veut, et même tout ce qu’elle ne voudrait pas. Ah ! la vieille histoire pour une si belle fable!
Aux Variétés, Ce que vivent tes Roses, disons-le tout de suite, ce sont les amours de M. ltomulus et de Mu“ Nini.
Nini s’est rendue à sa foi.
Qu’eût-elle fait pour se défendre 1
Nous n étio s que nous trois, elle, l’amour et moi ;
L’amour était d intelligence.
Ceci est un charmant quatrain de ce pauvre abbé Cottin, si méchamment misa mort par Boileau, et qui vaut bien 1 hémistiche de Malherbe. Ce que rirent tes roses de notre ro
sier voilà ce que vivront nos amours, et les amants de veiller sur l’arbuste, chacun à sa manière. Romulus se con
tente de l’arroser; Nini achète un rosier tout neuf chaque matin, si bien que le jeune homme finit par trouver que les roses de la communauté ont la vie dure, et le voilà parti pour la Chaumière. Adieu les amours, et Nini chante en soupirant :


Plus ne suis que dans ta douleur,


Et n y saurai plus qu’être ; Et mes roses et mon bonheur
Ont fait le saut par la fenêtre.
Si ce deuxième quatrain n’est pas de Clément Marot, ça doit être de quelque autre qui lui ressemble un peu, tant il y a que cet amour parti par la fenêtre est rentré par le même chemin, au risque de se casser le cou une fois pour toutes.
Félicité passée,


Vous pouvez revenir,


pour finir par un distique du poète Bertaut. Mais trêve au mignon et au gentil : voici la Montansier et sa^ Femme aux œufs d or, au moyen de laquelle M. Hector l’étudiant dévalise perpétuellement ses deux oncles de Béotie. La pièce, — puisque pièce il y a, — c’est la mise en œuvre de son procédé que voici : «Tel que vous me voyez, dil-il à peu près à ses intimes en leur payant des truffes, j’ai découvert le moyen de manger six mille francs par an avec douze cents livres de rente, grâce à mes deux parents avunculaires. dignes des Montagnes Rocheuses et que j’exploite comme une Californie. A l’oncle Blanc-Mignon, ex danseur et mon contribuable dans le midi, j’écris que je viens d’é­
pouser une Andalouse au teint bruni, pâle comme un beau soir d’automne, et j’en recueille des cadeaux de noce. A mon oncle Frênôuiliot, l’habitant du nord, ancienne clari
nette qui en joue comme un aveugle, je fais part de mon mariage avec une demoiselle d’Albion, et j’en obtiens plu
sieurs bank-notes. Neuf mois déjà passés, j’ai développé une autre ficelle. Il m’est né un petit, mandai-je à chacun de ces bons hommes, et deux layettes me furent expédiées incontinent. C’est la seconde que nous avons fini de man
ger aujourd’hui. C’est pourquoi je vais avoir la douleur d’annoncer au nord et au midi que j’ai perdu l’épouse qui
faisait ma consolation dans cemoncle, et que j’ai si justement intitulée la Femme aux œufs d or. » Et le discours fini, arrivent les deux oncles et la mystification se perpétue,
grâce au concours de MUellosita, qui joue l’Espagnole comme une anglaise et vice versa. L’oncle Grassot et Hyacinthe le neveu sont toujours ces personnages divertissants que vous savez; dans ses denx métamorphoses anglo-espagnoles, MUe Duval s’est fait applaudir comme quatre.
Et quant au Parapluie de Damoclès, c’est un parapluie égaré par Ravel, et qui se trouve suspendu sur la tête de Sainville pendant une heure à mourir de rire.
Philippe Busoni.
Les modes de beauté et d’amour. PREMIÈRE PARTIE.


LA BEAUTÉ.


Pour donner à quelque chose le nom de beauté, il faut qu elle vous cause de l’admiration et du plaisir.
(Voltaire, Did.phil.)
Demandez à ce crapaud ce que c est que la beauté, le grand beau, le το καλόν : il vous répondra que c’est sa crapàude avec dmix gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate, un ventre jaune, un dos brun. Interrogez un nègre de Guinée,
le beau est pour lui une peau noire, huileuse, des yeux enfoncés, un nèz épaté.
Interrogez le diable, il vous dira que le beau est Une paire de cornes, quatre griffes et une queuë :
consultez enfin les philosophes, il vous répondront par des galimatias : il leur faut quelque chose de conforme à l’archétype du beau en essence, au το καλόν. (Ibid.)


Interrogez un Parisien....


« Les Turcs sont les seuls qui ne rient point de l’habit de leur grand-père, » a dit Montesquieu.
Pour eux la mode n’existe pas.
Cela nous semble déjà bien étrange; mais ce qu’il y a de plus curieux, de plus caractéristique, c’est qu’invariablement iis se pâment d’amour devant les mêmes types de houris qui ont enivré leurs pères, grands-pères, aïeux, bisaïeux, trisaïeux, et ainsi de suite de génération en génération jusqu’à perle de souvenir.
Cela est monstrueux : cela dénote bien la barbarie, et avant tout l’absence de cette qualité tant prisée chez nous, — l’esprit
Les Romains et les Grecs étaient dansée même cas: barbarie, toujours barbarie! ou plutôt enfance de l’imagination et du goût.
Voici comment ils s’excusent :
Il s’agit, disent-ils, d’un type du Beau, du vrai beau; quand on l’a saisi, quoi de plus naturel de s’y attacher, de s’y tenir, ou tout au moins de le rêver?
Nombre de bonnes gens, aujourd’hui encore, soutiennent sans rire cette tradition naïve.
C’est absurde : en dehors de la question d’art, il n’y a pas cle type du Beau, je vais vous le prouver catégorique
ment; il n’y a que des modes, je vais tâcher de vous en faire Thistoire.
Avant tout, examinons un peu les types, car il y en a plusieurs.
D’abord, qu’est-ce que ce beau des Romains, des Grecs, des Orientaux, qui a fait si belle fortune, qui est passé à l’état de type, d’article de foi?
Cela est, ou peu s’en faut, sous différentes formes, ce que. dans les arts on appelle aujourd’hui la ligne, et au point de vue de l’exécution te, style.
Parlons plus clair : cela est tout uniment une régularité, une symétrie de convention, un arrangement de lignes dont le plus souvent tout le mérite est de ne jamais contrarier Tod/par le caprice, par la dissemblance, ni par la cassure.
Ainsi le Beau, j’entends non pas le beau dans les arts, qui n’est point en question ici, la femme belle, la femme que l’on doit aimer ou rêver serait ce type monotone, in
vraisemblable et souvent imaginé au compas, ce type de la statuaire grecque proprement dite; enfin, pour choisir même, ce qu’il y a de, plus vivant dans cet ordre de modèles, je veux dire parmi les chefs-d’œuvre de la ligne, le beau serait le type, indiqué par la Vénus de Milo?
Sans doute dans ce torse merveilleux il est des traits d’une vigueur, d’un charme inexprimable ; mais, après tout, donnez â ce marbre, donnez à cet ensemble si pur, comme l’on dit, donner les chairs, les couleurs, tous les signes ex
térieurs de la vie, faites-en une femme, vous obtenez tout simplement le modèle de la plupart des figures de cire qui servent d’enseignes à nos coiffeurs.
A vrai dire, est-ce charmant, et faut-il se pâmer?
Cela est beau pourtant. G’est Laïs, c’est Aspasie, c’est la Campaspe d’Alexandre le Grand, je le veux bien : beauté irréprochable, je l’avoue; beauté de porcelaine vraiment, beauté cuite à point : finesse, vernis, fraîcheur du coloris, suavité des contours, arc du sourcil, ligne droite du nez, juste proportion des traits, lignes parfaites; rien n’y manque.
Tout est dans les règles : l’ensemble, admirablement correct, présente le développement froid et imposant de la plus incontestable symétrie, en somme le fini le plus inattaquable; ajoutez une taille divine, une majesté surhumaine :
Décidément cela est beau.
Beau, oui, sans doute : beau comme ce qu’on appelait autrefois un beau vers, beau comme la rue de Rivoli, beau comme l’Odéon, comme le style académique, ou comme l’é­ criture anglaise.
Est-ce donc là le beau (1)?
(1) Du reste, il est bon de remarquer, en passant , comment cette beauté grecque est souvent comprise et présentée de nos jours même par les esprits les plus distingués, et qui semblent le mieux nourris de profondes et sagaces études.
Il y a quelques mois, M. Cousin, à propos de Mme de Longueville, qu’il s’est amusé à décolleter dans la Revue des deux Mondes, l ait une théorie du Beau, et aboutit bravement à la Vénus de Milo : il la représente comme type, et semble lui comparer purement et simplement, son héroïne.
La théorie est simple, facile et coûte peu à l’imagination.
Comme si cette statuaire grecque, grande, admirable éternelle en tant qu’art, eu tant que chefs-d’œuvre du génie humain, pouvait être sérieusement comparée à la nature.
Tout à l’heure nous disions : donnez des chairs à la Vénus de Milo, nous parlions du type indiqué, par ce marbre admirable ; mais non, M. Cousin semble croire que la Vénus de Milo représente rigoureusement une femme, une femme belle.
Il semble croire que la nature s’offre parfois sous cette forme singulière, qu’il regarde comme la plus rare perfection de ta beauté.
En vérité, est-il possible de s’y méprendre ? Mais penser ainsi, c’est méconnaître, non-seulement la figure humaine, mais encore l’esprit, les principes, le tint des écoles grecques.
En effet, le sculpteur alors n’était souvent que l’ouvrier de l architecte, ce qui fait que la statuaire grecque semble, et est souvent en réalité, plutôt un détail de l’architecture, une des formes de l’or
nementation monumentale que l’imitation ou le perfectionnement idéal de la forme vivante.
Elle poursuit pourtant un idéal, mais approprié : cet idéal, c’est une symétrie mathématique.
Avant tout, elle approprie, bon gré mal gré, la nature à un art spécial ; elle modifie la femme, elle l’embellit, soit, mais seulement dans le sens des lignes d’une colonne dorienne ou corinthienne.
Elle idéalise donc, mais ni plus ni moins qu’en régularisant : elle prétend d’abord partager la forme humaine en deux moitiés abso
lument, rigoureusement pareilles, on peut dire même géométri
quement superposables : perfection étrange et du reste fort louable dans les cariatides, mais dont la nature se garde d’offrir un seul exemple.
En outre et surtout, l’école grecque s’étudiant à régulariser les formes au compas, parfois à l’équerre, on venait, particulièrement pour le visage, à émonder, à tailler les contours humains, comme on taille les arbres à Versailles, c’est-à-dire à supprimer, non-seu
lement tous les écarts, mais tous les détails vivants ; idéal curieux ! Aussi ces œuvres, admirables pourtant, ressemblent-elles à la na
ture absolument comme les passions et les émotions de la tragédie, passions et émotions d’un rliythmesi régulier et si compasssé, si correct, comme on dit, — si beau, je le veux bien, ressemblent aux passions réelles.
Encore une lois, personne plus profondément que nous ne s’incline devant les thefs-d’œuvre de la statuaire grecque; mais est-ce là qu’on doit chercher le modèle de la nature féminine ?
Réservée la question d’art, il aut bien avouer que les traits de tous ces visages équilatéraux représentent bien moins une face de femme qu’une figure de géométrie.
Eh bien, croyez-en M. Cousin et son classique compliment, acceptez cet enthousiasme Convenu, supposez qu une fois la nature consente à se corriger sur l’art, supposez une femme, une vraie femme, coulée dans le creux de la Vénus de Milo, c’est « la beauté


Mais je n’ai pas tout dit.


Vous savez cette beauté numismatique qu’on appelle la beauté romaine?
Il y a, il y a eu de notables échantillons de ce type accentué dans le contingent de la Tragédie, soit à Paris, soit en province, soit à l’étranger. On le retrouve aussi parfois dans les chars de l’Hippodrome.
Cela est beau, dit-on ; quelles épaules splendides! quel profil! quelle lête! quel type!
Suivez la créature privilégiée soit dans les coulisses, soit aux écuries, selon sa position dramatique : invisible, snrprenez-la dans sa loge quelques minutes avant qu’elle entre en scène, quelques minutes avant que garçon de théâ
tre ou palefrenier vienne lui remettre entre les mains soit le poignard d’Emilie, de Gertrude, de Lucrèce, soit les rênes de l’impétueux quadrige.
Surprenez-la devant son miroir : elle délivre sa chevelure du chapeau, son visage du tour de tête.
De mieux en mieux : elle débarrasse son cou de guimpes, de menues dentelles, de broderies, cle broches, de chiffons, de rubans, que sais-je?


Elle a dégagé sa tête, la voilà belle.


Que vous dirai-je ? Chaque épingle qui tombe découvre une perfection nouvelle, car ce profil au style large, éner
gique, osé, — original, je l’avoue, et tout exprès modelé pour la médaille, le type romain enfin vient se rattacher, s’ajuster au corps rêvé par les artistes grecs.
En effet, à partir des épaules, nous retrouvons la beauté grecque dans toute sa splendeur.
Nous y voilà de rechef : Quelle magnificence! ne quittez pas cette loge : Suivez, suivez :
Une épingle de moins, c’est une déesse d’Euphranor, Minerve à demi-décolletée, c’est la Cassandre de Polygnote, bientôt Phryné devant l’aréopage : Attendez, c’est Vénus Jnadyomèue d’Apclles, Vénus les pieds au milieu des va
gues; attendez, enfin, c’est Vénus Cnidienne de Praxitèle, Vénus au piédestal ; apparaissez, c’est Fênus pudique, si je puis m exprimer ainsi.
Parlons sans figure : Elle a les trente traits classiques de la beaulé; c’est, à part le visage dont j’ai indiqué le caractère 1out particulier, une de ces belles filles que le marchand d’esclaves de, l’ancienne Grèce, armé d’un tact parfait, d’un goût sévère, d’une science impitoyable, allait re
cueillir patiemment, par toutes les îles de ΓArchipel, sur les côtes d’Asie, à Milet surtout, et qu’il ramenait triomphant à Athènes pour être chèrement dressées, adorées, illus
trées par les artistes, les poètes, les grands hommes ; c’est une de ces merveilles de beauté que le peuple de l’Attique aimait comme il aimait la poésie et la musique, et que plus lard, après la conquête, les riches Romains finirent par admirer de confiance assez passionnément en raison du nombre des sesterces qu’elles leur coûtaient.
En réalité, c’est le type de la Cynthia de Juvénal, de la Lesbie de Catulle ou de la belle hôtesse de Virgile : Adorez, adorez.
C’est plus encore, regardez : Elle va entrer en scène, ajustez les bandelettes, un diadème, une couronne defeuillage, que sais-je? le péplum, toute la draperie classique :
c’est une vestale, c’est une reine, c’est une impératrice, — c’est Junon elle-même!
Maintenant, et je Fattends-là, qu’elle rentre dans la vie ordinaire. Meltez-lui une robe, un chapeau, un cachemire, — c’est une grosse fille.
En effet, elle est liée à Bercy.
Je prouverai quand on voudra que le Port-aux-vins fournit à Corneille, à Racine, à M. Ponsard et à ritippodrome toutes leurs reines, toutes leurs Romaines un peu présentables.


Est-ce donc là le Beau ?


Il est encore un autre genre dans la beauté romaine : traits fortement accusés, pommettes saillantes, front bas, dignité presque sauvage, genre moins noble, mais plus énergique, plus dégagé, plus nerveux, plus allongé surtout,
que l’on pourrait appeler peut-être le genre osseux, et dont M11 Rimblot, avant de tomber en embonpoint, offrait un modèle remarquable : eh bien ! c’est tout juste ce que dans le monde les bonnes âmes appellent charitablement un grand cheval de bataille. Est-ce donc là le Beau ?
Heureusement M11 Rachel, nous disons cela entre parenthèses, de peur d’objections, M11 Rachel n’a de ce que nous appelons les Romaines que le cœur et la voix. Eh bien !
cette voix même, cette belle voix d’Emilie, nous appelons cela, dans la vie prix ée, une voix rauque.
Enfin, reprenons : beauté romaine, genre noble ou genre osseux, est-ce donc-là le Beau ?
Qui de nos jours oserait le soutenir sérieusement ?
Mais parmi les Romains mêmes, il y eut un homme d’esprit, ·— un homme d’esprit dans l’acception actuelle du terme.
Ce ne fut peut-être pas précisément le seul, mais bien peu s’en faut, — Ovide enfin.
Eh bien ! cet homme d’esprit n’accepta pas les erreurs de son siècle. Ovide, cela est attesté par les faits, Ovide dédai
gnait fort ce genre de beauté dont les médailles nous ont conservé la tradition.
S’il osa braver son maîlre, s’il ne craignit pas d’être cfiassé de Rome et d’aller faire trente mille vers latins sur
française dans ta plus belle époque, » c’est la bette Mmo de Longueville ïobligatol bien obligée son ombre à M. Cousin.
Comment un esprit aussi original peut-il se laisser aller à cette comparaison apprise ? Comment peut-il être sujet à de pareilles banalités ?
Sans correctif, sans ménagement, brutalement et surtout avec âme, assimiler une femme à la Vénus de Milo!
Mais il serait moins ridicule de dire sincèrement, avec une admiration sérieuse, à un homme qui cabse au coin du feu :
« Oh ! monsieur, vous racontez comme Théramène ! »