que le public français, qui a toujours
montré un si vif intérêt pour l’émir prisonnier, serait bien aise d’avoir une exacte description de cette belle ville de Brousse, qui bientôt va devenir sa demeure. Nous y avons
fait un assez long séjour pour en parler sciemment ; trop court encore cependant à notre avis d’artiste, car dans ce paradize (Paradis vient du mot persan qui signifie jardin, ver


Vue générale de la ville de Brousse. — D’après M. Adalbert de Beaumont.