jorité dans les deux chambres et la pression des partis lui permettront d’agir et de gouverner. Voici la composition du nouveau ministère :
4ffaire·* étrangères, M. 11. de Brouckere; Intérieur, jyj. Piei cot ; Justice, M. Ch. t aider; Finances, M. Ch. Liedls (à titre temporaire); Travaux pub ics, M. Van Itoorebeke ; Guerre, M. le général Arnold.
En Piémont, la même difficulté de mettre fin à la crise ministérielle amenée par la retraite de M. cl Azéglio est en
tretenue par la lutte des partis. Pour le moment, le comte ttevel , chef de la droite constitutionnelle, est, à ce qu’il paraît’ à l’œuvre pour chercher une solution.
Tandis que le sénat s’assemble à Paris, à la même heure, le parlement d’Angleterre se réunit, etune circulaire minis


térielle a invité les membres à être exacts à l’ouverture de la session.


On dit que, l’une des premières questions soumises au parlement sera la demande de 10,000 livres sterling poulies frais des funérailles du duc de Wellington.
Le gouvernement se met en devoir de pourvoir a la sûreté de Liverpool.
Les journaux anglais sont remplis de détails déplorables sur des sinistres arrivés récemment en mer, à Shields, Sunderland, IlartlepoU, Douvres, Margate, VVhitby, Sainte- Agnès, Cornouailles.
La feuille hebdomadaire prussienne du 30 octobre annonce que les négociations entamées avec les Etats de la Thuringe dans l affaire douanière sont terminées. Ces Etats ont renouvelé leur union avec la Prusse. Ils ont donné leur assentiment au traité de septembre.
Los négociations entamées avec le Brunswick sont aussi en bonne voie et promettent un heureux résultat, dit cette même feuille.
La Gazette il· Madril du 28 publie le décret suivant: « Voulant donner une preuve de mon estime royale à mon bien-aimé cousin Charles de Bourbon, duc de Parme, je lui concède les prérogatives d’infant d’Espagne, et j’ordonne
qu’il lui soit rendu les honneurs et autres distinctions qui appartiennent à ce haut rang. »
La hpoca annonce comme certaine la nomination du duc de Castro Terreno . âgé de quatre-vingt-deux ans, au commandement des hallebardiers , vacant par suite du décès du duc de Baylen.
On parle beaucoup à Madrid du projet formé par M. Bravo Murillo, président du conseil, de mettre en vente toutes les salines de l’Etat.
Les nouvelles des Etats-Unis constatent un certain degré d’apaisement dans les menaces contre Cuba.
Paulin.
La Case de I’oncle Thomas (1).
Depuis que les Etats-Unis d Amérique forment un peuple indépendant, il n’est personne en Europe et dans le monde entier, qui, voyant le rapide et gigantesque accroissement de leur territoire, de leur population, de leur richesse, de tout ce qui constitue, la puissance d’une nation, n’accorde volontiers aux Américains du Nord, avec le génie de l’entreprise, celui de l’agriculture, de l industrie et du com
merce. Mais jusqu’à présent, déniant au Nouveau Monde le génie des arts et des lettres, la vieille Europe prétendait s’en réserver le monopole absolu.
Ce n’est pas, sans doute, pendant les efforts héroïques d’une petite colonie échappant au joug de sa puissante mé
tropole; ce n’est pas non plus lorsque l’hoimne civilisé, nouveau venu dans ces climats, doit lentement et laborieu
sement conquérir son champ et son foyer sur une nalure encore indomptée et rebelle, que la saison vient pour la culture des lettres et des arts. Ces doux fruits de la paix et des loisirs ne mûrissent qu’aux sein du bien-être, et dans le repos acheté par le travail. U faut que le corps n’ait plus à pourvoir aux besoins quotidiens pour que l’àme cherche à son tour des jouissances plus délicates et plus élevées. Dans toutes les civilisations, anciennes ou modernes; de
puis celles de l’Jnde, de l’Egypte, de la Grèce, de Borne, de l’Arabie, jusqu’à celles des Etats européens au sortir du moyen âge, on a vu constamment les branches supérieures de l’inteilMnce humaine commencer seulement à fleurir lorsqu’une nation, bien assise sur un soi indisputé, comme te tronc d’un arbre vigodreux sur ses racines séculaires, et pleinement maîtresse d’elle-mème, donnait librement l’es
sor à toutes ses facultés. Les Etats-Unis ne feront point mentir la loi de l’histoire universelle, et la civilisation, qui passe en ce moment de l’Europe en Amérique, comme jadis elle passa de l’Asie en Europe, y doit avoir les mêmes pha
ses de naissance et de progrès, en attendant la lointaine et triste période de décadence don t il semble que nous soyons condamnés à voir les débuts dans.notre vieux monde.
Déjà de nombreux et brillants symptômes annoncent, dans l’Amérique du Nord, l’aurore de cette seconde jour
née des peuples, celle où germent les hautes facultés de l’intelligence. Personne n’imagiaait que la patrie de Fulton cultivât d’autres arts que les arts purement, mécaniques ; et voilà qu’à l’exposition universelle qu’offrit Londres l’an passé sous son palais de cristal, la plus admirée parmi les productions des beaux-arts, la. statue d’une jeune esclave grecque, étaitl’œuvre d’un sculpteur» Américain, M. IJirain Power. L’on a reconnu encore qu’experts dans la science nouvelle de la photographie, les Américains avaient envoyé au concours les plus parfaites images. C’est un acheminement aux arts du dessin, à la gravure, à la peinture. Déjà New-York, Boston, Philadelphie, Washington, Cincinnati,
comptent à profusion de beaux édifices, de vrais monuments, bien éloignés de la simple cabane en bois du planteur; et si la musique, cette langue universelle, n’est point encore éloquemment pariée aux Etats de l’Union, du moins l’ac


cueil enthousiaste qu’y reçoivent les célébrités musicales


de l’Europe prouve un goût vif et général, précurseur des études sérieuses et des compositions indigènes.
Quant aux lettres, généralement sœurs aînées des beauxarts, elles les ont aussi quelque peu devancés au delà de P At
lantique. Il n’y a pas moins d’un quart de siècle, qu’en peignant la nature et les hommes de l’Amérique primitive, qui allaient disparaître sous la marée montante d une civilisation impor
tée du dehors, Fenimore Cooper méritait d’être appelé le rival du grand Walter Scott. Washington Irving le suivait de près dans la voie des fictions historiques, et M. Preseott, par des travaux plus sérieux sur l’histoire dégagée du ro
man, prenait une place-honorable dans l’école illustrée chez nous par Augustin Thierry, Michelet, Henri Martin; en Al
lemagne par Nieburh et Léo; en Angleterre par Macaulay.
Aujourd’hui M. Nalhaniel Uawthorne, l’auteur de the scnrlett lutter (la Lettre écarlate), de the Ilouse of the s v n gab es (la Maison aux sept pignons), etc., écrit le roman américain de notre époque, comme Dickens et Thackeray écrivent le roman anglais, avec moins de gaieté sans doute et d hupmur, mais avec plus d’énergie et peut-être, de profondeur. Enfin, deux livres nouveaux, qui dépassent leurs de
vanciers par l’éclat du talent et la grandeur du but, obtien
nent maintenant en Angleterre, où cependant la jalousie de John Bi/Ί contre Frère Jonathan n’est pas encore pleinement éteinte, les honneurs réservés d’habitude aux œuvres dont le temps a consacré la célébrité, ceux des
Peo - p/es (ditiims, des éditions populaires tirées à très-grand nombre et vendues à très-bon marché. Ce sont les OFlivres du docteur Channinq et ta Case de l oncle Thomas.
Eloquent orateur, et plus éloquent écrivain, le docteur Channing, mort il y, a dix ans, fut le Bossuet .de cette grande secte des unitaires, à laquelle se rallient aujour
d’hui presque tous les hommes illustres de l’Union, et qui,
clans son sein démesurément agrandi par la tolérance, peut et doitbientôl réuni r tonies les sectes chrétiennes. De ce digne apôtre des vertus évangéliques, je ne connais, hélas! que quelques pages traduites en français. Mais à la lecture de ces simples fragments, où se révèle une exposition de la doctrine unitaire, de ces fragments que j ose appeler sublimes parce qu’ils éclairent l’esprit, touchent le cœur, laissent l’âme con
solée et satisfaite, on se demande avec surprise et bonheur :
n’est-ce pas le moderne Platon qui parle? et sa doctrine n’est-ello pas le vrai néo christianisme, la religion nouvelle que, dans ce siècle où nulle croyance ne subsiste, où l’on semble avoir perdu jusqu’à la simple notion du bien et du mal, toutes les âmes honnêtes appellent de leurs vœux ardents (1)?
La Case de l Oncle Thomas n’a pas. précisément une si haute portée. Mais ce petit livre est un puissant auxiliaire
de la même cause et des mêmes doctrines, qui les répandra même plus sûrement et plus loin, car il s’adresse à tous les goûts et à toutes .les intelligences. Comme vrai chrétien, comme vrai philosophe, le docteur Channing ne peut man
quer de combattre l’esclavage, celle plaie et cette, honte du pays de la liberlé. Il le fait avec une merveilleuse puissance, avec tous les arguments que l’âme d’un homme de hi ίι
peut fournir à sa raison. Mais ses arguments, pris dans la philosophie Idéologique, restent nécessairement un peu parmi les abstractions et les hauteurs, touchent rarement la terre, et, ne pouvant être acceptés, compris même, que par les esprits d’élite, ne s’adressent guère ainsi qu’à ceux qu’il est le moins nécessaire de convaincre et de convertir.
M ‘ Stowe prend un autre chemin pour arriver au même but. Avant elle on avait décrit les atrocités du trafic; elle étale aux yeux de tous la t ie des nègres dans / s Etats à esclaves, et ce simple périrait, peint de main de maître-, clair et frappant à tous les yeux, à tous les esprits à tous les cœurs, en dit plus et parle avec plus d’éloquence que la plus subtile et la plus nerveuse argumentai ion. Ce n’est pas seulement de l esclavage en général que Mme Stowe, année
de son impitoyable miroir, montre ia hideuse horreur ; elle fait, de concert, le procès à cette impie et cruelle loi de 1850, qui autorise la poursuite et la saisie des esclaves fu
gitifs jusques dans les Etats libres. C’est après que le sénat américain, en un de ces moments d’erreur où jette l’égoïsme mercantile, eut promulgué cette loi sauvage, que M1” Stowe saisit sa plume vengeresse, et lit rougir au- front les législateurs de son pays. Facit in-tiqnaHa versus, par un heu
reux effet de la justice providentielle, ce sera précisément celte loi, destinée à river plus durement l’esclavage, qui aura forgé l’arme dont l’esclavage doit recevoir un coup décisif et mortel.
Lg succès du livre de M” -Stowe, publié il y a quatre à cinq mois, fut immense, et sur-le-champ. Dès le commen
cement de septembre, on évaluait à plus de cin cent mil/,? le nombre d’exemplaires d Unele Tom s cabin vendus dans les seuls Etats (le t Union (2 . Dans F Angleterre, qui a magna
nimement payé la rançon des nègres de ses colonies, et Où ce-livre put se réimprimer aussitôt en original, le succès ne fut pas moins éclatant, pas moins prodigieux. Ce n’est pas dépasser la vérité (pie d’affirmer qu’à l heure qu il est, trois cent mille exemplaires sont répandus dans la Grande- Bretagne. On me disait récemment à Norwîch qu’un libraire de celle ville en avait vendu douze mille dans l’es
pace d’un mois. Que sera-ce à Liverpool, à Birmingham, à Manchester, à Dublin, à Glasgow, à Edimbourg, à Londres enfin ? On a fait des éditions de tous les formats et pour
toutes les bourses. A côlé de l’in-8° somptueux, valant une demi-guinée, se voit le petit i.n-32 compacte qui se donne,
proprement cartonné, pour un shelling, comme les Bibles des missionnaires. On annonce même aujourd’hui une édi
tion vraiment populaire à six pence (12 sous). L Oncle Thomas se vend à toutes les stations de chemins de fer, à toutes les boutiques de news- apers; il circule an affiches ambulantes dans toutes les rues ; il est gravé, enlu
miné; il est monté sur le théâtre ; nul genre de publicité ne lui manque, et nul genre de célébrité.
Comme nous savons que des traductions françaises du livre de Mme Stowe se préparent et seront prochainement publiées, nous croyons inutile d’indiquer, même sommaire
ment, la fable qui lui sert de canevas, et le genre d’avenlures qu’il retrace. Il a suffi de dire que c’était la peinture fidèle, et parlant l’amère critique de l’esclavage ; il suffit d’ajouter, comme le prouve au reste son succès, que ce li
vre est, par l’exécution, tout à fait à la hauteur de son but. La critique, néanmoins, en le considérant sous l’unique point de vue d’une œuvre d’art, s’est fait jour dans les re
vues et les gazettes anglaises, où d’ailleurs d’unanimes éloges ont été prodigués au dessein et au talent de. Fauteur. Cette critique, nous ne faisons nulle difficulté de la reproduire, en lui opposant toutefois notre propre sentiment.
L’on dit d’abord que, pour un ouvrage de faible étendue, il y a trop de personnages, et que l intérêt s’altère en se dispersant. Il est vrai que M‘ e Stowe, ayant comme à représenter un très-vaste sujet sur une petite toile, a dû diminuer la dimension de ses figures pour en mettre le nom
bre. nécessaire, à ses projets, et que, pour ne rien omettre des détails d’une situation fort compliquée, il a fallu que plusieurs de ces figures, laissées comme dans le clair-obscur et dans l’ombre, ne fissent devant le lecteur qu’une rapide apparition. Niais, cela convenu, l’on sera forcé de convenir aussi qu’il était impossible de douer tous les personnages divers d’une réalité plus saisissante et plus palpable; qu’ils sont tous là. pleins de vie, formant autant de types qu’il y a d’êtres, offrant chacun aux yeux une forme nette, précise et arrêtée, laissant dans l’esprit un impérissable souvenir; qu’enfin, devant cette galerie de portraits moraux, i’on s’é­
crie, comme devant les tableaux des vieux maîtres dont les originaux ne nous furent point connus : Que la nature est bien saisie, et que ces gens-là doivent être ressemblants!
L’on dit encore que, le groupe central de Faction se composant de plusieurs personnes qui suivent des voies et des destinées différentes, il faut alternativement quitter les unes pour suivre les autres, et, de chapitre en chapitre, chan
ger le lieu de la scène, le nom des personnages, la nature des situations et le genre des aventures. Mais ce procédé n’est pas nouveau : et, sans l’aller chercher, par exemple, dans le. poème de FAriosle, qui l’emploie jusqu’à la fatigue elle dépit du lecteur, c’est celui de. Cervantes, lorsque Sancho Pança, devenu gouverneur de sou île, sc trouve une fois séparé de son maître, et qu’il faut mener de front l’histoire de ces deux inséparables moitiés d’une même création. Personne, à ce que j’imagine, ne se plaint de cette heureuse variété jetée dans Fimmorlelle fiction du Don Qui
chotte, et toute la question se réduit à ne faire du procédé de Cervantes qu’un usage discret et réservé. A peine pourrait-on dire que M“B Stowe a légèrement dépassé la limite posée par Fart et le goût.
L’on ajoute enfin que M“· Stowe (je la soupçonne d’être méthodiste·) a fait un usage quelque peu immodéré des textes delà Bible, et que son héros, l’oncle Tom,estun vrai prédicateur, un vrai missionnaire égaré parmi les noirs. Ce reproche, je l’avoue, nous toucherait plus que les autres, nous Français qui ne nous piquons pas d’être en per
pétuelle communication avec les saintes Ecritures, et nous pourrions, craindre qu’il ne résultât de cet abus des textes sacrés quelque langueur et quelque ennui. Mais d’abord,
et pour la vérité locale, il n’en pouvait être autrement. Le peu de nègres à qui des maîtres plus humains que d habi
tude condescendent à donner quelque éducation morale et quelque instruction lettrée, ne prennent l’une et l’autre que dans la Bible. Ils peuvent dire, avec le jeune Eliacin d’A- thulie :
J’adore le Seigneur, on m explique sa loi ;
Dans son livre divin on m apprend à la lire, Et déjà de ma main je commence à l écrire.
Ils sont précisément comme ces sectateurs de l islam, qui, sachant pour toute science le Koran par cœur, en ont toujours des citations à la bouche, et règlent sur les paroles du livre toutes leurs actions et toutes leurs pensées Quant à l’application spéciale que fait M“c Stowe de cette situation commune, quant au personnage de son brave homme d’on
de Thomas, je sois bien sûr que nui lecteur, si incrédule et si voltairien qu’on le suppose, ne sera tenté d’en faire lin sujet de railleries. On l’aime et on l’admire, même quand il cite des versets de l’Ecriture, même quand il chante des hymnes méthodistes ; et lorsqu’on arrive à sa mort, A son martyre, vraiment touchant et sublime comme celui de Socrate, on se rappelle aussitôt le Jugent nt dernier de Rubens, honneur de la Pinacothèque de Munich, où le grand peintre d’Anvers, par une idée de sainte humanité, bien rare on son temps et vraiment prophétique, a placé parmi les élus qu’emportent des anges resplendissants un pauvre nègre, qui semble aussi surpris que charmé de trou
ver enfin justice et d’aller au bonheur éternel l’égal de ses fi ères blancs. Oncle Tom est bien le juste qui monte au ciel.
Mais admettons, si l’on veut, ces petits reproches de détail que la critique, toujours froide et quelque peu har
gneuse, a faits au livre de Mm* Stowe. Eh bien, qu’importe? Lorsqu’on s attache à tant d’êlres malheureux sans leur faute, qu’un stupide préjugé, caressé par l’odieux intérêt, a pu seul précipiter au rang des brutes; lorsqu’on voit des hommes comme nous, doués comme nous d’une âme immortelle, tombés à l’état de bétail, d’animaux domestiques,
(l) Oncle Tom’s cabin, or negro life in the slave sla es of America (La Case de l’oncle Thomas, on la vie nègre clans les États à esclaves de l’Amérique), par M“lr Harriett Bèecbeiv-Stowe. Une traduction en français, par Mm- E. T., paraîtra incessamment chez Michel Levy, rue X ίvienne.
(1) En attendant la publication d une traduction complète des Œuvres du docteur (Jhanniiuf, on peut consulter deux excellé ts articles de M. la Boulaye, pub lés récemment, dans Te Journal des Débats.
(2) Nous apprenons, par les journaux anglais, que Mme Stowe, membre de là Société cès abolition stes, a versé dans la caisse-de. cette Société les énormes produits de ses droits d’auteur. Elle aura donné à la fois tous les nobles exemples.