devons nous rendre à la source. Je signalerai ici un fait assez remarquable; c’est que la mer, ne pouvant couvrir la plage à cause des rochers à
pic, a, en s’engouffrant sous ces rochers, creusé un large trou rond qui, par lalongueur des temps,
vint aboutir dans le bois même à une distance de 150 mètres, formant ainsi une sorte de cra
tère d’où jaillit souvent l’écume et toujours le vent refoulé par les vagues qui s’y engouffrent,
ainsi que des parcelles de corail formant autour de l’orifice une espèce de dunes, ce que j’éprouvai en jetant quelques pièces de bois qui en fu
rent repoussées comme elles pourraient l’être d’un corps liquide, la force de la mer étant telle,
et l’écume jaillissant si haut, qu’un malin nous trouvâmes notre pont emporté (il était placé à une hauteur de 50 pieds au-dessus du niveau de la mer).
Le second jour de notre arrivée sur l’île, le 29, nous vîmes passer un bâtiment qui n’aperçut pas notre pavillon.
Le dimanche suivant, le 3 juillet, nous en vîmes deux de suite dont l’un assez près, mais sans plus de résultat ! L’espoir nous soutenait en
core! mais au bout de quinze jours, voyant qu’il ne passait des navires qu’à une très-grande dis
tance, et sentant nos forces s’épuiser de jour eu jour, un sombre découragement s’empare de nous; la mort nous apparut presque inévitable !
11 y a trente jours que nous sommes sur l’ile ; seize navires sont passés sans apercevoir notre signal, quoique naviguant assez près afin de re
connaître le point S. O. de l’tle; mais, la route étant au nord, ils s’éloignaient ensuite. Nous dé
cidons de nous diriger vers cette pointe, si le premier que nous apercevrons passe sans nous porter secours.
Le dimanche, trente-cinq jours après notre naufrage, un brick passe assez près de nous sans témoigner, par aucun signe, qu’il nous eût aper
çu. Notre résolution est aussitôt prise, et après avoir découpé la seule planche qui nous reste pour avoir une paire de sandales de rechange, et descendu notre pavillon, nous nous mettons en marche dans l’après-midi même Nous passons la source ou nous nous étions abreuvés tout ce temps, et allons coucher plus loin sous les ar
bres; le jour nous nous enfonçons à grand’peiiie dans le bois, nous réglant sur le soleil pour ne pas nous éloigner de la plage où nous allions coucher le soir.
La profondeur des ravins et les déchirures des roches nous empêchaient de suivre les bords.
Vers le milieu de l’ile, nous trouvâmes une baie qui avait bien une lieue et demie. C’est en faisant ce détour que nous rencontrâmes le plus de difficultés, des hauteurs à monter et à des
cendre, des plantes si hautes et si épaisses qu’on ne pouvait passer qu’avec beaucoup de peine, nous aidant de nos bâtons pour nous frayer
un passage en les abattant, mettant quelquefois une heure pour taire cent pas ! C’est ainsi qu’avec des efforts et des peines inouïs, ayant nos vêtements en lambeaux et le corps couvert de blessures faites aux pointes aiguës, nous arrivâmes, le huitième jour, à la pointe
S. O., oii nous trouvâmes fort heureusement beaucoup d’eau, et, le soir, en sortant du bois, des oiseaux en assez grand nombre pour en faire provision pour le lendemain. Nous construisîmes une nouvelle cabane près de plusieurs sources de bonne eau, et, après
Les naufragés arborant un signal de détresse; dessins de M. Hardouin.
beaucoup d’efforts, nous hissons de nouveau notre pavillon sur le haut du rocher, bien en vue, et attendant patiemment notre délivrance.
Si, de l’autre côté de l’île, nous avions eu à souffrir des rats et de grands crabes de terre, qui,
le soir, sortaient des bois, ils étaient ici encore plus nombreux et plus importuns ; ils ne nous laissaient pas de repos, la nuit surtout; les cra
bes nous pinçaient les pieds. Toujours armés de nos bâtons, nous leur donnions souvent des coups quiles assommaient à moitié. Ils prenaient la fuite; mais ils étaient aussitôt attaqués parles rats, qui les dévoraient à moitié vivants. Enfin, le 23 août, cinquante-sept jours après notre arrivée, devait être le jour de notre délivrance.
Le trois-mâts-barque l’Amicitia, passant près de l’île, a vu notre pavillon, et, bissant aussitôt le sien, met en panne, et descend une de ses embarcations à la mer, se dirigeant sur l’île.
J’étais occupé dans la cabine à faire une ligne de pêche avec des fibres déplantés (le second et le matelot étaient à la chasse). Pressé par la soif,
je me rendis sur la plage pour aller boire à la source; je n’ose en croire mes yeux ! un bâtiment est, en panne!!...... Pouvant à peine ne
soutenir contre l’émotion, je descends sur la plage, agitant ma chemise au bout de mon bâ
ton... Cependant je ne vois rien venir; aucune chaloupe n’est mise à la mer, et l’angoisse la pli s poignante s’empare de moi. Ne nous aurait-il pas vus? Mais tout à coup j’avise un canot dou
blant la pointe culminante de l’île. Mes deux compagnons y sont déjà ! L’un d’eux me crie que, le canot ne trouvant pas où prendre terre, je de
vais sauter à la mer, ce que je fis aussitôt, et, quelques instants après, nous sentions sous nos pieds le pont d’un navire. Nous eûmes seule
ment alors la mesure de notre faiblesse, que cherchaient à nous faire oublier par leurs bons soins le capitaine Crap-liellitujivan, les passagers et l’équipage.
Enfin, le 28 août, nous jetâmes l’ancre dans la rade de Batavia, au milieu de nos compatrio
tes. L’intérêt que l’on nous porte, l’accueil qu’en nous fait est universel, et moi-même, on me présentant chez monsieur P. Van Rnes, résident de Batavia, j’eus occasion d’apprécier com
bien sa réputation de providence des infortunés était méritée ; sa généreuse hospitalité s’ingénie à me faire oublier mes récents malheurs.
Quelques jours après notre arrivée, un bâtiment marchand, mouillant à Batavia, rapporta que, la seconde nuit après notre délivrance, il avait vu un grand feu à l’endroit même de l’ile où nous étions si longtemps restés, ce quia donné l’idée que quelques autres naufragés au ­
raient aussi pu gagner l’île et s’y réfugier. En conséquence, on envoya le bâtiment à vapeur le Samarttng, qui resta deux jours en vue, tirant le canon. Mais aucune trace de personnes vivan
tes !!!... Il est malheureusement sûr que tout le reste de l’équipage a péri dans la nuit du 27.
Tullius Kennet.
Batavia (île de Java), le 28 septembre 1852.
L’Érisson.
Ce navire offre la première application du système calorique inventé par l’ingénieur norvégien Érisson. Construit à New-York, il a dû faire son voyage d’essai le 15 courant, et partira pour l’Europe le 10 décembre. L Erissoh a reçu le nom de son inventeur.
L’Érisson, nouveau système de bateau, construit à New-York.