curry à l’indienne. » Et c’est tout à fait l’é­ quivalent de ce mot d’une grande dame çle l’ancien régime : « Les pauvres gens, ils n’ont point de pain ; que ne mangent-ils de la brioche ! » car le curry dont milord proposait si gracieusement l’usage à son mon
de, n’est rien moins qu’une composition et un mélange de poivre de Cayenne, de gin
gembre, de safran et autres délicatesses aromatisées; arrosez la dose de jus de ci
tron, et surtout servez chaud. Et certes l’expédient est ingénieux pour tirer d’af
faire une foule de malheureux qui meurent de faim. « Quoi ! mon brave homme, ta famille est sans pain, donne-lui du pâté ;
la pomme de terre t’abandonne, procuretoi des truffes, et, si tes moyens ne te per
mettent pas le verre de gros bleu, régaletoi de tisane de Champagne. »
·.. Et pour en revenir à Paris, cette semaine, à peu près stérile pour le plaisir, n’a pas été perdue pour la charité. Quelle est la femme tant soit peu à la mode qui n’a pas quêté quelque part ? La tutelle des nègres et le patronage des Polonais ont cédéla place à des soins plus doux, puisqu’ils s’a­
dressent à l’enfance. Il s’agit de sauver la salle d’asile ou d’assurer l’existence de la
crèche, et rien n’est plus digne d’intéresser tant de belles personnes. Il est vrai que dans ces exercices de bienfaisance quelques-unes trouvent le bénéfice de la coquetterie, et les méchants assurent que parfois on ne demande pas seulement pour les pauvres, mais que l’on garde une partie de la recette pour son propre compte, ce qui n’a jamais) rien enlevé au trésor de l’infortune, au contraire! les regards du beau sexe sollicitent des hommages que le vilain s’empresse de lui accorder. Cependant madame D...., qui n’est plus jeune, et qui n’a jamais été belle, disait l’autre jour : «Je renonce à la profession, on n’y retrouve pas ses frais. » Et le mari, té
moin du sacrifice, marmottait à demi-voix en regardant ce corsage ubi Troja fuit : « Cela lui apprendra à quêter pour ses pauvres... attraits. »
L’exactitude est la politesse des Cotirriers et le plus souvent leur seul mérite, c’est pourquoi n’allons pas oublier un autre détail mémorable : l’arrivée du chimpanzé à la ménagerie du Jardin des plantes.
Selon Buffon et Cuvier, le chimpanzé serait, avec le pungo, l’animal qui offre la contrefaçon la plus complète de notre espèce. Les savants de l’endroit goûtent fort les singeries
du nouvel hôte, mais il est loin d’obtenir le même succès auprès du public : il ressemble trop à un homme. On dirait qu’il apprécie médiocrement les avantages de la similitude, puisqu’il prend très-vite la mouche contre les curieux qui s’avisent de l’approcher de trop près. Peut-être l’espèce
L’hospice de Grimsel.
d’hospitalité que notre civilisation lui accorde n’est-elle pas tout à fait de son goût, et se trouve-t-il humilié d’être ainsi exposé dans une cage comme une bête curieuse? Qui sait si sa misanthropie n’est pas l’effet d’anciens griefs que sa race aurait essuyés de la nôtre, et dont la tradition se serait perpétuée parmi ces quadrumanes? L’animal a l’air de posséder là-dessus des renseignements qui nous manquent complètement; car enfin, — comme dit Georges Cuvier, — les animaux nous comprennent, et nous ne les comprenons pas. Peut-être aussi, et c’est le sentiment le plus général, doit-on attribuer sa conduite à quelque injure récente, et alors on fera bien de le protéger par cet, avis au lecteur : « Le public est invité à respecter son semblable. » Maltrai
ter un chimpanzé ! mais à ceux qui s’en avisent, je suis toujours tenté de dire (avec M. Théophile Gautier) ce que Henri Heine disait au jeune Allemand peu respectueux en
vers son portier, ancien tambour de la grande armée : « Prends garde, malheureux ! c’est peut-être ton père. »
Depuis plusieurs jours, les théâtres n’ont donné aucune pièce nouvelle, c’est-à-dire que le succès; de la veille ou de l’avant-veille leur suffit ainsi qu’au public ; cependant, s’il vous faut absolument quelque nouveauté dramatique, on
vous recommande la préface très-animée que M. Francis Wey vient de publier en tête de sa comédie de Stella. L’auteur y prend résolument la défense du poète dramatique contre le faiseur, il signale avec une énergie spi
rituelle l envahissement de l’art par le nié tier. A la chaleur du plaidoyer, on recon naît tout de suite que M. Francis AVe s’est fait l’avocat de sa propre cause.
« Tel est aujourd’hui l’empire des pr& cédés mécaniques, nous dit-il, que l’exploi tation des diverses scènes françaises est de venue l’objet d’une florissante industrie
entre les mains d’une pléiade d’arrangeurs collaborateurs obligés, qui très-souvent g dispensent de mettre leurs noms, aux ou vrages par eux accommodés, laissent la re nommée à l’auteur et se contentent de ton cher des honoraires en tant que machinis tes de la pensée. L’un des plus habile et des mieux achalandés ne disait-il pj naguère, en désignant plusieurs écrivain
dramatiques en renom : « C’est moi qui fai toutes les pièces de ces Messieurs. » Ton cela est assez bien pensé et encore mien: écrit, et certainement un jour ou l’autn M. Wey nous donnera une bonne pièce di gne de sa remarquable préface.
Tous les journaux vous ont déjà en tretenu de l’événement tragique dont fan berge de Grimsel a été le théâtre, dans le, derniersjours denovembre. Quelques pâtre: des environs aperçurent une fumée épaissi qui s’élevait de la montagne, l’auberge était en feu, et
quand les secours arrivèrent, il n’en restait plus que le: débris consumés. L’aubeigiste, homme considéré dan: le pays, expliqua d’abord la catastrophe assez naturellement pour que chacun fût persuadé qu’elle avait et lieu comme il le disait; mais la justice, plus dillicile : convaincre, surprit des témoignages contradictoires, recueillit des indices, et commença une enquête qui devait conduire à la découverte complète, de la vérité. L’in
cendie n’était pas le résultat d’un accident, mais d’ut crime, et ce crime n’avait été commis que pour effacer le: traces d’un autre plus odieux. Des voyageurs de passagi dans l’auberge y avaient été égorgés, et l’assassin, dans I; crainte qu’on ne vînt à découvrir les cadavres, avait mis li feu à la maison, et s’était enfui, chargé de leurs dépouilles. Ce misérable, bien connu des touristes qui voyagent ei Suisse, était regardé, depuis vingt ans et plus, comme li providence des voyageurs. C’est lui que, dans son Voyagea z-ig-zag, M. Toppfer désigne sous le nom de papa Zip
pach, excellent homme, serviable, hospitalier, et qui (ajout! notre auteur, sans se douter de la confirmation future qu( recevra son récit) va à la chasse, aux alouettes, et, le ülel tombé, compte ses victimes, et dispose tout pour les saigner.
Philippe Busoni.


Salle des voyageurs à l’hospice de Grimsel.