œuvre, le genre de musique qu’il avait entendu pendant son séjour en Italie. Etrange erreur! mais passons. Ce que nous voulons et devons dire, c’est que l’art musical en France s’est à peu près circonscrit à une seule branche, la musique de théâtre; c est-à-dire qu’il n’y a que les compo
siteurs français de musique dramatique qui soient parvenus à une réputation universelle. Aussi l’éducation musicale, en France, est-elle presque tout entière dirigée de ce côté. Quant aux musiciens qui seraient plus particulièrement portés chez nous à composer dans le style d’église ou de concert, malheur à eux! ils se condamnent tout bonne
ment à mourir de faim, Qu’ils fassent plutôt des polkas,
des mazurkas, des rédovas ; c’est là de la marchandise musicale qui se vend bien, pour peu qu’on ait de la vogue; tandis qu’un quatuor, une symphonie, un oratorio, une messe, il n’est pas un éditeur qui en donne quatre sous, même à un compositeur d’un talent reconnu. La célé
brité spéciale des maîtres nés et élevés en France fait donc supposer à bien des personnes, à tout le monde pour ainsi dire, qu’aucun d’eux n’est bon à autre chose qu’à écrire des partitions d’opéras, et surtout d’opéras-comi
ques. On s’imagine généralement que nos compositeurs sont des musiciens fort légers, gens d’esprit, mais d’ins
truction très-superficielle. L’auteur du Postillon de Lonjumeau, l’auteur du Caïd, composant des œuvres religieuses ! on a toutes les peines du monde à se figurer cela. Que d’in
crédules n’avons-nous pas trouvés nous-même à cet égard! Nous devons donc au comité de l’Association des artistes musiciens, et à la manière dont elle entend la célé
bration de la fête de sainte Cécile, la preuve évidente que deux de nos compositeurs qui passent pour les plus aimables, les plus gracieux, les plus amusants, ne le cèdent en
rien à ceux de nos grands peintres qui savent aussi bien charmer par leurs tableaux de chevalet que frapper d’admi
ration par leurs belles pages de peinture historique. C’est un résultat que nous sommes à bon droit fiers de constater.
L’Association des artistes musiciens atteint donc noblement un double but : elle fait du bien à bon nombre de malheureux, en même temps qu’elle étend la sphère glo
rieuse de l’école musicale française. Nous le répétons, sans cette heureuse circonstance de la fête de sainte Cécile, nous n’eussions pas eu ces deux œuvres de musique reli
gieuse, qui honorent notre pays et l’époque actuelle, autant qu’elles font honneur aux maîtres illustres qui lesont produi
tes. Rien ne les aurait provoquées, puisque rien n’existe en France qui puisse engager les artistes, même pour une vaine satisfaction d’amour-propre, à s’aventurer dans ce champ, si plantureux pourtant, que leur présentent les textes sacrés, les poétiques livres de la liturgie chrétienne.
Nous ne saurions faire de l’œuvre nouvelle de M. Ambroise Thomas une analyse détaillée après une seule audi
tion; mais nous pouvons assurer que, d’un bout à l’autre, elle nous a causé une excellente et vive impression. Il nous a paru que la science et l’imagination s’y trouvent parfaite
tion qu’elles doivent toujours avoir dans un temple saint ;
que l’instrumentation est riche et solennelle, pompeuse avec sobriété, brillante, non d’un éclat mondain ordinaire,
mais telle qu’on conçoit fort bien qu’elle puisse être en un jour où l’Eglise ne songe qu’à se réjouir, à moins qu’on ne soit un iconoclaste en fait de musique. Le ciel vous préserve, vous et nous, d’une pareille hérésie!
L’exécution a été digne de l’œuvre. Les exécutants étaient au nombre de cinq à six cents : l’Opéra-Comique, le Théâtre- Lyrique, le Théâtre-Italien, avaient fourni, comme contin
gent, à peu près tout leur personnel d’instrumentistes et le choristes ; le Grand-Opéra quelques-uns des siens ; le Conservatoire avait envoyé tous ses pensionnaires et la plupart de ses externes, et même quelques-uns de ses pro’esseurs, entre autres, M. Levasseur, que nous avons re
marqué chantant modestement, mais avec le talent qu’on lui connaît, sa partie dans les chœurs. Les solos ont été chantés ar M11 Lefebvre, MM. Masset et Battaille, de façon à faire egretter aux auditeurs que la sainteté du lieu ne leur per- Mtpas d’applaudir. M. Tilmant avait la direction de cette nasse musicale imposante; il l’a conduite avec cette chaleu
reuse habileté qu’on lui connaît. Il était secondé dans le comnandement des groupes vocaux par M. Tariot, chef des ihceurs du Théâtre-Lyrique, et par AL Ed. Batiste, profes
seur de la classe chorale populaire du Conservatoire. En ésumé, des félicitations à tout le monde, telle est notre enclusion, de toute manière, sur l’effet de cette touchante :t belle cérémonie.
Ce n’est pas sans raison que nous avons dit il y a huit ours que nous attendrions que la saison musicale fut plus vancée pour nous prononcer sur la question du Théâtretalien ; car enfin c’est là une question aujourd’hui. Qu’il i’y en ait plus en politique, soit, et c’est fort bien fait; mis il y en aura toujours dans le domaine des arts; ce
Brrain est moins glissant : la discussion d’un point artisique peut être abordée sans crainte de troubler l’ordre soial; il faudra donc tôt ou tard entrer dans celle-ci : le ’héàtre-ltalien est-il ou n’est-il plus possible à Paris? Y -t-il encore en Italie une école musicale ? La matière
st plus ardue qu’on ne pense. Cependant nous sommes bfoniqueur avant tout, c’est-à-dire que notre premier evoir est de recueillir les faits. Quand ceux-ci auront arlé, nous n’aurons plus, à la vérité, grand’chose à dire :
matière sera naturellement éclaircie. Il ne nous resra, comme on dit au palais, qu’à résumer les débats, si
ébats il y a. Constatons donc, au fur et à mesure, les faits ai s’accomplissent sous nos yeux. Après la représentation Olello, dont nous avons rendu compte la semaine derière, est venue celle de la Sonnambula. L’exécution de ïuvre magistrale de Rossini a été froide, mais satisfaisante
icore dans les morceaux essentiels de la partition ; les prinpales pages de la délicieuse idylle musicale de Bellini ont é au contraire exécutées, l’autre soir, d’une façon si
et des points d’orgue de toute espèce. Différents artistes peuvent comprendre diversement un même rôle ; chacun d’eux à sa manière propre de sentir et d’exprimer les beautés de l’art; mais il n’y a pas, que nous sachions, deux ma
nières de chanter juste. A propos de justesse, nous aurions bien maille à partir aussi cette fois avec les choristes du Théâtre-Italien. Sont-ce là ces choristes que le nouvel im
présario a pris la peine de faire venir tout exprès de Bergame, la ville d’Italie où l’on trouve maintenant, dit-on, les meilleures voix pour les chœurs? En ce cas, autant valait les laisser chez eux, et conserver les choristes anciens, qüi n’ont jamais été cités, il est vrai, comme de parfaits modèles d’ensemble et d’intonation, mais qui n’ont jamais chanté, non plus, ni plus faux ni moins en mesure que l’ont fait l’autre soir les nouveaux dans la Sonnambula. En somme, c’était une triste représentation sous tous les rap
ports, et par les vides nombreux qu’on remarquait dans les loges, et par les nombreuses défectuosités de l’exécution musicale. On annoncé pour bientôt la Luisa Miller, l’un des ouvrages récemment écrits par M. Verdi; nous souhai
tons sincèrement n’avoir à celte occasion que dès éloges à donner, et au compositeur, et à ses interprètes.
Les amateurs de chant nous sauront gré de leur signaler les Focalises caractéristiques que vient de composer et de faire paraître M. A. Guillot de Sainbris. Ces vocalises, au nombre de dix, sont écrites avec goût, dans un bon sentiment mélodique, variées de forme, accompagnées avec élégance, telles qu’on devait les attendre d’un professeur expérimenté, versé dans toutes les parties de l’art musical; ce que ne sont pas, il faut le reconnaître, tous ceux qui font état de professer le chant de par le monde.
Georges Bousquet.
Courrier de Paris.
Je crains bien qu’aujourd’hui encore notre plus long chapitre ne soit celui des préparatifs ; la ville en est pleine. Des milliers de mains industrieuses travaillent à la grande féerie que vous savez, laquelle durera une bonne partie de l’hiver, puisque après les réjouissances publiques viendra le tour de l’allégresse parlichlière. L’enthousiasme sème déjà sa traînée de poudre qui ne peut manquer d’é
clater çà et là en bals, galas et le reste. En attendant, tout ce qu’il est possible de constater, c’est que, depuis un mois et plus, les Parisiens sont toujours à la veille de se divertir excessivement. On dirait que la fièvre des affaires a éteint en eux celle du plaisir.
En cherchant bien, on ne trouverait guère dans les fastes de cette quinzaine qu’une seule, soirée mémorable, et encore n’aura-t-elle lieu que demain chez Aime la baronne Salvage.
L’Empereur l’honorera de sa présence, et M. Belmontet doit y lire une tragédie nouvelle de sa composition, les Enfants du Soleil. 11 est impossible que la tragédie en général ne se res
sente pas de cette marque éclatante de faveur accordée à l’un de ses sectateurs les plus fervents. Quelque chose déplus significatif à l’endroit des beaux-arts, c’est ou ce serait l’en
présentée que par MM. Dumas et Leverrier. Mais, suivant un vieux dicton,
L histoire dit ce qu’on a lait;
Le roman, ce qu il faudrait faire.
Et l’on se borne ici à vous donner comme bruits ce que d’autres nouvellistes ont déjà revêtu de l’autorité du fait accompli.
Du côté du corps législatif il s’est fait ou il va se faire un grand bruit de fourchettes : il s’agit de célébrer la procla
mation de l’Empire par un banquet. On aurait fait choix
d’abord du vendredi, mais c’est un jour maigre, et c’est . pour ce motif qu’on l’aurait changé; telle est du moins la version imaginée par un journal. On ajoute qu’un des fu
turs convives, ayant soumis la question à un éminent prélat, en aurait reçu cette réponse : «Mangez un bœuf, et soyez chrétien,» comme disait te petit père Lachaise au grand roi Louis XIV. Mais ce sont là des propos innocents auxquelspersonne ne croit guère.
Aurait on aussi ajourné ce bal annuel des Variétés qui était annoncé pour un jour maigre, contre l’usage qui le faisait ré
server pour les jours gras? La réclame y avait convié les femmes les plus ravissantes deParis pour samedi, ce qui s’entend peut-être d’un samedi quelconque. Faute de renseigne
ments particuliers, on peut vous épargner un compte rendu, mais vous n’éviterez pas l’annonce. Le plus piquant attrait de ces réunions plus ou moins dansantes, c’est qu’elles ont tout le charme d’un bal masqué, sans offrir aucune de ses hardiesses. C’est tout simplement l’ostracisme appliqué auxfemmes laides et le bannissement en masse des minois sexagénaires. Il n’y a pas de bal au monde où lesbienséances soient plus sévèrement respectées.
A l’aspect de ces beautés souriantes, qui circulent le visage nu, l’admiration ne craint pas de se fourvoyer, et de tomber, comme ailleurs, dans quelqu’un de ces pièges à loup qu’on appelle une taille fine et une démarche de fée, lequel a si souvent dissimulé l’embûche des nez à la Tartare, la forêt périlleuse des cheveux gris et l’abondance des rides. Un souhaite donc à ces bals masqués sans masques toute la vogue ciu’ils méritent.
C’est demain que commence la vente de la collection d’autographes laissée par M. de Trémont. On sait la noble destination que recevra le produit de cette vente; il est bon d’ajouter, pour l’instruction des acquéreurs, que leurs droits sont garantis contre toute revendication future, grâce aux explications du catalogue, où l’origine et la
source de chaque pièce se trouvent consignées. Beaucoup de ces lettres ont une importance historique, et la plupart méritaient d’être conservées comme curiosité. De Sophie Arnoult, entre autres, ilyen a une très-touchante : c’est le cri d’agonie de cette femme si spirituelle, que l’Opéra, qu’elle avait enrichi, laissa mourir dans la misère : « Je suis forcée de vous dire (c’est au ministre de l’intérieur, Lucien Bonaparte, qu’elle s’adresse) que je ne suis point payée, ainsi que vous l’avez ordonné. On m’invite à reprendre les rôles où j’ai acquis quelque célébrité, c’est-à-dire Pomone, Eglé, Iphigénie. Que j’aille, à soixante ans, redevenir nymphe, divinité, ou bien la fille d’Agamemnon : fi donc!
Quels pleurs feraient verser une telle victime ! Ah! qu’il faut avoir faim pour vivre ainsi aux dépens de sa gloire. Eh bien, j’aime mieux à ce prix mourir de faim que de honte. » Une autre femme, Mmo Cottin, tranche ici, par ses confidences, une question que ses biographes avaient jugée insoluble, à savoir si l’auteurde Claired Albe avait connu l’a
mour? M“e Cottin aimait M. Azaïs, et l’écrivain des Compensations aurait été le secret idéal de Alalek-Adel et autres héros de ces romans.
Il y a aussi une lettre de AIme Lafarge, lettre que le collecteur regarde avec raison comme unique parmi toutes celles qu’elle a pu écrire. « Priez pour moi, écrit-elle à son oncle le digne M. Collard ; j’ai été inconséquente, j’ai cru à tous les sourires, à toutes les affections.... Jamais je n’ai su cacher une émotion ni résister à une rancune ou à un mé
pris. Si j’ai commis des imprudences, je suis exempte de bassesses ; si je n’ai pas été une épouse très-aimable, j’ai été une honnête femme; on m’avait épousé pour ma dot; j’ai livré ma fortune, offert mon amitié et gardé mon cœur. Enfin, si j’ai aidé une amie à soustraire des diamants pour acheter le silence d’un homme près duquel elle était com
promise, c’est que je croyais sa réputation et la mienne menacées par un figurant de l’Opéra, lequel voulait (m’assu
rait-on) nous perdre en affichant sa conquête et notre imprudence impardonnable. »
Nombre d’écrivains et d’artistes, les uns illustres et les autres qui le seront sans doute un jour, brillent ici par leurs autographes ; les musiciens surtout y sont en majorité, et, en dépit du proverbe, ce ne sont pas les moins spirituels,
témoin cette charmante lettre dans laquelle M. Berlioz dit si bien leur fait à certains Parisiens, sous le couvert de la province : « Arts, poésie, littérature, musique, Dieu sait comment on en parle en province.... Des idées si étranges,
des jugements faits pour déconcerter un artiste et qui lui figent le sang dans les veines. A entendre ces gens-là cau
ser de Byron, de Gœthe ou de Beethowen, on dirait qu’il s’agit de quelque tailleur ou bottier dont le talent s’écarte un peu de la ligne ordinaire; rien n’est assez bon pour eux, ils feraient volontiers de feuilles de rose la litière de leurs chevaux. »
Et puisque l’occasion se présente, apprenez qu’entre deux répétitions du Te Deum qu’il a composé pour une cérémo
nie impériale très-prochaine, le même M. Berlioz a trouvé le temps d’aller diriger à Weimar un grand concert dont
chacun des morceaux était extrait de ses partitions. Toute la cour grand-ducale figurait parmi l’auditoire, et le maes
tro français avait pour exécutants les premiers artistes de la ville, et pour choristes ses plus grandes dames. L’ova
tion si bien méritée par notre compatriote s’est prolongée jusqu’à l’embarcadère, où la population de Weimar a voulu l’accompagner. A Paris, où l’on est encore bien loin d’un pareil enthousiasme pour l’auteur du Faust et de Benvenuto Cellini, finira-t-on par comprendre enfin celte nou
velle leçon (de musique) qui nous est donnée par l’Athènes de l’Allemagne?
Autre nouvelle traduite de l’allemand. Un acteur qui excella dans les comiques sur le principal théâtre de Franc
fort, vient d’y mourir en léguant la peau de son corps au muséum d’histoire naturelle. Le défunt tenait surtout à ce qu’on l’écorchât après sa mort, afin de s’épargner le désa
grément peu probable d’être enterré vivant. Il paraît que la loi ne s’oppose pas à la délivrance de ce legs étrange; mais le muséum n’aurait accepté la succession que sous bénéfice d’inventaire, vu le grand âge du défunt, un octogénaire, Il
Nous sommes heureux d’avoir à faire part à nos lecteurs de la publication du deuxième trio pour piano, violon et violoncelle, de M. L. Lâcombe, au mérite duquel nous avons plus d’une fois rendu hommage dans ces colonnes; il vient^de paraître chez Richault, l’un des très-rares édi
teurs de musique qui ont lé courage de prêter leur nom et leur maison à des œuvres sérieuses non dramatiques ; et ce trio de M. L. Lacombe est de ce nombre. Pour en écrire de semblables, il faut, par le temps qui court, avoir en son art une foi singulièrement profonde ; or une foi profonde en quoi que ce soit est chose trop peu commune de nos jours pour n’être pas mentionnée et encouragée. Outre ce trio, le même éditeur vient de publier, du même compositeur, une [tonde fantastique pour le piano, morceau brillant et original, et une transcription pour piano seul de la char
mante et poétique mélodie que M. Louis Lacombe a composée sur la ballade de Μ. T. Gautier : l Ondine et le Pê
cheur, qu’il nous souvient d’avoir entendu chanter avec succès dans plusieurs concerts.
faible, que jamais nous n’aurions pu croire cpie le Théâtre- Italien de Paris fût un jour réduit à cette extrémité. On ne peut, quoi qu’on en ait, oublier tout à coup les Amina du temps passé, les Malibran, les Sontag, les Persiani; et cela certainement est bien fâcheux pour l Amina nouvelle, M1 Beltramelli, qui n’a ni le talent si profondé
ment dramatique de l’une, ni la vocalisation hardie et brillante de l’autre, ni la finesse merveilleuse de ce gosier qui fait en ce moment oublier aux Américains toutes les ovations de AI1 Jenny Lind. La critique est toujours difficile et pénible à faire, à plus forte raison lors
qu’elle s’adresse à une femme. Nous sommes donc dans un grand embarras vis-à-vis de Al1 Bertramelli ; elle seule peut nous en tirer, si seulement elle veut nous dire dans quel ton sont les points d’orgue qu’elle a introduits dans son rôle ; nous avouons n’avoir jamais pu le deviner, malgré l’habitude que nous avons d’entendre de la musique
siteurs français de musique dramatique qui soient parvenus à une réputation universelle. Aussi l’éducation musicale, en France, est-elle presque tout entière dirigée de ce côté. Quant aux musiciens qui seraient plus particulièrement portés chez nous à composer dans le style d’église ou de concert, malheur à eux! ils se condamnent tout bonne
ment à mourir de faim, Qu’ils fassent plutôt des polkas,
des mazurkas, des rédovas ; c’est là de la marchandise musicale qui se vend bien, pour peu qu’on ait de la vogue; tandis qu’un quatuor, une symphonie, un oratorio, une messe, il n’est pas un éditeur qui en donne quatre sous, même à un compositeur d’un talent reconnu. La célé
brité spéciale des maîtres nés et élevés en France fait donc supposer à bien des personnes, à tout le monde pour ainsi dire, qu’aucun d’eux n’est bon à autre chose qu’à écrire des partitions d’opéras, et surtout d’opéras-comi
ques. On s’imagine généralement que nos compositeurs sont des musiciens fort légers, gens d’esprit, mais d’ins
truction très-superficielle. L’auteur du Postillon de Lonjumeau, l’auteur du Caïd, composant des œuvres religieuses ! on a toutes les peines du monde à se figurer cela. Que d’in
crédules n’avons-nous pas trouvés nous-même à cet égard! Nous devons donc au comité de l’Association des artistes musiciens, et à la manière dont elle entend la célé
bration de la fête de sainte Cécile, la preuve évidente que deux de nos compositeurs qui passent pour les plus aimables, les plus gracieux, les plus amusants, ne le cèdent en
rien à ceux de nos grands peintres qui savent aussi bien charmer par leurs tableaux de chevalet que frapper d’admi
ration par leurs belles pages de peinture historique. C’est un résultat que nous sommes à bon droit fiers de constater.
L’Association des artistes musiciens atteint donc noblement un double but : elle fait du bien à bon nombre de malheureux, en même temps qu’elle étend la sphère glo
rieuse de l’école musicale française. Nous le répétons, sans cette heureuse circonstance de la fête de sainte Cécile, nous n’eussions pas eu ces deux œuvres de musique reli
gieuse, qui honorent notre pays et l’époque actuelle, autant qu’elles font honneur aux maîtres illustres qui lesont produi
tes. Rien ne les aurait provoquées, puisque rien n’existe en France qui puisse engager les artistes, même pour une vaine satisfaction d’amour-propre, à s’aventurer dans ce champ, si plantureux pourtant, que leur présentent les textes sacrés, les poétiques livres de la liturgie chrétienne.
Nous ne saurions faire de l’œuvre nouvelle de M. Ambroise Thomas une analyse détaillée après une seule audi
tion; mais nous pouvons assurer que, d’un bout à l’autre, elle nous a causé une excellente et vive impression. Il nous a paru que la science et l’imagination s’y trouvent parfaite
ment alliées ; que les mélodies y ont le caractère d’éléva
tion qu’elles doivent toujours avoir dans un temple saint ;
que l’instrumentation est riche et solennelle, pompeuse avec sobriété, brillante, non d’un éclat mondain ordinaire,
mais telle qu’on conçoit fort bien qu’elle puisse être en un jour où l’Eglise ne songe qu’à se réjouir, à moins qu’on ne soit un iconoclaste en fait de musique. Le ciel vous préserve, vous et nous, d’une pareille hérésie!
L’exécution a été digne de l’œuvre. Les exécutants étaient au nombre de cinq à six cents : l’Opéra-Comique, le Théâtre- Lyrique, le Théâtre-Italien, avaient fourni, comme contin
gent, à peu près tout leur personnel d’instrumentistes et le choristes ; le Grand-Opéra quelques-uns des siens ; le Conservatoire avait envoyé tous ses pensionnaires et la plupart de ses externes, et même quelques-uns de ses pro’esseurs, entre autres, M. Levasseur, que nous avons re
marqué chantant modestement, mais avec le talent qu’on lui connaît, sa partie dans les chœurs. Les solos ont été chantés ar M11 Lefebvre, MM. Masset et Battaille, de façon à faire egretter aux auditeurs que la sainteté du lieu ne leur per- Mtpas d’applaudir. M. Tilmant avait la direction de cette nasse musicale imposante; il l’a conduite avec cette chaleu
reuse habileté qu’on lui connaît. Il était secondé dans le comnandement des groupes vocaux par M. Tariot, chef des ihceurs du Théâtre-Lyrique, et par AL Ed. Batiste, profes
seur de la classe chorale populaire du Conservatoire. En ésumé, des félicitations à tout le monde, telle est notre enclusion, de toute manière, sur l’effet de cette touchante :t belle cérémonie.
Ce n’est pas sans raison que nous avons dit il y a huit ours que nous attendrions que la saison musicale fut plus vancée pour nous prononcer sur la question du Théâtretalien ; car enfin c’est là une question aujourd’hui. Qu’il i’y en ait plus en politique, soit, et c’est fort bien fait; mis il y en aura toujours dans le domaine des arts; ce
Brrain est moins glissant : la discussion d’un point artisique peut être abordée sans crainte de troubler l’ordre soial; il faudra donc tôt ou tard entrer dans celle-ci : le ’héàtre-ltalien est-il ou n’est-il plus possible à Paris? Y -t-il encore en Italie une école musicale ? La matière
st plus ardue qu’on ne pense. Cependant nous sommes bfoniqueur avant tout, c’est-à-dire que notre premier evoir est de recueillir les faits. Quand ceux-ci auront arlé, nous n’aurons plus, à la vérité, grand’chose à dire :
matière sera naturellement éclaircie. Il ne nous resra, comme on dit au palais, qu’à résumer les débats, si
ébats il y a. Constatons donc, au fur et à mesure, les faits ai s’accomplissent sous nos yeux. Après la représentation Olello, dont nous avons rendu compte la semaine derière, est venue celle de la Sonnambula. L’exécution de ïuvre magistrale de Rossini a été froide, mais satisfaisante
icore dans les morceaux essentiels de la partition ; les prinpales pages de la délicieuse idylle musicale de Bellini ont é au contraire exécutées, l’autre soir, d’une façon si
et des points d’orgue de toute espèce. Différents artistes peuvent comprendre diversement un même rôle ; chacun d’eux à sa manière propre de sentir et d’exprimer les beautés de l’art; mais il n’y a pas, que nous sachions, deux ma
nières de chanter juste. A propos de justesse, nous aurions bien maille à partir aussi cette fois avec les choristes du Théâtre-Italien. Sont-ce là ces choristes que le nouvel im
présario a pris la peine de faire venir tout exprès de Bergame, la ville d’Italie où l’on trouve maintenant, dit-on, les meilleures voix pour les chœurs? En ce cas, autant valait les laisser chez eux, et conserver les choristes anciens, qüi n’ont jamais été cités, il est vrai, comme de parfaits modèles d’ensemble et d’intonation, mais qui n’ont jamais chanté, non plus, ni plus faux ni moins en mesure que l’ont fait l’autre soir les nouveaux dans la Sonnambula. En somme, c’était une triste représentation sous tous les rap
ports, et par les vides nombreux qu’on remarquait dans les loges, et par les nombreuses défectuosités de l’exécution musicale. On annoncé pour bientôt la Luisa Miller, l’un des ouvrages récemment écrits par M. Verdi; nous souhai
tons sincèrement n’avoir à celte occasion que dès éloges à donner, et au compositeur, et à ses interprètes.
Les amateurs de chant nous sauront gré de leur signaler les Focalises caractéristiques que vient de composer et de faire paraître M. A. Guillot de Sainbris. Ces vocalises, au nombre de dix, sont écrites avec goût, dans un bon sentiment mélodique, variées de forme, accompagnées avec élégance, telles qu’on devait les attendre d’un professeur expérimenté, versé dans toutes les parties de l’art musical; ce que ne sont pas, il faut le reconnaître, tous ceux qui font état de professer le chant de par le monde.
Georges Bousquet.
Courrier de Paris.
Je crains bien qu’aujourd’hui encore notre plus long chapitre ne soit celui des préparatifs ; la ville en est pleine. Des milliers de mains industrieuses travaillent à la grande féerie que vous savez, laquelle durera une bonne partie de l’hiver, puisque après les réjouissances publiques viendra le tour de l’allégresse parlichlière. L’enthousiasme sème déjà sa traînée de poudre qui ne peut manquer d’é
clater çà et là en bals, galas et le reste. En attendant, tout ce qu’il est possible de constater, c’est que, depuis un mois et plus, les Parisiens sont toujours à la veille de se divertir excessivement. On dirait que la fièvre des affaires a éteint en eux celle du plaisir.
En cherchant bien, on ne trouverait guère dans les fastes de cette quinzaine qu’une seule, soirée mémorable, et encore n’aura-t-elle lieu que demain chez Aime la baronne Salvage.
L’Empereur l’honorera de sa présence, et M. Belmontet doit y lire une tragédie nouvelle de sa composition, les Enfants du Soleil. 11 est impossible que la tragédie en général ne se res
sente pas de cette marque éclatante de faveur accordée à l’un de ses sectateurs les plus fervents. Quelque chose déplus significatif à l’endroit des beaux-arts, c’est ou ce serait l’en
trée de MM. Ingres et Auber au sénat, où l’Institut n’est re
présentée que par MM. Dumas et Leverrier. Mais, suivant un vieux dicton,
L histoire dit ce qu’on a lait;
Le roman, ce qu il faudrait faire.
Et l’on se borne ici à vous donner comme bruits ce que d’autres nouvellistes ont déjà revêtu de l’autorité du fait accompli.
Du côté du corps législatif il s’est fait ou il va se faire un grand bruit de fourchettes : il s’agit de célébrer la procla
mation de l’Empire par un banquet. On aurait fait choix
d’abord du vendredi, mais c’est un jour maigre, et c’est . pour ce motif qu’on l’aurait changé; telle est du moins la version imaginée par un journal. On ajoute qu’un des fu
turs convives, ayant soumis la question à un éminent prélat, en aurait reçu cette réponse : «Mangez un bœuf, et soyez chrétien,» comme disait te petit père Lachaise au grand roi Louis XIV. Mais ce sont là des propos innocents auxquelspersonne ne croit guère.
Aurait on aussi ajourné ce bal annuel des Variétés qui était annoncé pour un jour maigre, contre l’usage qui le faisait ré
server pour les jours gras? La réclame y avait convié les femmes les plus ravissantes deParis pour samedi, ce qui s’entend peut-être d’un samedi quelconque. Faute de renseigne
ments particuliers, on peut vous épargner un compte rendu, mais vous n’éviterez pas l’annonce. Le plus piquant attrait de ces réunions plus ou moins dansantes, c’est qu’elles ont tout le charme d’un bal masqué, sans offrir aucune de ses hardiesses. C’est tout simplement l’ostracisme appliqué auxfemmes laides et le bannissement en masse des minois sexagénaires. Il n’y a pas de bal au monde où lesbienséances soient plus sévèrement respectées.
A l’aspect de ces beautés souriantes, qui circulent le visage nu, l’admiration ne craint pas de se fourvoyer, et de tomber, comme ailleurs, dans quelqu’un de ces pièges à loup qu’on appelle une taille fine et une démarche de fée, lequel a si souvent dissimulé l’embûche des nez à la Tartare, la forêt périlleuse des cheveux gris et l’abondance des rides. Un souhaite donc à ces bals masqués sans masques toute la vogue ciu’ils méritent.
C’est demain que commence la vente de la collection d’autographes laissée par M. de Trémont. On sait la noble destination que recevra le produit de cette vente; il est bon d’ajouter, pour l’instruction des acquéreurs, que leurs droits sont garantis contre toute revendication future, grâce aux explications du catalogue, où l’origine et la
source de chaque pièce se trouvent consignées. Beaucoup de ces lettres ont une importance historique, et la plupart méritaient d’être conservées comme curiosité. De Sophie Arnoult, entre autres, ilyen a une très-touchante : c’est le cri d’agonie de cette femme si spirituelle, que l’Opéra, qu’elle avait enrichi, laissa mourir dans la misère : « Je suis forcée de vous dire (c’est au ministre de l’intérieur, Lucien Bonaparte, qu’elle s’adresse) que je ne suis point payée, ainsi que vous l’avez ordonné. On m’invite à reprendre les rôles où j’ai acquis quelque célébrité, c’est-à-dire Pomone, Eglé, Iphigénie. Que j’aille, à soixante ans, redevenir nymphe, divinité, ou bien la fille d’Agamemnon : fi donc!
Quels pleurs feraient verser une telle victime ! Ah! qu’il faut avoir faim pour vivre ainsi aux dépens de sa gloire. Eh bien, j’aime mieux à ce prix mourir de faim que de honte. » Une autre femme, Mmo Cottin, tranche ici, par ses confidences, une question que ses biographes avaient jugée insoluble, à savoir si l’auteurde Claired Albe avait connu l’a
mour? M“e Cottin aimait M. Azaïs, et l’écrivain des Compensations aurait été le secret idéal de Alalek-Adel et autres héros de ces romans.
Il y a aussi une lettre de AIme Lafarge, lettre que le collecteur regarde avec raison comme unique parmi toutes celles qu’elle a pu écrire. « Priez pour moi, écrit-elle à son oncle le digne M. Collard ; j’ai été inconséquente, j’ai cru à tous les sourires, à toutes les affections.... Jamais je n’ai su cacher une émotion ni résister à une rancune ou à un mé
pris. Si j’ai commis des imprudences, je suis exempte de bassesses ; si je n’ai pas été une épouse très-aimable, j’ai été une honnête femme; on m’avait épousé pour ma dot; j’ai livré ma fortune, offert mon amitié et gardé mon cœur. Enfin, si j’ai aidé une amie à soustraire des diamants pour acheter le silence d’un homme près duquel elle était com
promise, c’est que je croyais sa réputation et la mienne menacées par un figurant de l’Opéra, lequel voulait (m’assu
rait-on) nous perdre en affichant sa conquête et notre imprudence impardonnable. »
Nombre d’écrivains et d’artistes, les uns illustres et les autres qui le seront sans doute un jour, brillent ici par leurs autographes ; les musiciens surtout y sont en majorité, et, en dépit du proverbe, ce ne sont pas les moins spirituels,
témoin cette charmante lettre dans laquelle M. Berlioz dit si bien leur fait à certains Parisiens, sous le couvert de la province : « Arts, poésie, littérature, musique, Dieu sait comment on en parle en province.... Des idées si étranges,
des jugements faits pour déconcerter un artiste et qui lui figent le sang dans les veines. A entendre ces gens-là cau
ser de Byron, de Gœthe ou de Beethowen, on dirait qu’il s’agit de quelque tailleur ou bottier dont le talent s’écarte un peu de la ligne ordinaire; rien n’est assez bon pour eux, ils feraient volontiers de feuilles de rose la litière de leurs chevaux. »
Et puisque l’occasion se présente, apprenez qu’entre deux répétitions du Te Deum qu’il a composé pour une cérémo
nie impériale très-prochaine, le même M. Berlioz a trouvé le temps d’aller diriger à Weimar un grand concert dont
chacun des morceaux était extrait de ses partitions. Toute la cour grand-ducale figurait parmi l’auditoire, et le maes
tro français avait pour exécutants les premiers artistes de la ville, et pour choristes ses plus grandes dames. L’ova
tion si bien méritée par notre compatriote s’est prolongée jusqu’à l’embarcadère, où la population de Weimar a voulu l’accompagner. A Paris, où l’on est encore bien loin d’un pareil enthousiasme pour l’auteur du Faust et de Benvenuto Cellini, finira-t-on par comprendre enfin celte nou
velle leçon (de musique) qui nous est donnée par l’Athènes de l’Allemagne?
Autre nouvelle traduite de l’allemand. Un acteur qui excella dans les comiques sur le principal théâtre de Franc
fort, vient d’y mourir en léguant la peau de son corps au muséum d’histoire naturelle. Le défunt tenait surtout à ce qu’on l’écorchât après sa mort, afin de s’épargner le désa
grément peu probable d’être enterré vivant. Il paraît que la loi ne s’oppose pas à la délivrance de ce legs étrange; mais le muséum n’aurait accepté la succession que sous bénéfice d’inventaire, vu le grand âge du défunt, un octogénaire, Il
Nous sommes heureux d’avoir à faire part à nos lecteurs de la publication du deuxième trio pour piano, violon et violoncelle, de M. L. Lâcombe, au mérite duquel nous avons plus d’une fois rendu hommage dans ces colonnes; il vient^de paraître chez Richault, l’un des très-rares édi
teurs de musique qui ont lé courage de prêter leur nom et leur maison à des œuvres sérieuses non dramatiques ; et ce trio de M. L. Lacombe est de ce nombre. Pour en écrire de semblables, il faut, par le temps qui court, avoir en son art une foi singulièrement profonde ; or une foi profonde en quoi que ce soit est chose trop peu commune de nos jours pour n’être pas mentionnée et encouragée. Outre ce trio, le même éditeur vient de publier, du même compositeur, une [tonde fantastique pour le piano, morceau brillant et original, et une transcription pour piano seul de la char
mante et poétique mélodie que M. Louis Lacombe a composée sur la ballade de Μ. T. Gautier : l Ondine et le Pê
cheur, qu’il nous souvient d’avoir entendu chanter avec succès dans plusieurs concerts.
faible, que jamais nous n’aurions pu croire cpie le Théâtre- Italien de Paris fût un jour réduit à cette extrémité. On ne peut, quoi qu’on en ait, oublier tout à coup les Amina du temps passé, les Malibran, les Sontag, les Persiani; et cela certainement est bien fâcheux pour l Amina nouvelle, M1 Beltramelli, qui n’a ni le talent si profondé
ment dramatique de l’une, ni la vocalisation hardie et brillante de l’autre, ni la finesse merveilleuse de ce gosier qui fait en ce moment oublier aux Américains toutes les ovations de AI1 Jenny Lind. La critique est toujours difficile et pénible à faire, à plus forte raison lors
qu’elle s’adresse à une femme. Nous sommes donc dans un grand embarras vis-à-vis de Al1 Bertramelli ; elle seule peut nous en tirer, si seulement elle veut nous dire dans quel ton sont les points d’orgue qu’elle a introduits dans son rôle ; nous avouons n’avoir jamais pu le deviner, malgré l’habitude que nous avons d’entendre de la musique