où des appartements seraient préparés pour lui au château.
Depuis quelques jours, on donne au Théâtre-Français une nouvelle pièce, qui n’est peut-être pas très-nouvelle.
C’est l’aventure d’un comédien qui a tourné la tête à une riche héritière. Aux yeux de sa conquête, ce bienheureux mortel est devenu aussitôt semblable à tous et chacun des dieux qu’il figure. La tendresse de Iloméo, la distinction d’Fiamlet, et, au besoin, la magnanimité d’un César, telles sont les qualités dont Miss LéliaPerkins se plaît à embellir M. Sullivan, premier sujet tragique du théâtre de Drury- Lane. Garrick, en Angleterre, et, après lui, Talma et Larive, en France, eurent jadis cette même bonne fortune, dont leur délicatesse ne voulut pas profiter ; Garrick, dis
tingué par la fille d’un lord , se dépêcha de prendre pour femme une simple couturière. Talma s’avisa d’un échappa
toire qui satisfit tout le monde. Quant à Larive, il reçut d’une puissante famille l invitation de voyager afin de guérir par l’absence un cœur sensible qu’Orosmane avait sur
pris. On constate ici ces précédents honorables, parce que le Sullivan de M. Mélesville se montre tout à fait digne de les suivre. On ne saurait même pousser plus loin le sacrifice qu’il fait à un préjugé aujourd’hui beaucoup moins res
pectable assurément qu’il ne devait l’être dans l’ancienne société. Ali! l’honnête comédien, c’est en vain que le bon
homme Perkins -—millionnaire très-simple, enrichi par des négoces fort compliqués — lui fait un pont d’or pour traver
ser la Manche, en lui jetant ce cri de détresse : Ma fille est folle de vous.—N’esl-ce que cela? Eli bien,mon cher monsieur, on vous la guérira gratis. — Plus la cure est difficile et plus les moyens doivent être violents, c’est-à-dire que Sullivan se décide tout de suite à se montrer aux yeux de sa conquête dans la dégradation de l’ivresse. Bien plus, au mo
ment de se livrer à un simulacre d’orgie, il reconnaît dans Lelia une belle personne qu’il aime éperdument pour l’a voir vue une ou deux fois dans la salle. O surprise, ô douleur ! Mais l honneur parle, il suffit, ce sont là ses ora
cles; on n’est pas plus Spartiate que ce comédien amoureux.. Non content de se griser outrageusement, ce bourréau des
amours ajoute à 1 incartade toutes sortes de circonstances aggravantes ; il se comporte en vaurien du plus bas étage,
jetant les cartes à la tête des joueurs, et les mots les plus décolletés au nez des mistress tout ébahies. La scène, assez dramatique et fort longue, est terminée par l’explosion du mépris de Lélia : « Sortez, monsieur ! » Et elle épousera son cousin Frédérick.
Celui-là est bien le plus mauvais sujet des trois royaumes; ivrogne, joueur, fat et libertin, c’est un de ces désœuvrés
fastueux qui possèdent en réalité tous les vices dont le pauvre comédien vient de se donner les airs; le cousin Fré
dérick arrive tout droit du club, où, entre deux vins, il a ramassé la grande nouvelle que voici : c’est que Sullivan va se battre en duel pour l’honneur d’une petite miss, et, ra
contant l’aventure que vous savez, notre homme dit la con
fidence du père , la scène d’ivresse simulée, et le. congé signifié par la demoiselle et emporté par le comédien, la mort dans l’âme. Et voilà pourquoi Lélia, qui a tout entendu, ne veut plus épouser le cousin Frédérick.
Attendez seulement le troisième acte, et Lélia fera mieux; en vertu de certaines franchises quiautorisent les usages britanniques, elle ira chercher son amant chez lui, et peu s’en faut qu’elle n’y trouve, son père. Le bonhomme, prévoyant l’audacieuse démarche de sa fille, s est mis à la sui
vre pour observer les événements, et il se jette dans un cabinet voisin au moment où Lélia se blottit derrière un fauteuil. C’est sur ces entrefaites que Roméo revient du combat, où il a désarmé le calomniateur, et Juliette se précipite dans ses bras. Caché près de ces lieux, comme le tyran de la tragédie, le vieillard fait comprendre par ses ap
paritions qu’il a l’oreille au guet, et qu’il attend l’alderman chargé de constater le rapt; et, en vérité, c’est absolument la précaution inutile. Est-ce que Sullivan n’est pas le plus honnête des amants et des comédiens ? A l’amour de Lélia il oppose les protestations les plus platoniques, et à l’offre de cette main chérie il répond par le discours le plus sensé touchant l’autorité des pères et l’obéissance qui leur est. due par les enfants, si bien que M. Perkins, touché de tant de vertu, sort de sa cachette pour dire au comédien : «Je vous donne ma fille. » Sur quoi, l’alderman, conduit par le cousin Frédérick, arrive à propos,pour marier les deux
amants. Cette comédie, dont l’allure et la façon sentent le drame-vaudeville sans couplets, a été fort, bien accueillie. Qu’importe la vétusté du sujet, vieux comme tout préjugé
vaincu au théâtre, du moment que le talent de M. Mélesville a su le rajeunir à la plus grande satisfaction de l’auditoire? M. Brindeau est un Sullivan assez vraisemblable, mais les honneurs de la soirée ont été pour M. Provost, d’une bonhomie si savante et si fine. Et enfin, quelle charmante vignette anglaise que Lélia sous les traits de M11* Favart !
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Le Théâtre-Français vient de perdre deux comédies, autant dire deux succès, puisqu’il s’agit d’œuvres de MM. Ponsard et Augier. L honneur et l argent, coup d’es
sai, et, dit-on, coup de maître de l’auteur de Lucrèce dans le haut comique, sera représenté prochainement à l’Odéon.
Quant à la pièce de M. Augier, elle est échue au Gymnase, et M” Rose Chéri doit y jouer le rôle destiné à M“e Rachel.
A propos de nouvelles, voici encore des comptes rendus de pièces, car on ne voit rien pour le moment de préférable aux inventions de nos dramaturges. Où est l’événement, et quelle est l’histoire qui, par exemple, ne pâlirait pas un peu devant celte biographie du Cocher cl· fiacre, qui fait courir la foule au théâtre de l’Ambigu?
Cela commence à la manière de ces récits fabuleusement vrais de la Gazelle des Tribunaux, dont le point de dé
part est un grand malheur, et ensuite un crime odieux qui échappera longtemps à la vindicte des hommes. Avant l’épi
sode du crime, voici celui du malheur, qui l’a précédé de beaucoup. Claude Thibaut, le futur cocher, n’est d’abord
Depuis quelques jours, on donne au Théâtre-Français une nouvelle pièce, qui n’est peut-être pas très-nouvelle.
C’est l’aventure d’un comédien qui a tourné la tête à une riche héritière. Aux yeux de sa conquête, ce bienheureux mortel est devenu aussitôt semblable à tous et chacun des dieux qu’il figure. La tendresse de Iloméo, la distinction d’Fiamlet, et, au besoin, la magnanimité d’un César, telles sont les qualités dont Miss LéliaPerkins se plaît à embellir M. Sullivan, premier sujet tragique du théâtre de Drury- Lane. Garrick, en Angleterre, et, après lui, Talma et Larive, en France, eurent jadis cette même bonne fortune, dont leur délicatesse ne voulut pas profiter ; Garrick, dis
tingué par la fille d’un lord , se dépêcha de prendre pour femme une simple couturière. Talma s’avisa d’un échappa
toire qui satisfit tout le monde. Quant à Larive, il reçut d’une puissante famille l invitation de voyager afin de guérir par l’absence un cœur sensible qu’Orosmane avait sur
pris. On constate ici ces précédents honorables, parce que le Sullivan de M. Mélesville se montre tout à fait digne de les suivre. On ne saurait même pousser plus loin le sacrifice qu’il fait à un préjugé aujourd’hui beaucoup moins res
pectable assurément qu’il ne devait l’être dans l’ancienne société. Ali! l’honnête comédien, c’est en vain que le bon
homme Perkins -—millionnaire très-simple, enrichi par des négoces fort compliqués — lui fait un pont d’or pour traver
ser la Manche, en lui jetant ce cri de détresse : Ma fille est folle de vous.—N’esl-ce que cela? Eli bien,mon cher monsieur, on vous la guérira gratis. — Plus la cure est difficile et plus les moyens doivent être violents, c’est-à-dire que Sullivan se décide tout de suite à se montrer aux yeux de sa conquête dans la dégradation de l’ivresse. Bien plus, au mo
ment de se livrer à un simulacre d’orgie, il reconnaît dans Lelia une belle personne qu’il aime éperdument pour l’a voir vue une ou deux fois dans la salle. O surprise, ô douleur ! Mais l honneur parle, il suffit, ce sont là ses ora
cles; on n’est pas plus Spartiate que ce comédien amoureux.. Non content de se griser outrageusement, ce bourréau des
amours ajoute à 1 incartade toutes sortes de circonstances aggravantes ; il se comporte en vaurien du plus bas étage,
jetant les cartes à la tête des joueurs, et les mots les plus décolletés au nez des mistress tout ébahies. La scène, assez dramatique et fort longue, est terminée par l’explosion du mépris de Lélia : « Sortez, monsieur ! » Et elle épousera son cousin Frédérick.
Celui-là est bien le plus mauvais sujet des trois royaumes; ivrogne, joueur, fat et libertin, c’est un de ces désœuvrés
fastueux qui possèdent en réalité tous les vices dont le pauvre comédien vient de se donner les airs; le cousin Fré
dérick arrive tout droit du club, où, entre deux vins, il a ramassé la grande nouvelle que voici : c’est que Sullivan va se battre en duel pour l’honneur d’une petite miss, et, ra
contant l’aventure que vous savez, notre homme dit la con
fidence du père , la scène d’ivresse simulée, et le. congé signifié par la demoiselle et emporté par le comédien, la mort dans l’âme. Et voilà pourquoi Lélia, qui a tout entendu, ne veut plus épouser le cousin Frédérick.
Attendez seulement le troisième acte, et Lélia fera mieux; en vertu de certaines franchises quiautorisent les usages britanniques, elle ira chercher son amant chez lui, et peu s’en faut qu’elle n’y trouve, son père. Le bonhomme, prévoyant l’audacieuse démarche de sa fille, s est mis à la sui
vre pour observer les événements, et il se jette dans un cabinet voisin au moment où Lélia se blottit derrière un fauteuil. C’est sur ces entrefaites que Roméo revient du combat, où il a désarmé le calomniateur, et Juliette se précipite dans ses bras. Caché près de ces lieux, comme le tyran de la tragédie, le vieillard fait comprendre par ses ap
paritions qu’il a l’oreille au guet, et qu’il attend l’alderman chargé de constater le rapt; et, en vérité, c’est absolument la précaution inutile. Est-ce que Sullivan n’est pas le plus honnête des amants et des comédiens ? A l’amour de Lélia il oppose les protestations les plus platoniques, et à l’offre de cette main chérie il répond par le discours le plus sensé touchant l’autorité des pères et l’obéissance qui leur est. due par les enfants, si bien que M. Perkins, touché de tant de vertu, sort de sa cachette pour dire au comédien : «Je vous donne ma fille. » Sur quoi, l’alderman, conduit par le cousin Frédérick, arrive à propos,pour marier les deux
amants. Cette comédie, dont l’allure et la façon sentent le drame-vaudeville sans couplets, a été fort, bien accueillie. Qu’importe la vétusté du sujet, vieux comme tout préjugé
vaincu au théâtre, du moment que le talent de M. Mélesville a su le rajeunir à la plus grande satisfaction de l’auditoire? M. Brindeau est un Sullivan assez vraisemblable, mais les honneurs de la soirée ont été pour M. Provost, d’une bonhomie si savante et si fine. Et enfin, quelle charmante vignette anglaise que Lélia sous les traits de M11* Favart !
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sai, et, dit-on, coup de maître de l’auteur de Lucrèce dans le haut comique, sera représenté prochainement à l’Odéon.
Quant à la pièce de M. Augier, elle est échue au Gymnase, et M” Rose Chéri doit y jouer le rôle destiné à M“e Rachel.
A propos de nouvelles, voici encore des comptes rendus de pièces, car on ne voit rien pour le moment de préférable aux inventions de nos dramaturges. Où est l’événement, et quelle est l’histoire qui, par exemple, ne pâlirait pas un peu devant celte biographie du Cocher cl· fiacre, qui fait courir la foule au théâtre de l’Ambigu?
Cela commence à la manière de ces récits fabuleusement vrais de la Gazelle des Tribunaux, dont le point de dé
part est un grand malheur, et ensuite un crime odieux qui échappera longtemps à la vindicte des hommes. Avant l’épi
sode du crime, voici celui du malheur, qui l’a précédé de beaucoup. Claude Thibaut, le futur cocher, n’est d’abord