Expédition dans la Grande-Kabylie,
Bivouac à la Maison-Carrée, 9 mai.
Nous sommes partis ce malin de Bou-Karik par une pluie battante. Ce temps, qui n’est pas ordinaire dans le pays au mois de mai, est très-favorable aux récoltes de toüle na
ture. ·— b’an dernier, cependant, les pluies étaient égale
ment aboli lantes à celte époque. Beaucoup de personnes pensent que nos cultures ne sont pas étrangères à ces ré
sultats, et que le climat se modifie déjà. Cela n est malheu
reusement pas probable, car ces cultures, si nombreuses qu’elles soient, ne sont pas telles qu’elles puissent avoir la moindre influence sur les phénomènes météorologiques.
En dehors de l enceinte de verdure qui entoure la ville, la route d’Alger continue de se diriger droit au nord jus
qu’aux Quatre C/ti-mi >s, où elle se bifurque. Celle qui passe par Birkadem prend à l’est, tandis que l’autre, con
tinuant la direction première, monte sur les collines du Sahel, et passe par Douera, Dely-lbrahim, El-liiarèt le Fort T Empereur.
Toute cette partie de la plaine est à peu près nue; de loin en loin, autour d’un vieux baoiîch (l quelques petites masses de verdure, que relève la tige d’un cyprès on la hampe svelte d’un palmier. -— Quoique les cultures soient beaucoup plus nombreuses qu’autfefois, on n’y voit guère plus d’arbres, à moins qu’on ne tienne compte des quelques bâtons qui, placés en sentinelle perdue le long du chemin, attestent une intention plus louable qu’heureuse.
Et ee n est certes pas que le sol soit ici beaucoup moins favorable aux arbres qu’à Bou-Karik.—Il est d’une richesse extrême. Mais, sans compter les pacages vagues cause considérable de destruction pour les jeunes plants, l’incurie, la pauvreté des possesseurs, l’imprévoyance du gouvernement, qui concéda sans intelligence ces immenses propriétés, sont les causes principales de ce mal.
On exigeait qu’un certain nombre d’arbres fussent plantés, pour donner au concessionnaire un litre de propriété en échange. Celui ci, qui n’avait le plus souvent ni les con
naissances, ni la fortune, ni la moralité, hélas! nécessaires pour une entreprise de cette nature, faisait, quand il ne pouvait autrement, des trous en terre à la bâte, où il je
sans tenir compte ni de la nature du sol, ni de celle de l’arbre, ni de l’étendue que ces trous doivent avoir, ni de. l’époque, où il convient de les ouvrir, ni de celle, où il faut que telle, et telle essence soit plantée, ni enfin des mille précautions Utiles pour qu un sujet de pépinière ne se transforme pas en piquet de tenle au bout de l an. Eh ! mon Dieu ! nous avons vu planter· des peupliers d’Italie dans le Jardin des ‘ fticie’s, à Biskara, où nous avions quinze cents palmiers portant des dattes, sans compter les autres es
pèces, et un horrible troupier, ancien perruquier passé zéph// · et chef jardinier, les tailler par le sommet pour
leur donner plus de vigueur, poussant jusqu’aux dernières limites les prétendues analogies avec son ancien métier !
On n’imaginerait jamais ce que commettent de sottises nos colons improvisés ; et notre dernier paysan de France se trouverait mal en voyant ce que font et ce qu’ont fait dans ce genre beaucoup de nos propriétaires d’ici, et nos chefs militaires eux-mêmes.
Ainsi, la culture n’était pas en honneur; fort peu de capitaux lui étaient consacrés, et ce n’était pas ordinairement pour avoir un arbre qu’on le plantait; c’était pour ce fa
meux titre de propriété, qui devenait aussitôt un sujet de spéculation ; ou bien,· si la terre était assez bonne bête pour donner des foins sans autre peine que celle de les couper, on gardait la terre, et la spéculation était superbe. On pre
nait des faucheurs à six et huit francs par jour, et on faisait les foins ; mais de la colonisation fort peu.
C’est là l’histoire de ce qui se. passait en ce temps-là. Il y avait d’honorables exceptions sans doule, comme toujours, mais bien rares !
N’allez donc pas, si vous avez quelque entraille et si vous aimez votre pays, jeter l’anathème sur celui-ci, mais sur nous seuls, indignes de la faveur que le ciel nous a faite en nous désignant pour posséder cette terre, qui doil devenir un jour la plus belle colonie du monde!
Cependant aujourd’hui les choses sont bien changées. Une crise affreuse est venue, qui a nettoyé le pays des immondices de l’agiotage qui le dévorait. Pour tous les hom
mes intelligents, le temps est passé, ou bien près de l’être, des spéculations sur maisons, qui ont ruiné presque tous ceux qui s’en sont mêlés, et des ventes de goutte, qui n’ont enrichi personne.
Tout tend à prendre la voie, naturelle, eelle de l’agriculture; et à chaque pas cette tendance augmente, car ceux qui ouvrent les yeux voient bien que la bêche et la charrue donnent ici du pain d’abord, et la fortune ensuite aux hom
mes de bonne volonté. Aussi ces champs, après tout, ils sont couverts de maisons tout le long du chemin. Niais l’arbre a
une peine infinie à les peupler ; comme s’il était encore sous le coup de la malédiction d’un auteur latin mal renseigné ou de mauvaise humeur, et qui n’avait peut-être guère mieux vu l’Afrique que ces modernes voyageurs de chemin de fer, qui jugent avec un aplomb superbe ce pays, dont fis
ne connaissent à vrai dire que les rues Bab-el oued et Jiab- Azoun, quelquefois la Kasbnh, et rarement ce qu’on peut voir, le lorgnon à l’œil, sur la route d’Alger à Blidali, à tra
vers les vitres d’un coupé. Et ceux-là ne sont pas le moindre, fléau de ce pays : les sauterelles ne sont rien à côté ; car on a trouvé le moyen de. s’en débarrasser. — Ils vont criant partout qu’on n’a rien fait ici depuis vingt ans, et que rien
n’est bon. Que si vous faites une objection, vous qui n êtes pas venu même à Alger, on vous dit : « Mais je l’ai vu ! » Et comme ils n’ont pas de Contradicteurs, leur mensonge
ou leur erreur passe pour article incontestable. Et cela fait un mal immense au pays. Il a une mauvaise réputation. — On n’a rien fait ici depuis vingt ans? — C’est pour la colonisation, je suppose, que. vous parlez ? — Depuis vingt ans ! Savez-vous qu’en 18A2 Ben-Zamoum, à la tète de ses Ka
byles, fut coupé en deux sur les bords de l’Ilarach, près de son embouchure, par un boulet parti de, ce bastion de la Maison Carrée, entouré de blés aujourd hui? et qu’il eût été réputé très-imprudent alors de traverser la Alilidja avec moins de. trois ou quatre mille hommes?
Qu’on ait perdu du temps à tâtonner, cela n’est contesté par personne, et la justification même n est pas nécessaire :
on ne. savait pas ce que l’on voulait, et on ne connaissait rien de ce qu il était raisonnable de vouloir. — Depuis le maréchal Bugèaud la chose est changée, et le pays aussi a bien vite changé ses tendances. L’aspect général pourtant n’est pas sensiblement modifié. L’arbre manque, l arbre a de la peine à venir, et il faudrait qu’une main plus inlelli
gante et plus forte que celle, des particuliers, généralement peu riches ici, que le gouvernement ne l’arrêtât pas à moitié chemin des pépinières, de ses jardins d’essai, idée féconde, qui a déjà jeté dans le sol des centaines de mille jeunes arbres, mais incapable à elle seule, d’obtenir vite, — et c’est là le point essentiel, le reboisement de ce pays. Le re
boisement et le défrichement d’un pays quelconque, si riche qu’il soit, exige de grands capitaux, et nos colons sont presque tous pauvres.
Il nous semble que l’Etat pourrait se charger de planter des arbres partout où bon lui semblerait, toute réserve faite d’ailleurs aux droits existants. La justification d’un acte pa
reil, touchant momentanément aux droits de propriété; se trouverait dans plusieurs raisons d’une nature assez élevée pour que l’Etat passât outre.
Des hommes parfaitement versés dans la matière, — (choisissez parmi les meilleurs les hommes qui, en France ou en Afrique, ont fait leurs preuves; toits les inspecteurs de colonisation n’en sont pas la),—· seraient chargés de faire le relevé, champ par champ, de la nature du sol, de l’arbre qui lui convient le mieux parmi ceux qui sont utiles, et de la quantité qu’il en peut recevoir.
Des conducteurs de colonisation feraient planter ces arbres d’après les instructions fournies par les grands agricul
teurs. Ces conducteurs sont des pépiniéristes d’une capacité reconnue. Sous leurs yeux une année de travailleurs, ou de soldats même, qui a creusé en temps opportun le nombre de trous jugé utile pour chaque champ, y place les ar
bres désignés, en l’entourant des soins nécessaires. Si des travaux d’irrigation sont possibles, ils les pratiquent.
-— Ils surveilleraient leur travail deux, trois ou quatre ans, selon les espèces d’arbres, et un conducteur suffirait pour une grande, étendue de terrain.
Les frais que ces plantations et leur surveillance, occasionneraient seraient hypothéqués sur la valeur de la pro
priété, et remboursables dans les caisses de l’Etat parle pro
priétaire ou l’acquéreur, à mesure de la production de ces arbres, de telle sorte que les morts ne fussent pas portés en compte.
Des bureaux de centralisation de ces travaux seraient établis dans chaque chef-lieu de division, etc.
Nous ne savons pas jusqu’à quel point celte idée de l’Etat se faisant cultivateur peut trouver faveur chez nous; mais nous ne voyons pas non plus quelle objection on y pourrait faire, si cè n’est que cela serait une charge pour le trésor, l’État, en pareille matière surtout, ne sachant pas produire à bon marché. Cela même est contestable dans le. cas pré
sent, puisque l’armée pourrait devenir pour lui un puissant auxiliaire. Mais si l’objection est fondée, qu’une compagnie,
soutenue par l Etat, s [forme pourcet effet, et, que le résultat arrive par la flûte ou par le tambour, peu importe; mais il est d’un grand intérêt et d’une grande moralité qu il soit
obtenu. — Savez-vous le nombre immense d’hommes qui tombent chaque année victimes de la fièvre, et que vous pouvez sauver? Voyez Bou-Karik, voyez le Fondouk!
— Nous sommes, il ne faut pas se le. cacher, dans un triste, cercle vicieux, d’où les efforts détaillés des colons nous ti
reront avec peine. U faut de l’eau pour avoir des arbres, et des arbres pour de l’eau. — Les forces d’un pays comme le nôtre, dirigées dans ce sens d’une manière intelligente, et persévérante, pourraient seules arriver vite, à ce but si digne d’intérêt.
Une conséquence immédiate et rigoureuse de ces principes serait une loi frappant de peines extrêmement sévères tous ceux qui couperaient un arbre ou un jeune sujet sans autorisation. L’incendie même des broussailles, cause fré
quente de. déboisements dans le pays arabe, et pratiqué tous
les jours pour défricher ou pour détruire, pourrait être puni des peines applicables en France aux incendiaires.,Et certes cela protégerait des inléiêts tout aussi respectables.
Les tribus seraient responsables des forêts réservées par l’administration, et, en cas d’incendie, payeraient de fortes amendes.
fout en marchant, nous rêvions ainsi ce matin sur l’ave- i nir de la Plaine, en nous rappelant son passé et les tendres adieux du poète arabe : « O M’tidja, mère nourricière d’fs« lam, mamelle intarissable du pauvre ! »
Nous marchons par corps isolés. Le 2e bataillon de zouaves, commandant de Berthier, est parti de KoJeah le δ mai, se dirigeant sur Drà el-Mi/.an pai la vallée de Tisser, et doit réparer la route en avançant, à partir du Fondouk. Le 1er bataillon de ce corps, commandant Laure, est allé d’Au
male aux déni Mctnsmtr, sur YOufd-Snhtl, et viendra nous rejoindre bientôt. Le lieutenant-colonel de l.amm/de commande ces deux magnifiques bataillons de 1,200 hommes chacun.
Deux bataillons du 25e léger, d’un effectif beaucoup moindre, sont partis de Blidali hier, et se rendent aussi à Drâ-el-Mizan, en suivant jusqu’au Fondouk !e pied des montagnes, parSouma, l’IIaracb etl’Arba; le commandant
Berger esl à leur tête. — Un bataillon du 60° de ligne, récemment arrivé de France, viendra nous rejoindre.
Ces cinq bataillons doivent former la 2“ brigade, à laquelle il faut ajouter le détachement de l artillerie avec trois pièces de campagne, que le capitaine Lesec de Crrpy commande; du génie, avec le capitaine Ca/nppe (1), le service de santé de. l’ambulance, l’administration et le train.
Nous arrivons à Kir- Touta, appelé aussi le 4e Blockhaus, à là kilomètres de Bou-Farik. C’est un groupe récent de quelques maisons, avec de bonnes terres.
Au pont de l Oued Kerma, à Une lieue et demie de Birkadem, on quitte la grande, route pour prendre la traverse,
vers la Ferme-iiiodele, et rejoindre, près du Gur-de-Constantiue, à une lieue de Kouba, celle de l’Arba à Alger.
La Ferme-modèle, malgré son titré, qui semble la rendre si recommandable aux colons, est une bonne, petite cita
delle, capable, autant qu’on peut en juger du dehors,, de. contenir de deux à trois cents hommes, et le double même dans un moment pressé. Elle est gracieusement jetée aux bords de la M’tidja, aux limites du Sahel d’Alger, sur un petit mamelon isolé, à pentes douces, couvert aujourd lini de paisibles épis de blé. En bas, sur le. sentier que nous suivions, il y a un beau massif d’arbres, peupliers, saules, oliviers, orangers, et d’autres arbres à fruit; des baies épais
ses, un ruisseau cache sous les herbes, une végétation, exubérante, des rossignols que les torrents du ciel n’ont pas fait taire, une, fontaine en style maure ruinée, décorée
d’une plaque en pierre, schisteuse, sur laquelle on a gravé en majuscules magnifiques : cabaret nu 23*. — Comme pittoresque, cette fontaine est une des plus jolies choses qu’on puisse voir aux environs d’Alger, où il y en a tant;
des figuiers, très-heureusement mêlés à des arcades en ruine, forment un ensemble de lignes et de couleurs extrêmement heureux.
Du reste, l’affreuse averse inondait nos manteaux tandis que nous passions devant ce beau paysage, et c’était déjà un acte de courage que de rester cinq minutes à l’admirer. On ne pouvait songer à en faire un croquis.
Grande halle à Kouba. c’est-à-dire à deux lieues d’Alger, que Ton aperçoit dans le fond par une très-heureuse échap
et an premier un cadre formé de broussailles de lenlisque et de. faux aloês, un palmier et la blanche konbba (2) d’un marabout, se détachant dans le ciel, lui donnent une phy
sionomie pleine de charmes. — Le temps s’était éclairci ; ia ville de Barberoi>*xe, blanche comme une carrière à plâtre,
baignant ses pieds dans les îlots bleus du golfe, la silhouette des mâts de ses vaisseaux et de son phare espagnol, tout cela était déchirant à voir pour celui à qui il élait défendu d’y pénétrer. O terre promise d’Israël, ceux qui ne Font jamais vue ne nous comprendront pas!...
Nous avons dû descendre à Hussein-Dey, ancien quartier de cavalerie, pour arriver à la Maison-Carrée en traversant la petite plaine du Heumiua, resserrée entre la mer et les premiers coteaux du Sahel, et la plus fertile terre que nous ayons vue dans ce pays. — Le Jardin d’essai, à une lieue et demie d’Alger, et ses plus belles maisons de campagne, sont là ou dans le voisinage.
tance de l embouchure de Tflarach, le Snvus Flumen des ltomains. Il est pqSsible que la voie côtière romaine qui al
lait d’Icosium à Hustonimn, franchit cette rivière un peu au-dessous du pont turc qui existé aujourd’hui, à ce point près que, en face d’une tuilerie on le plalé-dn sur lequel 1e fort est établi se creuse et s’abaisse pour livrer un passage plus facile.
La distance indiquée par Plolémée, d’Niger à l embouchure de Tllaraeli, est exacte quant à Ta longitude, car U compte 0 ,10 , c’est-à-dire environ 10,8AÛ mètres. Mais il commet une grave erreur, qui a même dû se glisser dans le texte par les copistes, en indiquant cette embouchure à 0“,20’ de latitude au-dessus d Alger.
’ϊκόσιόν............................18 : — : 33 : —. ϋαυου ποταμού έ/.8ο£αί. 18 : 10 : 33 : 20.
Dans TlliiïéraiTè d’Anlohin, On compte quinze mille pas d’fcosiifrn à Ruegunîæ. (3), ce qui est trop peu évidemment. — On ne petit pas supposer d’ailleurs que Tare formé au
jourd’hui par la rade se soit creusé, depuis le quatrième siècfc de notre ère, époqae à laquelle remonte la carte d’Antonin, de manière à augmenter la distance d’Alger aux ruines de Bustoniiim de 6 à 8 milles. — Par mer, elle est d’environ quatre lieues.
Bivouac au Fondouk, 10 mai.
Nous sommes partis cè matin, à cinq heures et demie, de, la Maison-Carrée, avec une partie des troupes de la lr“ brigade, avec laquelle se. trouve le général Pâle lui-même,
et que le débordement de 17tamise retenait depuis deux jours. — Nous avons marché ensemble jusqu’à la Maison- B!duché, petit village nouveau au milieu dé la Plaine, à 7 kilomètres de la Maison-Carrée, et où se bifurquent les rouies de Bellys et du Fondouk. — Nous arrivions au Fondonk après cinq heures de marche. Le colonel de Lavarende, avec ses zouaves, n’v était plus, et le, 25e allait arriver.
Le Fondouk est encore aujourd hui un village fort triste. ; mais il faut diré cependant que si les cultures ne sont pas aussi étendues que la richesse de. ce sol le. ferait espérer, elles sont déjà te.llês qu elles ont puissamment contribué à assainir la ville, un des plus alfreux cimetières de notre armée autrefois. Il n’y a presque plus dé malades aujourd’hui.
(1) .Aujourd hui cher de bataillon.
(2) Koubba, dôme de mosquée. Celle dont nous parlons a donné son nom au village, un de nos premiers établissements en Algérie.
(3) Rusguniæ , Rustonium , Rusgonium, sont la même ville dont les
ruines se voient au Matifoux.(1) Haouch, ferme.
en 1852.
Bivouac à la Maison-Carrée, 9 mai.
Nous sommes partis ce malin de Bou-Karik par une pluie battante. Ce temps, qui n’est pas ordinaire dans le pays au mois de mai, est très-favorable aux récoltes de toüle na
ture. ·— b’an dernier, cependant, les pluies étaient égale
ment aboli lantes à celte époque. Beaucoup de personnes pensent que nos cultures ne sont pas étrangères à ces ré
sultats, et que le climat se modifie déjà. Cela n est malheu
reusement pas probable, car ces cultures, si nombreuses qu’elles soient, ne sont pas telles qu’elles puissent avoir la moindre influence sur les phénomènes météorologiques.
En dehors de l enceinte de verdure qui entoure la ville, la route d’Alger continue de se diriger droit au nord jus
qu’aux Quatre C/ti-mi >s, où elle se bifurque. Celle qui passe par Birkadem prend à l’est, tandis que l’autre, con
tinuant la direction première, monte sur les collines du Sahel, et passe par Douera, Dely-lbrahim, El-liiarèt le Fort T Empereur.
Toute cette partie de la plaine est à peu près nue; de loin en loin, autour d’un vieux baoiîch (l quelques petites masses de verdure, que relève la tige d’un cyprès on la hampe svelte d’un palmier. -— Quoique les cultures soient beaucoup plus nombreuses qu’autfefois, on n’y voit guère plus d’arbres, à moins qu’on ne tienne compte des quelques bâtons qui, placés en sentinelle perdue le long du chemin, attestent une intention plus louable qu’heureuse.
Et ee n est certes pas que le sol soit ici beaucoup moins favorable aux arbres qu’à Bou-Karik.—Il est d’une richesse extrême. Mais, sans compter les pacages vagues cause considérable de destruction pour les jeunes plants, l’incurie, la pauvreté des possesseurs, l’imprévoyance du gouvernement, qui concéda sans intelligence ces immenses propriétés, sont les causes principales de ce mal.
On exigeait qu’un certain nombre d’arbres fussent plantés, pour donner au concessionnaire un litre de propriété en échange. Celui ci, qui n’avait le plus souvent ni les con
naissances, ni la fortune, ni la moralité, hélas! nécessaires pour une entreprise de cette nature, faisait, quand il ne pouvait autrement, des trous en terre à la bâte, où il je
tait ce qui lui tombait sous la main, ormeau ou peuplier,
sans tenir compte ni de la nature du sol, ni de celle de l’arbre, ni de l’étendue que ces trous doivent avoir, ni de. l’époque, où il convient de les ouvrir, ni de celle, où il faut que telle, et telle essence soit plantée, ni enfin des mille précautions Utiles pour qu un sujet de pépinière ne se transforme pas en piquet de tenle au bout de l an. Eh ! mon Dieu ! nous avons vu planter· des peupliers d’Italie dans le Jardin des ‘ fticie’s, à Biskara, où nous avions quinze cents palmiers portant des dattes, sans compter les autres es
pèces, et un horrible troupier, ancien perruquier passé zéph// · et chef jardinier, les tailler par le sommet pour
leur donner plus de vigueur, poussant jusqu’aux dernières limites les prétendues analogies avec son ancien métier !
On n’imaginerait jamais ce que commettent de sottises nos colons improvisés ; et notre dernier paysan de France se trouverait mal en voyant ce que font et ce qu’ont fait dans ce genre beaucoup de nos propriétaires d’ici, et nos chefs militaires eux-mêmes.
Ainsi, la culture n’était pas en honneur; fort peu de capitaux lui étaient consacrés, et ce n’était pas ordinairement pour avoir un arbre qu’on le plantait; c’était pour ce fa
meux titre de propriété, qui devenait aussitôt un sujet de spéculation ; ou bien,· si la terre était assez bonne bête pour donner des foins sans autre peine que celle de les couper, on gardait la terre, et la spéculation était superbe. On pre
nait des faucheurs à six et huit francs par jour, et on faisait les foins ; mais de la colonisation fort peu.
C’est là l’histoire de ce qui se. passait en ce temps-là. Il y avait d’honorables exceptions sans doule, comme toujours, mais bien rares !
N’allez donc pas, si vous avez quelque entraille et si vous aimez votre pays, jeter l’anathème sur celui-ci, mais sur nous seuls, indignes de la faveur que le ciel nous a faite en nous désignant pour posséder cette terre, qui doil devenir un jour la plus belle colonie du monde!
Cependant aujourd’hui les choses sont bien changées. Une crise affreuse est venue, qui a nettoyé le pays des immondices de l’agiotage qui le dévorait. Pour tous les hom
mes intelligents, le temps est passé, ou bien près de l’être, des spéculations sur maisons, qui ont ruiné presque tous ceux qui s’en sont mêlés, et des ventes de goutte, qui n’ont enrichi personne.
L’enlànt vient à peine de naître, ne l’effarouchez pas.
Tout tend à prendre la voie, naturelle, eelle de l’agriculture; et à chaque pas cette tendance augmente, car ceux qui ouvrent les yeux voient bien que la bêche et la charrue donnent ici du pain d’abord, et la fortune ensuite aux hom
mes de bonne volonté. Aussi ces champs, après tout, ils sont couverts de maisons tout le long du chemin. Niais l’arbre a
une peine infinie à les peupler ; comme s’il était encore sous le coup de la malédiction d’un auteur latin mal renseigné ou de mauvaise humeur, et qui n’avait peut-être guère mieux vu l’Afrique que ces modernes voyageurs de chemin de fer, qui jugent avec un aplomb superbe ce pays, dont fis
ne connaissent à vrai dire que les rues Bab-el oued et Jiab- Azoun, quelquefois la Kasbnh, et rarement ce qu’on peut voir, le lorgnon à l’œil, sur la route d’Alger à Blidali, à tra
vers les vitres d’un coupé. Et ceux-là ne sont pas le moindre, fléau de ce pays : les sauterelles ne sont rien à côté ; car on a trouvé le moyen de. s’en débarrasser. — Ils vont criant partout qu’on n’a rien fait ici depuis vingt ans, et que rien
n’est bon. Que si vous faites une objection, vous qui n êtes pas venu même à Alger, on vous dit : « Mais je l’ai vu ! » Et comme ils n’ont pas de Contradicteurs, leur mensonge
ou leur erreur passe pour article incontestable. Et cela fait un mal immense au pays. Il a une mauvaise réputation. — On n’a rien fait ici depuis vingt ans? — C’est pour la colonisation, je suppose, que. vous parlez ? — Depuis vingt ans ! Savez-vous qu’en 18A2 Ben-Zamoum, à la tète de ses Ka
byles, fut coupé en deux sur les bords de l’Ilarach, près de son embouchure, par un boulet parti de, ce bastion de la Maison Carrée, entouré de blés aujourd hui? et qu’il eût été réputé très-imprudent alors de traverser la Alilidja avec moins de. trois ou quatre mille hommes?
Qu’on ait perdu du temps à tâtonner, cela n’est contesté par personne, et la justification même n est pas nécessaire :
on ne. savait pas ce que l’on voulait, et on ne connaissait rien de ce qu il était raisonnable de vouloir. — Depuis le maréchal Bugèaud la chose est changée, et le pays aussi a bien vite changé ses tendances. L’aspect général pourtant n’est pas sensiblement modifié. L’arbre manque, l arbre a de la peine à venir, et il faudrait qu’une main plus inlelli
gante et plus forte que celle, des particuliers, généralement peu riches ici, que le gouvernement ne l’arrêtât pas à moitié chemin des pépinières, de ses jardins d’essai, idée féconde, qui a déjà jeté dans le sol des centaines de mille jeunes arbres, mais incapable à elle seule, d’obtenir vite, — et c’est là le point essentiel, le reboisement de ce pays. Le re
boisement et le défrichement d’un pays quelconque, si riche qu’il soit, exige de grands capitaux, et nos colons sont presque tous pauvres.
Il nous semble que l’Etat pourrait se charger de planter des arbres partout où bon lui semblerait, toute réserve faite d’ailleurs aux droits existants. La justification d’un acte pa
reil, touchant momentanément aux droits de propriété; se trouverait dans plusieurs raisons d’une nature assez élevée pour que l’Etat passât outre.
Des hommes parfaitement versés dans la matière, — (choisissez parmi les meilleurs les hommes qui, en France ou en Afrique, ont fait leurs preuves; toits les inspecteurs de colonisation n’en sont pas la),—· seraient chargés de faire le relevé, champ par champ, de la nature du sol, de l’arbre qui lui convient le mieux parmi ceux qui sont utiles, et de la quantité qu’il en peut recevoir.
Des conducteurs de colonisation feraient planter ces arbres d’après les instructions fournies par les grands agricul
teurs. Ces conducteurs sont des pépiniéristes d’une capacité reconnue. Sous leurs yeux une année de travailleurs, ou de soldats même, qui a creusé en temps opportun le nombre de trous jugé utile pour chaque champ, y place les ar
bres désignés, en l’entourant des soins nécessaires. Si des travaux d’irrigation sont possibles, ils les pratiquent.
-— Ils surveilleraient leur travail deux, trois ou quatre ans, selon les espèces d’arbres, et un conducteur suffirait pour une grande, étendue de terrain.
Les frais que ces plantations et leur surveillance, occasionneraient seraient hypothéqués sur la valeur de la pro
priété, et remboursables dans les caisses de l’Etat parle pro
priétaire ou l’acquéreur, à mesure de la production de ces arbres, de telle sorte que les morts ne fussent pas portés en compte.
Des bureaux de centralisation de ces travaux seraient établis dans chaque chef-lieu de division, etc.
Nous ne savons pas jusqu’à quel point celte idée de l’Etat se faisant cultivateur peut trouver faveur chez nous; mais nous ne voyons pas non plus quelle objection on y pourrait faire, si cè n’est que cela serait une charge pour le trésor, l’État, en pareille matière surtout, ne sachant pas produire à bon marché. Cela même est contestable dans le. cas pré
sent, puisque l’armée pourrait devenir pour lui un puissant auxiliaire. Mais si l’objection est fondée, qu’une compagnie,
soutenue par l Etat, s [forme pourcet effet, et, que le résultat arrive par la flûte ou par le tambour, peu importe; mais il est d’un grand intérêt et d’une grande moralité qu il soit
obtenu. — Savez-vous le nombre immense d’hommes qui tombent chaque année victimes de la fièvre, et que vous pouvez sauver? Voyez Bou-Karik, voyez le Fondouk!
— Nous sommes, il ne faut pas se le. cacher, dans un triste, cercle vicieux, d’où les efforts détaillés des colons nous ti
reront avec peine. U faut de l’eau pour avoir des arbres, et des arbres pour de l’eau. — Les forces d’un pays comme le nôtre, dirigées dans ce sens d’une manière intelligente, et persévérante, pourraient seules arriver vite, à ce but si digne d’intérêt.
Une conséquence immédiate et rigoureuse de ces principes serait une loi frappant de peines extrêmement sévères tous ceux qui couperaient un arbre ou un jeune sujet sans autorisation. L’incendie même des broussailles, cause fré
quente de. déboisements dans le pays arabe, et pratiqué tous
les jours pour défricher ou pour détruire, pourrait être puni des peines applicables en France aux incendiaires.,Et certes cela protégerait des inléiêts tout aussi respectables.
Les tribus seraient responsables des forêts réservées par l’administration, et, en cas d’incendie, payeraient de fortes amendes.
fout en marchant, nous rêvions ainsi ce matin sur l’ave- i nir de la Plaine, en nous rappelant son passé et les tendres adieux du poète arabe : « O M’tidja, mère nourricière d’fs« lam, mamelle intarissable du pauvre ! »
Nous marchons par corps isolés. Le 2e bataillon de zouaves, commandant de Berthier, est parti de KoJeah le δ mai, se dirigeant sur Drà el-Mi/.an pai la vallée de Tisser, et doit réparer la route en avançant, à partir du Fondouk. Le 1er bataillon de ce corps, commandant Laure, est allé d’Au
male aux déni Mctnsmtr, sur YOufd-Snhtl, et viendra nous rejoindre bientôt. Le lieutenant-colonel de l.amm/de commande ces deux magnifiques bataillons de 1,200 hommes chacun.
Deux bataillons du 25e léger, d’un effectif beaucoup moindre, sont partis de Blidali hier, et se rendent aussi à Drâ-el-Mizan, en suivant jusqu’au Fondouk !e pied des montagnes, parSouma, l’IIaracb etl’Arba; le commandant
Berger esl à leur tête. — Un bataillon du 60° de ligne, récemment arrivé de France, viendra nous rejoindre.
Ces cinq bataillons doivent former la 2“ brigade, à laquelle il faut ajouter le détachement de l artillerie avec trois pièces de campagne, que le capitaine Lesec de Crrpy commande; du génie, avec le capitaine Ca/nppe (1), le service de santé de. l’ambulance, l’administration et le train.
Nous arrivons à Kir- Touta, appelé aussi le 4e Blockhaus, à là kilomètres de Bou-Farik. C’est un groupe récent de quelques maisons, avec de bonnes terres.
Au pont de l Oued Kerma, à Une lieue et demie de Birkadem, on quitte la grande, route pour prendre la traverse,
vers la Ferme-iiiodele, et rejoindre, près du Gur-de-Constantiue, à une lieue de Kouba, celle de l’Arba à Alger.
La Ferme-modèle, malgré son titré, qui semble la rendre si recommandable aux colons, est une bonne, petite cita
delle, capable, autant qu’on peut en juger du dehors,, de. contenir de deux à trois cents hommes, et le double même dans un moment pressé. Elle est gracieusement jetée aux bords de la M’tidja, aux limites du Sahel d’Alger, sur un petit mamelon isolé, à pentes douces, couvert aujourd lini de paisibles épis de blé. En bas, sur le. sentier que nous suivions, il y a un beau massif d’arbres, peupliers, saules, oliviers, orangers, et d’autres arbres à fruit; des baies épais
ses, un ruisseau cache sous les herbes, une végétation, exubérante, des rossignols que les torrents du ciel n’ont pas fait taire, une, fontaine en style maure ruinée, décorée
d’une plaque en pierre, schisteuse, sur laquelle on a gravé en majuscules magnifiques : cabaret nu 23*. — Comme pittoresque, cette fontaine est une des plus jolies choses qu’on puisse voir aux environs d’Alger, où il y en a tant;
des figuiers, très-heureusement mêlés à des arcades en ruine, forment un ensemble de lignes et de couleurs extrêmement heureux.
Du reste, l’affreuse averse inondait nos manteaux tandis que nous passions devant ce beau paysage, et c’était déjà un acte de courage que de rester cinq minutes à l’admirer. On ne pouvait songer à en faire un croquis.
Grande halle à Kouba. c’est-à-dire à deux lieues d’Alger, que Ton aperçoit dans le fond par une très-heureuse échap
pée de vue avec les grèves de Mustapha au deuxième plan,
et an premier un cadre formé de broussailles de lenlisque et de. faux aloês, un palmier et la blanche konbba (2) d’un marabout, se détachant dans le ciel, lui donnent une phy
sionomie pleine de charmes. — Le temps s’était éclairci ; ia ville de Barberoi>*xe, blanche comme une carrière à plâtre,
baignant ses pieds dans les îlots bleus du golfe, la silhouette des mâts de ses vaisseaux et de son phare espagnol, tout cela était déchirant à voir pour celui à qui il élait défendu d’y pénétrer. O terre promise d’Israël, ceux qui ne Font jamais vue ne nous comprendront pas!...
Nous avons dû descendre à Hussein-Dey, ancien quartier de cavalerie, pour arriver à la Maison-Carrée en traversant la petite plaine du Heumiua, resserrée entre la mer et les premiers coteaux du Sahel, et la plus fertile terre que nous ayons vue dans ce pays. — Le Jardin d’essai, à une lieue et demie d’Alger, et ses plus belles maisons de campagne, sont là ou dans le voisinage.
La Maison-Carrée, Dar l Haraih (maison de Tllaracli) des Arabes, est à 11 kilomètres de la ville, à peu de dis
tance de l embouchure de Tflarach, le Snvus Flumen des ltomains. Il est pqSsible que la voie côtière romaine qui al
lait d’Icosium à Hustonimn, franchit cette rivière un peu au-dessous du pont turc qui existé aujourd’hui, à ce point près que, en face d’une tuilerie on le plalé-dn sur lequel 1e fort est établi se creuse et s’abaisse pour livrer un passage plus facile.
La distance indiquée par Plolémée, d’Niger à l embouchure de Tllaraeli, est exacte quant à Ta longitude, car U compte 0 ,10 , c’est-à-dire environ 10,8AÛ mètres. Mais il commet une grave erreur, qui a même dû se glisser dans le texte par les copistes, en indiquant cette embouchure à 0“,20’ de latitude au-dessus d Alger.
’ϊκόσιόν............................18 : — : 33 : —. ϋαυου ποταμού έ/.8ο£αί. 18 : 10 : 33 : 20.
Dans TlliiïéraiTè d’Anlohin, On compte quinze mille pas d’fcosiifrn à Ruegunîæ. (3), ce qui est trop peu évidemment. — On ne petit pas supposer d’ailleurs que Tare formé au
jourd’hui par la rade se soit creusé, depuis le quatrième siècfc de notre ère, époqae à laquelle remonte la carte d’Antonin, de manière à augmenter la distance d’Alger aux ruines de Bustoniiim de 6 à 8 milles. — Par mer, elle est d’environ quatre lieues.
Bivouac au Fondouk, 10 mai.
Nous sommes partis cè matin, à cinq heures et demie, de, la Maison-Carrée, avec une partie des troupes de la lr“ brigade, avec laquelle se. trouve le général Pâle lui-même,
et que le débordement de 17tamise retenait depuis deux jours. — Nous avons marché ensemble jusqu’à la Maison- B!duché, petit village nouveau au milieu dé la Plaine, à 7 kilomètres de la Maison-Carrée, et où se bifurquent les rouies de Bellys et du Fondouk. — Nous arrivions au Fondonk après cinq heures de marche. Le colonel de Lavarende, avec ses zouaves, n’v était plus, et le, 25e allait arriver.
Le Fondouk est encore aujourd hui un village fort triste. ; mais il faut diré cependant que si les cultures ne sont pas aussi étendues que la richesse de. ce sol le. ferait espérer, elles sont déjà te.llês qu elles ont puissamment contribué à assainir la ville, un des plus alfreux cimetières de notre armée autrefois. Il n’y a presque plus dé malades aujourd’hui.
(1) .Aujourd hui cher de bataillon.
(2) Koubba, dôme de mosquée. Celle dont nous parlons a donné son nom au village, un de nos premiers établissements en Algérie.
(3) Rusguniæ , Rustonium , Rusgonium, sont la même ville dont les
ruines se voient au Matifoux.(1) Haouch, ferme.