ger par excellence), comme l’avaient surnommé les Arabes chassés d’Ibérie, il faudrait vivre toujours pour y rester assez.
De Constan tinople part chaque jour, au lever du soleil, un bateau à vapeur, qui, traversant la mer de Marmara, vous mè
ne, en sept ou huit heures, à Ghemlik, petite ville située au fond du golfe Cyanique, sur la côte d’Asie. On ne s’arrête en ce lieu, de très-peu d’importance, que pour y prendre des chevaux et des guides.
En quittant Ghemlik, on suit un instant la plage, puis on passe à gué un torrent célèbre dans la poésie antique. C’est là qu’il y las, l’ami si cher d’IIercule, fut enlevé par les nymphes éprises de sa beau
té, au moment où il allait puiser de l’eau dans cette source. Hercule, désolé, quitta
les Argonautes, visitant toute la Mysie pour le chercher. Chaque année, en souvenir de cette douleur, les habitants parcouraient les forêts de Polyndromios, ap
pelant en chœur et le thyrse à la main le bel Ilylas à jamais perdu.
A partir du petit village d’Engurdschik, où se revoit encore le golfe de Moudania, comme un lac enveloppé de verdure, la route tantôt s’élève, tantôt s’abaisse au milieu de gracieux vallons qu’enferment les deux chaînes des monts Kalirli ou Argonthonios. Les chèvrefeuilles, les lau
riers-roses, les jasmins, les clématites, et mille fleurs parfumées, croissent en abondance sur les marges du chemin.
Après quatre heures de marche, on arrive au village de Démirtech, renommé par son vin, et c’est de là qu’au fond d’une vaste plaine, vers l’occident, on aperçoit la ville de Brousse, placée en
amphithéâtre sur les derniers plans de l’Olympe, dont les hautes cimes sont cou
vertes de neiges étincelantes. Du milieu de cet amas de constructions noyées dans les brumes du matin, qu’on prendrait de loin pour la surface argentée d’un lac, s’élancent comme de blanches naïades, les minarets, les dômes, les mosquées et les bains splendides de la ville. Quel pay
sage ! et là, sous l’ombre épaisse de ce térébinthe où j’arrête mon cheval, qu’on est bien pour le voir et pour le dessiner (1) !
L’impression de grandeur et de beauté
qu’on éprouve, s’augmente encore de l’émolion des souvenirs. Voilà donc cet Olympe, l’Olympe de Mysie, moins cé
lèbre sans doute que la chaîne du Dinde, mais d’une coupe bien autrement large et de plus fière structure. J S’il ne fut pas aussi sou
vent hanté par les dieux, les poètes l’ont chanté, et l’histoire répète son
nom dans tous ses grands récits.
La position de Brousse est digne du berceau de la monarchie ottomane ; et au
jourd’hui elle en est plus que jamais le sym
bole. — Endor
mie comme elle dans son luxe et sa vie heu
reuse, ellesemble oublier ses droits de capi
tale, et préférer son repos à son ancienne gloire. . ·-
La vaste plaine qui s’étend à ses pieds, ar
rosée par le niloufar, est bien autrement ri
che et pittoresque que la plai
ne uinforme de Larisse. Ce torrent qui la vivifie coule limpi
de en plusieurs canaux dont les délicieux méan
pantes et de roseaux gigantesques d’un aspect arcadien.
Brousse fut fondée, d’après Pline, par Annibal, lors de son séjour auprès de Prusias , roi de Bithynie. L’illustre Carthaginois, en reconnaissance de l’hospi
talité qu’il avait reçue, voulut donner à son œuvre le nom de son hôte auguste. Prune est devenue Bursa, ou Broussa pour les Turcs.
Au temps de Mithridate, Broussa était déjà fortifiée; beaucoup moins impor
tante cependant que Nicée et Nicomédie, elle se trouvait soumise à leur juridic
tion. Après la défaite de ce prince par Lucullus, à Cyzique, Triarus assiégea Pruse et s’en empara. Depuis lors, elle resta sous la domination romaine, ainsi que le constatent les monnaies qu’on y trouve encore, et qui portent le buste des
empereurs romains, avec la légende Βιθυνίας. Sous les princes grecs, étant devenue la station commerciale entre Byzance et l’intérieur de l’Asie, elle s’a­
grandit considérablement. Les patriciens de la capitale la visitaient souvent à cause de ses bains célèbres, de ses sources thermales, aussi puissantes par leur cha
leur que par l’abondance de soufre et de sels qu’elles tiennent en dissolution. Constantin V, et Théodote, sa seconde femme, qui s’y rendirent pendant l’été de 797, y furent guéris de souffrances que les médecins grecs avaient essayé vainement de combattre.
Vers la fin du neuvième siècle, les peuples nomades de l’intérieur commencè
rent à inquiéter l’empire grec; et, vers 940, un prince de la famille Ilamadan Seït-el-Daouled s’empara de Brousse après une année de siège, puis en fit dé
manteler les murailles. Les Grecs, l’ayant reprise peu de temps après, en relevèrent les fortifications, et les rendirent plus solides qu’auparavant.
Malgré bien des luttes, qu’il serait trop long de raconter, les Grecs en restèrent maîtres jusqu’à l’époque où parut Osman. Ce fondateur de la monarchie ottomane l’assiégea trois fois sans pouvoir s’en em
parer. Déjà vieux et malade, il remit le pouvoir à son fils Orkan, qui chargea Ak
Timour et Balaban, les généraux les plus habiles de son armée, d’élever deux forts dans la plaine, pour intercepter les communications de la ville avec la mer.
Après sept mois de luttes incessantes, Osman pénétra dans les faubourgs et les saccagea. Alors l’empereur An
dronic ordonna de capituler ,
— moyennant trente mille piè
ces d’or. Ceci se passait en 1325, l’an 726 de l’hégyre. Os
man reçut à son lit de mort l’annonce de cet
te victoire, et


recommanda


qu’on fît élever son tombeau dans la nouvel
le capitale des empereurs ottomans.
§J Six sultans é- tablirent dans cette ville char
mante le siège de leur empire, jusqu’à l’époque où Mahomet If, vain
queur de Byzance, fit désor
mais de cette cité, la capitale du royaume.— Les murailles, dont on voit encore ici les restes , furent élevées par Mo
hammed III , dans le but d’ar
rêter les hordes insurgées qui désolaient l’A­ sie Mineure.
Les incendies, et entre autres celui de 1490, qui rava
gea les vingtcinq régions de la ville, puis les
Porte principale de la mosquée Verte de Mohammed Ier, à Brousse.
dres sont couverts de cigognes, de flamants et d’oiseaux d’espèces diverses. Les mûriers, les vignes, les figuiers, les lauriers-roses et les niyrlh.es, forment des plantations régulières ou des bosquets sauvages entrelacés de plantes grim
Chadirvan-li-bazar à Brousse. — D’après M. Adalbert de Beaumont.
(1) Le croquis que nous en donnons a été pris à côté des bains, de la route même de Tchékirghi, par laquelle on arrive à Brousse.